Elle s'installa sur le canapé, ses doigts effleurant distraitement la porcelaine tiède de sa tasse. Son regard se perdit sur l'horloge du salon, dont les aiguilles semblaient avancer avec une lenteur cruelle.

Ce n'était pas la première fois qu'il était retenu au travail. Elle s'était toujours accommodée de son absence, comprenant l'exigence de son métier. Mais ce soir, quelque chose différait. Une sensation diffuse, difficile à nommer, mais tenace. Peut-être parce qu'elle venait de passer un week-end hors du temps, où elle s'était sentie pleinement vivante, entourée d'amis, loin des contraintes et de la monotonie du quotidien. Là-bas, elle avait ri sincèrement, partagé des instants d'une légèreté oubliée. Là-bas, elle n'avait pas eu à combler l'absence.

Et il y avait Emma.

Son esprit s'attarda sur son sourire, sur sa manière de l'observer avec cette intensité troublante, sur sa capacité à écouter sans juger. Sur la douceur de leurs conversations, la chaleur de leurs silences. Sur ce contact fugace de leurs mains à la surface du lac, un effleurement anodin en apparence, mais qui avait imprimé en elle une sensation déroutante. Regina secoua la tête, agacée contre elle-même. Elle n'aurait pas dû penser à Emma alors qu'elle attendait son compagnon.

Mais l'attente s'étira. Trop longue. Trop pesante.

Elle se leva, cherchant une diversion. Après quelques pas errants dans l'appartement, elle ouvrit un tiroir au hasard et en sortit un vieux carnet de notes. Intriguée, elle le feuilleta lentement. Une page attira son attention : une liste, écrite de sa propre main il y a des années. Le titre, tracé d'une écriture soignée, lui arracha un sourire teinté de nostalgie :

Ce que je veux dans une relation :

- Partager de vrais moments ensemble.

- Avoir des conversations profondes, sincères.

- Rire souvent.

- Se sentir comprise et écoutée.

- Ne pas être une option secondaire.

Son regard s'arrêta sur le dernier point. Une ombre passa dans ses yeux. Elle referma brusquement le carnet, comme si le simple fait de l'avoir relu mettait en lumière une vérité qu'elle n'était pas prête à affronter. Daniel l'aimait, elle en était persuadée. Mais ces derniers mois, elle avait cessé d'être une priorité. Elle se demanda, non sans une pointe d'amertume, si elle aussi avait renoncé à essayer.

Le cliquetis d'une clé dans la serrure interrompit le fil de ses pensées. Elle redressa légèrement la tête alors que Daniel pénétrait dans l'appartement. Son visage portait la marque de la fatigue accumulée, sa chemise était légèrement froissée. Il lui adressa un sourire fugace avant de déposer ses affaires près de la porte.

— Désolé pour le retard, murmura-t-il en s'approchant. Journée compliquée.

Regina l'observa un instant, détaillant les cernes sous ses yeux, la tension qui crispait ses épaules. Elle hocha la tête.

— Je comprends.

Elle le comprenait toujours. Mais ce soir, une question la hantait : lui, la comprenait il ?

Il se pencha pour déposer un baiser sur sa tempe avant de s'affaler sur le canapé. À peine assis, il sortit son téléphone et se perdit aussitôt dans son écran. L'échange s'était résumé à quelques mots, à un geste rapide, presque machinal. Une routine bien huilée, dénuée de spontanéité.

Regina sentit une boule se former dans sa gorge. Un instant, elle hésita, puis s'assit à côté de lui, espérant, peut-être, retrouver une connexion égarée. Daniel releva à peine les yeux lorsqu'il demanda d'un ton distrait :

— Comment s'est passé ton week-end ?

— C'était bien, répondit elle simplement.

Il ne posa pas d'autres questions. Il ne chercha pas à savoir ce qui l'avait fait rire, ce qui l'avait émue, ce qui l'avait marquée. Il ignorait qu'elle avait chanté devant un public, qu'elle avait pagayé jusqu'à en perdre haleine, qu'elle avait partagé une nuit d'échanges sincères sous les étoiles. Il ne semblait pas curieux de découvrir ces instants de vie qui avaient pourtant éclairé son regard.

Alors, pour la première fois depuis longtemps, Regina ne chercha pas à combler le silence.

Elle finit par se lever, prétextant la fatigue. Dans la chambre, elle se glissa sous les draps, mais son esprit demeura en éveil. Le poids de ce qu'elle refusait encore d'admettre s'insinuait insidieusement en elle. Elle avait franchi un seuil invisible. Une prise de conscience silencieuse, mais irréversible.

Quelque chose en elle avait changé.

Elle ne savait juste pas encore si elle était prête à l'accepter.


Le lendemain soir, la pluie s'abattait sur Seattle avec une violence inhabituelle, transformant les rues en un réseau imprévisible de flaques et de reflets déformés par l'éclairage urbain. Les trombes d'eau ruisselaient sur le pare-brise de la voiture de Regina, rythmées par l'effort cadencé des essuie-glaces qui peinaient à lui offrir une visibilité convenable. Fatiguée, exténuée même, elle regrettait presque d'avoir pris le volant après une journée harassante à l'hôpital. L'idée d'attendre un taxi sous cette pluie battante lui avait semblé plus insupportable encore.

Le silence de l'habitacle contrastait avec le chaos extérieur. Les lumières rougeoyantes des feux de signalisation se reflétaient sur l'asphalte détrempé, dessinant des éclats fuyants sur son visage fatigué. Elle sentait la tension s'accumuler dans ses épaules, son corps pesant sous l'accumulation des heures passées en salle d'opération. Elle n'avait qu'une hâte : rentrer chez elle, retrouver le calme rassurant de son appartement, peut-être même voir Daniel, si toutefois il rentrait avant l'aube.

Puis, tout bascula en un instant.

Un klaxon strident. Un éclat de phares aveuglant. Un choc brutal.

L'impact la projeta violemment en avant. Sa tête heurta l'appui-tête tandis que l'airbag se déployait avec une force brutale, la plongeant dans un étourdissement douloureux. La violence de la collision la laissa hébétée, la bouche emplie d'un goût métallique. Son bras gauche pulsait d'une douleur sourde. Elle percevait à peine les bruits autour d'elle, les sons déformés par le brouillard de son esprit ébranlé.

Une voix lointaine perça la brume de sa conscience.

— Madame ? Vous m'entendez ? Ne bougez pas, les secours arrivent !

Elle tenta de répondre, mais seul un gémissement échappa à ses lèvres. Son esprit luttait contre la torpeur qui menaçait de l'engloutir. Dans le chaos de ses pensées, une idée s'imposa avec une urgence déroutante : elle devait appeler Daniel.


Les lumières blanches et agressives des urgences l'éveillèrent entièrement. Elle était allongée sur un brancard, une perfusion plantée dans son bras, un monitoring bipant doucement à ses côtés. Une douleur sourde irradiait son crâne, lui rappelant la brutalité de l'accident. Elle tenta de bouger, mais un élancement fulgurant la fit grimacer.

— Vous avez eu de la chance, Dr Mills, déclara une voix familière.

Elle tourna légèrement la tête et reconnut l'un de ses collègues urgentistes, le visage empreint de cette neutralité professionnelle qu'elle connaissait si bien.

— Un conducteur a grillé un feu rouge. Vous souffrez d'une commotion cérébrale, d'une fracture du poignet et de plusieurs contusions. Rien de vitalement dangereux, mais nous devons vous garder sous observation quelques heures.

Regina acquiesça faiblement, ses pensées encore désordonnées. L'accident, la douleur, le choc… tout cela se mélangeait dans un flot incohérent. Mais une seule question franchit ses lèvres :

— Daniel… Est-ce qu'il est là ?

Un silence flottant s'installa avant que l'urgentiste ne réponde, évitant soigneusement son regard.

— Nous avons tenté de le joindre… mais il n'a pas encore répondu. Il doit être en salle d'opération ou en consultation.

Un frisson glacé parcourut Regina. Pas cette fois aussi. Elle baissa légèrement les paupières, absorbant cette vérité trop familière. Elle tenta de se convaincre qu'elle comprenait. Elle connaissait les exigences du métier, elle savait ce que c'était d'être accaparée par une urgence imprévisible. Mais en cet instant précis, allongée sous le néon froid d'une salle d'hôpital, avec la douleur vibrante dans chaque nerf de son corps, elle ressentait quelque chose de plus déchirant que la simple déception.

Elle se sentait seule. Terriblement seule.

Elle ferma les yeux un instant, cherchant à repousser cette sensation désagréable, mais aussitôt, une image s'imposa à son esprit : Emma. Son sourire sincère, sa façon de l'écouter sans détourner le regard, avec cette attention rare et précieuse. La chaleur réconfortante de sa main sur la sienne lors du week-end au chalet. Regina inspira profondément et secoua imperceptiblement la tête, agacée contre elle-même. Pourquoi pensait elle à Emma maintenant ?

Elle aurait voulu que quelqu'un soit là. Que quelqu'un prenne sa main et lui murmure qu'elle n'était pas seule.

Et, au fond d'elle, elle savait déjà qui elle aurait voulu voir franchir cette porte.


Regina fixa l'écran de son téléphone, son pouce tremblant légèrement alors qu'elle hésitait à taper son message. Elle détestait afficher sa vulnérabilité, encore plus devant ses amis. Mais ce soir, la solitude lui pesait avec une intensité insupportable : elle était seule, dans un lit d'hôpital, et personne n'attendait derrière la porte pour la réconforter.

Elle inspira profondément, puis, avant de se raviser, ouvrit la conversation de leur groupe commun.

Regina : J'ai eu un accident en rentrant du travail. Rien de trop grave, mais je suis aux urgences avec une commotion et une fracture du poignet. Je suis toute seule et… je crois que j'aurais besoin d'un peu de compagnie.

Elle relut son message à plusieurs reprises, s'interrogeant sur l'image qu'elle projetait. Était elle pathétique ? Avouer ce besoin d'aide lui coûtait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Pourtant, la vérité était là, implacable : elle avait besoin d'eux. Prenant une dernière inspiration, elle appuya sur « envoyer », puis reposa son téléphone sur sa poitrine, fixant les néons du plafond d'un regard vide.

Quelques secondes à peine plus tard, l'écran s'illumina sous l'avalanche de réponses.

Ruby : QUOI ?! Bordel, Regina, tu vas bien ?!

Kathryn : Oh mon Dieu, on arrive tout de suite. Tu es à quel hôpital ?

Emma : J'arrive.

Trois petits mots. J'arrive.

Regina sentit son cœur se serrer. Elle ne s'était pas attendue à une réaction si immédiate, si limpide, dénuée de toute hésitation. Aucun point d'interrogation, aucune demande de détails, juste une promesse implicite. Elle avala difficilement sa salive, repoussant l'émotion qui menaçait de l'envahir.

Le temps s'étira, ou peut-être s'effondra-t-il sur lui-même. À demi somnolente, elle entendit des pas précipités résonner dans le couloir. Puis la porte s'ouvrit brusquement, laissant entrer un tourbillon d'émotions et d'inquiétude.

Ruby fut la première à franchir le seuil, essoufflée, le regard affolé.

— Merde, Regina, tu aurais pu nous appeler plus tôt ! s'exclama-t-elle en s'approchant du lit, ses mains suspendues dans l'air, cherchant un endroit où se poser sans heurter l'attelle.

Kathryn entra à son tour, visiblement soucieuse, suivie de près par Emma.

Regina se redressa légèrement, mal à l'aise face à toute cette effusion.

— Je ne voulais pas vous inquiéter… murmura-t-elle.

— Tu rigoles ? répliqua Ruby. Tu es à l'hôpital, seule, et tu pensais vraiment qu'on allait juste ignorer ça ?

Kathryn approuva d'un hochement de tête, posant doucement une main réconfortante sur l'épaule de Regina.

— On est là, d'accord ?

Regina esquissa un sourire timide, mais son regard fut irrémédiablement attiré par Emma. Depuis son arrivée, elle n'avait encore rien dit, mais son silence n'était pas vide. Il était chargé de mille nuances, d'une intensité que Regina percevait instinctivement. Lentement, Emma s'approcha et s'accroupit légèrement pour être à sa hauteur.

— Ça va ? demanda-t-elle d'une voix douce.

Cette simple question, exempte de toute obligation, teintée d'une sincérité brute, fit monter une boule dans la gorge de Regina. Elle hocha la tête, mais murmura tout bas :

— Je me suis sentie tellement seule…

Emma ne répondit pas immédiatement. À la place, elle tendit la main et, avec une délicatesse infinie, entrelaça ses doigts à ceux de Regina.

— Tu ne l'es plus.

Regina sentit son cœur battre un peu plus fort. Pour la première fois depuis qu'elle était allongée ici, elle crut en ces mots.

Ruby et Kathryn s'installèrent sur les chaises disposées autour du lit, racontant déjà des anecdotes absurdes pour alléger l'atmosphère. Leurs voix emplissaient la pièce d'une chaleur bienvenue. Mais Regina n'entendait plus distinctement leurs paroles. Tout ce qu'elle percevait, c'était la présence d'Emma, son contact apaisant, et la certitude réconfortante qu'elle n'était plus seule.


Au lendemain de son accident, Regina émergea d'un sommeil agité, le poids de la douleur irradiant depuis son crâne et son poignet fracturé. L'espace de son appartement qu'elle avait retrouvé hier soir, habituellement source de sérénité, lui semblait à présent d'une étrangeté pesante. Chaque mouvement déclenchait une onde douloureuse qui se répercutait dans son corps fatigué. Mais plus insidieuse encore que la souffrance physique était l'oppression émotionnelle qui l'étreignait.

Elle tendit la main vers son téléphone, son seul lien tangible avec l'extérieur. L'écran s'illumina, révélant plusieurs notifications.

Ruby : Besoin que je vienne te secouer un peu aujourd'hui ?

Kathryn : Je passe dans l'après-midi, tu veux quelque chose ?

Emma : Comment tu te sens ce matin ?

Ses yeux s'attardèrent sur le dernier message. La veille, Emma avait été la première à réagir, la première à accourir à l'hôpital, la première à lui offrir une présence indéfectible. Un contraste flagrant avec l'absence de Daniel.

Daniel.

Regina inspira profondément et, avec précaution, s'extirpa de son lit. La porte de la chambre, restée close toute la nuit, témoignait du vide persistant de son appartement. Elle était seule. Une solitude plus pesante que jamais.

D'un geste lent, elle déverrouilla son téléphone et tapa un message.

Regina : Je vais bien. Un peu endolorie, mais rien d'insurmontable. Merci d'avoir été là hier.

Un instant d'hésitation. Puis, presque malgré elle, elle ajouta :

Regina : Daniel n'est toujours pas rentré.

La réponse d'Emma fut immédiate.

Emma : … Tu veux en parler ?

Regina posa son téléphone et ferma les yeux un instant. Non. Elle ne voulait pas en parler. Parce qu'elle en connaissait déjà la réponse.

Il était presque midi lorsque la porte de l'appartement s'ouvrit enfin. Installée sur son canapé, une tasse de thé refroidie entre les mains, Regina tourna lentement la tête. Daniel venait d'entrer.

Il semblait épuisé, ses traits marqués par le manque de sommeil, sa chemise légèrement froissée sous sa veste. Il posa ses clés sur la table et s'approcha d'elle avec un sourire fatigué.

— Tu es réveillée…

— Depuis un moment, répondit elle, plus sèchement qu'elle ne l'aurait voulu.

Daniel soupira et s'installa à ses côtés, posant une main sur sa jambe dans un geste presque automatique.

— Je suis désolé, la nuit a été interminable à l'hôpital. Une urgence après l'autre, je n'ai pas pu partir.

Regina le scruta, cherchant une émotion qui transcenderait la fatigue. Quelque chose qui trahirait un regret, un manque, une inquiétude sincère. Mais il n'y avait que de l'usure. Une lassitude pragmatique, dénuée de toute profondeur affective.

— Je comprends, murmura-t-elle finalement.

Elle comprenait la pression du métier. Elle comprenait l'impératif des responsabilités, mais ce qu'elle ne comprenait pas, c'était pourquoi elle se sentait toujours aussi isolée, même lorsqu'il était là.

— Tu veux que je te prépare quelque chose ? Proposa-t-il en se levant.

— Non, c'est bon.

Il hocha la tête, sans insister.

— Je vais dormir un peu. Tu as besoin de quelque chose ?

Regina ouvrit la bouche, puis se ravisa. Elle aurait voulu lui dire qu'elle avait besoin de lui. Qu'il reste, qu'il s'intéresse, qu'il soit simplement là, mais elle savait déjà qu'il n'entendrait pas.

— Non, repose toi.

Lorsqu'il disparut derrière la porte de la chambre, Regina attrapa son téléphone et tapa un message.

Regina : Si tu es libre ce soir, passe à la maison. J'ai besoin de compagnie.

La réponse d'Emma ne se fit pas attendre.

Emma : Je passe après mon cours de Zumba. Je t'apporte quelque chose ?

Regina : Surprends moi.


Il était 20h passées lorsque la sonnette retentit. Regina, emmitouflée dans un pull ample et un legging confortable, ouvrit la porte. Emma se tenait là, un sac en papier dans une main, un petit pot en céramique dans l'autre.

— Je me suis dit que tu apprécierais un peu de verdure, dit-elle en lui tendant la plante grasse. Et j'ai apporté de la soupe. Ne t'attends pas à un miracle culinaire.

Un sourire, le premier véritablement sincère depuis son réveil, étira les lèvres de Regina.

— C'est parfait. Entre.

Elles s'installèrent sur le canapé, la plante trônant sur la table basse entre elles, la soupe fumante dans des bols. L'ambiance était paisible, emplie de cette familiarité discrète qui ne nécessitait aucun effort.

— Comment tu te sens ? demanda finalement Emma.

Regina fit tourner sa cuillère dans son bol avant de répondre.

— Physiquement, ça va. Fatiguée, mais rien d'insurmontable… Emotionnellement, c'est plus complexe.

Emma attendit, sans précipitation, lui laissant l'espace de s'exprimer.

— Daniel est passé ce matin, continua Regina. Il s'est excusé, mais… Elle haussa les épaules. Il est allé se coucher aussitôt, il est pas prêt de se réveiller.

Emma fronça légèrement les sourcils, mais se retint de commenter.

— Je ne veux pas lui en vouloir, poursuivit Regina. Je sais ce que c'est, ce métier. Mais…

Elle s'interrompit, cherchant ses mots.

— Mais tu ressens que tu n'es pas une priorité, compléta Emma.

Regina releva les yeux, troublée par la justesse de son observation.

— Oui…

Emma esquissa un sourire doux, compréhensif.

— C'est normal d'avoir besoin d'être une priorité. Ce n'est pas une faiblesse.

Regina détourna le regard. Peu de gens lisaient en elle avec une telle acuité. Peu de gens osaient lui dire ce qu'elle n'osait pas se dire à elle-même.

— Je ne sais même plus ce que je veux, murmura-t-elle.

Emma posa son bol, se tourna entièrement vers elle.

— Alors prends le temps d'y réfléchir.

Un silence s'installa, dense mais dépourvu de malaise. Regina savait qu'elle devrait garder ses distances, qu'elle était encore avec Daniel, mais pour la première fois depuis longtemps, elle se sentait entendue.

Et tandis qu'elle plongeait son regard dans celui d'Emma, elle se demanda si elle voulait vraiment s'en détourner.


Une remise en question inévitable

Regina faisait tourner sa cuillère dans sa tasse de café avec une régularité mécanique, observant distraitement le mouvement hypnotique du liquide sombre sans réellement en saisir la substance. Son esprit, saturé de pensées contradictoires, oscillait entre raison et émotion, cherchant un ancrage qui lui échappait irrémédiablement. Depuis l'aube, elle était prisonnière d'une introspection inévitable, une évaluation lucide de son existence qu'elle avait trop longtemps repoussée. La visite d'Emma la veille avait cristallisé ce qui, jusque-là, relevait d'un malaise diffus. Une faille s'était ouverte dans le tissu de ses certitudes, mettant en lumière une vérité qu'elle ne pouvait plus ignorer.

L'appartement, d'ordinaire un havre de paix, lui apparaissait désormais comme un espace vide, résonnant du silence pesant de l'indifférence. Chaque élément du décor participait à cette impression de vacuité : la lumière tamisée filtrant à travers les rideaux, le tic-tac lancinant de l'horloge murale, le bruit lointain du trafic urbain. Tout semblait étranger, désincarné, comme si sa propre existence lui échappait, se déroulant sans elle. Regina avait longtemps cru que sa relation avec Daniel pouvait survivre aux contingences du quotidien, à la fatigue, à l'absence, à ces moments silencieux où les cœurs battent en parallèle sans jamais se croiser. Aujourd'hui, elle n'en était plus si sûre.

Ce matin-là, Daniel était levé à une heure raisonnable, un événement suffisamment rare pour être souligné. Assis à la table du salon, vêtu de son pyjama, il naviguait distraitement sur son téléphone, absorbé par une conversation silencieuse dont elle était exclue. Une routine anodine, et pourtant insoutenable. Elle savait que le moment était venu. Elle posa sa tasse avec une détermination calculée, le bruit résonnant dans l'air comme une ponctuation irrévocable.

— Daniel, il faut qu'on parle.

Il releva à peine les yeux, le froncement de ses sourcils trahissant une impatience à peine voilée.

— Mmh ?

Un frisson d'exaspération parcourut Regina. Cette réponse distraite, évasive, était la quintessence du problème.

— J'ai besoin que tu m'écoutes. Vraiment.

Le ton, plus ferme qu'elle ne l'aurait voulu, capta enfin son attention. Il posa son téléphone, croisant son regard avec une perplexité teintée de lassitude.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

Elle prit une inspiration profonde, mesurant ses mots avant de les prononcer.

— Je ne peux plus continuer comme ça. Ton absence, ton manque d'implication… Je ne peux plus feindre que cela me convient.

Daniel fronça les sourcils, comme si ces mots remettaient en cause un équilibre qu'il avait toujours tenu pour acquis.

— Regina, tu sais que mon travail est exigeant. Le tien l'est aussi. On a toujours fonctionné comme ça.

Elle serra les mâchoires, sentant une vague de frustration monter en elle.

— Non. Nous avons fonctionné ainsi parce que j'ai toujours tout accepté, mais regarde nous, Daniel. Peux-tu seulement me dire quand nous avons réellement partagé un moment ensemble, sans être happés par autre chose ?

Il soupira, s'adossant à sa chaise.

— On savait que ce ne serait pas simple. Nos carrières sont prenantes, mais cela ne veut pas dire que nous ne nous aimons pas.

— "Aimer" ne suffit pas toujours, répliqua Regina, sa voix vibrante d'émotion contenue. J'ai eu un accident de voiture, Daniel. J'étais seule à l'hôpital, tu n'étais pas là, encore une fois.

Il pinça les lèvres, visiblement mal à l'aise.

— J'étais au travail.

— Et moi aussi, je travaille. J'ai des responsabilités, mais si c'était toi qui avais été à l'hôpital, j'aurais tout laissé tomber pour être à tes côtés.

Il détourna le regard, fuyant une conversation qui lui semblait manifestement trop lourde.

— Tu dramatises, je suis là pour toi.

Elle laissa échapper un rire sans joie.

— Non, Daniel, tu es là en théorie, mais en pratique ? Ces derniers jours, j'ai trouvé plus de réconfort auprès de mes amis qu'auprès de toi, et ce n'est pas normal.

Il passa une main sur son visage, signe manifeste d'exaspération.

— Donc quoi ? Tu veux qu'on arrête, juste parce que j'ai un métier prenant ?

Regina ferma brièvement les yeux, sentant la fatigue émotionnelle l'envahir.

— Ce n'est pas une question de travail, Daniel. C'est une question de choix. J'ai l'impression que tu ne choisis jamais notre relation. Moi, je t'ai toujours choisi, mais je n'ai plus envie d'attendre.

Il la fixa, oscillant entre incompréhension et frustration.

— Regina… Tu es fatiguée, blessée. C'est normal que tu sois plus sensible en ce moment. Ce genre de discussions arrive dans les périodes difficiles. Ça passera.

Un frisson lui parcourut l'échine.

Il ne comprenait pas.

Ou refusait il simplement de comprendre ?

— Non, ça ne passera pas, dit-elle d'une voix ferme. Parce que ce problème ne date pas d'hier. Ce n'est pas une mauvaise passe. C'est la réalité de notre relation.

Le silence s'abattit sur la pièce.

Daniel sembla enfin percevoir la gravité de la situation. Son regard, d'abord fuyant, se fixa sur elle, plus sérieux cette fois.

— Alors… qu'est-ce que tu veux faire ? demanda-t-il enfin, d'un ton étrangement neutre.

Regina hésita.

Elle aurait voulu avoir une réponse claire, une certitude sur la suite. Mais la seule chose dont elle était sûre, c'est qu'elle ne pouvait plus continuer ainsi.

— Je crois qu'on a besoin d'une pause, murmura-t-elle, comme si prononcer ces mots à voix haute leur conférait une réalité irrévocable.

Daniel resta figé un instant, assimilant l'ampleur de ses paroles.

— Une pause, répéta-t-il.

Il la fixa longuement, puis hocha lentement la tête.

— D'accord.

Aucune dispute. Aucun effort pour la retenir. Juste cette acceptation résignée.

Et c'est précisément ce qui lui fit le plus mal.

Lorsque Daniel quitta l'appartement quelques heures plus tard, Regina se retrouva face à un silence oppressant. Elle savait qu'elle avait pris la bonne décision, mais cela n'atténuait en rien le vide qui s'installait en elle.

Elle s'affala sur le canapé, laissant ses pensées dériver dans le néant. Une étrange lassitude l'envahissait, entre soulagement et tristesse.

Son téléphone vibra sur la table basse.

Un message.

Emma : Ça va ?

Regina fixa ces deux mots, simples mais porteurs d'une sollicitude qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps.

Elle inspira profondément, puis tapa une réponse.

Regina : Pas vraiment, mais ça ira.


Trois jours s'étaient écoulés depuis que Regina avait demandé une pause à Daniel. Trois jours à tenter d'intégrer cette décision, à balancer entre solitude et soulagement, entre vide et liberté. La rupture d'une dynamique ancrée depuis des années s'avérait plus complexe qu'elle ne l'avait imaginé. Par moments, elle éprouvait un sentiment d'allègement, comme si elle retrouvait un espace vital qu'elle n'avait pas perçu avant. À d'autres, elle se surprenait à chercher Daniel dans les gestes du quotidien, son absence résonnant comme une dissonance imprévue.

Elle avait soigneusement évité de parler de la situation à Ruby ou à Kathryn, redoutant leurs réactions, trop protectrices ou excessivement enthousiastes. Emma, en revanche, semblait avoir saisi l'importance du silence. Elle n'avait pas cherché à obtenir des détails, n'avait pas assailli Regina de questions. Elle s'était contentée d'être là, une présence discrète mais tangible.

Ce matin-là, alors que Regina observait distraitement la pluie s'écraser contre les vitres de son appartement, son téléphone vibra sur la table.

Emma : Tu fais quoi ce soir ?

Regina arqua un sourcil, intriguée.

Regina : Rien de prévu. Pourquoi ?

Emma : J'ai deux places pour un match de hockey. Je me suis dit que ça te ferait du bien de sortir un peu.

Du hockey ? Un univers qui lui était totalement étranger. Elle n'avait jamais mis les pieds dans une patinoire autrement que pour gérer les séquelles de chutes mal négociées.

Regina : Je ne suis pas sûre que ce soit mon truc…

Emma : C'est pas grave, je t'expliquerai. Et puis, c'est une expérience à vivre. Fais moi confiance, tu vas aimer.

Regina mordilla l'intérieur de sa joue. Elle aurait pu refuser, invoquer la fatigue, la nécessité de se recentrer. Mais ce serait mentir.

Regina : D'accord, mais si je m'ennuie, tu me dois un verre après.

Emma : Marché conclu. Je passe te chercher à 18h.

Regina ne savait pas vraiment à quoi s'attendre en pénétrant dans l'enceinte de la patinoire bondée, mais l'atmosphère la saisit immédiatement. L'énergie brute du lieu était contagieuse : l'effervescence du public, le vrombissement des tambours, les acclamations qui fusaient au moindre mouvement des joueurs sur la glace. Une atmosphère presque rituelle, où se mêlaient tension et exaltation.

Emma, visiblement dans son élément, lui tendit une écharpe aux couleurs de l'équipe locale.

— Tiens. Si tu veux survivre ici, il faut au moins faire semblant d'être une vraie supportrice.

Regina leva un sourcil sceptique mais accepta l'écharpe, l'enroulant machinalement autour de son cou.

— Je me sens ridicule.

— Tu es magnifique, arrête de râler.

Emma lui adressa un sourire malicieux avant de l'entraîner vers les gradins.

Le match commença, et comme promis, Emma prit le temps de lui expliquer les règles avec patience. Regina, d'abord distante, se laissa progressivement happer par le spectacle. L'intensité des confrontations, la vitesse fulgurante des joueurs, l'électricité ambiante… Tout cela avait un charme brut, presque primal. Elle se surprit à réagir, à vibrer au rythme du jeu.

À un moment, après un but spectaculaire de l'équipe locale, Emma, emportée par l'excitation, attrapa spontanément la main de Regina et la serra brièvement avant de la relâcher.

Un frisson imperceptible parcourut Regina.

Elle aurait pu attribuer ce trouble à la surprise, à l'effervescence ambiante. Mais lorsqu'elle posa son regard sur Emma, elle perçut autre chose : un éclat lumineux dans ses yeux, un sourire débordant d'une intensité qu'elle n'avait pas vue depuis longtemps. Emma était pleinement présente, pleinement vivante.

Et pour la première fois depuis longtemps, Regina sentit en elle quelque chose se réveiller.

Après le match, elles se retrouvèrent dans un bar animé non loin de la patinoire. L'endroit était empli de supporters célébrant la victoire dans un joyeux tumulte. Un contraste saisissant avec l'intimité de leur table, où le bruit semblait s'atténuer comme dans une bulle suspendue.

— Alors, verdict ? demanda Emma en s'installant face à Regina, une bière à la main.

Regina soupira théâtralement.

— D'accord, je l'admets, c'était… intense et plaisant.

Emma éclata de rire.

— Je savais que tu aimerais !

Regina secoua la tête, un sourire amusé flottant sur ses lèvres. Elle porta son verre à ses lèvres, savourant la chaleur du liquide qui contrastait avec le froid persistant de la patinoire.

— Tu es toujours aussi convaincante ?

— Seulement quand il s'agit de choses qui valent la peine.

Le ton était léger, mais Regina y perçut une nuance plus profonde.

Un silence s'installa. Pas pesant, mais dense, chargé d'une tension sous-jacente.

Emma faisait tourner distraitement son verre entre ses doigts, tandis que Regina l'observait, troublée par la simplicité de ce moment. Il n'y avait ni attentes, ni artifices. Juste elles, dans une bulle de complicité rare.

Puis, sans préméditation, elle posa une question.

— Pourquoi tu m'as invitée ce soir ?

Emma releva la tête, son regard ancré au sien.

— Parce que j'ai pensé que tu en avais besoin.

Regina sentit son cœur se serrer.

— Et toi ? murmura-t-elle.

Emma haussa légèrement les épaules, son sourire s'adoucissant.

— Moi aussi, peut-être.

Un silence.

Leur regard se soutint plus longtemps que nécessaire.

Regina aurait pu détourner les yeux, briser cette tension naissante.

Mais elle n'en fit rien.

Et à cet instant précis, elle comprit qu'elle était bien plus proche du changement qu'elle ne voulait l'admettre.


L'invitation de Ruby s'était imposée comme une évidence, portée par un enthousiasme débordant qui rendait tout refus impossible.

Ruby : Soirée chez moi samedi soir ! On a tous besoin de se détendre, et j'ai du vin, des cocktails et des jeux débiles. Tu n'as pas le droit de dire non.

Regina avait hésité, après sa sortie avec Emma et l'accumulation des émotions contrastées de ces derniers jours, elle avait envisagé de rester seule, de se ménager une soirée de repli introspectif, mais l'idée de se retrouver entourée d'amis, de noyer temporairement ses pensées dans l'ivresse et la légèreté, avait fini par l'emporter.

Elle ne savait pas encore que cette nuit-là marquerait un tournant.

L'appartement de Ruby débordait déjà d'animation lorsqu'elle franchit la porte. La musique pulsait dans l'air, accompagnée du bourdonnement des conversations et du parfum sucré des cocktails maison. L'ambiance était euphorique, empreinte de cette insouciance propre aux nuits où l'on s'autorise à oublier.

Kathryn fut la première à l'accueillir, un sourire radieux aux lèvres et un verre déjà tendu.

— Regina ! Enfin ! Tu veux quoi ? On a tout ce qu'il faut pour te faire oublier tes soucis.

Regina esquissa un sourire en coin, saisissant le verre avec un amusement feint.

— Qui a dit que j'avais des soucis ?

— Personne, mais ça se voit sur ton visage, intervint Ruby en surgissant à ses côtés. Ce soir, tu arrêtes de réfléchir. Compris ?

Elle porta le verre à ses lèvres et sentit immédiatement la brûlure de l'alcool se mêler à la fraîcheur acidulée du citron. Une chaleur réconfortante l'envahit, apaisant les tensions résiduelles de la semaine.

Son regard balaya la pièce et s'arrêta sur Emma. Installée dans un coin du salon, un verre à la main, elle échangeait avec un petit groupe, son rire clair résonnant au-dessus du brouhaha ambiant. Lorsque leurs regards se croisèrent, Emma lui adressa un sourire sincère, une lueur indéfinissable dans les yeux. Un frisson effleura la peau de Regina.

Elle savait que boire en compagnie d'Emma pouvait être une idée périlleuse. Mais ce soir, elle n'avait aucune envie de résister.

Quelques verres plus tard, la soirée avait basculé dans une effervescence joyeusement désinhibée.

— ACTION OU VÉRITÉ ! s'écria Ruby en frappant dans ses mains.

Les protestations amusées fusèrent, mais personne ne refusa de jouer le jeu. La bouteille commença à tourner au centre du cercle formé autour de la table basse, enfermant chaque participant dans un suspense électrique.

Les premiers défis furent ridicules et les confessions teintées d'un humour décomplexé. Kathryn avoua avoir embrassé un collègue sur un coup de tête. Ruby, fidèle à son exubérance légendaire, offrit une performance catastrophique d'un tube des années 90, debout sur la table.

Puis la bouteille s'arrêta sur Regina.

Ruby, les yeux pétillants d'une malice calculée, prit un ton faussement innocent.

— Action ou vérité ?

Regina hésita une fraction de seconde. Elle aurait dû choisir l'action. Elle aurait dû contourner le piège.

— Vérité.

Un sourire complice s'échangea entre Ruby et Kathryn, et Ruby reprit avec une douceur feinte :

— Regina Mills, qu'est-ce qui te manque le plus dans une relation ?

Le silence qui suivit fut plus éloquent que n'importe quelle réaction exagérée. Tous les regards convergèrent vers elle. L'alcool embuait ses pensées, la fatigue émotionnelle amplifiait sa vulnérabilité. Elle aurait pu mentir. Dire qu'elle ne manquait de rien.

Mais elle n'en avait plus la force.

Ses doigts se crispèrent sur son verre, comme si ce simple contact pouvait l'ancrer dans le moment présent.

— Le sentiment d'être une priorité, murmura-t-elle enfin.

Les mots tombèrent dans l'espace entre eux, lourds de sens, porteurs d'une vérité qu'elle n'avait jamais osé formuler aussi explicitement.

Ruby, qui savait reconnaître les instants où il valait mieux ne pas insister, se contenta d'un sourire sincère.

— Merci pour ta sincérité.

Le jeu reprit, les éclats de rire reprenant progressivement leurs droits, mais Regina savait que quelque chose avait changé. Plus rien ne serait tout à fait pareil après cette réponse.

Plus tard dans la nuit, alors que la soirée touchait à sa fin, Regina et Emma quittèrent ensemble l'appartement. L'air nocturne, vif et chargé de l'humidité de la ville, leur arracha un frisson. La rue était silencieuse, contrastant avec l'exubérance de la fête qu'elles laissaient derrière elles.

— Tu veux que je te ramène ? proposa Emma en enfilant sa veste.

Regina hésita un instant, puis acquiesça.

— D'accord.

Le trajet s'effectua dans une quiétude complice. Le murmure de la ville accompagnait leurs pensées en désordre. Regina savourait cette parenthèse, ce silence qui n'était ni pesant ni inconfortable, mais porteur d'une présence rassurante.

Lorsqu'elles arrivèrent devant chez elle, Regina fit tourner la clé dans la serrure, puis se retourna vers Emma.

— Tu veux monter ?

Emma parut surprise par l'invitation.

— Tu es sûre ?

Regina hocha la tête. Elle ne voulait pas être seule. Pas ce soir.

Elles montèrent ensemble, et à peine la porte refermée, Regina expira profondément, retirant son manteau avec un geste lent. Son poignet, encore sensible, compliqua le mouvement.

— Laisse moi t'aider, murmura Emma.

Elle s'approcha et, avec une douceur infinie, glissa ses mains sur les épaules de Regina pour l'aider à ôter le tissu. Un geste simple. Presque anodin.

Pourtant, lorsqu'Emma se retrouva face à elle, leurs visages à quelques centimètres à peine, le silence entre elles se fit plus dense.

L'air était chargé d'une tension presque palpable.

Regina sentit la chaleur d'Emma si proche, la caresse imperceptible de son souffle. Son regard descendit involontairement vers ses lèvres avant de remonter aussitôt.

Son cœur battait trop vite.

Puis, comme un sursaut de lucidité, elle détourna la tête, rompant la proximité d'un geste hésitant.

— Je suis fatiguée, murmura-t-elle, sa voix à peine audible.

Emma recula immédiatement, respectant l'espace qu'elle venait d'instaurer.

— D'accord.

Un sourire doux, dénué de reproche, effleura ses lèvres.

— Dors bien, Regina.

Puis elle tourna les talons et disparut dans la nuit.

Regina resta immobile un instant, le cœur en désordre, ses pensées un chaos silencieux.

Elle savait une chose avec certitude :

Elle ne pourrait plus faire semblant très longtemps.


Regina s'éveilla avec une sensation diffuse de manque, comme si quelque chose lui échappait sans qu'elle puisse mettre de mots dessus. Son corps était encore engourdi par le sommeil, mais son esprit, lui, était en alerte. Elle revoyait des fragments de la soirée chez Ruby avec une clarté presque douloureuse : sa confession involontaire, le regard insondable d'Emma, la chaleur de cette proximité inattendue, et l'instant où elle avait brusquement rompu ce lien, trop perturbée pour l'accepter.

Depuis cette nuit-là, un mur invisible s'était érigé entre elles.

Regina avait fait le choix délibéré de mettre de la distance. Aucun message. Aucune invitation à se revoir. Elle se persuadait qu'elle avait besoin de clarté, de se recentrer, d'affronter la situation avec Daniel avant d'envisager quoi que ce soit d'autre. Mais au fond, elle savait qu'elle fuyait. Elle ne repoussait pas seulement Emma.

Elle se repoussait elle-même.

Les jours s'égrenèrent dans un enchaînement mécanique. Regina retourna à l'hôpital après sa convalescence, cherchant refuge dans la précision chirurgicale de son travail. Chaque intervention, chaque décision médicale était un répit temporaire, une manière d'étouffer ce chaos intérieur qu'elle refusait d'affronter.

Daniel était revenu. Leur relation était en pause, mais il était là, physiquement du moins. Il lui parlait de ses patients, de ses journées interminables, du poids des responsabilités, comme si rien n'avait changé. Comme si elle ne lui avait jamais dit qu'elle se sentait invisible à ses yeux.

Elle tentait de jouer son rôle, de se convaincre que la normalité pouvait être restaurée avec suffisamment d'efforts. Mais chaque soir, lorsqu'elle se retrouvait seule, son esprit dérivait invariablement vers une autre personne.

Et chaque matin, elle se surprenait à vérifier son téléphone plus souvent qu'elle ne l'aurait voulu.

Pas un seul message d'Emma.

Et ce silence lui laissait un goût amer.

Emma, de son côté, avait immédiatement perçu le changement.

Regina n'était plus la même. Ses réponses étaient devenues laconiques, calculées, vidées de cette spontanéité qui rendait leurs échanges si naturels. Elle évitait leurs rencontres habituelles, contournant avec une précision clinique les instants où elles auraient pu se retrouver seules.

Emma n'était pas du genre à insister. Elle respectait l'espace que Regina semblait vouloir instaurer, mais cela ne l'empêchait pas de se poser des questions.

Pourquoi cette soudaine prise de distance ?

Pourquoi ressentait elle ce vide chaque fois qu'elle réalisait que Regina l'évitait ?

Et surtout, pourquoi cela lui pesait il autant ?

Un soir, après une garde harassante, Regina rentra chez elle, le corps vidé, l'esprit en désordre. Elle trouva Daniel affalé sur le canapé, profondément endormi, la télévision allumée sur une émission qu'il n'avait manifestement pas regardée.

Elle s'arrêta un instant, l'observant.

Ils étaient là, ensemble, sous le même toit, mais tout en eux respirait l'absence.

Elle s'installa dans un fauteuil, son téléphone glissant machinalement entre ses doigts. Son regard dériva vers son dernier échange avec Emma.

Emma : Dors bien, Regina.

Aucun message depuis.

Un soupir lui échappa.

Elle aurait voulu lui écrire. Lui dire quelque chose. Mais quoi ?

Finalement, elle verrouilla son téléphone et ferma les yeux.

Le sommeil ne vint pas.


Quelques jours plus tard, Ruby annonça un dîner entre filles, un de ces rendez-vous où l'on ne pouvait décemment pas décliner sans soulever des soupçons.

Regina hésita à y aller. Elle savait que refuser susciterait l'inquiétude de Ruby et Kathryn. Et puis, une part d'elle voulait affronter la situation, voir Emma sans cette chape de non-dits entre elles.

Dès qu'elle entra dans l'appartement, elle la vit.

Emma était déjà là.

Leur regard se croisa une fraction de seconde.

Regina sentit son cœur rater un battement, mais elle garda une expression neutre, maîtrisée. Emma ne sembla pas surprise. Elle ne se montra ni froide, ni distante, mais l'évidence était là : quelque chose s'était brisé. La complicité qui les unissait autrefois s'était effilochée, laissant place à une retenue qui ne leur ressemblait pas.

Ruby, fidèle à elle-même, remarqua immédiatement cette étrange dynamique.

— Vous deux, vous êtes bizarres ce soir, lança-t-elle en mâchant distraitement une bouchée de pâtes.

— On est juste fatiguées, répondit Regina trop rapidement.

Emma ne répondit pas, mais un éclat amusé traversa fugacement son regard. Comme si elle voyait clair à travers cette excuse maladroite. Comme si elle savait que Regina se mentait autant à elle-même qu'aux autres.

Regina détourna les yeux, mal à l'aise.

Elle ne savait plus comment gérer cette tension silencieuse.

La soirée s'achevait lentement. Emma enfila son manteau, prête à partir.

Regina, assise à l'autre bout de la pièce, sentit une impulsion la traverser. Elle ne réfléchit pas avant d'appeler son nom.

— Emma.

Celle-ci se retourna, légèrement surprise.

Regina ouvrit la bouche, cherchant les mots. Elle aurait voulu s'excuser pour son silence, lui dire qu'elle regrettait cette distance, qu'elle lui manquait plus qu'elle ne voulait l'admettre, mais rien de tout cela ne franchit ses lèvres.

Tout ce qui sortit fut :

— Bonne nuit.

Emma la fixa un instant, comme si elle attendait plus.

Puis elle hocha doucement la tête.

— Bonne nuit, Regina.

Et elle s'éloigna.

Regina resta là, immobile, le regard fixé sur la porte refermée.

Elle avait laissé quelque chose lui échapper.

Et elle ne savait pas si elle aurait la force de le rattraper.


Regina referma la porte de son bureau avec un soupir profond. La fatigue de sa garde interminable pesait sur ses épaules, mais ce n'était pas seulement l'accumulation des opérations exigeantes ou des décisions cruciales qui l'accablait. Ce qui pesait sur elle, c'était un vide insidieux, un manque qui s'installait avec une persistance dérangeante.

Depuis des jours, ce vide ne la quittait plus.

Elle s'était convaincue que mettre de la distance entre elle et Emma était la meilleure solution. Qu'elle devait s'efforcer de sauver ce qui pouvait encore l'être avec Daniel, rétablir un semblant d'ordre dans sa vie avant d'oser envisager autre chose, mais cette justification s'effritait jour après jour.

La complicité qu'elle partageait autrefois avec Daniel n'avait pas refait surface. Elle n'avait pas retrouvé le réconfort dans les certitudes qui, jadis, lui semblaient inébranlables. Elle n'éprouvait rien d'autre qu'un sentiment croissant de manque.

Et ce manque portait un nom.

Emma.

Ses doigts effleurèrent son téléphone, hésitant sur l'écran lumineux. Son pouce caressa le clavier sans oser composer le message qu'elle brûlait d'envoyer.

Elle savait qu'elle ne devrait pas céder.

Mais ce soir, elle était trop fatiguée pour lutter contre elle-même.

Finalement, elle appuya sur envoyer.

Regina : Tu es encore réveillée ?

Quelques secondes à peine s'écoulèrent avant qu'une réponse n'apparaisse.

Emma : Oui. Tout va bien ?

Regina prit une inspiration tremblante.

Regina : Je peux te voir ?

Un instant de flottement. Elle s'attendait à une excuse polie, à un refus délicat.

Puis la réponse tomba.

Emma : Bien sûr. Viens chez moi.

Regina se tenait devant la porte d'Emma, le cœur battant trop vite, les pensées enchevêtrées dans un chaos qu'elle ne parvenait plus à dominer.

Elle aurait pu tourner les talons, prétendre qu'elle avait fait une erreur.

Mais elle savait qu'Emma avait entendu ses pas sur le palier, car la porte s'ouvrit doucement.

Emma lui apparut, vêtue simplement d'un short et d'un débardeur, ses cheveux légèrement en bataille, ses traits marqués par l'étonnement et une douce inquiétude.

Regina… ?

Le ton était bas, presque une invitation à parler.

Regina inspira profondément.

Je suis désolée de te déranger si tard.

Tu ne me déranges pas, répondit Emma en s'écartant pour lui laisser le passage.

Regina entra et sentit aussitôt l'atmosphère chaleureuse et paisible qui régnait dans l'appartement. Chaque détail respirait une simplicité réconfortante.

Tout ici contrastait avec le chaos en elle.

Emma referma la porte en silence et se tourna vers elle.

Tu veux boire quelque chose ?

Non.

Le mot était tombé, net, presque brutal.

Emma s'arrêta et la fixa attentivement, cherchant à comprendre ce qui se jouait derrière ses prunelles sombres.

D'accord. Alors… pourquoi tu es là, Regina ?

Regina passa une main dans ses cheveux, incertaine.

Je ne sais pas.

Si tu es venue jusqu'ici, c'est que tu sais.

La voix d'Emma n'avait rien de pressant. Juste une patience infinie.

Et c'est précisément cette douceur qui brisa la dernière résistance de Regina.

J'ai essayé, murmura-t-elle en baissant les yeux. J'ai essayé de faire ce qu'il fallait, de me convaincre que c'était la meilleure chose à faire…

Emma ne dit rien, lui laissant l'espace nécessaire.

Mais plus j'essaie de prendre mes distances, plus je…

Sa voix se brisa légèrement.

Plus je me rends compte que tu me manques.

Le silence qui suivit était dense, suspendu dans l'air comme une vérité qu'aucune d'elles ne voulait rompre.

Emma cligna des yeux, surprise.

Tu t'es éloignée de moi volontairement.

Oui.

Pourquoi ?

Regina inspira profondément, cherchant ses mots.

Parce que je devais essayer de sauver ce qui pouvait l'être avec Daniel.

Emma acquiesça lentement, comme si elle s'y attendait.

Et ?

Regina laissa échapper un rire sans joie.

Et je ne sais plus quoi faire.

Emma croisa les bras, l'observant avec une intensité troublante.

Regina, qu'est-ce que tu veux vraiment ?

Regina releva la tête.

Leurs regards s'accrochèrent, et dans cet instant suspendu, elle sentit une onde de tension parcourir son corps.

Elle voulait répondre. Formuler une vérité tangible.

Mais elle était incapable de prononcer ce qui lui brûlait les lèvres.

Emma soupira doucement, son expression indéchiffrable.

Tu ne peux pas continuer à fuir, Regina. Pas indéfiniment.

Regina frissonna.

Emma s'approcha légèrement, réduisant la distance entre elles.

Elles n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'une de l'autre.

Tu veux que je m'éloigne ? demanda Emma, sa voix à peine un murmure.

Regina ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.

Elle ne voulait pas qu'elle s'éloigne.

Elle ne voulait pas qu'elle parte.

Alors pourquoi ne pouvait-elle pas le dire ?

Emma leva doucement une main, hésitant à effleurer son bras, mais Regina fit un pas en arrière, le souffle court.

Je… je dois y aller.

Son cœur battait trop fort, ses pensées s'éparpillaient dans un chaos indomptable.

Emma ne la retint pas.

Elle hocha simplement la tête, le regard empreint d'une tendresse résignée.

D'accord.

Regina fit volte-face, mais juste avant de franchir le seuil, elle s'arrêta.

Sans se retourner, elle murmura :

Merci d'avoir été là.

Puis elle s'éclipsa dans la nuit, laissant derrière elle une vérité qu'elle ne pouvait plus continuer d'ignorer.


Un week-end en montagne

Le message de Ruby était arrivé un jeudi matin, en plein milieu d'une réunion à l'hôpital.

Ruby : J'ai réservé un chalet en montagne pour le week-end. Juste nous quatre. Pas de discussion, c'est déjà payé. Tu viens.

Regina avait cligné des yeux devant son écran, hésitant une fraction de seconde avant de taper une réponse.

Regina : Ruby… Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

Ruby : Trop tard. Emma vient aussi. Alors si tu veux éviter, trouve une meilleure excuse que "je suis pas sûre".

Regina sentit son estomac se nouer. Emma.

Depuis leur dernière rencontre nocturne, elle s'était appliquée à l'éviter. Pas de manière ostensible, mais suffisamment pour établir une distance prudente. Elle espérait que cela suffirait à calmer les choses, à apaiser la tempête intérieure qui menaçait à chaque regard échangé.

Mais Ruby ne lui laissait aucune échappatoire.

Et une partie d'elle savait que refuser ne ferait que rendre la situation plus suspecte.

Alors, à contrecœur, elle tapa :

Regina : D'accord. Mais tu me dois du vin.

Ruby : Compte sur moi.

Le trajet jusqu'au chalet se fit dans une ambiance électrique. Ruby et Kathryn chantaient à tue-tête sur des tubes pop, et Regina, assise à l'avant, tentait d'ignorer la présence d'Emma à quelques centimètres d'elle.

Regina, t'es obligée de chanter aussi ! s'écria Ruby en lui tendant un micro imaginaire.

Regina leva un sourcil.

Tu me prends pour qui ?

Pour quelqu'un qui a grand besoin de se détendre !

Emma rit doucement, et Regina sentit un frisson remonter le long de sa nuque.

Elle ferma les yeux un instant.

Ce week-end allait être une épreuve.

Le chalet était magnifique. Niché au bord d'un lac miroitant, entouré de montagnes saupoudrées de neige, il dégageait une atmosphère à la fois rustique et accueillante.

Ruby et Kathryn s'occupèrent de décharger la voiture tandis que Regina pénétra à l'intérieur. Le bois craquait sous ses pas, l'odeur du pin emplissant ses narines.

Puis, une voix derrière elle :

Ça a l'air parfait, non ?

Regina se figea légèrement avant de se retourner vers Emma.

Oui.

Un silence s'installa, dense.

Je ne pensais pas que tu viendrais, dit finalement Emma, son regard scrutant Regina avec cette douceur qui la troublait tant.

Moi non plus, murmura Regina.

Un sourire en coin passa sur le visage d'Emma.

Alors pourquoi tu es là ?

Regina ouvrit la bouche, puis la referma.

Peut-être pour essayer d'arrêter de fuir.

Emma haussa un sourcil, surprise par sa franchise, mais ne répondit rien.

Regina comprit alors que ce week-end ne serait pas seulement une parenthèse.

Il serait une confrontation.


Le premier jour se déroula entre randonnées et éclats de rire. Ruby et Kathryn menaient la cadence, insouciantes, tandis qu'Emma et Regina restaient en retrait, naviguant prudemment autour l'une de l'autre.

Mais la soirée changea la dynamique.

Autour du feu de camp, le vin circulait librement, réchauffant les cœurs et délestant les langues de leurs retenues.

Allez, moment confession ! lança Ruby en vidant son verre. Dites-nous tous un truc que vous avez gardé pour vous ces derniers mois.

Kathryn fut la première à lever la main.

J'ai failli changer de boulot, mais j'ai paniqué au dernier moment et refusé l'offre.

QUOI ?! s'écria Ruby. Mais pourquoi ?

Parce que j'ai peur du changement. Ça fait dix ans que je suis dans la même boîte… et j'ai peur de tout recommencer ailleurs.

Ruby posa une main sur son épaule, sincèrement touchée.

Puis ce fut le tour de Regina.

Elle aurait pu dire quelque chose d'anodin.

Mais le vin et la chaleur du feu lui faisaient baisser sa garde.

Son regard croisa brièvement celui d'Emma avant qu'elle ne murmure :

Je crois que je me suis perdue en essayant de faire ce qui était juste.

Un silence tomba sur le groupe.

Emma, assise en face d'elle, la fixa avec une intensité troublante.

Ruby, qui semblait comprendre bien plus qu'elle ne le montrait, hocha lentement la tête.

Ça arrive aux meilleurs d'entre nous.

Mais Regina ne regardait plus qu'Emma.

Et Emma ne la quittait pas des yeux.


Plus tard dans la nuit, après que Ruby et Kathryn soient parties se coucher, Regina se retrouva seule à l'extérieur.

Le froid mordant lui piquait la peau, mais elle avait besoin d'air.

Puis, des pas derrière elle.

Elle n'eut pas besoin de se retourner.

Tu cherches à t'enfuir encore ? demanda Emma en s'approchant.

Regina esquissa un sourire.

Peut-être.

Emma resta silencieuse un instant, puis murmura :

Tu es en train de te faire du mal, Regina.

Regina inspira profondément, fixant le reflet de la lune sur l'eau.

Je sais.

Emma s'approcha légèrement, pas assez pour la toucher, mais suffisamment pour que sa présence soit tangible.

Pourquoi tu luttes autant contre ce que tu ressens ?

Regina ferma les yeux.

Parce que si j'admets que je ressens quelque chose… alors je dois faire face à tout ce que ça implique.

Un frisson remonta le long de son échine.

Emma la regarda longuement, puis souffla :

Et si tu arrêtais simplement de réfléchir ?

Leurs regards se croisèrent, et l'espace d'un instant, tout sembla s'effacer autour d'elles.

Le lac. Le froid. Les doutes.

Juste ce moment suspendu.

Mais encore une fois, aucune ne fit le premier pas.

Elles restèrent là, à quelques centimètres l'une de l'autre, dans un équilibre fragile entre ce qui pouvait être et ce qui n'était pas encore.

Et Regina comprit alors que ce n'était plus une question de si.

C'était une question de quand.


Regina était rentrée du week-end en montagne avec un poids supplémentaire sur les épaules. Elle avait cru qu'un changement d'air lui permettrait d'y voir plus clair, d'apaiser le tumulte de ses pensées. Mais en réalité, ce séjour n'avait fait qu'amplifier ses doutes, intensifier ce conflit intérieur qu'elle refusait d'affronter en face.

Elle ne pouvait plus nier ce qu'elle ressentait pour Emma. Ce n'était pas une simple confusion passagère, ni une illusion née du contexte. C'était là, ancré en elle, inévitable. Emma occupait son esprit bien plus que de raison, et chaque tentative de rationalisation échouait un peu plus à chaque battement de son cœur.

Mais elle ne pouvait pas non plus tout abandonner. Abandonner Daniel. Abandonner une relation bâtie sur des années de complicité et de respect mutuel, aussi vacillante soit-elle devenue. Elle ne voulait pas être cette personne qui détruit tout sur un coup de tête.

Alors elle faisait ce qu'elle savait faire de mieux : elle tentait d'avancer, de maintenir l'équilibre fragile entre ses émotions et la raison. De jouer son rôle. Et c'est dans cet état d'esprit qu'elle retrouva Daniel.

Regina, on doit parler.

Ces mots, prononcés par Daniel à peine une heure après son retour, résonnèrent étrangement en elle. Il était rare qu'il prenne l'initiative d'une discussion sérieuse sur leur relation. Habituellement, c'était elle qui exprimait ses doutes, elle qui soulevait les non-dits. Cette fois, il semblait percevoir le déséquilibre avant même qu'elle n'ait eu le courage de l'énoncer.

Ils étaient assis dans leur salon, cet espace autrefois chaleureux qui leur semblait de plus en plus impersonnel, comme si l'âme de leur relation s'était effacée sans qu'ils ne s'en aperçoivent.

Je sens que quelque chose ne va pas, poursuit-il. Tu es distante… et pas seulement à cause de l'accident ou du travail. J'ai l'impression qu'on est en train de s'éloigner, et je ne veux pas que ça arrive.

Regina baissa les yeux. Il n'avait pas tort. Mais elle ne pouvait pas lui dire toute la vérité. Pas encore.

Je sais… murmura-t-elle.

Daniel s'approcha légèrement et prit sa main dans la sienne. Son contact, autrefois rassurant, lui sembla étrangement étranger.

Je veux qu'on essaie de repartir sur de bonnes bases. Je veux être plus présent, faire des efforts. On pourrait s'organiser des soirées ensemble, des week-ends… Peut-être même partir en vacances, juste toi et moi.

Regina sentit son cœur se serrer. Il faisait ce qu'elle avait tant espéré qu'il fasse. Il se battait pour eux.

Elle aurait dû être soulagée, touchée par cette initiative soudaine. Après tout, c'était ce qu'elle voulait, non ? Qu'il soit plus attentif, qu'il lui montre qu'elle comptait ?

Alors pourquoi ressentait-elle cette sensation de malaise ? Pourquoi avait-elle l'impression d'être au bord d'un précipice au lieu d'être sur le point de retrouver un équilibre ?

Qu'en penses-tu ? demanda-t-il, cherchant son regard.

Elle se força à sourire, même si cela lui demandait un effort considérable.

D'accord… Essayons.


Dans les jours qui suivirent, Daniel tint parole.

Il réserva une table dans un restaurant qu'ils avaient aimé autrefois, lui posa des questions sur sa journée sans consulter son téléphone, lui envoya même quelques messages en journée pour prendre de ses nouvelles.

Des gestes simples, qui auraient dû la rassurer.

Mais chaque instant passé avec lui lui semblait… différent.

Elle s'efforçait de lui répondre, de sourire, de se convaincre que c'était ce dont elle avait besoin.

Mais quelque chose manquait.

Et ce manque portait un nom.

Emma.

Elle surprenait son esprit à vagabonder lorsqu'ils dînaient ensemble, comparant inconsciemment chaque détail, chaque regard, chaque échange.

Emma l'écoutait avec une intensité désarmante, comme si chacune de ses paroles méritait d'être retenue. Avec Emma, elle n'avait jamais besoin de justifier ses silences, jamais besoin de feindre l'enthousiasme. Tout était naturel, fluide, sincère.

Daniel… Daniel faisait des efforts. Mais ce n'était pas pareil.

Elle voulait être présente, sincèrement. Mais elle ne pouvait pas ignorer l'évidence :

Ce n'était pas qu'elle se sentait perdue avec Daniel.

C'était qu'elle se sentait vivante ailleurs.


Un soir, alors qu'elle sortait du restaurant avec Daniel, elle tomba sur Emma.

Elles se croisèrent à quelques mètres de distance, dans cette rue illuminée par les néons et le bruit des passants.

Emma, qui riait avec Ruby et Kathryn, s'arrêta en la voyant.

Le sourire qu'elle arborait s'effaça légèrement.

Regina sentit son cœur se serrer.

Elle voulait dire quelque chose, lui adresser un regard, lui faire comprendre que ce moment ne signifiait rien.

Mais Emma détourna les yeux et continua son chemin sans un mot.

C'était un détail, une seconde à peine.

Mais cela suffit à Regina pour sentir une fissure se créer en elle.

Le lendemain, elle tenta de lui envoyer un message.

Regina : On peut se voir ?

Elle s'attendit à une réponse rapide, comme d'habitude.

Mais l'écran resta muet.

Elle attendit. Une heure, puis deux.

Rien.

Le soir venu, elle tenta à nouveau.

Regina : Emma ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ?

Le message fut lu.

Mais toujours pas de réponse.

Un vide inexplicable s'empara d'elle.

Emma, qui avait toujours été là, qui lui envoyait des messages même quand elle ne les méritait pas, venait de choisir de s'effacer.

Elle était en train de la perdre.

Et ce constat lui fit plus mal que tout le reste.

Cette nuit-là, Regina ne dormit pas.

Elle fixa le plafond pendant des heures, ressassant ce qu'elle refusait de voir depuis des semaines.

Elle était en train de perdre Emma.

Parce qu'elle s'accrochait à une relation qui n'était plus qu'une illusion.

Et au fond, elle savait que si elle ne faisait rien, elle allait regretter ce choix toute sa vie.

Elle prit son téléphone, ouvrit une conversation et, sans plus hésiter, tapa un message.

Regina : On peut parler ?

Elle hésita un instant avant d'appuyer sur envoyer.

Elle ne savait pas ce qui allait suivre.

Mais pour la première fois depuis longtemps, elle avait l'impression de faire un pas dans la bonne direction.


J'espère que ce long chapitre vous aura plus, et convaincu. La suite arrivera plus rapidement c'est promis !

Merci pour vos reviews, suivi et favoris ça fait hyper plaisir !