Mes petits chats,

Je vous propose aujourd'hui la deuxième partie de mon histoire fantastique (et surnaturelle) "L'Affaire Philippe Delveau". Dans les lignes qui suivent, nos héros se rencontrent pour la première fois :)

J'espère qu'elle vous plaira.

N'hésitez pas à me faire part de vos remarques orthographiques ou juste de votre ressenti :)

Je vous souhaite une agréable lecture,

ChatonLakmé


Syfy est une chaîne de télévision américaine spécialisée dans les programmes de science-fiction, fantastiques et d'horreur, principalement sous forme de séries télé et de téléfilms.

Fox News Channel est une chaîne de télévision d'information en continu américaine à tendance plutôt conservatrice. Elle a notamment été un soutien et un relais très important de Donald Trump pendant sa présidence.

Le houx et l'ortie sont des plantes aux propriétés dites protectrices et purificatrices, notamment contre les esprits maléfiques (source : Chabrillac Odile, Âme de sorcière. Ou la magie au féminin, Solar Editions, 2017)


L'affaire Philippe Delveau

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Deuxième partie


Butler, Pennsylvanie, jeudi 21 septembre


Dean riait sur le perron mais quand il entre dans le vestibule, son hilarité meurt sur ses lèvres.

Il pensait bien ne pas pénétrer dans cette maison le sourire aux lèvres, la fleur au fusil et des solutions plein la sacoche magique de Sam. Ça, ça n'arrive que dans les séries fantastiques qui passent sur Syfy. … Il s'attendait quand même à mieux. Alors qu'il regarde attentivement autour de lui, les yeux plissés, il ne sent rien. Ni l'instinct de la chasse qui tord normalement son ventre, ni ses sens plus acérés.

Le châtain est silencieux parce que cette maison est… stupéfiante.

Elle a un vestibule, bon sang. Pas une entrée, un vestibule.

Celui-ci est couvert de lambris sculptés jusqu'à mi-hauteur et un papier peint ancien à motifs couvre la partie supérieure des murs.

Dean a meublé son propre appartement à Kansas City dans un style contemporain mais intemporel. Un peu de bois, un peu de métal, un peu de pierre avec des murs blancs, gris et bleus. L'ensemble fonctionnel et neutre, susceptible de convenir au plus grand nombre car son bien est la plupart du temps en location tandis qu'il parcourt les États-Unis avec Sam et Baby.

Son chez-lui, lumineux et clair, n'a rien de commun avec cette demeure meublée comme un château.

Son frère touche le plateau marqueté d'une console sur laquelle est posé un vase en porcelaine chargée de fleurs et d'herbes sèches. Dean, lui, n'aurait pas osé effleurer quoi que ce soit. Peu importe où il porte son regard, tout semble ancien, précieux et surtout très coûteux. S'il est sincère, il pourrait trouver l'ensemble un peu prétentieux et franchement pas à son goût. Il se souvient encore de ce reportage qu'il avait regardé sur Fox News et dans lequel Donald Trump faisait visiter son logement dans la Trump Tower. Horrible. Atroce. Vulgaire. Mais le châtain a un œil exercé – pas seulement pour la chasse – et il remarque des choses plus subtiles. Les objets sont beaux parce qu'ils sont d'une grande qualité. Le temps les a patinés, adoucissant les dorures et le vernis des tableaux.

Dean tend le cou vers les salons de part et d'autre du vestibule – oui, il y a plusieurs salons. Il y a aussi un peu de mobilier plus contemporain. L'ensemble est d'un goût remarquable. Peut-être un peu trop pointu pour lui mais Dean sait l'apprécier à son niveau.

Et puis il y a l'escalier en bois. Monumental. Il donne sur un palier si large qu'il ressemble à une galerie, sa rampe est magnifiquement sculptée et il est éclairé par une suspension très moderne en verre. Sur les marches, le châtain remarque un étonnant chatoiement coloré. Il y a probablement un vitrail installé quelque part à l'étage et le jeune homme hausse un sourcil. C'est plutôt cool. Devant eux, Carol passe d'une pièce à l'autre, le pas un peu raide.

— « Cassie ? C'est Carol. Je t'ai amené du carrot cake », appelle-t-elle d'une voix forte.

La maison reste silencieuse. La jeune femme lève la tête pour regarder l'étage par la cage d'escalier.

— « … Je ne pense pas qu'il soit dans sa chambre », souffle-t-elle en fronçant les sourcils. « Il est probablement dans le jardin d'hiver. Suivez-moi, c'est au fond de la maison. »

— « Impressionnant », commente Sam sans pouvoir s'en empêcher.

La blonde esquisse un sourire. Elle quitte le vestibule pour s'engager dans le couloir devant eux et les invite à la suivre d'un geste.

Dean suit docilement son frère. Bon sang. Un jardin d'hiver. Comme dans les séries et les films en costume où de belles dames en robes de soie boivent du thé dans de la porcelaine fine. Il n'aime pas le thé, seulement les biscuits qui accompagnent le tea time, mais c'est vraiment cool.

Alors qu'il passe devant un petit meuble aux portes recouvertes de cannage, le jeune homme ralentit le pas jusqu'à s'arrêter. Il fronce les sourcils. Des cadres photos anciens sont ordonnés avec soin sur le plateau, la plupart en argent ciselé.

Dean les observe un peu distraitement mais soudain, sa gorge s'assèche. Il oublie Sam qui lui siffle à l'oreille que c'est indiscret d'espionner la vie privée de leur hôte alors qu'ils n'ont pas encore fait sa rencontre. C'est vrai mais il ne peut pas faire autrement. C'est cet homme qu'il est en train de regarder. Ça rend ses paumes moites et il sent quelque chose d'un peu oublié lui tordre le ventre.

L'homme est brun et il a les yeux bleus. Très bleus. Son sourire creuse une ombre délicate à la commissure de ses lèvres fines. Dean se penche en avant. L'inconnu est incroyablement beau. Bon sang, foutrement séduisant même. Le châtain se mord les joues. Dean n'a porté un costume qu'une ou deux fois dans sa vie mais l'homme brun pose en smoking. Un smoking, probablement à l'occasion d'une soirée guindée car à côté de lui, la femme âgée porte une rivière de diamants. Tout comme elle qui étincelle pourtant comme un sapin de Noël, le brun est loin d'avoir l'air ridicule. Dean n'a qu'une envie, celle de défaire le nœud papillon et les premiers boutons de la chemise blanche pour glisser ses lèvres sur la peau nue de ses clavicules.

Il tourne la tête pour observer d'autres photos mais l'inconnu est peu présent. À peine une fois, habillé d'un trench-coat beige en compagnie d'un autre homme blond au regard malicieux qui l'enlace par le cou.

— « Dean ? Tu viens ? », l'interpelle Sam en revenant vers lui.

Le jeune homme se redresse lentement et acquiesce. Peut-être que cet homme est un ami du propriétaire. Peut-être qu'il habite aussi à Butler ou dans les environs. Peut-être que leurs chemins vont se croiser si Sam et lui peuvent travailler dans cette maison incroyable. Ça serait bien parce que Dean en a rudement envie.

La chaleur dans son ventre ronronne doucement d'aise et le jeune homme s'empresse de remonter le couloir pour rejoindre Sam. Son frère attend devant une très belle double porte vitrée, décorée de vitraux aux motifs végétaux et floraux dans sa partie haute.

— « Castiel est là, Carol est allée le prévenir de notre venue », l'informe Sam avant de lui jeter un regard interrogateur. « Tu as vu quelque chose d'intéressant ? »

— « Pas du tout. »

Dean sent ses oreilles chauffer un peu. Son frère ne le remarque pas, il triture distraitement ses doigts sur la lanière de sa sacoche. Le châtain le bouscule gentiment d'une épaule.

— « Tu te souviens Sammy ? Tu sors s'il y a quoi que ce soit », lui dit-il d'un air entendu.

Sam roule légèrement des yeux et lui jette un drôle de regard. Dean ricane. Il sait que se répéter est inutile, son frère a un énorme cerveau mais cela en l'empêche pas de s'inquiéter pour lui. Si le châtain a un remarquable instinct, Sam a autre chose ; une sensibilité à fleur de peau, une perception différente de la sienne. Il voit et ressent des choses que Dean sait qu'il ne peut même pas concevoir alors il le protège comme il peut. Cela rend parfois le blond fragile et son aîné ne le supporte pas. Sam refuse de donner un nom à cette capacité particulière alors quand Dean veut le taquiner ou se venger un peu, l'appeler médium ou parler de son antenne au paranormal est suffisant pour le faire sortir de ses gonds.

Le châtain passe la tête dans l'embrasure de la porte-fenêtre avec curiosité.

S'il trouvait déjà le vestibule très aristocratique, le jardin d'hiver est royal. Le soleil, pourtant bas dans le ciel en cette fin d'après-midi, entre à flot dans la pièce par ses portes-fenêtres coulissantes. Tout semble doré, l'air, le mobilier en rotin, jusqu'à la mosaïque unie qui couvre le sol, orné sur son pourtour d'un discret motif végétal. Comme celle de l'entrée, les portes-fenêtres sont décorées de verre peint sur leurs bordures dans des motifs japonisants de fleurs, d'insectes et d'oiseaux. Des plantes vertes sont disposées le long des murs, dans des cache-pots en céramique.

Dean rêverait d'y passer un moment. Un très long et très apaisant moment. Peut-être après leur chasse, avec l'inconnu brun qui le remercierait avec empressement pour son excellent travail. Un homme qui le trouverait au moins aussi séduisant que lui. Ouais, ça serait bien.

Le châtain passe un doigt dans le col de son tee-shirt. En cette fin du mois de septembre, la température extérieure est encore clémente mais il fait une chaleur terrible dans la pièce, comme si le chauffage était déjà allumé. Dean a presque envie de poser une main sur le gros radiateur en fonte à sa gauche pour vérifier.

Il plisse légèrement les yeux.

Un gros fauteuil en rotin, à haut dossier, lui tourne le dos. Carol est assise sur un autre fauteuil, très proche du premier.

— « Excuse-moi d'être entrée avec ma clé sans sonner, Cassie. »

— « Ce n'est pas grave Carol, je te l'ai donné pour ça. Je suis toujours heureux de te voir. Est-ce que les enfants et Finley sont avec toi ? »

Un rire, léger mais surtout profondément las. Dean sent quand même un frisson chatouiller son aine. Même fatiguée, la voix est attirante, rauque, grave et profonde. Si le châtain ne savait pas que le propriétaire de la maison a environ quarante ans, il pourrait croire qu'il est un homme déjà âgé. C'est anormal. Ou l'homme est un énorme fumeur et Carol a oublié de le leur dire.

La blonde secoue lentement la tête. Elle se rapproche un peu plus de lui et presse gentiment son genou. Les pieds de son fauteuil raclent bruyamment sur la mosaïque.

— « Ils ne sont pas venus cette fois », lui dit-elle doucement. « … Je suis venue te parler. »

— « … Est-ce que tout va bien ? Ta famille va bien ? »

La jeune femme sourit avec une incroyable tendresse. Dean la voit tendre une main, probablement pour caresser gentiment celle de son vis-à-vis.

— « Tout le monde va bien à la maison. Je t'assure, tout va bien. … Je suis venue pour toi Cassie. »

— « Pour moi ? » L'homme rit doucement mais cela sonne avec une grande fragilité. « Tu m'as déjà apporté une part de carrot cake, cela me rend très heureux. C'est exactement ce dont j'ai besoin pour accompagner mon thé à la bergamote. »

Dean renifle discrètement. C'est donc ça, cette odeur un peu douceâtre qui flotte dans l'air. Cela lui rappelle la maison de Lawrence, Mary en boit aussi.

— « J'aimerais que tu t'en souviennes quand je vais t'expliquer pourquoi je suis là… » La jeune femme tressaute nerveusement de la jambe. « Les enfants ne sont pas là mais je ne suis pas venue te rendre visite seule. »

— « Quel mystère tu fais… Tu sais que je connais ton mari, n'est-ce pas ? Je le connais même très bien depuis qu'un soir quand on dînait ensemble, il a fini un peu ivre. Il nous a raconté toutes ces histoires qui dataient de l'époque de la fac… »

— « Ce n'est pas Everett. Il m'a dit de te saluer et d'ajouter qu'il a hâte de retourner courir avec toi », lui répond la jeune femme.

— « Moi aussi mais je ne suis pas certain que ce soit pour les semaines à venir. Je suis un peu fatigué Carol », avoue son ami d'une petite voix.

— « Je sais Cassie. » La blonde se mord les joues et jette un regard à Sam et Dean qui acquiescent. « Les gens qui sont venus avec moi sont là pour t'aider. »

— « Ils sont médecins ? J'ai déjà un bon médecin à l'hôpital de Butler », lui fait remarquer le jeune homme.

Elle secoue la tête et claque sa langue contre son palais d'agacement.

— « Le Dr Lauwers ne fait rien pour toi », lui rétorque-t-elle d'un ton un peu cinglant. « Dean et Sam vont t'aider avec ce que tu… sens dans cette maison. Tu sais, cette chose dont tu m'as parlé plusieurs fois. »

Un lourd silence envahit soudain dans le jardin d'hiver. Les deux frères se regardent. Ça va être difficile.

— « Je les ai appelés et ils sont venus à Butler depuis la Californie pour toi. »

— « Comme tous les autres Carol », lui répond son ami. « Tu as oublié celui qui disait venir de Hawaï et avoir été formé par un prêtre ? Il avait en fait grandi à Tampa et il était diplômé d'un site internet. »

— « Tu peux te faire ordonner sur internet… »

— « Ne change pas de sujet. … Je suis fatigué Carol. Je n'ai pas la force de supporter encore une autre déception et de donner de moi. J'en ai assez. »

La blonde tire bruyamment son fauteuil sur le sol pour le rapprocher de l'autre. Elle emmêle presque leurs genoux et serre fort ses mains dans les siennes.

— « Je sais tout ça et je ne veux pas te faire souffrir mais ils sont là et j'ai confiance en eux », dit-elle d'une voix un peu émue. « Nous avons longuement discuté avec de venir te voir et si j'avais eu le moindre doute, je les aurai immédiatement congédiés. Mais je suis là… Tu as confiance en moi, n'est-ce pas ? »

Son ami soupire doucement. Dean retient inconsciemment son souffle. C'est maintenant que tout se joue. Soit Castiel refuse et Sam et lui sont bons pour dormir une nuit à l'hôtel avant de reprendre la route. Ils ont aussi une autre piste à Cleveland dans l'Ohio. Soit le jeune homme accepte et dans ce cas, Dean se jure de faire plus que jamais pour lui. Comme à chaque affaire.

— « … J'ai confiance en toi. Tu sais que j'ai confiance en toi mais… maintenant ? Je ne suis pas sûr que – »

— « Est-ce que tu te sentiras vraiment plus prêt demain ? », lui rétorque la blonde du tac-au-tac. « Nous savons tous les deux que tu n'en auras pas plus envie. Si les choses se passent mal, tu peux les renvoyer dès que tu le désires. Je suis certaine qu'ils n'insisteront pas. »

— « J'ai très mal dormi la nuit dernière, je n'ai pas les idées très claires. »

— « Oh Cassie. » La jeune femme rit tendrement et le châtain la voit porter leurs mains à sa bouche pour embrasser ses jointures. « Tu as l'esprit le plus vif que je connaisse et si Tom était avec moi, tu lui raconterais encore des choses merveilles sur les objets qui sont chez toi. Tu es aussi en train de lire un livre sur les ébénistes français du XVIIIe siècle et il est énorme. »

Le châtain esquisse un sourire satisfait. Bien joué.

— « Je n'ai pas envie de les voir arpenter la maison et fouiller partout. C'est indiscret et je ne veux pas », reprend son ami.

— « Ils ne le feront pas, je te le promets Cassie », lui assure la blonde et Dean acquiesce quand elle le regarde. « Il ne s'agit que d'une simple discussion et je resterai avec toi. … Je t'en prie, accepte de les rencontrer. Tu es tellement pâle et j'ai l'impression que tu as encore perdu du poids depuis la dernière fois que je suis venue. »

— « Je n'ai pas beaucoup mangé aujourd'hui. Je n'ai pas très faim. »

— « Eh bien faisons un marché », lui suggère Carol d'un ton sans réplique. « Tu manges ce que je t'ai apporté pendant qu'ils sont là et qu'ils parlent avec toi. Une fois que tu auras fini, tu pourras décider si tu leur demandes de partir ou si tu es prêt à en écouter un peu plus. »

Nouveau soupir mais Dean sourit encore. Il sait que la jeune femme a gagné.

— « … C'est très impoli d'être le seul à manger pendant une conversation. »

Le châtain étouffe un rire. La voix est toujours fatiguée mais elle sonne adorablement outrée cette fois et cette politesse un peu désuète est charmante. La jeune femme sourit d'un air narquois.

— « Crois-moi, ils se sont servis plus que généreusement quand on prenait le café chez moi », rit-elle et Dean a la décence se paraître un peu gêné. « Je peux les faire entrer ? »

Aucune réponse mais le châtain suppose que le jeune homme dans le fauteuil acquiesce d'un signe de tête car Carol semble soudain immensément soulagée. Elle les invite à les rejoindre d'un geste et les deux frères se glissent dans le jardin d'hiver. Dean tire une nouvelle fois sur le col de son tee-shirt. Il pensait qu'il faisait chaud quand il se tenait dans l'embrasure de la porte mais c'est bien pire dans la pièce. Pourtant, alors qu'il s'avance, il remarque que le voisin porte un épais gilet en laine. Cette vue lui provoque comme une nouvelle bouffée de chaleur. Il a déjà l'impression de sentir une goutte de sueur couler le long de son dos sous sa veste en cuir.

C'est fugace, juste une fraction de seconde, avant qu'il ne remarque la main de l'inconnu, délicatement tenue par Carol. L'attache du poignet est très fine et la peau si blanche, presque translucide, qu'elle est franchement maladive. Les ongles sont exsangues aussi.

Dean contourne lentement le fauteuil. Il se fige de stupeur et Sam passe devant lui sans s'en rendre compte. Merde, c'est lui. Ou plutôt, il est une version de l'homme si beau qu'il a vu sur les photos du couloir. Le regard est bien le même, incroyablement bleu et perçant mais il a un éclat un peu fiévreux. Les joues sont légèrement creusées et la ligne si solide de sa mâchoire semble avoir fondue. Dean pensait aussi savoir à quoi ressemblaient des cernes avant de voir les siens, bleus et très marqués. Son corps est aussi bien plus fin que sur les clichés. Sa chemise flotte sur ses épaules et s'il en croit la marque prononcée sur le cuir de la ceinture, Castiel a fortement resserré la sienne. Réalisant qu'il fixe son bas-ventre, Dean relève brusquement les yeux. Il ne veut pas faire mauvaise impression mais c'est juste… obscène de morbidité. Ou morbidement obscène. Ou tout ça à la fois.

— « Je suis Sam Winchester et voici mon frère, Dean », se présente le blond avec un sourire avenant.

— « …Castiel Novak. »

Castiel hésite un peu avant de serrer la main de Sam. Quand Dean la prend à son tour, il se mord les joues. La poignée est sans force, presque évanescente. Mais les yeux bleus du brun semblent briller un tout petit peu plus quand il le regarde.

— « Vous avez une maison magnifique », reprend gentiment Sam.

Castiel et Dean se fixent toujours en silence. Le châtain frotte distraitement son autre paume sur sa cuisse. Il lui sourit d'une manière sans doute un peu maladroite et cette fois, un peu de couleur voile les pommettes acérées du brun. Castiel les invite à s'asseoir d'un geste. Dean tente de ne pas se précipiter pour s'installer sur la moitié de la banquette la plus proche de lui.

— « … Merci. Je l'aime beaucoup », répond-il prudemment. « Je l'ai acheté il n'y a pas très longtemps. »

— « Votre collection est incroyable aussi », renchérit Sam avec chaleur. « Il y a beaucoup de meubles d'Europe, n'est-ce pas ? Et des tableaux italiens. »

Les joues de Castiel se colorent une nouvelle fois sous l'effet d'une joie et d'un plaisir sincères. Dean jette un regard en coin à son frère qui contemple d'un air un peu béat les vitraux japonisants des portes-fenêtres. Stupidement, il aurait préféré être le seul à provoquer cela chez le brun. Et être resté plus longtemps à ses côtés quand son frère regarde des documentaires sur l'histoire des arts sur internet.

— « … Vous êtes amateur aussi ? »

— « Sam a juste une énorme tête remplie de choses qui ne servent pas à grand-chose », ricane le châtain.

Son frère lui donne un coup de coude dans les côtes. Dean se souvient alors avec la puissance d'un train lancé à pleine vitesse que Castiel est antiquaire et qu'il doit aussi connaître énormément de choses un peu futiles au commun des mortels comme lui.

Une ombre passe dans les prunelles bleues tandis qu'un frisson agite son corps. Dans un être aussi menu, la réaction est presque épidermique. Castiel fronce les sourcils et resserre les pans de son gilet sur son torse.

Un silence un peu gênant envahit le jardin d'hiver. Il va falloir jouer serré. Le brun a légèrement enfoncé sa tête entre ses épaules. Il a dégagé sa main de celle de son amie et tord un peu nerveusement ses doigts sur ses genoux. Il a envie de tout sauf de leur parler. De quoi que ce soit.

— « Cassie », l'appelle doucement Carol. « Est-ce que nous pouvons discuter maintenant ? Et mange un peu de carrot cake. »

La blonde pose d'autorité l'assiette sur ses genoux avec la petite cuillère de sa soucoupe à thé. Castiel hésite mais il prend un petit morceau avant de le manger avec application. C'est mignon.

— « Vous semblez avoir un bon œil », reprend le brun en regardant Sam. « Est-ce qu'un objet aurait retenu votre attention ? Si vous avez des questions, je suis tout à fait prêt à y répondre. »

— « Castiel, tu ne reçois pas des clients potentiels… », proteste son amie.

Dean la fait taire d'un regard entendu. Chacun a besoin de trouver son rythme pour parler. À côté de lui, son frère dépose sa sacoche sur le sol et le regarde d'un air un peu gêné.

— « Vous possédez des pièces de grande valeur, je ne peux pas m'autoriser ce genre d'achat », avoue-t-il avec modestie.

Le châtain fronce les sourcils.

— « … Le mobilier et les objets d'art de votre maison sont à vendre ? », demande-t-il avec surprise.

Cette fois, c'est lui qui frissonne légèrement. Castiel a reposé sa cuillère sur l'assiette et le regarde, ses yeux plongés dans les siens. Ils sont cernés mais toujours si foutrement bleus.

— « Une grande partie d'entre eux provient de mon ancien magasin d'antiquités à New York, je ne les ai pas achetés pour mon confort personnel », explique le brun avec réticence. « En m'installant à Butler, j'ai pensé faire de cette maison un showroom pour montrer les œuvres en situation. La maison est très ancienne vous savez. Ma clientèle sait l'apprécier et cela rend aussi les négociations plus faciles. »

Dean acquiesce. Il se retient de se soulever légèrement du canapé en rotin pour alléger un peu son poids et ne pas l'abîmer. Il n'ose pas imaginer les prix qui se négocient entre les murs lambrissés de la demeure.

Sam sort son carnet de bord de son sac et griffonne rapidement quelques mots. Le châtain sait qu'il note la double fonction de la maison et donc le va-et-vient des clients de Castiel. Plus de gens constituent plus de menaces potentielles. C'est encore plus vrai quand il est question d'argent.

Le brun lorgne aussi discrètement que possible sur la page blanche. Il triture nerveusement le manche de sa cuillère, mal à l'aise.

— « Qu'est-ce que vous notez ? », lui demande-t-il finalement.

Sam lui sourit doucement mais il referme légèrement la couverture du carnet.

— « C'est mon carnet de bord », lui explique-t-il. « Nous en avons un par affaire que Dean et moi traitons. Nous y notons ce que nous entendons, ce que l'on veut bien nous dire et le résultat de nos recherches. »

Ce n'est pas une accusation voilée sur sa réticence à leur présence chez lui. Le blond est trop gentil pour ça, mais Castiel baisse les yeux sur ses genoux. Il mange un autre petit morceau de gâteau parce que le regard fixe de Carol doit lui brûler le visage et que de toute évidence, le brun est un homme gentil et attentionné qui ne veut pas la blesser.

— « Carol nous a déjà beaucoup aidé quand nous étions chez elle », lâche Dean d'un air nonchalant. « Votre amie nous a expliqué énormément de choses à votre sujet et sur ce qui vous inquiète. »

— « Il n'y a pas grand-chose à raconter », lui rétorque vivement le brun.

La jeune femme renifle d'un ton narquois et Castiel lui jette un regard noir. Elle se contente de hausser les épaules.

— « … Tu as déjà été plus honnête. »

— « Et il n'y a rien qui m'inquiète non plus », renchérit le brun en l'ignorant.

Carol étouffe un grognement de frustration et se lève brusquement de son fauteuil. La jeune femme arpente le jardin d'hiver d'un pas vif, ébouriffant ses cheveux d'une main fébrile.

— « Ils sont venus pour toi. Ils sont là pour t'aider et tu fais comme si tout allait bien ! », grogne-t-elle avec colère.

Castiel se mordille les joues. Dean le voit frotter son torse du plat de la main avant de se gratter la nuque. Il la gratte beaucoup et longuement. Le châtain a envie d'attraper doucement son poignet pour le faire cesser.

—« Ne crie pas s'il te plaît. Tu n'as pas le droit de m'en vouloir, je t'ai dit que je n'étais pas prêt mais tu n'as pas voulu m'écouter », souffle-t-il presque douloureusement avant de regarder Dean. « Je suis désolé mais je veux pas vous parler. »

— « Castiel ! »

— « Je suis navré que vous ayez fait une si longue route mais j'ai changé d'avis », reprend le jeune homme sans ciller, ses yeux toujours dans ceux du châtain. « Ça va aller. J'ai juste besoin d'un peu de temps et je guérirai. »

Castiel se gratte à nouveau la nuque, presque férocement. Dean fronce les sourcils mais avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche, Carol explose. Le châtain comprend pourquoi son ami mangeait sagement sans protester. C'est effrayant.

— « Tu as fait confiance à de véritables charlatans ! Tu as même pensé que la coiffe en plumes de corbeaux de ce mec de Los Angeles était vraiment sa panoplie de chasseur de monstres ! », vocifère-t-elle. « Tu étais prêt à croire tout ce que tu lisais parce que tu as fait un malaise cardiaque seul chez toi et que tu aurais pu mourir ! Tu étais terrifié quand tu es rentré de l'hôpital ! »

Le brun pâlit brusquement. Tout son corps s'affaisse. En voyant l'assiette tanguer dangereusement sur ses genoux, Dean se penche rapidement pour la prendre et la poser sur un guéridon à côté. Leurs doigts s'effleurent mais Castiel ne réagit pas. Il semble glacé et est aussi immobile qu'une statue de marbre.

— « … Je veux seulement t'aider et que tu ailles mieux. Quel risque prends-tu à les écouter ? »

Le brun se mord les lèvres. Il frissonne à nouveau et frotte sa poitrine puis sa nuque.

Castiel est si raide. Si crispé. Si vulnérable. Le jeune homme garde les yeux ostensiblement baissés sur ses doigts, toujours emmêlés sur ses genoux. Ses jointures, déjà pâles, prennent une teinte franchement cadavérique. Dean déteste ça.

— « Je dois préserver les forces qu'il me reste et je ne peux pas supporter encore une autre déception. Je ne me sens pas assez fort pour ça », avoue le brun d'une petite voix. « Je suis malade et c'est la raison pour laquelle je vois, que je sens des choses qui n'existent pas. Les médecins ont juste besoin de temps pour trouver ce que j'ai et me soigner. Tu ne demanderais pas un diagnostic au boulanger de North Monroe Street, n'est-ce pas ? C'est la même chose. … J'irais mieux bientôt. Le Dr Lauwers dit que mon poids s'est stabilisé. »

— « Conneries », siffle la blonde. « Tu as fait un nouveau trou à la ceinture de ton pantalon. Tu pensais vraiment que je ne le verrai pas ? »

Sam et Dean se regardent. Les choses se sont si bien passées avec la jeune femme qu'ils pensaient un peu naïvement qu'il en serait de même avec son ami. Après tout, ce dernier a accepté de les rencontrer mais la situation est en train de leur échapper.

Devant eux, Castiel frissonne encore et encore, contenant entre ses lèvres serrées un gémissement de douleur. Il gratte sa nuque presque frénétiquement et à ses côtés, le châtain sent Sam s'agiter imperceptiblement à son tour.

Dean lui jette un regard.

Son frère s'est redressé contre le dossier du canapé. Les sourcils froncés, il balaye lentement le jardin d'hiver des yeux mais porte sans cesse son attention sur Castiel. Cela dure longtemps avant que la tension dans ses épaules ne s'apaise lentement. Le châtain cherche son regard.

Alors ?

Sam hésite avant de faire un geste un peu vague de la main entre eux.

Peut-être. Je ne suis pas sûr.

Nouveau regard entendu vers Castiel.

C'est lui. Ça vient de lui.

Dean acquiesce. Il est peut-être temps de reprendre la main alors que les deux amis continuent à se disputer et que Castiel se décompose littéralement. Il souffre de manière évidente et le châtain n'aime pas ça. Cet homme, avec ses épaules trop fines et ses joues creuses, porte trop de choses. À ce stade, Carol ne les aide plus réellement non plus.

Il se racle la gorge pour attirer leur attention.

— « Je suis persuadé que le Dr Lauwers est très compétent et qu'il veut vous soigner mais pour cela, encore faudrait-il que vous soyez malade. Que vous soyez vraiment malade », ajoute-t-il en appuyant sur les mots.

— « Je… »

— « Je peux comprendre que vous l'espériez de toutes vos forces parce que nous avons tous besoin d'explications et de comprendre quand les choses nous échappent », poursuit le châtain. « Mais vous vous mentez à vous-même. Vous avez sollicité des paraspécialites pour avoir des réponses. Vous ne croyez plus en la médecine ou alors vous auriez consulté d'autres praticiens, peut-être dans d'autres villes plutôt que de faire de telles recherches sur internet. »

— « Je suis allé jusqu'à Pittsburgh pour faire des examens », proteste faiblement Castiel.

— « Je pensais plutôt à des consultations faites à New York ou à Chicago », le corrige Dean, un petit sourire aux lèvres. « Dans de très grandes villes avec de très grands hôpitaux ».

Le brun rougit légèrement et détourne le regard.

— « Vous mentir à vous-même ne fera pas cesser ce que vous voyez ou ce que vous ressentez », poursuit le jeune homme en le citant avec soin. « Cette chose ne s'arrêtera pas de vous torturer. Elle vous tient déjà. »

Castiel hoquette douloureusement et écarquille les yeux de stupeur. Dean se sent terriblement coupable de provoquer une telle réaction chez le brun. Il est prêt à passer pour le méchant frère Winchester si cela permet de fendiller un peu l'armure du jeune homme.

Sam s'agite à nouveau à côté de lui. Dean connaît les signes par cœur. La manière dont il fronce les sourcils, dont il contracte la mâchoire et pince parfois les lèvres. Il y a bien quelque chose et son frère la sent aussi. C'est peut-être encore très imprécis, encore intangible mais c'est là.

Castiel est très nerveux.

— « Je suis malade », s'obstine-t-il d'un air tendu.

Dean esquisse un sourire. Il craque un peu pour les gens entêtés, probablement parce qu'il est lui-même le pire des opiniâtres. La manière dont le dit le brun, la tête légèrement penchée sur le côté, le rend très séduisant.

— « Vous êtes malade, sans le moindre doute », acquiesce-t-il finalement. « La question est de savoir pourquoi et cela, Sam et moi pouvons probablement vous le dire. Si vous acceptez de nous accorder aussi un peu de temps. »

— « Votre réticence et votre prudence sont tout à fait compréhensibles », poursuit Sam après un court silence. « On vous a trompé, on s'est peut-être moqué de vous et vous a pris de l'argent. »

— « L'argent n'est pas réellement la question… », marmotte le brun en faisant une petite moue adorable.

— « Pas étonnant que tous ces charlatans vous adorent », rit maladroitement Dean.

Sam grimace et roule des yeux mais Castiel esquisse un sourire. Un vrai, avec cette petite fossette à la commissure de ses lèvres. Et si la peau est trop blanche et que l'ombre paraît trop bleue, Dean la trouve charmante quand même.

— « Vous avez sans doute aussi un peu honte d'avoir donné votre confiance et vous vous en voulez », repend le blond en jetant un regard entendu à son frère. « Dean et moi vous dirons probablement des choses que vous avez déjà entendus et nous n'avons aucune preuve à vous donner quant à notre sincérité. Vous devez juste nous faire confiance, encore une fois. »

Castiel hoche imperceptiblement la tête. Il a l'air si épuisé et déboussolé que Dean prend immédiatement la meilleure décision qui s'impose. Cette première prise de contact suffit pour le moment. Il faut laisser le temps au brun de faire l'autre moitié du chemin vers eux et surtout, de le faire par lui-même. Rien ne pourra fonctionner sinon.

Sam hoche la tête quand il l'interroge silencieusement.

— « Monsieur Novak – »

— « Castiel », le corrige le brun.

— « Castiel », sourit Dean. « Je vous propose de mettre un terme à cet entretien pour aujourd'hui. Vous avez beaucoup de choses auxquelles penser, c'est normal et nous ne voulons pas vous braquer ou vous contraindre par notre présence à prendre une décision que vous regretterez. Nous avons réservé au Clarence Inn. Carol a notre numéro de portable, nous attendrons de vos nouvelles. Est-ce que cet arrangement vous convient ? »

Le jeune homme hésite mais il acquiesce une nouvelle fois, presque timidement. Dean lui donne une poignée de main ferme et chaude, aussi rassurante qu'il l'espère.

— « Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, aussi improbable soit-il, est nécessairement la vérité. C'est ce qu'il a écrit, pas vrai ? »

Le châtain désigne d'un signe de tête le guéridon. Sous l'épais volume consacré aux ébénistes français, hérissé de signets colorés, il y a un exemplaire un peu corné du Chien des Baskerville d'Arthur Conan Doyle.

— « … C'est vrai », dit doucement Castiel. « … Je vais réfléchir. »

Il esquisse un geste pour se lever et les raccompagner mais Dean secoue la tête. Les deux frères saluent Carol d'un signe de tête et s'éclipsent dans le couloir. Dans l'embrasure de la porte, le châtain voit la jeune femme se précipiter presque vers le brun et s'asseoir à nouveau devant lui.

Tandis qu'ils gagnent le vestibule, Sam ricane et lui donne un vigoureux coup d'épaule.

— « Quel poseur tu fais… », se moque-t-il. « C'est moi qui t'ai appris cette citation pendant une partie de Trivial Pursuit avec papa et maman. Et tu n'as jamais lu le Chien des Baskerville. »

Dean élude en haussant les épaules. C'est une bonne chose que les lambris assombrissent un peu le couloir, il sent sa nuque chauffer un peu. Les deux frères chahutent avant de regarder à nouveau le grand escalier et le mobilier des salons avec admiration. Sam croise les mains dans son dos tandis qu'il lève le nez à s'en coincer la nuque.

— « Il est plutôt rare que tu dises les choses qui fâchent », reprend-il doucement. « En règle générale, tu es l'atout charme de notre duo et moi le frère pragmatique et un peu ennuyeux. »

— « Tu n'es pas ennuyeux Sammy. Et tu sous-estimes beaucoup le pouvoir de tes yeux de chiot. Finley a un peu le même regard… »

- « Connard. » Le blond roule des yeux. « … Je dis juste que c'est étrange. Le pauvre a eu l'air de se décomposer quand tu parlais. »

Dean se mord les joues. Ouais, il se souviendra longtemps de cette pâleur sur ses joues alors qu'un peu avant, il parvenait à les faire rougir. Un peu.

Il passe une main lourde dans sa nuque et la masse du bout des doigts.

— « C'est juste que… » Le châtain hésite un instant et retourne dans le couloir pour prendre un des cadres photos. « Sam, ce mec-là, c'est vraiment lui. Et maintenant, il ressemble à un malade en phase terminale alors qu'il n'est pas malade. »

Le blond prend pour l'observer attentivement, les sourcils froncés.

— « … Il n'y a pas de date, la photo a pu être prise il y a plusieurs années », lui fait remarquer Sam.

— « Je suis sûr qu'elle n'a que quelques mois, peut-être juste avant son emménagement à Butler. Il a les mêmes petites rides aux coins des yeux », le contredit Dean avec force. « Soit il a attrapé une saloperie oubliée en se blessant sur un de ces vieux trucs anciens soit c'est autre chose. Et c'est foutrement puissant. Il est devenu comme ça en quatre mois Sam. C'est plus rapide que tout ce que nous avons jamais vu. … Qu'est-ce que tu regardes ? »

Son frère plisse légèrement les yeux tandis qu'il contemple la photo avec attention.

— « Les petites rides aux coins de ses yeux », ricane-t-il.

Dean rougit violemment et lui arrache le cadre des mains pour aller le reposer sur le petit meuble, sans oublier de le gratifier d'une rude bourrade dans les côtes.

— « On a pris du houx ou de l'ortie dans la voiture ? », lui demande-t-il en lui jetant un regard. « On va laisser un flacon derrière le cadre avec un peu de particules d'argent. On trouvera toujours un prétexte pour venir le récupérer si jamais Castiel ne veut pas nous revoir. »

Sam acquiesce et ouvre sa sacoche pour en sortir une petite fiole en verre. Dean hausse un sourcil.

— « J'ai préparé quelque chose juste avant qu'on ne quitte Hesperia, juste au cas où. »

— « … Il n'y a pas d'argent dedans », remarque son frère avec un rictus.

Le blond lui jette un regard noir. Glissant les doigts dans la chaîne autour de son cou, il la retire avant de la glisser dans le tube. C'est si rapide que Dean a à peine le temps de réagir mais une fois qu'il comprend, il se précipite vers lui.

— « Certainement pas Sam. Tu ne vas pas te séparer de ta médaille. On va plutôt mettre ma croix. »

Le blond roule des yeux mais il obtempère d'un air un peu bougon. Dean cache soigneusement le petit flacon derrière un cadre. C'est un pur hasard si c'est celui avec la photo de Castiel en smoking. Le jeune homme prend une photo de l'ensemble avec son portable et rejoint Sam.

Quand les deux hommes sortent sur le perron, le châtain est surpris de voir le ciel déjà rougi par le couchant. Son frère jette un regard à sa montre.

— « Il est dix-huit heures trente, le service des archives et le bureau de l'association historique locale doivent être fermés. On peut aller déposer nos affaires à l'hôtel et faire déjà quelques recherches sur internet en attendant le dîner », lui suggère-t-il.

Dean acquiesce tandis qu'il se glisse derrière le volant de l'Impala. Il fait à nouveau jouer ses doigts dessus avant de mettre le contact.

Le jeune homme quitte Belmont Road et jette un regard au rétroviseur avant. Il va d'abord prendre un bain et une fois plongé dans l'eau brûlante, il cherchera sur son portable leur restaurant du soir.

Dean oubliera peut-être la vision un peu sinistre de la maison de Castiel dans le ciel couleur de sang.


Un moteur gronde devant sa maison et Castiel tend distraitement l'oreille. Il tourne la tête, écoute avec attention.

Le ronronnement mécanique n'a rien à voir avec les rugissements des grosses berlines haut de gamme du quartier, il lui évoque plutôt la voix éraillée d'un crooner. Une voiture plus ancienne donc. Le brun sourit discrètement. C'est peut-être la voiture de Dean Winchester. Il ne l'imagine pas au volant d'un SUV tape-à-l'œil ou d'une sportive arrogante. Une voiture ancienne, ce serait vraiment bien. Elle s'accorderait parfaitement à sa veste en cuir un peu usée aux coudes. L'ensemble doit être plutôt… séduisant. Comme son allure de mauvais garçon… un peu sexy.

— « Cassie. »

Carol claque doucement des doigts devant lui pour attirer son attention.

Castiel la regarde et se gratte la nuque. Il a froid mais il contient bravement le frisson qui court le long de son dos. C'est comme s'il sentait une brise glaciale effleurer son cou. Une… respiration.

Assise en face de lui, son amie semble rayonner de chaleur. Elle a retiré son gilet et a relevé ses cheveux en une queue de cheval négligée. Les mèches qui tombent sur son épaule brillent comme de l'or. Sa peau nue est veloutée et d'une couleur chaude alors que les derniers rayons de soleil tombent lentement sur Butler.

Dean aussi a semblé rayonnant quand il était assis à côté de lui sur le canapé en rotin. … Rassurant.

Castiel se mord les joues. Il a si froid. Il frotte une nouvelle fois sa nuque, fort.

— « Tu t'es blessé ? », lui demande Carol avec inquiétude. « Tu n'arrêtes pas de toucher ton cou. Tu veux que je regarde ? »

— « Ce n'est rien, j'ai dû m'égratigner la nuit dernière », élude-t-il.

— « Tu vas bien ? »

Castiel tire machinalement sur la manche de son gilet. La jeune femme prend sa main dans la sienne. Elle fronce les sourcils en remarquant ses ongles, légèrement tachés de sang et les nettoie délicatement avec un mouchoir. Ses doigts sont si chauds autour des siens que le brun soupire de bien-être. Son ventre se tord pourtant désagréablement. Pourquoi le monde autour de lui lui paraît-il si vivant quand il a l'impression de se tenir au seuil du sépulcre ? Si loin de tout et de tous. Si seul aussi et comme condamné de regarder les gens autour de lui vivre ?

Il se frotte les yeux du poing. Il est si fatigué.

— « … Ça va », croasse-t-il.

— « Est-ce que tu m'en veux ? », reprend son amie d'un air gêné. « Si quelque chose ne va pas entre nous, je veux qu'on ne parle maintenant Cassie. Nous avons toujours été honnêtes l'un avec l'autre. Tu es le seul à m'avoir dit que me teindre les cheveux en noir était une horrible idée. Même Everett disait que j'étais magnifique et que je ressemblais à Megan Fox. »

Castiel esquisse un petit sourire. Il frotte doucement le dos de la main de son pouce.

— « Tu les as appelés sans me le dire et tu leur as parlé de moi. C'est privé Carol », ne peut-il s'empêcher de lui rappeler. « … Le Dr Lauwers m'a prescrit d'autres examens, une IRM et une échographie. Il a bon espoir de comprendre ce qu'il m'arrive. »

La blonde baisse les yeux d'un air contrit mais sous son front plissé, il lit son agitation et ses protestations silencieuses. Il serre doucement sa main dans la sienne comme une offrande de paix. Il ne veut plus en parler pour le moment. Ni penser trop fort à Dean Winchester. Castiel se sent un peu mal quand c'est le cas. Comme s'il ne devait pas parce qu'il percevait une menace. … C'est si flou.

— « Pourquoi tu n'amènerais pas les enfants avec toi la prochaine fois ? Et Finley ? Il adore courir après les écureuils dans le jardin », sourit-il. « Ils me manquent. »

Carol lui jette un regard sous ses longs cils clairs et elle se mord les joues.

— « Tu leur manques aussi mais… je ne veux pas. »

La jeune femme relève la tête et elle serre presque douloureusement leurs mains ensemble pour le retenir. Le brun a eu un vif mouvement de recul, un peu blême.

— « Ils t'adorent et c'est pour ça que je ne veux pas qu'ils te voient comme ça », lui explique-t-elle d'une petite voix. « Tu vois ton reflet chaque jour dans le miroir Cassie, je ne suis pas certaine que tu aies réellement conscience de la dégradation de ton état. … Tu me fais peur. »

Le brun lève machinalement une main pour effleurer son visage. Est-il vraiment si repoussant ? A-t-il pu faire une aussi mauvaise première impression à Dean ? Il a pourtant eu l'impression que le châtain le regardait vraiment et…

Castiel inspire brusquement. Encore cette main qui se resserre sur ses entrailles.

Ce que Dean a pu penser de lui n'a pas d'importance.

— « Pourquoi les as-tu contactés eux et pas quelqu'un d'autre ? Si tu as fait des recherches comme moi, tu as découvert que ce monde est un gouffre sans fond. »

— « J'ai lu des choses qui m'ont empêché de dormir », acquiesce son amie en grimaçant. « Mais ils sont différents. »

— « Le fait que Dean soit beau comme un mannequin ne fait pas forcément de lui quelqu'un de plus digne de confiance », note-t-il distraitement.

Castiel rougit un peu quand la blonde lui jette un regard éloquent.

— « C'est vrai mais il aime aussi mes gâteaux », le taquine gentiment son amie. « J'ai entendu parler d'eux sur un forum très confidentiel et j'ai mis des semaines à obtenir leur contact. Ils sont très difficiles à trouver sur Internet, j'ai considéré que c'était une preuve de sérieux. »

Le brun hausse légèrement les épaules. Soudain, il sent un élancement douloureux dans sa poitrine et il se plie en deux, le souffle court. Carol lui remet d'autorité la part de carrot cake dans les mains et l'oblige à manger un peu. Le jeune homme obtempère mais il a la nausée.

Après un long moment, la blonde caresse son front et sa joue.

— « S'il te plaît, est-ce que tu acceptes d'y réfléchir ? », lui demande-t-elle doucement. « Ils attendent de tes nouvelles… »

Castiel sent ses joues trop blanches et creuses picoter un peu. Dean attend après lui…

Il regarde par les portes-fenêtres vers le jardin et appuie son crâne contre le dossier de son fauteuil. Après tout, pourquoi pas… Le brun est tellement épuisé. Il a besoin de se tenir à la rampe d'escalier pour monter dans sa chambre et le moindre effort l'essouffle. Dire qu'il pouvait courir un marathon il y a encore six mois et qu'il faisait la course avec Everett dans les bois autour de Butler. Maintenant, il doit parfois se faire livrer ses courses parce qu'une simple sortie au supermarché le laisse tremblant de fatigue.

Le brun ferme les yeux.

Il aimerait y croire.

Bien entendu qu'il sait que quelque chose ne va pas. Et encore, c'est un euphémisme. Castiel va mal. Il se sent partir. Mourir à petit feu et il est terrifié.

… Dean l'a regardé sans ciller, sans condescendance ni curiosité malsaine ou intérêt cupide. Et ses yeux sont si verts. Il a des taches de rousseur sur les joues. Sa main était très chaude quand il a serré la sienne.

Il sent à nouveau cet étrange courant d'air sur sa nuque et il frissonne.

— « Je vais y réfléchir. Mais pas aujourd'hui Carol, j'ai besoin d'un peu plus de temps et d'une bonne nuit de sommeil. »

— « … D'accord. » Son amie se lève et arrange machinalement une mèche sombre sur son front. « Est-ce que tu veux aller t'allonger un peu ? Je peux t'aider à monter dans ta chambre si tu veux. »

Castiel sourit et secoue lentement la tête.

— « Je vais rester encore un peu ici. Il y fait bon et j'aime la lumière.

— « Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. J'insiste Cassie, quoi que ce soit. »

— « Je le ferais. Sois prudente en rentrant. »

La jeune femme pouffe tendrement avant de se pencher pour l'embrasser sur le crâne. Une dernière caresse sur son front et elle quitte la maison. Castiel guette le bruit de la porte d'entrée qui se referme derrière elle et soudain, le silence envahit la demeure.

Le brun déglutit légèrement. Il se concentre sur les derniers rayons qui couvrent le rotin d'une fine poussière dorée. Ils faisaient la même chose aux cheveux de Dean. Et à ses joues.

« La lumière est ennuyeuse. Tes cheveux noirs et ta peau blanche sont bien plus beaux mon amour. C'est comme si tu pouvais disparaître dans l'ombre. Avec moi. »

Castiel dodeline légèrement de la tête.

Sa main caresse son cou et sa nuque. Elle se fait plus pressante et l'invite à pencher la tête en avant. Le brun obtempère et une paire de lèvres vient se poser sur sa peau. Il frissonne violemment. Elles sont glacées et leur contact agresse sa peau déjà contusionnée.

« Cet homme est si commun, il n'est pas digne de ton attention. Je suis là pour toi. Je serai toujours là. Grâce à moi tu ne seras jamais seul. Peu importe que cette femme ne t'amène plus ses enfants. Tu n'as besoin de personne d'autre mon amour. »

— « Carol est mon amie. »

Il le mordille et le brun se cambre légèrement.

« Elle t'a menti. Elle a amené ces inconnus dans notre maison. Elle ne sait pas ce qui est bon pour toi. Moi, je le sais. Je te connais, je sais ce que tu veux. Ce dont tu as besoin. »

Castiel frissonne et gémit doucement. Il rouvre brusquement les yeux.

— « Je suis fatigué », proteste-t-il d'une petite voix.

Il pense entendre quelque chose, comme un rire, léger et cristallin, qui résonne dans la maison vide.

C'est dans sa tête. Tout ça est dans sa tête, rien de plus et la douleur dans sa nuque vient de son acharnement à la gratter comme un toc. Rien d'autre.

Le brun s'appuie à deux mains sur les accoudoirs de son fauteuil et se lève lentement. Prudemment. Castiel va aller s'allonger un instant, peut-être sur le canapé du salon bleu parce que sa chambre est trop loin. Il y a toujours une couverture posée sur le dossier, il pourra s'enrouler dedans et avoir chaud. Il pourra commencer à réfléchir à l'idée de donner une nouvelle fois sa confiance à quelqu'un. … À Dean, peut-être.

Dans la nuit, le brun se réveille en sursaut dans son lit. Il saigne encore du nez et quand il se redresse sur le matelas, le liquide écœurant coule dans sa gorge. Il a l'impression d'étouffer. Sa nuque le lance douloureusement et il a de nouvelles griffures sur le torse et les cuisses alors que celle de la nuit passée commencent à peine à cicatriser. Il a chaud, son sexe pulse durement dans son pantalon de nuit. Castiel est presque surpris d'avoir encore assez d'énergie pour être excité. Surtout, le brun ne se souvient pas être monté pour retrouver son lit.

Il déglutit lourdement tandis qu'il retire la taie d'oreiller souillée et la roule en boule avant de la poser sur le parquet. Il s'en occupera demain.

Alors qu'il se recouche, Castiel prend son portable sur la table de nuit. Il est très tôt mais ce n'est pas grave, Carol trouvera son message à son réveil et fera ce qu'il faut.

À Carol. Envoyé à 03h26.

Je suis d'accord.

Pendant le reste de la nuit, Castiel est assailli par Lui. Il ne connaît pas de repos, comme s'Il se vengeait de son initiative. Le brun cauchemarde atrocement. C'est dans sa tête mais ça a l'air si réel qu'il en pleure, plongé dans un état de demi-sommeil, ses larmes maculant l'oreiller.

Le jeune homme ne retrouve réellement le repos qu'alors que le soleil est haut levé. Il s'est assommé de deux somnifères et d'un comprimé contre la tachycardie. Un comprimé entier.

Son cœur bat si fort dans sa poitrine qu'il a l'impression qu'il va juste s'arrêter brusquement à un moment.

Comme un jouet cassé dont les ressorts sautent.