Mes petits chats,
Ce soir, je vous propose la troisième partie de "L'affaire Philippe Delveau". Nos chasseurs préférés retrouvent Castiel pour tenter de le convaincre d'accepter leur aide. Est-ce que le charme de Dean sera suffisant ? :)
Quelques notes ci-dessous pour les curieux et à tous, bonne lecture.
Bien à vous,
ChatonLakmé
Le mentalisme est une discipline de l'illusionnisme. L'artiste semble posséder des pouvoirs particuliers et lire en la personne qu'il interroge. Il est en réalité un excellent observateur du comportement humain. Cet art a été popularisé par la série Mentalist, diffusée à partir de 2008 sur CBS et dont le personnage principal utilise ses facultés d'observation pour se faire passer pour un médium avant de devenir consultant pour la police.
David Boreanaz est le nom de l'interprète du vampire Angel dans la série Buffy contre les vampires (Buffy the Vampire slayer dans la version originale), diffusée en 144 épisodes de 1997 à 2003. Cette série fantastique suit les aventures d'une lycéenne qui chasse et tue les créatures maléfiques.
Un étudiant voulant devenir avocat doit faire sept ans d'études, quatre dans un cycle universitaire puis trois dans une Law School. La première année permet d'étudier le droit américain avant de se spécialiser au cours des deux années restantes. Le diplôme obtenu à l'issue est le Juris Doctor (JD), nécessaire pour s'inscrire au concours du barreau dans l'État choisi par le candidat. Les Law Schools peuvent être des structures publiques ou privées. Le coût des études varie entre environ 20 000 et 30 000 dollars par année.
Dean cite de manière détournée une réplique fameuse du premier film de la première saga Spider-Man (2002-2007) avec Tobey McGuire, Kristen Dunst et James Franco et le mantra du héros. La citation originelle est toutefois à attribuer à Winston Churchill en 1906 : « Là où il y a un grand pouvoir, il y a une grande responsabilité. »
Saint Michel est un saint faisant partie des saints dits « sauroctones » (du grec « saûros », lézard et « któnos », tueur). Ce groupe désigne des personnes qui, souvent aux premiers temps du christianisme, ont chassé, tué, soumis ou dompté des dragons et autres créatures serpentesques.
L'obsidienne est une roche volcanique vitreuse de couleur noire, grise, vert foncé ou rouge.
Fifty Shades of Grey est une trilogie de romans érotiques de l'autrice britannique E. L. James, publié à partir de 2012. Elle relate la découverte du monde du bondage de l'héroïne, Anastasia Steele, en compagnie du séduisant milliardaire, Christian Grey.
L'affaire Philippe Delveau
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Troisième partie
Butler, Pennsylvanie, vendredi 22 septembre
Dean jette presque l'Impala sur le trottoir devant la maison de Castiel et freine brusquement. À ses côtés, Sam est projeté en avant, grogne quand la ceinture de sécurité lui entre dans le cou. Il se rassoit correctement et lui jette un regard noir.
— « Du calme Dean. Il ne va pas s'envoler, il peut à peine se lever de son fauteuil », ronchonne-t-il.
— « Tu fais du mauvais esprit, Sammy et c'est moche. »
Le blond roule des yeux tandis qu'il décroche sa ceinture de sécurité.
— « Excuse-moi mais tu es impossible depuis ce matin », bougonne-t-il en ouvrant la portière. « Tu tournes en rond comme un lion en cage et tu as changé plusieurs fois de chemises à carreaux pour finalement remettre la première. Celle dont les couleurs te flattent le mieux… »
— « C'est faux !, proteste vigoureusement Dean qui sent ses oreilles chauffer.
Il lui adresse un doigt d'honneur par-dessus le toit de l'Impala mais Sam se contente de ricaner. Son frère passe la sangle de son sac en bandoulière tandis que Dean récupère une boîte en carton sur la banquette arrière. Alors qu'il referme la portière, il jette un regard à son reflet et arrange machinalement sur le col de son blouson. Sam est déjà en train de remonter l'allée vers le perron mais son frère l'entend rire encore.
— « Je pourrais dire tellement de choses à cet instant que je ne le ferai pas, ce serait trop facile… »
Dean ne peut pas faire un nouveau geste obscène dans sa direction, il pourrait faire tomber la tarte à la cerise qu'ils ont acheté. Sam semble en être très satisfait.
Ils ont à peine monté les marches du perron que la porte s'ouvre brusquement.
Carol se tient sur le seuil, coiffée d'un chignon un peu échevelé. Elle se ronge les doigts d'anxiété, son vernis à ongles rouge complètement écaillé. C'est dommage, la manucure a dû lui coûter au moins soixante-dix dollars.
— « Entrez vite, Cassie vous attend », dit-elle sans un mot de politesse.
Sam lui tend la main mais elle refuse d'un signe de tête qui dérange un peu plus les mèches folles échappées de son chignon.
— « Nous n'avons pas le temps pour ça », siffle-t-elle et elle est déjà dans le couloir. « Il a passé une nuit horrible, vous devez achever de le convaincre d'accepter votre aide et vous mettre au travail. Vite. »
Le blond jette un regard entendu à son frère. Dean lui emboîte le pas jusqu'au jardin d'hiver, les épaules raides et la mâchoire serrée.
Sur le seuil, la blonde s'arrête lentement et se tourne vers eux. Elle déglutit légèrement, ses yeux ont un éclat un peu halluciné.
— « … Quand je suis arrivée tout à l'heure, Castiel a baissé les manches de son polo mais je suis certaine d'avoir vu des marques de doigts sur sa peau… Elles n'avaient pas la taille des siens mais c'est impossible, n'est-ce pas ? Ça ne peut pas le toucher ? »
Sam sourit gentiment mais n'ajoute rien. Aucun d'entre eux ne peut s'avancer sur ce sujet tant qu'ils n'en savent pas plus. Reste tout de même une chose certaine. Contrairement à ce que montrent les films et les séries télé, il est très rare que l'indicible puisse interagir physiquement avec le tangible. C'est le signe d'une immense puissance. Ça ou alors Castiel a le sommeil particulièrement agité.
Dean déglutit légèrement.
Ils doivent parler avec le brun avant de faire la moindre conclusion. Avant même de commencer à penser à ce phénomène. Carol est à fleur de peau, elle a pu se tromper.
— « Nous devons nous entretenir avec lui pour pouvoir nous positionner », élude un peu le blond.
La jeune femme hoche la tête avec raideur et les précède dans le jardin d'hiver. Dean renifle discrètement. Pas de parfum de thé cette fois et Castiel a étendu un plaid sur ses genoux malgré la chaleur d'enfer qui règne dans la pièce.
Quand le brun les voit, il esquisse un geste pour se lever mais le jeune homme lui fait signe de ne rien en faire. Castiel sourit doucement alors que Dean et Sam s'assoient à la même place que le jour précédent.
Le châtain pose le carton sur le guéridon à côté de lui et lui sourit d'un air un peu maladroit.
— « Nous avons acheté une tarte dans une pâtisserie sur W Jefferson Street », lui explique-t-il. « Elle est à la cerise. Ils n'avaient plus beaucoup de choix, c'était juste après le déjeuner. »
— « C'est mon parfum préféré », lui répond doucement le brun.
— « … Moi aussi. »
Les deux hommes se fixent. C'est peut-être un court ou un long moment, Dean ne sait pas vraiment. Il se contente d'observer et d'enregistrer les informations. Après avoir encore admiré la couleur de ses yeux. Ce bleu est extraordinaire. … Castiel a effectivement l'air plus mal en point qu'hier.
Le châtain noue ses doigts sur ses genoux. Le jeune homme les a invités à venir lui rendre visite après le déjeuner, il pensait que c'était une bonne idée de se présenter avec un dessert pour accompagner un café ou un thé. Finalement, il n'a pas très faim. Pas quand le brun ressemble à un grand malade.
Castiel baisse les yeux sur ses genoux d'un air gêné et Dean comprend qu'il le fixe depuis trop longtemps, que ce qu'il ressent doit se lire sur son visage.
Il passe une main dans sa nuque et le châtain grimace en sentant sa peau déjà légèrement moite. Bon sang, il fait tellement chaud dans cette pièce.
— « … Je vous remercie d'être revenu. »
— « Merci de nous autoriser à le faire », lui répond poliment Sam. « … Est-ce que vous vous sentez prêt à nous parler ? »
— « … Je pense. »
— « Il faudra vous montrer honnête avec nous », ajoute doucement le blond. « Il ne s'agit pas de voyeurisme de notre part mais le moindre fait, même la plus petite des indications, pourrait nous aider. Est-ce que vous êtes d'accord ? »
Le brun se mordille les joues et jette un regard un peu gêné à Carol, assise à côté de lui.
Dean comprend que la présence de son amie le freine. Il est parfois plus facile de parler avec des inconnus, c'est pour cela que les cabinets de psy existent. Chacun craint le jugement et la honte face à un proche. Dean et Sam ne sont rien pour Castiel, ils ne comptent pas vraiment. Ils devraient pouvoir tout entendre.
Le brun se racle la gorge.
— « … Je ne veux pas être impoli mais quelles garanties puis-je avoir de votre discrétion ? », leur demande-t-il en regardant Dean.
Sam sort une pochette cartonnée de sa sacoche et en tire un imprimé qu'il tend à Castiel. Ce dernier le prend avec curiosité tandis que, penchée par-dessus son épaule, Carol lit déjà les premières lignes.
— « C'est un accord de confidentialité », explique Dean. « En le signant, Sam et moi nous engageons à garder sous silence tout ce que vous pourrez nous dire, tout ce que nous pourrons voir et tout ce que nous pourrons faire. À ce stade de la discussion, cet accord est unilatéral et n'engage que nous. Il ne nécessite qu'un accord et une signature de votre part. Vous en conserverez un autre exemplaire pour vous protéger en cas de litige. Notre intérêt n'est pas de vendre vos secrets, personne ne les croirait de toute manière. »
Castiel esquisse un sourire fatigué.
— « Est-ce que je dois le signer maintenant ? »
— « Ce serait préférable avant que nous ne parlions de quoi que ce soit », lui confirme Dean.
Le brun s'exécute. Si son corps est épuisé, le châtain voit dans ses yeux clairs combien son esprit est vif et acéré. En deux minutes, Castiel lit les quelques pages et signe en bas de la dernière après les avoir toutes paraphées. Il fait de même avec le second exemplaire avant de le rendre à Sam.
— « Je ne pensais pas que vous trouveriez un avocat pour rédiger un tel document », souffle-t-il en tendant son stylo au blond. « Votre… profession est indiquée en toutes lettres et il y a beaucoup de clauses spécifiques. »
Dean rit et donne un coup de coude dans les côtes de son frère. C'est une de ses plus grandes fiertés.
— « Sammy est brillant, il a fait des études de droit à Stanford. »
Le blond sourit modestement tandis que Castiel hausse un sourcil impressionné, juste avant de se frotter légèrement les yeux de fatigue. C'est mignon.
— « Cet accord ne vous protège pas », note-t-il finalement après un silence.
Cette fois, c'est au châtain de hausser un sourcil, agréablement surpris. Il est rare que quelqu'un leur en fasse la remarque. Il lui sourit.
— « Si vous acceptez que nous enquêtions sur votre affaire, nous vous demanderons de signer un contrat de travail », reprend-il et Sam montre à Castiel un autre imprimé avec plus de pages. « Il renseigne les conditions pratiques de notre embauche, la question de la rémunération et notre propre protection juridique mais nous en parlerons le moment venu. »
Le brun acquiesce lentement. Dean frotte vivement ses paumes sur ses cuisses. C'était la partie la plus facile. Il se tourne vers Carol qui les observe, un peu frustrée de ne pas avoir pu achever sa lecture. Son ami ne l'a pas attendu pour signer quoi que ce soit et le châtain y voit déjà une petite victoire.
— « Cet accord ne couvre pas la présence de tiers. Nous devons nous entretenir seuls avec lui », reprend prudemment le châtain
Dean entend presque Castiel soupirer de soulagement. Bien entendu qu'il ne veut pas que son amie soit là. Le petit soupir adorable est toutefois occulté par la vive protestation de la jeune femme. Elle vitupère, blessée et vexée. Le brun presse délicatement son avant-bras.
— « S'il te plaît Carol. Tu es ma meilleure amie et nous ne nous mentons jamais. Je ne veux pas avoir à le faire parce que tu es là. S'il te plaît. »
— « Je suis à tes côtés depuis le début Cassie, tu m'as tout raconté. »
Le brun se mord les joues et baisse les yeux. Dean comprend que c'est faux.
— « Il s'agit de mon corps, de ma vie et ce qu'il m'arrive est parfois…c'est parfois très intime. Je n'en ai pas non plus parlé au docteur Lauwers », souffle Castiel d'une petite voix.
— « Cassie… »
Le jeune homme légèrement les épaules à la remontrance.
— « Je ne veux pas qu'on pense que je suis fou, j'ai déjà l'impression de perdre l'esprit », achève-t-il d'un ton douloureux.
Carol plonge son regard noisette dans le sien un long moment avec de hocher la tête avec réticence. Dean ressent le soulagement du brun comme si c'était le sien.
La jeune femme soupire lourdement, se lève et prend la boîte en carton du pâtissier.
— « Je vais aller mettre la tarte au frigo, j'ai l'impression que personne n'en mangera aujourd'hui », dit-elle.
Alors que Carol passe à côté de lui, Castiel la retient brièvement par la main et serre ses doigts en un remerciement silencieux. Le pli soucieux sur son front disparaît lentement et la blonde quitte le jardin d'hiver sans un mot de plus. Castiel noue sagement ses doigts sur ses genoux et ferme les yeux, la tête appuyée sur le dossier de son fauteuil. Il semble attendre le bruit de la porte d'entrée se refermant derrière son amie. Enfin, le petit déclic retentit dans la maison silencieuse. Ni Sam ni Dean n'osent le troubler. Le châtain jette toutefois de petits regards en coin à Castiel, aussi discrets que possible. Le jeune homme semble si menu dans son grand fauteuil en rotin, comme noyé dans les plis de son plaid.
Le brun rouvre lentement les yeux.
— « Souhaitez-vous un café ? », leur demande-t-il sous ses paupières mi-closes.
Les deux frères se jettent un regard avant de refuser poliment. Il fait trop chaud dans le jardin d'hiver pour boire quoi que ce soit de brûlant. Peut-être un verre d'eau, plus tard.
Le brun ferme à nouveau les yeux, son corps agité d'un léger frisson. Dean le voit remonter distraitement le plaid sur ses genoux bien serrés. Lui est en train de cuire dans sa veste en cuir et il la retire rapidement, l'abandonnant sur le dossier de la banquette.
— « … Alors vous pensez que je ne suis pas complètement fou ? »
Sa voix est un petit filet un peu fragile, à peine audible.
Dean se penche et croise les mains sur ses genoux. Castiel garde les paupières closes et la ligne un peu froncée de ses sourcils montre qu'il n'a pas envie de les regarder. Peut-être pas envie de les affronter.
Un sourire amer, presque un rictus, vient ourler ses lèvres trop fines.
— « Bien sûr que non sinon vous ne seriez pas là », reprend le brun d'un ton un peu narquois. « Ou alors vous le pensez et cela ne vous empêchera pas de m'aider d'une certaine manière. Je suppose que votre contrat de travail ne comporte pas de clause sur votre réussite, n'est-ce pas ? »
Dean se mord les joues. C'est vrai mais l'accusation d'imposture à peine voilée est désagréable à entendre. Le jeune homme pensait qu'ils avaient fait un petit plus de chemin ensemble que cela. Le fauteuil a soudain l'air bien loin de la banquette sur laquelle il est assis.
Il passe une main dans sa nuque.
— « Ce que nous savons de votre cas nous invite à penser que vous n'êtes pas fou », répond-il prudemment. « Quant aux enquêtes que nous traitons, nous préférons parler de résolution plutôt que de résultat. Dans notre domaine d'activité, on apprend vite que les apparences peuvent être trompeuses et que ce qui semble simple peut ne pas l'être. Sam et moi n'aimons pas ce terme, il ne représente pas ce que nous faisons. »
Castiel esquisse un sourire qui ressemble franchement à une grimace. Dean reconnaît que ce n'est pas une réponse satisfaisante. Pas du tout.
Le brun le regarde et fronce légèrement les sourcils.
— « … Le problème, quel qu'il soit, pourrait venir de moi. Je suis malade », reprend-il.
— « Nous le savons », acquiesce le châtain. « Carol nous a raconté énormément de choses et nous a permis d'établir une chronologie que nous pourrons vérifier ensemble. Le plus important à retenir est le fait qu'aucun professionnel de santé ne semble parvenir à diagnostiquer la raison de votre état malgré des examens médicaux poussés. »
— « Il existe des maladies très rares. Et d'autres qui ont été oubliées », s'obstine un peu Castiel.
Dean cache son petit sourire dans sa paume alors qu'il se frotte le visage. Même si le sujet est grave, son entêtement est mignon. Entre ses doigts, le jeune homme jette un regard à Sam qui acquiesce. D'accord, il est vraiment temps de s'y mettre et d'arrêter les précautions qui les font tourner en rond.
— « Je reviens. »
Les mains crispées sur les accoudoirs de son fauteuil, Castiel se redresse un peu. Son polo beige semble tomber un peu plus sur ses fines épaules.
— « Les toilettes sont – »
— « Je vous remercie mais ce n'est pas utile. Sam et moi aimerions juste vous montrer quelque chose », rit doucement Dean.
Le châtain quitte le jardin d'hiver et marche d'un pas vif vers le meuble canné du couloir.
Il contemple une nouvelle fois la photo de Castiel en smoking dans son cadre en argent et il sent son ventre se serrer désagréablement. Non, le brun n'est pas fou. Et rien ne va mal en lui, du moins pas sans une bonne raison. Le vrai Castiel est celui qui sourit sur ce cliché sur papier glacé, beau, solide et plein de vie. Pas l'homme presque évanescent assis dans ce fauteuil, enroulé dans un plaid et habillé de ce polo en coton dans laquelle il semble un peu se noyer.
Dean récupère rapidement la fiole qu'ils ont cachée le jour précédent et revient dans le jardin d'hiver sans un regard sur son contenu.
Si les informations que Carol leur a donné sont exactes et sans exagération, il se doute déjà de ce qu'il va y trouver.
— « Vous n'avez pas perdu l'esprit », répète-t-il en se rasseyant à côté de son frère, son regard plongé dans celui de Castiel. « Et vous n'allez pas bien par la faute de quelque chose qui n'a rien de médical et qui n'a rien à voir avec vous à proprement parlé. »
Dean pose lentement le petit flacon sur le guéridon à côté du brun. Son geste est prudent, presque délicat. Malgré cela, les feuilles de houx et d'ortie enfermées à l'intérieur tremblent doucement et s'effritent. Complètement sèches, un peu noircies sur les bords et piquetées de moisissures blanches au centre, elles tombent en une fine poussière qui vient s'accrocher aux mouchetures de corrosion qui couvrent la petite croix en métal.
Dean et Sam froncent les sourcils avant d'échanger un regard. C'était attendu mais pas dans un tel état d'altération.
C'est mauvais.
Castiel hésite un peu avant de s'emparer de la fiole en verre. Sa main tendue dans le vide a quelque chose d'un peu immatériel et ses doigts quand ils se referment dessus, d'arachnéen. La peau de son poignet est si fine que malgré le jour un peu sale qui entre dans le jardin d'hiver, le châtain discerne sans peine le réseau bleuté des veines et le dessin des tendons. C'est un peu cadavérique et il détourne pudiquement le regard.
Le brun porte le flacon à son visage et plisse légèrement les yeux pour en observer le contenu. Il fronce un peu le nez, hésite, avant de le déposer lentement sur ses genoux et de regarder Dean.
— « J'ai peur de ne pas comprendre », avoue-t-il après un court silence. « Ce qui est enfermé dedans est pourri. »
— « Précisément. C'est arrivé cette nuit. »
Castiel fronce un peu plus les sourcils, ça ressemble presque à un regard noir.
— « C'est impossible. Les feuilles ont complètement séché et le métal a des points de corrosion. Ça ne peut arriver qu'en quelques jours et dans des conditions extrêmes, radicalement opposées pour ces deux types de matériaux. Un environnement très sec pour l'un et très humide pour l'autre. C'est… impossible… », répète le brun.
Dean se penche vers lui, ses coudes appuyés sur ses genoux. Il plonge ses yeux dans les siens.
— « Ce serait impossible dans une autre maison que la vôtre », dit-il prudemment. « Ce qui est enfermé dans ce flacon est la preuve que quelque chose habite ici, avec vous. »
— « … Quelque chose… »
Le brun le regarde d'un air un peu interdit avant de déglutir lentement.
Sam récupère son portable dans sa sacoche et s'assoit dans le fauteuil voisin de celui de Castiel, l'écran entre eux ouvert sur la galerie des photos.
— « Dean et moi avons laissé cette fiole hier, juste avant de quitter votre maison », explique-t-il en zoomant sur le cliché pour lui montrer la cachette derrière le cadre photo en argent. « Le houx et l'ortie sont des plantes aux propriétés purificatrices et purificatrices, comme l'argent. Les feuilles étaient fraîches et la croix de Dean parfaitement propre. En une nuit ici, tout a été gâté. Vous avez raison, c'est impossible en théorie. Monsieur Novak, c'est la preuve – »
— « Castiel. »
— « Castiel. C'est la preuve qu'il y a quelque chose de mauvais dans l'air, quelque chose qui corrompt. Si on regardait attentivement les bronzes de vos meubles anciens et vos sculptures, je suis persuadé qu'on trouverait la même altération du métal. »
Le brun secoue lentement la tête, les joues un peu plus pâles qu'avant.
— « Je n'en ai plus vraiment à la maison. Vous avez raison, les œuvres s'abîmaient et j'ai… » Il déglutit. « Je loue un garde-meuble à W Birch Street pour les préserver. En attendant de… comprendre. »
Dean se retient de frapper des mains sur ses cuisses de contentement. Bingo. Il se penche encore et cherche à nouveau le regard du brun. Castiel se raidit légèrement dans son fauteuil mais il s'y accroche, semblant avoir besoin de s'y retenir. Ses mains s'emmêlent inconsciemment dans le plaid et se crispent spasmodiquement sur l'étoffe.
— « L'explication se trouve devant vous. Sam a raison, les ingrédients ont réagi à ce qui se trouve ici », dit-il avant de s'assombrir. « Je dois avouer que même pour nous, une corruption aussi rapide est… anormale. »
— « Ah… »
Le brun inspire profondément et tire sur le plaid. C'est un geste nerveux et Dean se contient de poser une main sur les siennes pour tenter de l'apaiser.
Castiel déglutit.
— « … Vous avez très bien plus déposer une fiole hier et la remplacer tout à l'heure quand vous avez quitté la pièce. Ou bien ne rien déposer du tout », tente-t-il. « Je ne dis pas que c'est ce qu'il s'est passé mais votre photo ne prouve rien. »
Le brun esquisse un sourire un peu gêné mais les deux frères se contentent d'acquiescer. C'est vrai après tout, ils auraient pu. C'est à eux de convaincre Castiel du contraire. S'ils y parviennent, ils pourront vraiment travailler pour le brun car la confiance est primordiale. Une chose malfaisante ne s'attache jamais à un lieu ou à une personne sans raison.
— « Vous avez raison sur ce point mais vous faites fausse route. Mon frère et moi ne sommes pas des tricheurs et je n'ai que ma parole à vous donner pour tenter de vous rassurer », répond Dean. « … Vous avez dû être confronté à beaucoup de charlatans pour avoir appris à être aussi prudent. »
— « C'est une simple question de bon sens. Est-ce que vous achèteriez une voiture de luxe uniquement parce que le vendeur vous dit que c'est une merveille ? »
Le châtain hausse un sourcil avant de rire doucement. Une ombre passe sur le visage du jeune homme.
— « Je ne me moque pas de vous », s'excuse-t-il. « Sam et moi savons exactement ce qui peut envahir votre esprit, tous ces doutes et ces interrogations. Nous avons aussi été confrontés à notre lot d'imposteurs alors vous devez me croire quand je vous dis que nous connaissons très bien la colère, la frustration et la tristesse quand on comprend qu'on a été trompé. »
— « Nous sommes encore de jeunes chasseurs et nous avons beaucoup à apprendre », ajoute gentiment Sam.
— « Mais nous sommes vraiment bons ! »
Castiel esquisse un sourire un peu fatigué mais sincère. Quand il rit doucement, le châtain a l'impression que le fossé entre la banquette et le fauteuil en rotin a considérablement diminué.
Le jeune homme dénoue lentement la prise nerveuse de ses doigts sur le plaid et les lie sur ses genoux. C'est un signe de confiance ou en tout cas d'apaisement. Le brun est un peu moins sur la défensive et il semble presque un peu plus fort malgré son polo trop grand.
Dean sourit en coin.
Il est temps de continuer à se rapprocher et pour cela, il ne connaît que l'honnêteté. Il sait que rien ne peut obliger Castiel à le croire mais des années de chasse lui ont appris que souvent, les gens sentent la sincérité. Sam peut bien lui expliquer qu'il s'agit seulement d'une étude inconsciente de micro-signes du visage, un peu comme un mentaliste, Dean se contente de constater l'évidence. Quand il parle franchement, les gens en face de lui hochent la tête et finissent par lui sourire vraiment. Peut-être aussi parce que Dean est séduisant et que la beauté et la sympathie rassurent. Les très bons escrocs sont rarement des gens laids.
Le châtain a vraiment envie d'être sincère, peut-être un peu plus que d'habitude, et de rassurer Castiel. Il préfère ne pas trop penser à la raison qui le pousse à vouloir les rendre aussi agréables au brun.
— « Est-ce que votre amie vous a raconté comment elle nous a trouvé ? », lui demande-t-il.
— « … Elle a vu vos noms sur un forum spécialisé après avoir échangé avec des modérateurs. Carol m'a dit que cela avait été très difficile. »
— « Avez-eu eu vous-même des difficultés à trouver des contacts quand vous avez cherché de l'aide ? », poursuit Dean.
Castiel mâchonne légèrement ses joues, les sourcils froncés. Elles ont beau être émaciées, cela donne l'impression qu'il boude un peu, probablement encore en colère contre sa propre crédulité. C'est mignon.
Il hausse les épaules d'un air nonchalant et Dean sourit en coin. Le brun est vraiment vexé. Ça lui donne envie de lisser de son pouce les plis légers sur son front pour les effacer.
— « … Non », avoue-t-il dans un marmonnement. « Je reçois encore des spams chaque jour à cause de certains sites que j'ai visité. Ils semblent tous me courir après… »
— « Sam pourra vous arranger ça en bricolant quelque chose dans les paramètres de votre boîte mail et le navigateur de votre ordinateur », lui propose rapidement Dean en jetant un regard à son frère. « Ce que je veux vous faire comprendre, c'est qu'il serait très facile pour nous de nous rendre visibles et accessibles. »
Castiel hausse un sourcil interrogateur.
— « Je ne saisis pas où vous voulez en venir. »
— « Quand Sam et moi avons compris que des gens pouvaient avoir besoin de notre aide, il nous a créé un site internet. Il était très beau avec une rubrique de contact, des récits d'expériences et des photos bien prises. C'était franchement très professionnel », explique le châtain « Nous avons croulé sous les sollicitations dès le début. La plupart du temps, il s'agissait de beaucoup d'incompréhensions, souvent d'une forme de curiosité morbide mais parfois, nous avons rencontré des gens qui avaient vraiment besoin d'aide, comme vous. Quand notre activité s'est développée, nous avons travaillé sur la rédaction de nos contrats pour faire les choses biens et nous protéger. Sam et moi avons été imprudents au début. Des vidéos de nos affaires ont été postées les réseaux sociaux de nos clients, souvent pour s'attirer des clics. Cela a pris des mois à Sam pour supprimer toutes ces traces… »
Dean jette un regard profondément reconnaissant à son frère qui se contente de hausser les épaules. Il est vrai que ce n'est pas leur période la plus glorieuse. Ils pensaient naïvement que ces extraits finiraient par se noyer dans la masse des productions internet, rapidement détrônés par une vidéo de chaton ou d'un bébé en train de rire aux éclats. Jusqu'à ce qu'un homme n'interpelle un jour Mary et John dans la rue pour leur parler de leurs fils. Dean sait que leurs parents ne leur ont pas dit tout ce qui avait été échangé ce jour-là, peut-être pour ne pas les inquiéter parce que Sam et lui étaient pour toujours leurs petits garçons. Cela avait été suffisamment insupportable pour déterminer les deux frères à mettre leurs activités en pause et se consacrer à la protection de leur famille. Jamais les cours de droit de Sam à Stanford n'avaient été aussi appréciable qu'à ce moment-là.
Castiel fronce les sourcils.
— « Rien ne s'efface jamais sur le net. »
— « Sam est très bon et il peut même être franchement effrayant quand il prend sa grosse voix au téléphone », taquine-t-il son frère en lui donnant en petit coup de genou. « Ça été long mais il a réussi à effacer toutes les vidéos qui dévoilaient notre identité et pouvaient nous mettre en difficulté. »
Le blond roule des yeux et ricane mais il a les yeux brillants. Sam est toujours flatté et un peu timide quand son frère lui fait part de son admiration. Parfois, Dean s'en veut encore d'être allé le rejoindre à Stanford même si son frère l'avait appelé à l'aide. Leur vie a complètement changé après cela et le blond l'a suivi dans l'Impala pour commencer à traquer les fantômes et les manifestations démoniaques. Sam aurait été un brillant avocat s'il était allé jusqu'à passer l'examen du barreau. Il aurait pu mettre les tribunaux à genoux pendant ses plaidoiries, devenir un super-héros des temps modernes. … Peut-être pas mais le châtain sait qu'il aurait été remarquable.
Castiel triture machinalement la petite fiole, achevant de faire tomber les feuilles séchées en poussière dans le fond.
— « J'ai compris que vous vouliez être discrets et je suppose que cela plaide en votre faveur », admet le jeune homme en grattant distraitement le bouchon en métal d'un ongle. « Mais c'est… Je ne sais pas… Je ne sais plus quoi penser de tout ça. De l'argent corrodé et des feuilles de houx presque brûlées… Parfois, je me dis que tout serait plus simple si j'étais vraiment fou. »
— « Ce serait seulement moins terrifiant et cela ne vous rendrait pas heureux pour autant. »
Les mots de Dean claquent comme un fouet dans le jardin d'hiver. C'est péremptoire, ça sonne comme une remontrance mais le châtain déteste entendre la fatalité. Comment peut-on préférer perdre la raison plutôt que d'avoir l'opportunité de comprendre, même si l'explication est franchement étrange ? C'est un peu lâche. Ça devrait mieux se passer que cela.
Il doit avoir l'air particulièrement peu amène car il voit le brun pâlir un peu et baisser les yeux sur ses genoux. Il repose lentement la fiole sur le guéridon.
— « Je suis désolé, je ne voulais pas vous manquer de respect », souffle-t-il d'une petite voix.
Dean grommelle entre ses dents quand Sam lui donne un rude coup dans les côtes et un superbe regard noir. Le châtain enfonce sa tête entre ses épaules, les mains dans ses poches. Les yeux clairs de son frère se font plus orageux encore et Dean roule des yeux d'un air un peu exaspéré. Oui, il est renfrogné, peut-être même un peu boudeur. Et alors ? Ils tournent en rond et quand ils ne sont pas lancés dans une chasse, Dean n'est pas le plus patient des hommes. Alors il boude. Un peu décontenancé aussi de voir que pour une fois, son sourire et son charme ne rassurent pas le brun. C'est dommage parce que Dean trouve Castiel vraiment séduisant. L'échec est une piqûre désagréable faite à son orgueil de bel homme.
Il se mord les joues. La sensation est désagréable, poisseuse et c'est si futile qu'il devient franchement maussade.
— « La confiance est quelque chose qui se gagne », reprend Sam après un silence. « Dean et moi ne pouvons pas vous forcer à quoi que ce soit, cette affaire ne regarde que vous après tout. Enquêter sur une manifestation, c'est toujours intrusif. Cela nous oblige à étudier votre lieu d'habitation, vos habitudes de vie, votre histoire personnelle aussi. Nous fouillons, nous décryptons, nous remuons parfois beaucoup de choses, vous devez en avoir conscience Castiel. On préférerait échanger avec vous en toute confiance mais si vous n'êtes pas près, il vaut probablement mieux qu'on parte. C'est encore trop tôt ou notre présence ici n'est pas nécessaire. »
Dean pince durement les lèvres. Bien sûr qu'elle est nécessaire, Castiel a juste l'appréhension d'un petit animal qui sursaute au moindre bruit et toujours sur le qui-vive.
Le châtain tape nerveusement du pied sur le sol. Il n'est vraiment pas patient. Castiel a les yeux légèrement écarquillés et les lèvres très blanches.
— « Ce n'est pas grave vous savez. Je vous donne notre carte de visite alors si vous changez d'avis, vous pouvez nous rappeler pour convenir d'un autre rendez-vous. »
Soudain, le brun semble revenir à lui.
Il se redresse si brutalement dans son fauteuil qu'il heurte le guéridon. La fiole vacille, tombe dans un petit bruit cristallin et roule jusqu'au bord. Dean se lève et tend vivement la main pour la rattraper avant qu'elle ne tombe sur le sol et ne se brise.
Castiel le dévisage, les mains crispées sur les accoudoirs.
— « Non ! … Non. S'il vous plaît, restez… », s'exclame-t-il d'une voix rauque.
Dean plante son regard dans le sien. Le brun se fige. Il déglutit lentement avant de rougir un peu. Le châtain repose le flacon sur la petite table d'appoint, il reste probablement un peu plus longtemps que nécessaire debout à côté de Castiel.
— « … Je ne vais pas bien. Je suis malade et j'ai peur. Personne ne parvient à m'aider, c'est de pire en pire et je mets même mal à l'aise les gens auxquels je tiens. J'ai besoin… de quelqu'un », avoue brutalement le brun en le regardant.
— « C'est ce que nous pensons mais nous ne sommes peut-être pas les bonnes personnes. »
— « Si, si. J'ai fait confiance à un homme qui disait que son furet apprivoisé pouvait sentir les fantômes. Je peux vous faire confiance. »
Castiel opine farouchement et s'agite dans son fauteuil. Dean ricane. Sûr qu'il taquinera Sam le soir-même en lui disant qu'il n'a pas des antennes mais des moustaches sensibles au surnaturel. Son frère le sait déjà, il lui jette un regard vaguement menaçant qui ne fait que renforcer sa détermination. Le châtain ne va pas le lâcher et cela sera une manière acceptable de finir leur journée.
Dean ne veut pas admettre que le déroulé de cet entretien le déconcerte. Peut-être avait-il songé que le brun le regarderait un peu comme un héros, admirable, beau et fort. Un Chasseur venu le sauver de la chose qui le rend si fragile. Juste une idée vague. Un truc un peu indistinct. Mais pas… comme ça.
Castiel noue ses doigts entre eux dans un geste nerveux.
— « Est-ce que vous en avez envie ? », lui demande Dean du tac-au-tac.
Le brun le regarde, hésite avant de hocher lentement la tête. Ce n'est pas encore un accord franc et massif.
— « Est-ce que vous avez vraiment vu des… choses ? De vraies… choses étranges ? », souffle le jeune homme.
Le châtain fronce les sourcils. La température est plutôt clémente pourtant, Dean a un frisson. Brièvement, il a eu l'impression d'entendre encore des pleurs et de sentir l'odeur des herbes en train de brûler. La question de Castiel est pourtant candide, ses mots sont pudiques. C'est touchant mais cela le ramène quand même à l'horreur de ce moment.
Dean retourne s'asseoir, non sans remettre distraitement le plaid sur les genoux du brun. La couverture a glissé un peu quand il s'agitait dans son fauteuil.
— « Nous en avons vu, plus que vous ne pourriez le croire », lui assure-t-il et Sam hoche la tête d'un air sombre à ses côtés. « On ne soupçonne pas tout le mal et les souffrances qui peuvent exister autour de nous. Les manifestations ne sont pas nécessairement mal intentionnées, elles peuvent souffrir aussi, mais nous avons pu constater que les hommes sont parfois capables du pire par malignité ou par ignorance. »
— « … Des choses comme quoi ? », ose le brun.
Dean esquisse un sourire pour botter en touche mais il y a quelque chose dans ses yeux si bleus qui le désarçonne. Castiel semble avoir vraiment envie d'y croire, de croire en lui alors il n'hésite qu'une seconde avant d'oser à son tour. Sam trouvera bien le moyen de l'arrêter s'il va trop loin.
— « Tout ce que vous avez pu lire sur internet est vrai », reprend-il lentement. « Peu importe le type de site sur lequel vous êtes allé, ils racontent la vérité. Parfois de manière un peu exagérée, parfois dans une version un peu altérée, mais le fond est exact. Ça existe. »
Castiel pâlit un peu.
— « Mais vous disiez que les gens que j'avais fait venir étaient – »
— « Ils le sont. La plupart ont voulu profiter de votre situation et certains pensaient peut-être sincèrement vous aider mais ils en étaient incapables », assène-t-il sans hésitation. « Nous sommes capables d'aller sur la Lune et nous ne voyons les contes, les légendes et les histoires d'horreur que par le prisme du cinéma. Pourtant, ils sont vrais. Si nous partons du principe que les monstres existent, alors leurs chasseurs aussi et le surnaturel peut prendre des formes très différentes. On peut se méfier des émissions de télé-réalité sur le sujet mais il y a vraiment des gens plus sensibles que d'autres. Les animaux aussi. »
Sam se raidit un peu et lui jette un regard mais Dean le rassure d'un sourire. Il sait que son frère n'aime pas que l'on s'étende sur sa sensibilité particulière. Pas d'inquiétude, le châtain ne le fera jamais sans son autorisation. C'est quelque chose de très intime, il ne peut pas piétiner ça.
Castiel tire nerveusement sur le plaid étendu sur ses genoux.
— « Finley adorait courir dans le jardin mais depuis quelques semaines, il gémit quand il entre dans la maison. Parfois, il refuse même de le faire. »
— « Carol nous l'a dit. C'est un indice aussi probant pour nous que le continu abîmé de cette fiole ou la corrosion sur les objets en métal de votre maison. Les animaux domestiques sont de très bons gardiens, presque des génies familiers pour certains. »
Castiel hoche lentement la tête et se gratte la nuque du bout des doigts. Presque furieusement. Dean a l'impression d'entendre ses ongles racler la peau trop fine et trop blanche et au léger tressaillement des paupières du brun, il sait que cela lui fait mal.
Castiel continue pourtant, un peu absent, un peu trop loin.
Le châtain n'aime pas ça. Il faut le ramener à eux.
— « Sam était étudiant à Stanford quand nous avons eu affaire au surnaturel pour la première fois. »
Le regard de son frère lui brûle le visage mais il n'ajoute rien. Dean reste concentré sur le brun qui vient de se figer et de sortir les doigts du col de sa chemise. Bien. Il a à nouveau toute son attention.
— « Un groupe d'étudiants avait trouvé amusant de faire de la sorcellerie pour décompresser le week-end en espérant voir leurs souhaits se réaliser. Ils se sont laissés embarqués et les choses leur ont complètement échappé. Une véritable histoire à la Buffy contre les vampires », poursuit le châtain d'un ton clinique.
— « … C'est une autre chasseuse ? », demande Castiel un peu naïvement.
Dean rit doucement. Vraiment ? C'est plutôt mignon cette ignorance. Qui aurait pu dire que, des années bien après son béguin d'adolescent pour David Boreanaz, il passerait une partie de son temps à faire un peu la même chose. Sam serait son Gilles, aux vestes en velours avec empiècements sur les coudes et de fines lunettes. Cette idée le fait sourire.
— « Buffy est l'héroïne d'une série télé des années 1990. »
Castiel rosit un peu de confusion. Ça aussi, c'est attirant.
— « Cette histoire à Stanford est devenue notre première affaire d'une certaine manière. Un étudiant s'est suicidé sur le campus et il était mon ami », poursuit Sam avec pudeur. « Je savais qu'il n'aurait jamais fait ça mais personne ne voulait m'écouter, le corps administratif disait simplement qu'il était déprimé, alors j'ai commencé à enquêter de mon côté. J'en sentais que quelque chose n'allait pas. Dean est immédiatement venu me rejoindre quand je l'ai appelé pour lui en parler. Dans la famille Winchester, on fait confiance à son instinct. » Il baisse les yeux. « … Nous avons un peu été dépassés par ce à quoi nous avons été confrontés mais nous avons réussi à y mettre un terme. Après cela, plus rien ne pouvait être comme avant… »
Dean plisse les lèvres et hoche la tête d'un air un peu amer.
Il cherche machinalement sa chaîne autour de son cou du bout des doigts et sa croix en argent avant de se souvenir qu'elle se trouve dans la fiole en verre.
Cette semaine passée à arpenter le campus de Stanford pour aider Sam, à répondre d'un sourire aux œillades intéressées des étudiants et des étudiantes, avait été le début de tout. Et la fin aussi d'une certaine manière. Son petit frère si intelligent et prometteur avait achevé son master en droit à Stanford avant de renoncer à entrer dans une Law School pour obtenir son Juris Doctor.
Ensemble, ils avaient découvert autre chose. L'effarement, la colère. La vraie peur, viscérale et primitive.
Le club de sorcellerie avait été une simple distraction pour Elle.
En tentant de les confondre dans une salle de classe inutilisée, ils avaient Vu ce qu'ils ne pensaient jamais Voir. Une sorcière. Une vraie. Ses yeux étaient sombres comme l'enfer, son rire semblait venir d'outre-tombe et sa voix contenir tout la corruption du monde.
Cette nuit-là, Sam et Dean avaient connu la vraie terreur et parfois encore, les deux frères en cauchemardent. Ils le lisent dans le regard de l'autre au matin mais n'en parlent pas. Stupide pudeur et retenue masculine.
Puis il y avait eu le pacte atroce, noué entre eux entre un grand tableau noir et un vieux bureau en bois auquel il manquait un tiroir. Bâti en chêne, placage en bois d'acajou et poignées en cuivre. Une structure solide aux formes vaguement anciennes, probablement une copie contemporaine d'un meuble du début du XXe siècle. Le châtain s'en souvient encore parfaitement, Dieu seul sait pourquoi.
Le corps de la sorcière qui avait été une étudiante blonde aux yeux bleus gisait sur l'estrade en bois.
La tempe gauche enfoncée sur l'angle du bureau et un filet de sang salissant ses cheveux.
Morte sur le coup dans sa chute.
Le regard égaré et un peu hanté de Sam est gravé au fer rouge en lui. Et le bruit de sa respiration, hachée et difficile comme s'il ne savait plus comment faire.
Julia Brandi, quatrième année de littérature comparée, était tombée en arrière. Elle s'était cognée contre le bureau et elle était morte.
Ça avait été un accident. Ou de la légitime défense. Une réaction incontrôlée de panique. La vengeance parce qu'elle avait tué son ami pour quelque chose d'aussi futile qu'une excellente note obtenue à un devoir. Sam l'avait peut-être poussé. Ou pas. Aucun d'entre eux ne sait plus vraiment. Ils étaient juste… terrifiés.
Ça non plus, Dean n'oubliera jamais.
La suite un peu floue même des années après mais le châtain ne se rappelle qu'une seule chose, viscérale. Protéger Sam. Effacer leurs traces. Prévenir les autorités pour être le seul dont le nom apparaît dans les dossiers. Le reste s'approche du néant.
Sam lui donne un léger coup de coude dans les côtes. Dean cligne des yeux. Il a l'impression de sortir d'un rêve désagréable. Son frère lui sourit gentiment, ils pensent à la même chose mais le châtain replonge quand même.
Ce que Sam et lui ont fait ensemble cette nuit, profondément enfoncés dans un bois à côté du campus de Stanford, a été comme signer une nouvelle fois en bas du contrat mais en lettres de sang.
Ils avaient emporté tous ce qui aurait pu les compromettre et sans doute un peu plus dans la panique, en abandonnant le corps derrière eux. Bien plus tard, ils ont appris qu'ils auraient dû le brûler après l'avoir salé pour s'assurer que la créature ne revienne pas. Comment auraient-ils pu le savoir à cette époque ? Comment auraient-ils même pu le faire ?
Protéger Sam.
Dean se souvient de son petit frère, debout à côté de lui qui tremblait de tous ses membres. L'air embaumait des parfums des herbes en train de brûler, des artefacts bizarres qui se consumaient devant eux et qu'ils avaient pris à la sorcière pour protéger les étudiants de Stanford.
L'un d'entre eux était fait avec quelque chose qui avait été vivant un jour. De la chair, du sang, des cheveux. L'odeur avait été atroce et Sam avait couru derrière un arbre pour vomir. Dean s'était mordu les joues jusqu'au sang pour contenir sa propre nausée.
Il était l'aîné, il devait veiller sur lui. Pour tout et pour toujours.
Dean déglutit lourdement, la gorge un peu serrée.
Marc Fletcher n'obtiendrait jamais justice, Julia Brandi serait victime d'un simple accident et tous la pleureraient sincèrement. Ça aussi, ça avait été difficile.
Le châtain relève les yeux et croise le regard si bleu de Castiel. Ni Sam ni lui n'ont jamais parlé à personne de ce qu'ils ont réellement fait cette nuit-là, ou presque pas. Au fonds de lui reste l'angoisse qu'un jour, les choses changent et que Mary et John Winchester l'apprennent. Cette idée le paralyse parfois.
Sam se racle la gorge, aussi sèche que la sienne.
— « Après cette histoire à Stanford, j'ai fini mes études mais Dean et moi n'avons pas pu faire comme si de rien n'était. Je lisais la presse et je voyais des cas étranges partout. Il m'a encore suivi et c'est devenu notre vie à présent. Avec toutes ces choses que nous gardons en nous, tous ces souvenirs et ces cicatrices. »
Dean a une dernière pensée pour son petit frère, à son grand corps recroquevillé alors qu'il pleurait silencieusement dans l'Impala quand le châtain les ramenait à Stanford depuis Huddart Park.
En face de lui, Castiel se frotte les yeux d'une main lasse.
C'est suffisamment distrayant pour lui faire oublier l'odeur de terre mouillée et de végétaux pourris dans les bois, son tee-shirt trempé de sueur qui collait à son torse et lui donnait l'impression de l'empêcher de respirer. Cette nuit-là, il pleuvait à torrent sur Stanford. Il n'avait pas protesté quand Sam et lui s'étaient enfermés dans l'Impala et avaient trempé les vieux fauteuils en cuir. La seule et unique fois.
Le brun baille discrètement dans sa paume et lisse le plaid sur ses genoux. Dean doit se concentrer.
— « Vous êtes devenus des… chasseurs après ça ? Rien ne vous obligeait à le faire pourtant. »
Le châtain hausse légèrement les épaules.
— « On ne peut pas oublier le genre de choses qu'on a vu », répond-il en frottant machinalement sa nuque. « Sam avait besoin de comprendre alors il a cherché, exactement comme vous pour avoir des réponses. Il a visité des sites qui ont infecté son ordinateur de virus plus de fois que je ne peux m'en souvenir mais il est obstiné alors il a fini par trouver. Nous avons compris que nous n'étions pas seuls et je suppose qu'avoir l'impression d'être initié à quelque chose de spécial impose des responsabilités. »
Son frère ricane et Dean sent son regard malicieux lui brûler la joue. Oui, il cite vaguement Spider-Man. Et alors ? Le jeune homme jette un coup d'œil à Castiel. Il espère le dérider un peu, lui faire baisser sa garde. Peut-être le faire sourire voire le faire rire mais le brun se contente de pencher légèrement la tête sur le côté. Il ne comprend pas. C'est vrai que Castiel ne sait pas qui est Buffy la chasseuse de vampires, Dean aurait dû s'en douter.
— « Je suppose que c'est assez admirable de votre part », reprend finalement le brun après un long silence. « Vous menez une vie difficile et personne ne sait que vous existez ni combien vous aidez les gens qui en ont besoin. »
— « Alors vous nous croyez ? », demande Dean.
Castiel rougit un peu et baisse les yeux sur ses genoux.
— « Un peu plus qu'à votre arrivée », reconnaît-il timidement avant d'inspirer profondément. « … Je veux bien essayer une dernière fois. Avec vous. »
Sa voix faiblit un peu sur ses derniers mots. Dean lui sourit gentiment avant que Castiel ne détourne pudiquement les yeux pour cacher un peu son trouble et son émotion. Lui aussi a entendu le léger tremblement de sa voix, ce trémolo malencontreux.
— « Merci de nous faire confiance », lui dit doucement Sam. « Je ne vous cache pas que cela sera peut-être plus long et moins facile que vous ne le pensez mais vous devez garder espoir. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour vous aider. »
— « … D'accord. » Le brun déglutit et tire nerveusement sur le plaid. « … Je serai patient mais j'ai peur de ne pas être assez fort s'il faut tout recommencer. Je suis désolé mais je suis si fatigué. »
— « Cela n'arrivera pas. Nous prenons cette affaire dès aujourd'hui et nous ne quitterons Butler qu'après l'avoir mené à terme. »
La voix de Dean est pleine d'assurance. Elle cache bien ce que ni lui ni Sam ne peuvent encore dire à Castiel. Parfois, les choses se passent mal. Parfois, la résolution de leur enquête n'est pas ce que leur client espérait. Parfois, il n'y a pas de vainqueur si ce n'est la grande Faucheuse. Cela ne leur est jamais arrivé en presque quinze ans mais les deux frères sont les mieux placés pour savoir que le mal est comparable à un gouffre sans fond. Quand on y plonge, la descente peut être longue.
Castiel acquiesce lentement.
— « Est-ce que je dois signer l'autre partie du contrat dès maintenant ? »
— « Vous pouvez encore réfléchir si vous le désirez », dit poliment Sam.
— « Je ne veux pas continuer à y réfléchir. Donnez-le-moi maintenant s'il vous plaît. »
Le blond ouvre à nouveau sa sacoche et en sort l'autre imprimé en double exemplaires. Il se lève de la banquette et vient s'asseoir à côté de Castiel dans le fauteuil voisin.
Le brun le remarque à peine.
Il frissonne violemment et se recroqueville imperceptiblement sur lui-même, sa respiration un peu hachée. Sam fronce les sourcils, jette un regard alentour dans le jardin d'hiver avant de se concentrer à nouveau sur lui.
— « Voici notre contrat de travail type. Il détaille vos engagements envers nous en tant qu'employeur, mentionne le montant de nos honoraires ainsi que les frais annexes que vous engagez à prendre en charge. Cela comprend notamment l'hébergement ou encore d'éventuels frais de déplacement », explique Sam en feuilletant un imprimé avec lui.
Castiel opine à intervalle régulier. Dean voit ses yeux bleus parcourir rapidement les paragraphes en même temps que les explications de Sam. Le brun lit vraiment très vite. Dans ce corps épuisé et émacié vibre un esprit vif, acéré et intelligent. Se sentir ainsi pris au piège dans sa propre enveloppe corporelle doit être insupportable.
Sam achève de détailler les termes du contrat mais Castiel a déjà pris le stylo pour signer.
— « C'est d'accord, je suis d'accord sur tout », s'empresse-t-il de dire d'un ton un peu fiévreux. « Je ne veux plus être comme ça. Je veux me sentir comme avant et retrouver ma vie. Pour ça, j'ai besoin de vous alors je payerais tout ce qu'il faut. »
Alors que la pointe du stylo effleure le papier, Castiel émet un sifflement haché de douleur. Il frissonne une nouvelle fois et se plie en deux dans son fauteuil. Sam le regarde avec inquiétude alors que Dean s'est à moitié levé de la banquette, prêt à l'aider. Le brun crispe les doigts sur les accoudoirs en rotin et y enfonce les ongles. Sa mâchoire est douloureusement contractée.
Castiel frotte machinalement sa poitrine du plat de la main.
À côté de lui, Sam se fige. Il ne quitte pas le jeune homme du regard. Dean ne sait pas ce qu'il est censé faire. Son frère est en train de sentir quelque chose et Castiel souffre. Vraiment.
— « Est-ce que tout va bien ? », demande maladroitement le châtain.
Le jeune homme relève les yeux sur lui, ses prunelles sont légèrement brouillées par la douleur et la peur. Cette lueur, Dean la connaît par cœur. Castiel jette lentement un regard dans son dos, derrière son épaule. Comme pour voir quelque chose. Surveiller quelqu'un.
Sam ne le quitte pas du regard, silencieux et le regard étrangement fixe.
— « … Ça va », lui répond-il lentement. « Je… Je vais les signer, je dois le faire. »
Castiel se redresse et resserre ses doigts sur le stylo. Une fine sueur perle sur ses tempes et à la racine de ses cheveux, son teint est plus crayeux que jamais. De son autre main, il gratte aussi frénétiquement sa nuque.
Le brun cale les imprimés sur ses genoux et signe le premier d'une manière qui laisse Dean un peu admirative. Sa signature est beaucoup plus brouillonne, une sorte de petit pâté noir malgré les essais dont sont couverts les marges de ses cahiers de lycée quand il s'ennuyait. Mary les conserve amoureusement comme de précieuses reliques et Sam ricane toujours quand il les feuillette. Castiel signe comme un roi. En quelque sorte.
Le brun lui tend le premier exemplaire et les deux frères le paraphent à leur tour mais au moment de signer le second, il se raidit.
Dean voit le jeune homme pâlir puis rougir légèrement. Un petit gémissement lui échappe. Quelque chose de presque… lascif.
Castiel rougit plus fort et papillonne légèrement des yeux, le regard un peu flou. Il tire sur son polo, comme pour se débarrasser de quelque chose qui le gênerait. Ou de quelqu'un. Le souffle du brun semble plus chaud, Dean a presque l'impression de le sentir sur son visage. Il y a un peu plus de vie qui palpite dans son corps. Les fins poils clairs qui couvrent ses avant-bras se hérissent légèrement et il se mord les joues. Castiel respire fort avant d'étrangler maladroitement une sorte de petit hoquet plein de honte et de quelque chose de plus insidieux.
Sa main tremble quand il tente une nouvelle fois de signer le deuxième exemplaire.
— « Je… Excusez-moi, je n'y arrive pas… », souffle-t-il.
Sam jette un regard à Dean et celui-ci se redresse, les épaules raides. Il y a quelque chose. Avec eux. Quelque chose qui bouleverse Castiel et lui fait faire ces petits bruits étranges, gênants et un peu humiliants.
Le brun frissonne encore une fois, Sam lui retire lentement le stylo et le contrat des mains.
— « Il n'y a rien d'urgent. Vous en avez signé un, nous pouvons considérer que nous sommes officiellement engagés. Vous allez garder le premier exemplaire et nous signerons le second plus tard », lui dit-il.
— « Ça ne vous protège pas dans votre travail », croasse Castiel.
— « Ce n'est que partie remise. »
Sam touche inconsciemment sa médaille en argent par-dessus le tissu de son vêtement. Un geste qu'il fait pour se rassurer et se sentir protégé. Dean sent sa poitrine se pincer d'inquiétude. Ce n'est pas bon signe.
Castiel inspire et expire profondément comme pour tenter de retrouver sa respiration.
— « Pouvons-nous continuer à discuter dans une autre pièce de la maison ? J'ai l'impression de sentir un courant d'air dans mon dos et j'ai froid », leur demande-t-il d'une petite voix.
Dean et Sam acquiescent. Cette pièce claire, avec ses vitraux, sa mosaïque au sol et son mobilier en rotin les met maintenant un peu mal à l'aise.
Le blond rassemble leurs affaires tandis que son frère s'approche de Castiel pour l'aider. S'il pensait que voir le brun, aussi petit et englouti par son plaid pelucheux était la chose la plus désagréable qu'il pouvait voir, Dean réalise qu'il se trompait lourdement. Le brun s'appuie à deux mains sur les accoudoirs mais il peine à se lever seul. En réalité, il n'y arrive pas. Il souffle fort, fronce les sourcils et le châtain a presque l'impression de voir ses muscles un peu trop fins se bander sous l'effort. Sans succès. Un homme de quarante ans, incapable de soulever seul le poids de son propre corps amaigri.
Castiel s'obstine et se fatigue inutilement. C'est douloureux à voir alors Dean pose doucement une main sur son épaule. Seigneur, elle est si fine sous le coton de son polo.
— « Est-ce que je peux vous aider ? », lui demande-t-il gentiment.
Le brun hésite avant de hocher timidement la tête. Dean prend sa main dans la sienne pour le tirer doucement à lui. Sa peau est si froide sous la sienne, ses doigts si fins. Ça a quelque chose de morbide qui lui tord l'estomac.
— « Merci. Allons dans le salon bleu, c'est celui à droite du vestibule », dit le brun.
Dean acquiesce. Il garde la main de Castiel dans la sienne et pose l'autre dans le bas de son dos pour l'accompagner. C'est peut-être un peu trop intime pour un premier contact mais le brun ne proteste pas. Ses pas sont petits et lents, très prudents. Il s'accroche presque désespérément à lui pour se soutenir et se guider. Dean va à son rythme, les yeux attentivement fixés sur lui pour l'accompagner. Il laisse Sam les précéder dans le couloir.
Sur le seuil du jardin d'hiver, Castiel jette un nouveau regard par-dessus son épaule, un tic nerveux agitant la commissure de sa bouche.
Encore cette impression de malaise, son corps qui se crispe et sa respiration qui a un raté.
Soudain, Dean se fige. Le brun a tourné la tête et il voit sa nuque. De petits cheveux noirs la balayent doucement mais malgré leur rideau sombre et le col un peu trop lâche de son polo, le jeune homme la voit.
Une morsure.
La peau est marbrée de nuances écœurantes de bleu, de violet et de jaune. Malgré le début de cicatrisation, elle est si profonde et si précise que le châtain peut compter le nombre des dents.
Le ventre tordu, il voit Castiel lever une main et gratter une nouvelle fois sa chair, égratignant fébrilement la peau martyrisée. Ses fines épaules sont agitées d'un frisson qui le fait crisper ses doigts sur ceux de Dean.
Les deux hommes reprennent lentement leur marche jusqu'au salon, Castiel se laisse presque tomber sur un des canapés. Le châtain s'assoit spontanément à côté de lui tandis que Sam s'installe sur un fauteuil voisin.
— « Que s'est-il passé dans le jardin d'hiver ? », lui demande lentement le blond. « Vous n'aviez pas froid, vous avez fui. »
Castiel cligne les yeux.
— « … Je ne voulais plus rester là-bas, c'est tout. »
— « Il s'est passé quelque chose », insiste Sam en reposant sa sacoche sur le sol.
Le brun enfonce légèrement sa tête entre ses épaules et garde le silence. Dean soupire.
— « Nous vous avons parlé plusieurs fois de confiance et d'honnêteté. Nous ne jugeons personne. Ni ce qu'ils sont… ni ce qu'ils font », ajoute-t-il après une hésitation.
Castiel lui jette un regard un peu interdit. Le châtain montre maladroitement sa propre nuque d'un doigt.
— « J'ai vu la marque dans votre nuque », reprend-il et les mots lui éraflent la gorge. « Chacun est libre de faire ce qu'il désire tant que c'est consenti et partagé. »
— « Je ne comprends pas », répond le brun en penchant la tête sur le côté.
Dean grommelle légèrement.
Bon sang, il n'a pas envie de dire ça. Il n'a pas envie de creuser la question et que le brun lui parle du ou de la partenaire qui lui a fait ça lors d'une étreinte passionnée. Lui-même n'a rien contre les marques d'amour, il le fait sur le corps des personnes qu'il a pu fréquenter. Dean aussi aime goûter, lécher, mordiller. Certains riaient parce que ça les chatouillait quand d'autres refusaient obstinément. Mais la morsure de Castiel a dû être très douloureuse et cette idée le met mal à l'aise. Sam et lui sont confrontés un peu trop à des choses laides pendant leurs enquêtes pour envisager de façon sereine une pratique consensuelle de la douleur.
Il fronce les sourcils.
— « La marque de morsure. Elle est profonde », se racle-t-il la gorge. « Mais comme je l'ai dit, chacun est libre de faire ce qu'il veut. »
— « … La… morsure ? »
La voix de Castiel est blanche et son visage particulièrement blême. S'ils étaient encore debout, Dean aurait resserré sa prise sur sa main de peur qu'il ne tombe. Et enveloppé plus fort un bras autour de sa taille. Même assis sur le canapé, le châtain voit son voisin vaciller dangereusement sur le canapé. Il n'hésite pas et enroule immédiatement ses doigts autour de son coude pour le retenir.
Le regard que lui jette Castiel est hanté.
— « Vous n'aviez pas remarqué ? Elle est là, juste en dessous de l'implantation de vos cheveux. »
Dean montre l'emplacement d'un doigt. Le brun se décompose un peu plus.
— « … C'est impossible », chuchote Castiel d'une voix si faible qu'elle est presque inaudible. « Ce n'est pas possible, je me suis griffé dans mon sommeil il y a plusieurs nuits. J'ai saigné, c'est la seule explication possible. Je n'ai fait que le rêver. Il… Il n'était que dans mon rêve. »
Cette fois, le brun semble proprement terrifié. Dean jette un regard à son frère mais ce dernier a sorti son carnet de bord. Penché sur ses genoux, il note frénétiquement à l'intérieur.
— « Qui était dans votre rêve ? », lui demande le châtain.
— « Lui. Toujours Lui. Il est toujours dans mes rêves et Il m'assaille la nuit. Il est dans ma chambre, Il est dans… dans mon lit, avec moi. Tout le temps. Mais Il n'est pas… réel. »
Castiel s'agite. Ses paroles sont décousues, ses pensées difficiles à suivre mais les deux frères comprennent. Le brun regarde devant lui d'un air absent, il semble avoir oublié qu'il n'est pas seul dans le salon.
— « Il m'a mordu parce que j'ai refusé de dire que – Je ne voulais pas et Il m'a mordu. J'ai eu tellement mal que je me suis réveillé et je saignais du nez. Il y en avait partout. »
D'accord. D'accord.
Dean déglutit et se tourne vers le brun. Il tente de capter son regard mais n'y parvient pas. Les prunelles de Castiel sont comme folles. Le châtain prend doucement son menton entre ses doigts pour l'obliger à le voir et l'aider à se concentrer sur lui.
Les yeux du brun se plantent soudain dans les siens. La pupille est si dilatée par la peur qu'elle mange presque la totalité de l'iris si bleu.
Le châtain lui sourit d'une manière rassurante. Peut-être que son pouce s'égare aussi un peu sur la mâchoire barbue en une légère caresse. Peut-être.
— « Qu'est-ce que vous avez refusé de dire ? », lui demande-t-il d'un ton calme. « Qu'est-ce qu'Il voulait vous faire dire ? C'est Lui qui vous a dicté les mots qu'Il voulait entendre, n'est-ce pas ? »
— « … Je ne veux pas les dire », chuchote le brun d'une voix brisée.
Dean sourit.
— « Ce n'est pas Lui qui les écoutera mais moi. Vous n'êtes pas seul Castiel, Sam et moi sommes là pour vous aider. Dites-les-moi, s'il vous plaît. Je dois le savoir. »
Castiel déglutit. Il détourne légèrement le regard mais Dean serre doucement son menton entre ses doigts pour l'ancrer à nouveau avec lui.
— « … Il m'a dit que je suis à Lui et que je Le suivrai quand le moment sera venu », murmure-t-il et ses doigts se crispent sur son poignet. « … Je L'ai senti tout à l'heure dans le jardin d'hiver. Il ne veut pas que vous soyez là. »
Son chuchotement meurt dans le silence étouffant, presque poisseux, qui imprègne le salon.
— « Il ne veut pas que je signe le contrat tout à l'heure, Il a tenté de m'en empêcher », poursuit Castiel d'un air absent.
— « Comment ? Comment a-t-Il fait ? »
Le brun déglutit et rougit légèrement.
Dean caresse une nouvelle fois sa mâchoire en guise d'encouragement. Il ne doit pas s'arrêter. Castiel est en train de leur raconter des choses trop importantes.
Le brun ouvre la bouche, hésite mais il rougit plus fort encore. Dean sent sa peau se réchauffer sous ses doigts et ses oreilles devenir un peu rouges. Il a envie de les effleurer pour voir si elles sont aussi chaudes au toucher.
— « Comment a-t-Il fait, Castiel ? », répète gentiment Dean. « Sam a raison, vous avez fui du jardin d'hiver tout à l'heure. »
— « … J'ai senti Ses mains sur moi. Il m'a touché, Il m'a fait mal. Il était à mes côtés », avoue finalement Castiel.
Ses épaules s'effondrent. Le brun vacille un instant, déglutit et se penche légèrement vers Dean d'un air de confidence.
— « … Je ne suis pas seul ici. »
Castiel a l'air sur le point de s'effondrer.
Dean opine. Il lâche doucement son menton, desserre gentiment l'étreinte crispée de ses doigts sur son coude et recule en lui souriant gentiment.
Le brun plante son regard bleu dans le sien et ne le quitte pas des yeux.
— « … Je ne suis pas seul ici », répète-t-il lentement.
Tentative pour se convaincre. Peut-être de le convaincre aussi.
— « Je sais. »
Dean se penche pour fouiller dans la sacoche de Sam. Il en ressort la fiole, l'ouvre pour en retirer la croix en argent et la remettre sur la chaîne de sa médaille. Tant pis pour la corrosion, il la nettoiera plus tard.
— « Est-ce vous avez quelque chose de semblable ici ? », lui demande-t-il en lui montrant le bijou.
Castiel le regarde avant de secouer la tête.
— « Gardez la mienne jusqu'à ce qu'en vous en trouve une autre », dit-il en lui tendant la chaîne. « La médaille et la croix ont été bénites, ensemble elles vous protégeront un peu mieux. »
Le brun hésite, alors Dean lui passe d'autorité la chaîne autour du cou. Castiel prend les deux pendentifs pour les regarder, louchant adorablement dessus.
— « Saint Michel sauroctone. »
— « Oui, le saint tueur de dragons. Il est une des formes du mal et les entités mauvaises n'apprécient pas son vainqueur. »
Sam joue à nouveau nerveusement avec sa propre médaille. Dean l'interroge du regard. Son frère hésite avant de secouer la tête. Non, il ne sent rien de particulier. Quoi que ça pouvait être, c'est fini.
Le jeune homme fronce les sourcils de frustration. Une chose qui provoque une telle terreur chez Castiel, capable de marquer son corps, et Sam ne sent rien ? Dean n'a pas envie d'accabler son frère mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Le brun joue distraitement avec la chaîne.
— « Et vous ? », lui demande-t-il un peu timidement.
— « Vous en avez plus besoin que moi. J'ai un tatouage pour me protéger aussi, tout comme Sam. Je peux me passer de ma médaille pour le moment. »
Le brun opine lentement. Il enroule toujours ses doigts dans les maillons, un peu absent.
— « … Je suis désolé. Je crois que j'ai un peu paniqué mais je… j'étais certain d'avoir rêvé. Que je m'étais égratigné pendant la nuit. Cela m'arrive souvent, j'ai des marques sur le corps le matin et… »
Castiel écarquille les yeux et pâlit une nouvelle fois.
— « À quoi ressemblent-elles ? », demande Dean.
— « … Ce sont des griffures, des marques d'ongles parfois. Comme des… »
Le brun déglutit et rougit. C'est un mélange étrange de voir ses oreilles aussi rouges et ses joues aussi blêmes.
Dean fronce les sourcils et pince les lèvres. Comme des marques faites pendant l'amour. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que cette chose, ce Il qui lui fait si peur, a la forme d'un homme et lui donne du plaisir la nuit.
Le châtain plisse les yeux tandis qu'il contemple le salon. Son regard s'arrête sur chaque objet qui meuble la pièce, chaque œuvre d'art. Il fouille les ombres, les coins et les recoins pour tenter de Voir quelque chose. Sans succès.
Il regarde Sam. Et maintenant ?
Dans la pièce, un vase en porcelaine vacille un instant avant de tomber. Castiel sursaute violemment tandis que Dean fusille le pauvre objet du regard. Enfoiré de… quoi que ce soit.
Il claque ses paumes sur ses cuisses et le brun sursaute une nouvelle fois de surprise à côté de lui.
— « Vous avez confiance en nous ? », lui répète-t-il en plongeant son regard dans le sien et Castiel acquiesce. « Sam, on prend le sel et on sécurise la maison. Je vais chercher ce qu'il faut dans l'Impala. »
Sur le seuil du salon, Dean sourit au brun, les clés de la voiture à la main.
— « Tout va bien se passer, les Winchester se mettent en chasse. Il est temps de calmer un peu les ardeurs de cette saloperie », dit-il d'un ton bravache
Castiel acquiesce un peu timidement tandis que Sam roule des yeux.
Dean court presque dans l'allée pour rejoindre la voiture, ouvre brutalement le coffre. Il fouille presque frénétiquement à l'intérieur. Le jeune homme en sort un énorme sac de sel, ronchonne en remarquant qu'il est à moitié vide et donc insuffisant pour protéger toute la maison, puis une grande bouteille d'un litre et un sac en toile. Lourdement chargé, Dean remonte l'allée avec le même empressement.
Sam frère hausse un sourcil malicieux quand il dépose son chargement sur la table basse.
— « Tu as pris tout ce qu'on avait dans le coffre ? »
— « Mieux vaut trop que pas assez. Sel dans chaque coin du salon, une pierre d'obsidienne dans chaque pièce Sam » Il se tourne vers Castiel. « Est-ce que vous avez des bénitiers dans vos antiquités ? Ou des crucifix ? »
— « Oui. Il y en a un en faïence dans le salon voisin. … Vous allez le remplir d'eau bénite ? », lui demande-t-il d'un ton un peu incertain.
— « C'est mieux que dans un bol. Les symboles religieux qui ornent le bénitier renforceront ses propriétés. »
— « D'accord. »
Le brun esquisse une petite moue un peu résignée et Dean s'active en même temps que Sam. Alors qu'ils sont en train de déposer de petits tas de sel aux quatre angles de la pièce, le blond frissonne. Dean contient son ricanement de satisfaction. Ça agite ce truc et le dérange ? Tant mieux.
Castiel joue toujours avec la chaîne et ses pendentifs, confortablement calé contre les coussins du canapé.
— « Je pensais que le sel et l'eau bénite étaient du folklore », dit-il doucement.
— « Tout le monde le pense. Certaines pierres ont aussi des propriétés purificatrices et elles ont l'avantage de ne pas pouvoir s'altérer. Je pense que c'est un bon début. », rit légèrement Dean en lui jetant un regard en coin. « Sam et moi allons faire la même chose dans les pièces que vous occupez le plus souvent et où vous Le sentez le plus fortement. »
— « Vous devez aller dans ma chambre… »
— « Oui. Vous devez retrouver des forces pour être plus fort et lutter avec nous. Il faut qu'Il vous laisse en paix la nuit et qu'Il cesse de vous faire du mal. »
Sam hésite un instant avant de tendre au brun le dernier exemplaire du contrat à signer. C'est sans doute maladroit mais Dean sait que de manière pragmatique, son frère cherche seulement à protéger tous les participants concernés. Castiel s'exécute, le châtain et Sam également.
Une grosse pendule ornée de bronze doré posée sur le manteau de la cheminée du salon sonne dix-sept heures. Dean hausse un sourcil surpris. Déjà ?
— « Nous allons protéger votre chambre puis Sam et moi vous laisserons pour aujourd'hui. Nous devons commencer nos recherches », dit-il en cherchant l'accord de son frère dans son regard.
— « …Vous devez vraiment partir maintenant ? », demande Castiel d'une petite voix. « Et quelles recherches voulez-vous faire ? Je peux vous dire tout ce que je sais. … Nous devons aussi manger la tarte à la cerise. »
La proposition est si surprenante que Dean ne peut s'empêcher de rire. C'est avec le plus grand regret qu'il doit refuser car le regard de Sam est clair. Ils doivent vraiment se mettre au travail.
— « Carol nous a dit que vous aviez fait des recherches sur cette maison. Si vous acceptez, j'aimerai beaucoup jeter un coup d'œil à votre dossier », lui demande gentiment le blond.
Castiel acquiesce et se lève lentement. Il n'ajoute rien mais il a compris que la réponse de Sam est un refus poli. Son regret est si évident que Dean a vraiment envie de contredire son frère.
— « Je reviens, je vais le chercher dans le bureau », souffle-t-il.
Dean ne le quitte pas des yeux jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'embrasure du salon suivant. Il passe une main sur sa nuque.
— « Bordel, qu'est-ce qu'il s'est passé Sam ? Tu n'as rien senti dans le jardin d'hiver ? », siffle-t-il.
Son frère lui jette un regard noir.
— « Tu n'as pas le droit de me reprocher quoi que ce soit, tu sais très bien que je ne sens pas systématiquement quelque chose. Il n'y avait peut-être rien ou alors l'entité sait se faire plus discrète que les autres. »
— « Rien du tout ? Tu te fous de moi ? Tu as vu l'état dans lequel Castiel était ? », grince Dean. « Et tu n'en as peut-être pas conscience mais tu n'arrêtais pas de toucher ta chaîne. Tu le fais encore et c'est le signe que tu es nerveux. »
Sam se fige et retire ses doigts, les sourcils froncés d'agacement. Il se mord les joues.
— « … C'est flou, je n'arrive pas réellement à mettre de mots dessus. Il y a quelque chose mais c'est plus une sensation un peu poisseuse, un peu comme si j'étais dans une cave sans fenêtre. Ça n'a pas vraiment de sens. »
Dean hausse un sourcil. D'habitude, son frère est plus loquace que ça quand il s'agit de ses intuitions. Les deux frères se regardent.
— « Il faut que nous en sachions plus Sammy. Cette chose l'a mordu. Nous n'avons jamais vu une telle interaction entre une entité et un humain, surtout aussi rapidement et avec une telle force. Cette morsure va mettre des jours à disparaître et je me demande s'il ne va pas garder une cicatrice. »
— « Je sais », siffle son frère. « Je fais ce que je peux mais j'ai l'impression qu'elle ne veut pas que je la voie. Je n'arrive pas à savoir comment Castiel peut La sentir sur lui et pas moi alors que je suis juste à côté. »
Dean reconnaît le frôlement doux et discret des pieds du brun sur le parquet, il se tait. Castiel marche cahin-caha jusqu'à eux, les bras chargés d'une petite caisse qui semble très lourde. Le châtain la lui prend des mains pour l'aider et la pose sur la table basse. Sam a déjà la main dedans, feuilletant des ouvrages reliés, plusieurs pochettes cartonnées et un épais cahier à spirales.
— « Vous avez fait énormément de recherches. »
— « Quand je cherchais une maison à Butler, j'ai immédiatement aimé celle-ci. J'ai su qu'elle était pour moi », lui répond Castiel en se rasseyant lentement.
— « Elle vous a attiré ? », tente Dean.
Le brun esquisse un sourire et secoue lentement la tête.
— « Pas au sens où vous l'entendez, je l'ai juste trouvé très belle. J'aime son architecture. J'ai pensé qu'elle est l'écrin parfait pour mon nouveau magasin, rien de plus. J'avais repéré deux autres propriétés en ville que j'aurai très bien pu acheter si celle-ci n'avait plus été disponible, j'aurais très bien vécu sans. J'y étais très bien jusqu'à… » Le brun se mord les joues. « Vous devez vraiment partir maintenant ? Je ne Le sens plus mais Il va revenir… Et Il va se venger sur moi. »
— « Ne quittez pas mon collier et Sam et moi allons purifier et protéger votre chambre », le rassure Dean. « Souhaitez-vous rester ici pendant que nous le faisons ? »
Castiel secoue vivement la tête.
— « Je préfère monter avec vous. Je suis fatigué, je vais aller m'allonger un peu. »
Dean se lève et lui tend la main, un sourire un peu gêné aux lèvres. Castiel hésite un instant avant de la prendre délicatement. Le châtain le hisse sans peine sur ses pieds et pose à nouveau sa main sur ses reins pour l'aider. L'un contre l'autre, ils montent péniblement les escaliers, suivi par Sam. Quand ils arrivent devant la porte de la chambre du brun, à gauche au bout du palier, ce dernier a les tempes moites de sueur et la peau cireuse à cause de l'effort.
Dean ouvre la porte en le gardant contre lui.
Il ne sait pas réellement à quoi il s'attendait mais étrangement, la pièce est exactement comme il aurait pu l'imaginer. Elle est grande, avec un mobilier ancien en bois, peut-être de l'acajou. Des éléments plus contemporains rendent l'ensemble moins sévère. Un tapis crème en descente de lit, une banquette aux lignes épurées, des coussins de très bon goût. Le linge est clair, comme les voilages qui habillent le bow window. Sur la droite, il distingue une salle de bain qui lui semble aussi vaste que le salon de son propre appartement à Kansas City.
Castiel s'assoit lentement sur le bord du lit et rampe maladroitement sur les draps pour appuyer son dos contre la tête de lit sculptée. Dean ne peut pas ignorer la manière dont le matelas s'enfonce presque voluptueusement sous son poids.
Les jambes étendues devant lui et les mains croisées sur son ventre, le brun regarde les deux frères s'activer avec efficacité dans la grande pièce. Comme dans le salon, ils déposent sel, pierre d'obsidienne et eau bénite dans un verre à dents pris dans la salle de bain. Ils feront mieux demain. Sam pioche aussi dans sa sacoche un bouquet de feuilles de sauge qu'il brûle lentement en allant et venant dans la chambre.
Castiel ferme lentement les yeux et soupire doucement. Ça tord quelque chose dans le ventre de Dean tandis qu'il dépose du sel sur la table de nuit, juste à côté de lui.
— « … Je me sens… bien. J'ai l'impression que je vais pouvoir dormir seul cette nuit. C'est bien. »
Le châtain acquiesce. Les joues de Castiel sont toujours creuses mais les traits de son visage sont un peu apaisés. Il ressemble à une sorte de fantôme de l'homme en smoking des photos mais c'est toujours mieux que son allure à leur arrivée.
Dean contemple la vaste pièce. Il a presque envie de rester dans la chambre jusqu'à ce qu'il s'endorme. Juste au cas où, pour vérifier qu'il est bien seul dans son lit et dans ses rêves.
Castiel papillonne lentement des yeux avant de le regarder à nouveau.
— « Et maintenant ? »
Dean sourit. Il tire machinalement sur un bout de la courtepointe pour arranger un pli.
— « Nous allons consulter les archives et visiter les associations historiques locales pour trouver des informations complémentaires sur votre maison. C'est notre première piste », explique-t-il. « Nous allons aussi parler ensemble, beaucoup, mais une autre fois. Vous devez vous reposer pour le moment. Est-ce que Sam peut prendre la boîte avec votre documentation ? Elle peur contenir des informations qui pourraient nous aider. Je vous appellerai demain pour faire un premier point. »
Castiel opine sagement avant de tordre ses doigts sur son ventre. Toujours cette appréhension.
Dean avise un petit carnet posé sur la table de chevet. Il l'ouvre rapidement pour griffonner deux numéros de portable à l'intérieur.
— « Sam vous a déjà donné notre carte mais je vous note aussi nos numéros ici. Vous pouvez nous contacter dès que vous en avez besoin, à n'importe quelle heure. Le premier numéro est le mien », précise-t-il.
Sam ricane discrètement dans son dos alors que le bouquet de sauge achève de se consumer dans une petite coupelle, purifiant l'air. Castiel tend une main pour s'emparer du carnet et les lit avec attention.
— « Merci… Dean », ose-t-il. « … Je me sens si stupide. »
— « Ne le soyez pas », le réconforte le châtain en tirant sur un autre pli invisible sur le linge de lit. « Nous serons là demain Castiel. »
— « Demain… »
Le brun hoche la tête. Sam est en train de ranger leurs affaires quand Dean se penche vers lui pour lui chuchoter quelques mots. Son frère roule des yeux mais il exécute de bonne grâce un cercle de sel autour du lit. Castiel penche légèrement la tête sur le côté pour le regarder faire.
— « Ce cercle vous protégera quand vous serez à l'intérieur. C'est juste pour être sûr que vous aurez une nuit tranquille », lui sourit le châtain. « Vous ne devez pas modifier son tracé, il doit rester tel quel. À demain, Castiel. »
— « À demain. »
Le brun agite doucement la main depuis le lit en guise de salut.
Dean juge plus prudent de quitter la chambre dès maintenant. Il pourrait décider que s'asseoir sur une chaise une chaise et monter la garde comme un chien fidèle dans un coin de la pièce est vraiment une bonne idée. Le châtain ne peut s'empêcher de jeter encore un regard à la chambre depuis le haut de l'escalier. Puis une nouvelle fois dans le vestibule et sur le seuil de la porte d'entrée.
Sam, les bras chargés de la caisse en plastique, le pousse gentiment dehors sur le perron.
— « Ça va aller », lui dit-il en levant les yeux au ciel. « De l'eau bénite, un cercle de sel et de la sauge, c'est plus que ce que nous faisons dans beaucoup de nos affaires. Et il n'est pas seul. »
Le blond lui désigne la maison de Carol d'un petit signe de tête. La jeune femme est assise sous la galerie et les regarde avec insistance. Elle semble les avoir guettés. Dean, une main sur la portière de l'Impala, lève un pouce dans sa direction. La blonde esquisse un geste pour venir les voir mais les deux frères sont déjà montés dans la voiture. Leur entretien a été dense, ils ont aussi besoin de temps pour eux.
— « J'ai besoin de sucre », grogne Dean en mettant le contact.
— « Je suppose que nous allons faire un nouvel arrêt à la tarterie sur W Jefferson Street avant de rentrer dans ce cas », soupire Sam en s'installant à ses côtés.
— « Tu n'as pas l'air très vaillant non plus, Sammy », lui fait remarquer Dean tandis qu'il sort l'Impala de sa place de stationnement. « En fait, tu as un peu une sale tête. Cette chose t'a peut-être plus touché que tu ne le pensais. Tu as toujours l'air de faire de l'hypoglycémie dans ces cas-là. »
— « Je n'en sais rien, je t'ai dit que c'était compliqué. … C'est la première fois que ça m'arrive. Je n'arrive pas à saisir… quoi que ce soit », soupire le blond en lui jetant un regard en coin. « Je te propose qu'on mange la tarte au motel pour commencer à dépouiller la documentation de Castiel. »
Le jeune homme hausse un sourcil.
— « On ne va plus aux archives municipales ? »
— « Elles ferment plus tôt le vendredi, j'ai vérifié quand tu es retourné à l'Impala », lui répond Sam. « Castiel a fait un excellent travail, cela me semble être un bon point de départ. »
Dean arrête la voiture à un feu rouge au croisement de N Monroe Street et E Fulton Street. Il se mord les joues et pianote du bout des doigts sur le volant.
— « … J'ai un mauvais pressentiment sur tout ça », souffle-t-il après un silence.
Sam hausse imperceptiblement les épaules.
— « Tu n'es pas très objectif. … Tu réagis aussi d'une manière un peu différente dans cette affaire. »
— « C'est parce que c'est une affaire très simple », grommelle le châtain. « Il y a quelque chose dans cette maison qui lui veut du mal. Elle vient le hanter pendant la nuit, elle le mord et elle ne se cache pas non plus pendant la journée. »
— « Ce n'est qu'une partie de nos premières constatations », lui rappelle son frère. « Castiel ne nous a pas dit la raison pour laquelle il est venu s'installer ici. Il a pu perdre quelqu'un d'important pour lui à New York et qui n'arrive pas à le laisser. Peut-être que Castiel le retient aussi sans s'en rendre compte. »
— « Tu veux rire ? Ce truc l'a mordu. Et fort. »
— « Ce n'est pas très différent de l'affaire que nous avons traitée à Louisville. Tu te souviens ? La grand-mère qui hantait la maison de sa petite-fille ? Elle a rendu toute la famille malade en s'obstinant à rester de ce Côté alors qu'elle aurait dû partir. Prue Goldberg était emplie de regrets de ne pas avoir pu passer plus de temps avec elle et elle se nourrissait d'eux sans le vouloir. La famille avait peur », lui rappelle Sam.
— « Castiel n'a pas peur, il est terrifié. Ce qu'il lui arrive n'a rien à voir avec de l'amour filial ou romantique », lui rétorque le châtain d'un ton cinglant.
— « Tout le monde ne rêve pas forcément d'une vie à deux avec des baisers et des petits mots tendres tous les jours. Tu n'as pas lu Fifty Shades of Grey ? L'amour peut faire mal parfois. »
— « Bordel Sam, pourquoi est-ce que tu t'obstines ?! », s'énerve Dean. « J'ai cru qu'il allait s'évanouir quand je lui ai dit qu'il avait cette marque sur la nuque. Et il était heureux de pouvoir passer la nuit seul. Arrête de te faire l'avocat du diable. »
Son frère grimace à l'horrible jeu de mots avant de soupirer lourdement.
— « Je suis obligé de l'être pour n'oublier aucune possibilité. C'est la première règle de la chasse, tu l'as déjà oublié ? … Je propose qu'on commence à dresser une liste des pistes possibles dès que nous serons rentrés. Il y a beaucoup de paramètres à envisager. »
C'est vrai. Bon sang, son frère a raison et Dean doit se reprendre. Il ne peut pas s'empêcher de lui jeter un dernier regard pour lui faire part de son mécontentement et Sam esquisse un sourire malicieux.
— « Tu sais qu'il faut le faire. Tu sais aussi que nous les éliminerons ces hypothèses les unes après les autres et que nous saurons vite à quoi nous en tenir. Nous pourrons l'aider comme il en a besoin. » Le blond lui jette un regard en coin. « Ne t'inquiète pas, tu seras le chevalier en armure étincelante sur son destrier blanc. »
Dean rougit violemment.
— « Je choisis la tarte et ce sera la plus grasse et la plus sucrée de toute la boutique », grogne-t-il en crispant les doigts sur le volant.
- « Jerk. »
- « Bitch. »
Les deux frères ricanent avant de se concentrer sur la route.
Cela leur permet d'oublier un instant leur entretien avec le brun et la masse de travail qui les attend. Ils n'ont pas besoin de le formuler à voix haute. Dean et Sam sentent déjà que rien ne sera simple.
Heureusement, comme l'a dit le châtain avec l'assurance d'un matador, ils sont plutôt bons dans ce qu'ils font.
