Mes petits chats,
Je publie aujourd'hui la suite de "L'affaire Philippe Delveau" dans laquelle Dean et Sam commencent à mettre les mains dans le cambouis pour leur enquête.
J'espère qu'elle vous plaira :)
Bonne lecture et à bientôt pour la suite,
ChatonLakmé
Le Butler Citizen est un journal local publié à Butler de 1877 à 1922, pendant la période faste de la ville au temps de son activité industrielle. Il couvrait les événements locaux avec un mélange d'actualités nationales et internationales. Journal Butler Citizen
Le Butler Eagle est un autre titre de presse locale, publié dans le comté de Butler depuis 1903 et toujours en activité aujourd'hui. Il est édité et imprimé à Butler.
La Rust Belt (« Ceinture de rouille ») est le surnom d'une région industrielle du nord-est des États-Unis, de la région des Grands Lacs autour de Chicago et Cleveland, jusqu'à New York. Très active à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle (notamment pendant la Seconde Guerre mondiale), elle a lentement décliné à la fin du siècle. À partir des années 1970, elle a été surnommée la Manufacturing Belt alors que l'activité évolue, plus en phase avec les besoins de la société de consommation. Actuellement, cette région réalise toujours environ 40 % de la production industrielle du pays.
Les Années Folles dont une appellation de l'historiographie contemporaine qui désigne les années 1920, caractérisée par son activité foisonnante après le traumatisme de la Première Guerre mondiale. Elle irrigue une très importante vie mondaine, les domaines de l'art et de la culture. Le roman de F. Scott Fitzgerald, The Great Gasby (Gatsby le Magnifique, porté notamment à l'écran en 2013 avec Leonardo DiCaprio dans le rôle-titre) en est une représentation assez fidèle. Aux États-Unis, les Années Folles prennent fin en 1929 avec le début de la Grande Dépression. Ses effets se font sentir en France à partir de 1931.
Le Gilded Age désigne la période de l'histoire des États-Unis qui a suivi la guerre de Sécession, de 1865 à 1901. Caractérisé par une grande prospérité économique et de reconstruction, elle voit aussi l'émergence de très grandes fortunes dont les goûts esthétiques s'inspirent du Second Empire français. Le style Gilded Age reprend donc des références aux arts européens, notamment aux XVIIe et XVIIIe siècle, très enrichis. Il est aussi appelé «style Rothschild », du nom de la richissime famille de banquiers dont les demeures étaient réputés pour leurs décors très luxueux.
Une statue chryséléphantine est une œuvre faite à la fois en ivoire et un autre matériau. Durant l'Antiquité, elle mêlait en statuaire l'ivoire avec l'or, posé sur une armature en bois. Cette technique connaît un renouveau pendant le courant artistique de l'Art Déco (années 1910 à 1920), avec ivoire et métal.
La marqueterie dite Boulle est une technique de décor en ébénisterie qui consiste à créer un décor en métal (souvent du laiton doré ou de l'étain), en bois précieux et en écaille de tortue. Si la technique de découpe superposée est ancienne, elle a été remise au goût du jour avec un immense succès par l'ébéniste français André-Charles Boulle au XVIIe siècle. Elle a encore été reprise au XIXe siècle sous le Second Empire pendant lequel on produit des meubles s'inspirant des styles du passé.
La maison Brioni est une entreprise de mode de luxe italienne fondée en 1945 à Rome. Spécialisée dans le prêt-à-porter et les chaussures pour homme, elle est particulièrement réputée pour la confection de ses costumes sur mesure.
Jean-Baptiste Pigalle (1714-1785) est un célèbre sculpteur français. Il a donné son nom à la place éponyme située dans le 9e arrondissement de Paris, réputée pour avoir été un lieu un peu chaud de la vie parisienne.
EMI est l'acronyme de « Expérience de Mort Imminente ». Cette expression désigne un ensemble de sensations ou de visions décrit par des individus confrontés à leur propre mort (mort clinique, coma,…).
L'affaire Philippe Delveau
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Quatrième partie
Butler, Pennsylvanie, samedi 23 septembre
Les lèvres pincées et les sourcils froncés, Dean gigote d'une fesse sur l'autre sur sa chaise. Elle est sans doute moins inconfortable que son postérieur ne le lui souffle à l'oreille en tentant de lui faire croire que les os de son bassin s'enfoncent dans l'assise jusqu'à sentir la structure en bois sous le skaï noir. Oui, c'est sans doute un peu exagéré mais il est assis dans la salle de consultation des archives de la Butler Area Public Library depuis l'ouverture, à neuf heures du matin. Sam ne leur a autorisé qu'une heure de pause déjeuner dans un restaurant sur North Main Street avant de retourner travailler sous les néons un peu blafards et dans l'odeur de poussière. Une pause juste entre midi trente et treize heures trente et puisque le service a été un peu long, Dean a été contraint de manger son dessert sur le chemin du retour. Il déteste ça. Marcher et manger en même temps.
Le châtain gigote un peu plus. Les pieds de sa chaise couinent doucement mais le bruit résonne d'une manière atrocement bruyante dans le silence presque recueilli de la salle de lecture.
Le responsable, installé derrière un bureau à l'entrée, lui jette un regard noir que Dean ignore.
Depuis que Sam et lui ont posé un pied dans le service des archives de la ville de Butler, il sait que l'homme ne les apprécie pas. Il reconnaît qu'il n'aurait probablement pas dû faire racler les pieds de sa chaise par terre avant de s'installer surtout qu'au même moment, son frère soulevait délicatement la sienne.
Dean le trouve quand même inutilement rancunier. Il est plein de bonne volonté, il est poli et avec Sam, ils font baisser de manière drastique la moyenne d'âge des consultants du service des archives. Ça ne peut être que très bon pour leurs statistiques de fréquentation. Le responsable devrait le remercier plutôt que de le regarder d'un air aussi soupçonneux. Sam et lui ne font que consulter des microfilms et de vieux journaux, quelle mauvaise action peut-il bien penser qu'ils sont en train de fomenter ? Rien du tout si on fait exception de leurs tentatives de débusquer la chose surnaturelle qui habite avec Castiel.
Dean fronce les sourcils.
Qui traque Castiel et qui le rend malade.
— « Je n'ai rien Dean. La suite, s'il te plaît. »
Le châtain relève la tête et jette un regard un peu interdit à son frère.
— « Quoi ? »
Assis devant le vieil appareil de lecture de microfilms, Sam se tourne à demi vers lui, un sourcil levé. Dean songe distraitement que, sur sa petite chaise en bois recouverte de faux cuir, son corps semble démesurément grand. Sam doit avoir très mal au dos, ainsi penché sur l'écran de lecture et après les centaines de pages numérisées qui y défilent depuis des heures.
— « Je n'ai rien trouvé d'anormal dans les articles qui rapportent la mort de Mme Debray », répète lentement le blond. « Quelle est la prochaine date ? Qu'est-ce que Castiel a noté dans son carnet ? »
Le jeune homme baisse les yeux sur les pages couvertes de la belle écriture déliée du brun. Il ne peut s'empêcher de sourire un peu. Un doigt sur le papier, il suit les branches de l'arbre généalogique que Castiel a esquissé sur une pleine page.
— « Décès de l'épouse Debray en 1886 puis son mari en février 1888 », reprend le châtain avec attention. « Il était le dernier représentant de la première génération des Debray et le chef de famille. Après son décès, la maison est revenue à son fils aîné, John, marié avec une des filles Hamilton, des industriels de Pittsburgh. »
— « Attends, tu me donnes trop d'informations à vérifier », grimace légèrement Sam. « Tu n'as pas une date de décès plus précise ? »
— « Castiel n'a rien écrit d'autre », lui rétorque Dean en levant le carnet entre eux et en pointant une partie de l'arbre généalogique. « Décès du patriarche Debray, longue notice nécrologique dans le Butler Citizen, personnalité éminente de Butler. »
— « Le Butler Citizen ? … Nous avons demandé au responsable de salle les archives numérisées du Butler Eagle, c'est le journal que Castiel a cité le plus souvent. »
— « Ouais, il a fait un travail remarquable », ne peut s'empêcher de dire Dean avec une stupide fierté.
— « C'est vrai mais il va falloir faire une nouvelle demande de communication de documents au Cerbère qui se trouve à l'entrée », reprend Sam en roulant des yeux. « Tu veux bien aller remplir la fiche ? »
Le châtain enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Il lisse distraitement la page et la belle écriture de Castiel de son pouce.
— « Il ne m'aime pas, il pense que je suis en train de monter un mauvais coup. Fais-le-toi », marmotte-t-il sombrement.
— « Tu sais que la plupart des gens détestent entendre le raclement des pieds d'une chaise sur le sol, surtout dans une pièce où on a placardé la consigne d'être silencieux et respectueux », lui répond son frère en retournant à la consultation des microfilms du Butler Eagle. « Assume d'être un homme des cavernes et fais-le, Dean. »
— « Connard… »
Sam lui jette un regard en coin malicieux.
Dean ronchonne et esquisse un geste un peu brusque pour le lever mais en entendant le grincement de sa chaise, il s'empresse de prendre l'assise à deux mains pour la repousser avec soin, sans faire le moindre bruit. Lentement. Précautionneusement. Silencieusement. Son frère étouffe un rire mais l'ouïe du responsable de salle est affûtée. Dean a envie de grogner comme un animal quand il croise une nouvelle fois son regard noir et suspicieux. Bon sang, il n'a rien fait !
Le jeune homme ajuste le col de sa veste et traverse la salle de lecture. Arrivé devant son bureau, il sourit poliment à l'employé municipal, prend un imprimé sur le petit présentoir en plexiglas et remplit rapidement la demande de communication.
Il note bien lisiblement le nom du journal puis la fourchette chronologique souhaitée.
— « Nous aurions besoin de ça s'il vous plaît », lui dit-il en déposant l'imprimé dans la bannette en plastique.
Le responsable de salle parcourt rapidement le document et fronce les sourcils.
— « Cela fait plus de cinquante ans d'histoire de Butler… Pourquoi avez-vous besoin de tant de journaux ? »
— « Mon frère et moi faisons des recherches historiques pour un projet de roman. Nous avons le sens du détail », lui répond obligeamment Dean.
L'homme se mord les joues et jette un regard à sa montre.
— « Il est quinze heures, vous n'aurez pas le temps de tout consulter d'ici la fermeture de la bibliothèque. »
— « Nous restons quelques jours à Butler, nous ne sommes pas pressés. » Dean sourit une nouvelle fois. « Merci pour tout ce que vous pourrez déjà nous amener. »
Le responsable de salle plante son regard dans le sien et finit par opiner lentement.
Le châtain reste nonchalamment à côté du bureau jusqu'à ce qu'il le voit entrer sa demande dans le logiciel informatique antédiluvien de la bibliothèque. Un dernier sourire en guise de remerciement et Dean retourne s'asseoir. Toujours sans faire racler sa chaise parce qu'il est respectueux.
Il reprend le carnet de Castiel et le feuillette distraitement. Le brun a vraiment réalisé un travail fou pour retracer l'histoire de la maison de Belmont Road.
Le châtain jette un regard au journal de bord de Sam qu'il a lui-même annoté hier dans leur chambre d'hôtel tandis qu'ils dépouillaient la documentation rassemblée par le brun. Sur une double page, Dean a écrit avec Sam les différentes pistes possibles, issues de leur instinct de chasseur et nourries par les affaires qu'ils ont déjà traités sur les vingt dernières années. Les deux hommes en sont au premier point de leur liste.
Maison
Vérifier :
- Propriétaires
- Évènements familiaux
- Décès
Le jeune homme hoche la tête.
Oui, vraiment un bon début. Même si vérifier et compléter les informations rassemblées par Castiel leur prend presque autant de temps que de constituer eux-mêmes leur documentation.
— « Laisse ce carnet, tu l'as déjà lu en long, en large et en travers », grommelle Sam en lui jetant un regard par-dessus son épaule. « Viens plutôt m'aider à avancer en attendant les prochains microfilms. »
Dean se leve, les yeux toujours rivés sur l'arbre généalogique.
— « Castiel a même noté le nom du notaire chez qui la succession de Milton Drebay s'est faite. Maître Russell, installé sur N Washington Street », dit-il avec admiration. « Il précise que l'inventaire après décès était très riche. C'est vraiment impressionnant. »
— « Oui, il est tellement intelligent », marmotte Sam.
Dean fronce les sourcils et tire sur les longues mèches qui balayent le cou de son frère en représailles. Le blond grogne. Il se dégage et donne un coup de coude un peu à l'aveugle dans son dos tandis que Dean esquive en ricanant. Il jette un regard aux pages numérisées du numéro du Butler Eagle du 25 juillet 1887 puis serre son épaule.
— « Tu deviens sarcastique quand tu es fatigué », dit-il.
Sam se renfrogne mais il ne peut s'empêcher de se pincer l'arête du nez. C'est une vaine tentative pour ne pas frotter ses yeux, rendus très secs après des heures de consultation du vieil appareil de microfilms.
— « Nous sommes ici depuis neuf heures ce matin et nous n'avons vérifié qu'une décennies de l'histoire de la maison. »
— « Je sais mais la journée est presque finie alors il est peut-être temps de faire le point. »
Dean aussi accuse un peu le coup.
Tout en travaillant de concert avec Sam, il a lu un des livres de la bibliothèque de Castiel consacré à l'histoire de Butler. Sans plus de succès jusqu'à présent.
La ville est fidèle à l'impression qu'elle lui a faite quand son frère et lui ont traversé le centre historique pour la première fois. Butler est une cité fondée au début du XIXe siècle comme tant d'autres à travers les États-Unis. Sa croissante industrielle au sein de la Rust Belt a fait la fortune de quelques grandes familles dont les belles demeures urbaines sont encore alignées le long des rues. La ville s'est progressivement agrandie jusqu'à devenir le chef-lieu du comté qui porte son nom, encore comme beaucoup d'autres villes du même genre. De la même manière, elles ont connu ensuite le lent endormissement lié au déclin de l'activité manufacturière.
Dean hausse légèrement les épaules. Vraiment rien de fameux si ce n'est cette maison et son nouveau propriétaire.
Sam étouffe un bâillement.
Le châtain tire une nouvelle fois affectueusement sur les longues mèches claires qui effleurent ses tempes.
— « Viens faire une pause Sammy. »
Son frère se mord les joues, hésite et finit par rendre les armes. Il recule sa chaise avec discrétion, met l'appareil en veille et déplie lentement son grand corps. Sam s'étire longuement, il grogne de plaisir en sentant sa nuque et ses vertèbres craquer. Son tee-shirt se soulève légèrement sur son ventre plat et musclé, dévoilant sa peau dorée et une fine ligne de poils blonds qui disparaît mutinement dans la ceinture de son jean. Le jeune homme est a des années lumières de toute idée de séduction, le corps juste douloureusement contracté, mais Dean ne manque pas le regard appréciateur qui vient s'égarer sur lui.
Il pince les lèvres pour ne pas ricaner.
Sam et lui ne sont pas seuls dans la salle de lecture.
Une dame d'âge mûr, assise un peu plus loin, n'a rien manqué du spectacle. Elle semble en avoir oublié les boîtes d'archives que le responsable a déposé devant elle un peu plus tôt. Le châtain a laissé un peu traîner ses oreilles. Il a cru comprendre qu'elle fait des recherches généalogiques mais à cet instant, elle semble bien plus s'intéresser au présent qu'au passé.
Sam roule encore une fois des épaules puis referme le carnet de Castiel et le leur.
— « Si nous faisons une pause, on la fait bien. Je veux sortir prendre l'air. »
Dean acquiesce en riant. Lui aussi.
Les mains dans les poches, le châtain emboîte le pas à Sam. Alors qu'ils traversent le hall d'entrée de la bibliothèque, Dean leur offre à tous deux un café à la machine automatique qui trône dans un coin avant de sortir dans la cour devant le bâtiment. Avisant un banc sous un arbre, Sam s'y laisse presque tomber. Un silence confortable s'installe entre eux, un bien-être qui éclipse un peu le goût médiocre de leur boisson. Le châtain grimace alors qu'il boit une gorgée. Son geste partait d'une bonne intention mais le café moulu de la machine est vraiment de piètre qualité. Il aurait dû acheter une barre chocolatée pour faire passer le tout.
Renversé contre le dossier et la tête en arrière, les yeux fermés, Sam soupire de contentement.
— « Tu as eu raison », souffle-t-il. « Je me rends compte seulement maintenant combien je respirais mal jusqu'à présent. Cette salle de lecture est tellement poussiéreuse… »
— « Tu aurais pu en profiter un peu plus si nous avions pris plus de temps pour déjeuner. »
Le blond ricane et lui donne un coup de genoux paresseux.
— « Arrête de te plaindre. Puisque tu as pris ta part de tarte à emporter, le restaurant nous l'a facturé moins cher », lui fait remarquer son frère en haussant un sourcil.
— « Vraiment ? … Nous y retournerons, ce sont des commerçants honnêtes. »
Sam rit avant de se racler bruyamment la gorge. Dean renifle aussi un peu. Beaucoup. Il a l'impression d'avoir la gorge encombrée et un peu irritée par la poussière. Le châtain se mouche discrètement alors que son frère boit une nouvelle gorgée de café pour atténuer sa gêne. Il passe une main dans ses cheveux avant de masser sa nuque du bout des doigts.
— « Tu auras largement le temps de tester toute leur carte des desserts, nous avons encore beaucoup de travail à faire ici. Une fois que le responsable de salle aura apporté les journaux, tu voudras bien les dépouiller ? Je vais continuer à consulter le Butler Eagle », lui demande-t-il.
Dean acquiesce, c'est raisonnable. Sam soupire une nouvelle fois et feuillette le carnet de Castiel.
— « … Je dois reconnaître que tu as raison, le travail de Castiel est vraiment excellent. Il a parfaitement noté toutes ses sources et cet arbre généalogique est une véritable bénédiction. »
Le châtain sourit d'un air un peu suffisant. Il n'a pas de raison d'être fier de la situation mais il l'est. Ouais, Castiel est sacrément intelligent et appliqué.
— « Il écrit très bien aussi », ajoute Dean sans pouvoir s'en empêcher.
Ce commentaire n'a aucune espèce d'importance pour leur affaire. Sam le sait pertinemment et il ricane.
—« Je dirais qu'elle est plutôt agréable à lire. Quand on regarde la tienne, on dirait que tu es à moitié possédé. »
Le châtain lui donne un coup de coude dans les côtes que Sam esquive en riant. Les deux frères chahutent un instant sur le banc, levant maladroitement leurs gobelets pour éviter de se tacher de mauvais café.
— « Il a fait du très bon travail mais cela ne nous empêche pas de devoir tout vérifier et d'aller plus loin. Nous ne cherchons pas du tout la même chose que lui », reprend Sam en se frottant distraitement les yeux. « Donne-moi notre carnet de bord, Dean. »
Le jeune homme s'exécute, sans rien ajouter.
Son frère a tendance à réfléchir à voix haute, il sait qu'il vaut mieux laisser l'écheveau de fil se dérouler avant d'y emmêler le sien. Ils réfléchissent mieux à deux mais Sam a souvent des fulgurances quand il parle avec lui-même. Le blond faisait déjà ça quand il était petit garçon et qu'il travaillait sur ses devoirs, allongé sur le lit de son aîné ou assis à la table basse du salon. Dean aime bien l'écouter. Parfois il dodeline un peu de la tête parce que c'est comme un bourdonnement agréable et doux, un peu nostalgique aussi.
Son frère ouvre leur cahier et pose les deux volumes sur ses genoux avant de les observer avec attention. Sam tapote doucement les premiers mots de leur liste de pistes, marmonnant toujours.
Dean étend les bras sur le dossier du banc et y cale confortablement ses reins, attendant la conclusion les yeux fermés.
Il connaît leur liste par cœur.
La page est séparée en deux. À gauche, les deux frères ont écrit les différents points qu'ils doivent vérifier là où se trouve forcément la solution pour aider Castiel. À droite, ils ont listé le type de menace auquel ils pourraient avoir à se confronter. Elle n'est pas très longue, ils ont synthétisé les pistes les plus fréquentes. Fantôme, démon, esprit mauvais, poltergeist. Dean y a ajouté « malédiction » en repensant à tous les œuvres d'art qui meublent la maison. Il y a aussi ce riche inventaire après décès que Castiel mentionne dans ses notes. La maison a près de cent cinquante ans, certains objets de famille sont peut-être toujours là-bas, transmis de propriétaire en propriétaire.
Sam inspire profondément. Dean rouvre paresseusement les yeux. C'est le moment de la conclusion.
— « Pour le moment, l'histoire de la famille Debray est très banale. »
— « Suffisamment banale pour des gens assez riches pour avoir une rue à leur nom », se moque-t-il.
— « Les Debray ne semblent pas avoir connu de mort violente ou de drame familial. Les mariages ne semblent pas non plus avoir été malheureux, il y a eu des enfants », poursuit son frère en lui jetant un regard peu amène.
— « Certains sont morts en bas âge. »
Dean désigne l'arbre généalogique d'un signe de tête et Sam acquiesce lentement.
— « … C'est vrai mais ça n'a rien d'anormal quand on considère le taux de mortalité infantile à la fin du XIXe siècle », note le blond avant de passer une main dans ses cheveux. « Les journalistes du Butler Eagle ont fait des comptes-rendus des réceptions qu'ils donnaient à l'occasion des baptêmes, des mariages et des autres événements de leur famille. Ça a duré jusque dans les Années Folles, la famille faisait partie des personnalités incontournables de Butler. Les enfants semblaient sincèrement aimés et les articles sur leurs décès indiquent la même chose. »
— « Ce n'est pas à toi que je vais apprendre que des sentiments très forts, positifs comme négatifs, peuvent retenir l'esprit des défunts dans notre monde », lui rappelle le châtain.
— « … Je continue. Les Debray organisaient donc des réceptions mondaines mais ils étaient très appréciés et bien insérés dans la société de Butler. Ils étaient philanthropes, une aile du nouveau Butler Memorial Hospital porte toujours leur nom en souvenir de leurs actions en faveur des plus défavorisés. Ils ne semblent pas avoir suscité l'envie. » Le blond hausse légèrement les épaules. « Pour le moment, il n'y a pas grand-chose à dire à leur sujet. »
— « Une chance pour nous, nous avons encore des décennies de vieux journaux à parcourir et l'ensemble des noms des propriétaires de la maison. »
Sam grimace légèrement et se racle à nouveau la gorge, toujours un peu rapeuse.
Dean se frotte distraitement la joue et la mâchoire. Sous ses doigts, il sent la fine barbe crisser doucement. Le châtain ne s'est pas rasé ce matin, son corps bouillonnait d'excitation à la perspective de se lancer enfin leur enquête alors se présenter avec les joues glabres aux archives de Butler lui semblait futile. Quoique. Peut-être que le responsable de la salle de lecture le regarderait d'une autre manière s'il avait les joues glabres. Ce n'est pas non plus à lui de lui expliquer que la barbe de trois jours est le nouvel accessoire des hommes sexy. … Castiel aussi a les joues barbues. Juste un peu pour ombrer délicatement sa peau et souligne l'arête de sa mâchoire.
Bref.
Dean frotte son pouce sur sa peau. Il a les joues râpeuses et il aime bien cette sensation quand il y passe la main. Scrach scrach scrach.
— « … Les journaux ne sont qu'une de nos sources de documentation sur cette affaire », reprend finalement Sam après un silence. « Une fois que nous aurons fini de les dépouiller sur la période Debray, nous demanderons à consulter les archives privées de la famille. Castiel a noté dans son carnet qu'elles ont été versées à la bibliothèque municipale de Butler dans les années 1980 pour aider la recherche sur l'histoire industrielle de la ville. »
— « Voilà qui nous promet d'autres passionnants tête-à-tête avec le Cerbère de la salle de lecture… », grommelle Dean.
Son frère ricane et le bouscule gentiment d'une épaule.
— « Castiel a aussi trouvé le nom de l'architecte de la maison, les archives de son agence sont également conservées ici. Nous devrions les demander et les croiser avec le cadastre et les plans historiques de la ville. Il faut vérifier ce qui se trouvait sur le terrain avant la construction. »
Dean se renverse à nouveau contre le dossier du banc, la tête en arrière pour regarder le ciel. Il est clair, à peine troublé de quelques nuages blancs et moutonneux, la brise est agréable. Le châtain esquisse un geste pour terminer son café mais il verse le fond froid de son gobelet dans l'herbe derrière lui. Il est vraiment trop mauvais pour être bu.
— « Rappelle-moi jusqu'à quand nous avons loué au Clarence Inn ? »
- « Nous avons pris une chambre pour une semaine. »
— « J'ai l'impression que c'est trois fois moins de temps que nous n'allons en avoir besoin », marmotte Dean entre ses dents.
Son frère hausse les épaules. Il referme les carnets avant de les empiler avec soin sur ses genoux.
— « Tu n'en sais rien. C'est vrai que nous avons beaucoup de choses à vérifier mais les recherches de Castiel nous aident beaucoup. … Nous ne sommes jamais restés plus de quatre ou cinq jours au même endroit pour une affaire et notre première journée de recherches s'achève à peine. »
Le châtain hoche la tête, toujours un peu circonspect.
C'est un vieil adage de chasseur qu'ils ont appris de manière empirique. Une traque qui s'éternise est une traque qui est déjà à moitié perdue. Une fois qu'on possède les clés de lecture, décrypter le mal est une chose étonnamment aisée. La raison est souvent simple, presque primitive. On dirait un recueil à la Prévert de tout le panel des émotions humaines, souvent les plus mauvaises. La réponse elle, est tout aussi élémentaire. Il y a des accessoires indispensables, souvent de l'eau bénite, du sel et une Bible. Des paroles en latin. Parfois du sang, parfois encore le sien ou celui de Sam. Surtout la mort de la créature.
Dean se gratte une nouvelle fois la joue. Scrach scrach scrach. Ouais, c'est simple. Ça doit le rester car Castiel a besoin d'eux. Rapidement.
— « Comment est-ce que tu envisages la suite ? », demande le châtain.
— « Nous devons à tout prix venir à la bibliothèque tous les jours jusqu'à la fin de nos vérifications. Une fois que nous aurons une vision plus claire de tout ce que nous avons appris ici, nous saurons ce qu'il nous manque et nous pourrons aller nous renseigner ailleurs. Les bureaux de la Butler County Historical Society sont sur W Diamond Street. C'est aussi en centre-ville. »
— « Il y en a pour des jours… »
— « Sans compter les livres sur l'histoire locale qui vont devenir nos lectures de chevet », ajoute Sam avec malice. « Alors fin de la pause Dean et ne traînons pas. »
Le blond claque fort sa paume sur sa cuisse, le faisant grimacer car la brûlure est réelle sous la toile pourtant épaisse de son jean. Sam se lève souplement, s'étire une dernière fois dans un grognement de satisfaction et serre son genou pour attirer son attention. Dean rouvre les yeux et lui jette un regard noir sous ses paupières mi-closes.
— « Aller, debout. Le responsable de salle va penser que tu lui as demandé tous ces journaux uniquement pour l'embêter si nous ne revenons pas. Vu ce qui nous attend, nous devrions plutôt essayer de nous en faire un ami… », l'encourage gentiment Sam en prenant son gobelet de café vide pour l'empiler avec le sien.
Le châtain étouffe un ricanement. Il se lève à son tour, avec un peu moins d'élégance, et observe distraitement Sam jeter habilement leurs gobelets dans une poubelle proche.
Son portable sonne dans la poche de son jean.
Dean s'empresse de le sortir, la sueur au front. Mince, il avait oublié de le mettre sur silencieux pendant qu'ils travaillaient dans la salle de lecture. Oh heureux homme. Le châtain jette un regard à l'appareil.
— « C'est Castiel », dit-il en relevant les yeux sur Sam.
Son frère, déjà dans l'allée menant à l'entrée de la bibliothèque, hausse un sourcil malicieux.
— « Qu'est-ce que tu attends ? Une invitation ? »
Dean lui jette un regard noir. Il se racle machinalement la gorge et décroche.
— « Allô ? »
— « Monsieur Winchester ? C'est – »
— « Dean. Appelez-moi Dean, s'il vous plaît. »
Le châtain pense faire preuve de la plus élémentaire des politesses mais son frère ricane discrètement non loin de lui. Dean lui tourne soigneusement le dos pour l'ignorer mais son rire malicieux résonne bruyamment. Le jeune homme fait rouler sa langue derrière ses dents. Il a encore le goût désagréable du mauvais café dans la bouche.
— « Dean, excusez-moi. Je ne vous dérange pas ? »
— « Pas du tout, ne vous inquiétez pas. » Le jeune homme jette un regard en biais au banc qu'il vient de quitter. « Que puis-je pour vous ? Est-ce que tout va bien ? »
— « Oui, merci de le demander. … Je voulais juste vous remercier encore une fois. Je n'ai pas osé vous appeler de la journée, je craignais de vous importuner mais je tenais à vous dire que j'ai bien dormi cette nuit. J'ai vraiment bien dormi. »
Dean sourit. Il réalise à peine que ses pas le ramènent vers le banc et qu'il s'y rassoie distraitement. Sam ne rit plus derrière lui, il grommelle.
— « C'est une très bonne chose. Vous portez toujours la médaille et la croix ? »
— « Je ne les quitte pas. Et je fais très attention au cercle de sel autour de mon lit. »
Le châtain sourit encore. Il allonge un bras sur le dossier du banc et s'y réinstalle confortablement. Le regard de son frère lui brûle le visage alors le jeune homme lui jette un regard.
— « Dean, on y va maintenant », dit discrètement le blond.
Dean hausse nonchalamment les épaules en guise de réponse.
Sam roule des yeux et rend les armes. Il ouvre la porte de la bibliothèque pour s'engouffrer à l'intérieur du bâtiment. Sur le seuil, il tape quand même doucement le cadran de sa montre d'un doigt.
Le châtain élude. Oui, d'accord. Il discute encore un peu avec Castiel, pas longtemps, et il retourne travailler. Le brun lui donne de ses nouvelles, il ne va pas lui raccrocher au nez pour retourner respirer de la poussière en faisant comme si c'était le Nirvana.
Sam roule des yeux et disparaît dans le hall du petit bâtiment municipal.
Dean ne le regarde déjà plus. Il croise les jambes, appuie sa cheville sur son genou opposé pour être plus à l'aise.
— « … Est-ce que vous trouvez ce que vous désirez ? … C'est peut-être trop tôt pour vous demander, j'aurais dû attendre votre retour. Vous m'aviez dit que vous le feriez. »
Le châtain esquisse un sourire dans sa paume et gratte une nouvelle fois sa fine barbe. Scrach scrach scrach. Il trouve ça sexy, une barbe fine sur une mâchoire bien dessinée.
— « Je vous ai aussi dit que vous pouviez appeler quand vous le désiriez, même si c'est seulement pour me dire que vous avez bien dormi », lui rappelle-t-il gentiment.
— « Oui… C'est vrai. »
Dean sourit toujours. Il caresse distraitement la ligne piquante de sa mâchoire, laisse ses doigts traîner jusqu'à son cou.
Le jeune homme tourne légèrement la tête en direction de la Butler Area Public Library et arrête son geste. Sam le regarde toujours derrière la porte vitrée, les bras croisés sur la poitrine mais l'air si malicieux que Dean a l'impression qu'il a nouveau cinq ans. Il lui fait un doigt d'honneur avant de lui tourner ostensiblement le dos.
Le châtain entend Castiel respirer doucement dans le combiné. Il aime ça aussi.
— « Est-ce que vous avez rêvé de Lui ? », demande-t-il après un silence.
— « Non, pas une seule fois. »
— « C'est bien. Vous n'avez pas de nouvelle marque ? »
— « … Non plus, je me sens bien. … Je l'ai vu vous savez. La morsure. Après votre départ, j'ai utilisé un autre miroir pour la regarder. »
Dean baisse machinalement les yeux sur ses genoux et gratte une petite tache sur son jean. Ouais, elle doit être encore plus laide qu'hier, la peau contusionnée prenant des couleurs maladives.
— « Je suis désolé », souffle-t-il sans réellement savoir pourquoi.
— « Ce n'est rien Dean, vous avez eu raison de me le dire. Sans ça, je pense que j'aurai continué à me convaincre que je me blessais seul. Elle est juste… beaucoup plus grosse que je ne m'y attendais. Et très marquée. »
Le jeune homme l'entend inspirer doucement. Ça sonne à nouveau un peu fragile et il roule des épaules sous sa veste en cuir.
— « Ça n'arrivera plus Castiel », dit-il d'un ton sans réplique. « Gardez bien le collier le temps que je vous en apporte un autre et ayez confiance. »
— « … J'ai confiance. Je ne l'ai pas quitté, je le porte même sous la douche. »
Ah. La voix du brun est lente, appliquée et Dean n'a aucune peine à l'imaginer en train de hocher lentement la tête pour appuyer son propos. Il ne s'attendait juste pas à la chute. Vraiment pas. C'est…
Le châtain passe une main dans sa nuque et la masse du bout des doigts.
— « … J'espère que vous ne m'en voulez pas. Je vous assure que j'en prends le plus grand soin. Je n'ai pas l'impression que la corrosion ait progressé mais je vais le nettoyer avec attention. »
Le châtain esquisse un sourire avant de rire doucement.
— « Je vous remercie mais ne vous préoccupez pas de ça. Pensez plutôt à vous. Mangez correctement et hydratez-vous bien. Même si cela vous paraît dérisoire, vous devez continuer à prendre soin de vous pour préserver vos forces. Un peu comme si vous étiez malade. »
Castiel ne répond pas, Dean entend seulement sa respiration à travers le combiné. Il se redresse sur le banc, les sourcils froncés.
— « … J'ai mangé la moitié de la tarte aux cerises ce matin, elle était très bonne. »
Le jeune homme cligne des yeux avant d'éclater de rire, absurdement rassuré. Savoir que le brun se nourrit uniquement de dessert est un moindre mal il a l'impression de voir encore danser devant ses yeux le réseau trop fin et bleuté de ses veines sous sa peau fine et blanche. Et contrairement à son frère, il sait être compréhensif en matière de diététique. Dean apprécie peut-être plus que de raison un bon hamburger hypercalorique et une part de tarte à l'indice glycémique explosif. Simples plaisirs de la vie. Le fait que Castiel semble être au moins partiellement du même avis est incroyablement encourageant.
— « Comment s'est passée votre journée ? »
— « Et la vôtre ? », botte-t-il en touche.
Castiel rit et lui parle d'une manière adorable du temps qu'il a passé le matin à s'occuper des plantes vertes du jardin d'hiver.
Le brun semble se prendre au jeu. Sa voix devient plus claire et Dean l'entend sourire. Progressivement, il oublie un peu sa réserve polie et se sent suffisamment à l'aise pour grommeler à la visite prochaine d'un client très difficile en affaires. L'homme vient voir une commode très Gilded Age. Dean imagine vaguement à quoi cela peut ressembler mais il sait très bien faire semblant alors il l'encourage à continuer. Il parvient même à le faire rire, plusieurs fois, et quand le brun partage avec lui un souvenir de sa vie d'avant Butler, à New York, le châtain se sent presque privilégié.
Il croise nonchalamment sa cheville sur son genou et y crochète ses doigts.
Après une journée de recherches peu concluantes, Dean oublie un peu sa frustration et son impatience. Ce n'est pas comme s'il avait ambitionné de se présenter à Castiel avec une explication et une solution, à peine quelques heures après la signature du contrat. … Pas vraiment. Ça a quand même été une désagréable journée.
Puis le brun babille un peu, d'une voix légèrement fatiguée mais toujours claire parce qu'il parle de choses qu'il aime et qui lui font plaisir. Elle roule, rauque et grave, dans le combiné. Le châtain ne sait pas ce qu'est une statue chryséléphantine ni une marqueterie Boulle mais Castiel est heureux alors il se contente de répondre par monosyllabe. Juste pour montrer qu'il participe à la conversation et tend volontiers une oreille attentive.
Dean ne réalise pas qu'il s'avachit le plus confortablement possible sur le banc pour y rester. Sam peut attendre encore un peu, la bibliothèque municipale ferme dans deux heures. Ils ont encore du temps.
C'est ce que le châtain se dit avant d'oublier complètement son frère et Mr Bennett à l'accueil de la salle de lecture.
Quoique.
Il trouvera peut-être un livre d'histoire de l'art quelque part pour savoir au juste ce qu'est une statue chryséléphantine. Et une marqueterie Boulle.
Butler, Pennsylvanie, mardi 26 septembre
Une serviette autour des reins, Castiel observe attentivement son reflet dans le miroir de la salle de bain.
Sa peau est encore humide et rosie par sa douche très chaude, ses cheveux sont hérissés dans tous les sens sur son crâne. Le brun tente maladroitement de les discipliner du bout des doigts et s'obstine sur un épi récalcitrant sur son front. L'effet est un peu ridicule et il ne veut pas être ridicule.
Dean et Sam lui rendent visite dans moins d'une heure pour faire le point sur leurs recherches.
Peu importe ce que cela signifie réellement, Castiel veut être… bien.
Il ne veut pas donner encore une fois l'image de l'homme épuisé à la peau cireuse, trop frileux sous son plaid comme un vieux monsieur, qu'il a offert à leur première rencontre.
Le brun dort un peu mieux.
Ses cernes si bleus et profonds qu'ils horrifiaient Carol se sont légèrement atténués et il a de nouveau un peu de couleur aux joues. C'est encourageant. C'est cette impression qu'il veut donner à présent quand il recevra les deux frères.
Le brun observe son torse nu, se tourne pour contempler son dos. Il baisse légèrement le bord de la serviette pour observer ses reins, ses hanches et le haut de ses fesses. Il n'y a rien. Aucune autre marque, ni empreintes de doigts, ni griffures… ni morsure.
Le jeune homme déglutit légèrement et passe machinalement une main dans sa nuque. Sa chair un peu abîmée est devenue moins sensible, elle cicatrice lentement. Castiel ne sent plus la légère boursoufflure des marques de dents et la peau est moins contusionnée. La couleur des hématomes reste écœurante.
S'il étudie soigneusement son corps pour pouvoir signaler la moindre anomalie à Dean, il préfère ne pas s'attarder sur cette flétrissure sur sa nuque. Sa seule idée lui tord l'estomac d'appréhension et serre désagréablement sa gorge. Dire qu'il pensait s'être infligé seul toutes ces marques… Plus il y pense plus cela lui paraît absurde.
Castiel écarte les pans de sa serviette, inspecte l'intérieur de ses cuisses. Toujours rien. La peau est lisse et douce, les traces d'ongles ont disparu.
Il sourit doucement de satisfaction et joue machinalement avec la chaîne autour de son cou. Ses doigts s'égarent sur les petits maillons puis sur la médaille et la croix en argent. Celles de Dean. Castiel est content d'avoir nettoyé pour lui le bijou, même si le châtain lui a assuré que ce n'était pas nécessaire. Ça le rend heureux. Il tire dessus, apprécie son poids et la sensation tiède du métal sur sa peau.
C'est quelque chose d'un peu intime, prêter un bijou.
Dean l'a fait pour lui sans sourciller.
Avec son joli sourire avenant et ses taches de rousseur.
Le brun frissonne quand un courant d'air froid vient soudain lécher son corps. Il rejoint sa chambre et, devant son lit, laisse tomber sa serviette sur le parquet pour s'habiller. Le jeune homme enfile rapidement sous-vêtements et pantalon avant de passer un polo clair légèrement échancré. La température est pourtant clémente mais Castiel hésite à porter un simple tee-shirt et un jean. À New York, il croisait rarement des gens habillés d'une manière aussi décontractée. Lui-même portait quotidienne un costume. Souvent de couleur sombre, très bien coupé parce que c'était élégant et que ça faisait ressortir la couleur de ses yeux bleus. Sa clientèle appréciait ça quand elle venait dans son magasin d'antiquités, cela faisait partie du décorum pour rendre plus acceptable de dépenser des milliers de dollars pour un meuble ou une peinture.
Son associé aussi portait bien le costume, souvent de couleur avec des motifs plus fantaisistes mais son goût était remarquable. En art comme en prêt-à-porter très haut de gamme. C'est lui qui lui a offert ses plus belles chemises, notamment une Brioni bleu ciel qui flatte particulièrement ses traits et son regard.
Castiel a brièvement ambitionné de la porter aujourd'hui avant qu'un essai ne le fasse grimacer devant son miroir. Il a tellement maigri. Sa masse musculaire a fondu, le vêtement flottait sur ses épaules et le col baillait un peu autour de son cou. L'effet était horrible, il a renoncé avec regret.
Il aurait aimé être à son avantage aujourd'hui, plus que ces jours derniers. C'est un peu stupide.
Autant que de prêter autant d'importance aux appels de Dean et aux messages qu'ils échangent depuis trois jours. Que peut-il y faire ? Il aime entendre sa voix, légèrement rauque à travers le combiné, et plus encore son rire quand il dit quelque chose de maladroit. Cela doit arriver plus qu'il ne le pensait car le châtain rit beaucoup quand ils s'appellent mais cela n'a rien de moqueur. C'est plus… affectueux. Gentil sans pitié. Malicieux sans méchanceté.
Dean Winchester est un homme facile à vivre. Agréable à vivre.
Castiel ajuste son polo, un léger sourire aux lèvres. Il s'assoit sur le bord du lit pour mettre ses chaussettes. Il évite soigneusement d'altérer le cercle de sel autour de lui et en vérifie machinalement le tracé. Le brun peine encore un peu à croire que c'est grâce à lui, aux petits tas déposés aux quatre coins de sa chambre et aux pierres d'obsidienne qu'il dort mieux mais l'effet est là. Il dort. Vraiment. Pendant plusieurs heures d'affilée et d'un sommeil particulièrement lourd. Le matin au réveil, il se sent engourdi et un peu déboussolé. Il en avait tellement besoin.
Le jeune homme retourne dans la salle de bain pour mettre sa montre et un peu de parfum. Carol ne va pas tarder à arriver. Son amie sera là lors de leur entretien, le brun n'a pas pu le lui refuser tant elle semblait malheureuse comme une pierre le soir précédent au dîner. Elle lui a servi un remarquable rôti de bœuf qui a presque fait gémir son mari de contentement et a provoqué des cris de joie chez Tom et Julia. Castiel ne pouvait pas lui dire non.
Le brun tend l'oreille.
Il croit avoir entendu la porte d'entrée s'ouvrir.
— « Cassie ? Tu es là ? »
Le jeune homme vérifie une dernière fois son allure et quitte la chambre. Il se sent absurdement heureux et fier quand il descend le grand escalier sans se tenir à la rampe. Dean l'a presque porté pour le gravir il y a trois jours. Il était si… vivant et solide contre lui. Tout ce qu'il n'était plus depuis des semaines.
Sa confiance grimpe en flèche quand il croise le regard malicieux de son amie. Il est bien, vraiment bien.
Plutôt qu'une bise sur la joue, elle l'attire immédiatement dans une étreinte et referme ses bras autour de son cou. Castiel lui tapote maladroitement le dos, un peu gêné à l'idée qu'elle puisse sentir sous la fine étoffe de son polo les arêtes aiguës de son corps trop mince.
— « Hier soir à la maison, je pensais que c'était peut-être l'éclairage du salon qui était flatteur mais tu as l'air d'aller mieux Cassie », lui dit-elle en le lâchant.
Ses mains restent accrochées à ses épaules, trop fines aussi, et le brun gigote légèrement pour se dégager. Son amie effleure gentiment sa mâchoire légèrement barbue.
— « Tu as l'air vraiment mieux. Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? », renchérit-elle en le regardant dans les yeux.
— « Qui donc ? »
— « Les frères Winchester, petit génie. »
Castiel tire machinalement sur une de ses manches avant de hausser les épaules.
— « Rien de particulier. Nous discutons », élude-t-il un peu en se dirigeant vers la cuisine.
Il n'a toujours pas très envie de lui parler des cercles de sel, de la purification à la sauge de sa chambre ou du collier qu'il porte. C'est encore étrange pour lui.
— « Vous discutez ? », renchérit la blonde derrière lui.
— « Oui, nous discutons souvent. » Le brun sort lentement le service à café du vaisselier. « Dean me parle de l'avancée de leur enquête chaque jour, comme il me l'avait dit. … Je lui envoie des messages aussi parfois pour lui dire ce que je vois et ce que je ressens. Il m'a dit de faire très attention à mes impressions et à mes sensations. »
Inutile que Carol apprenne qu'il a aussi envoyé d'autres choses au châtain. Des photos. Il y a eu un cliché des fleurs de son jardin dont les pétales avaient noirci et Castiel s'est interrogé si cela pouvait aussi être Son effet. Ou cette photo d'un chat qu'il n'avait jamais croisé dans le voisinage et dont il trouvait le regard fixe un peu malaisant. À propos du félin suppôt de Satan, Dean a préféré l'appeler pour lui faire un bref cours d'histoire sur les rapports très fallacieux entre les félins et le mal. Le brun aurait pu en être vexé s'il n'entendait le sourire du châtain dans le combiné, gentil et rassurant.
Castiel se mord les joues.
Derrière son cuir de mauvais garçon et sa grosse voiture noir dont le fils de Carol lui a parlé comme d'une sorte de Batmobile trop cool, Dean Winchester est un homme surprenant. Touchant et attentionné, bien caché sous ses airs un peu bourrus et la franchise brutale dont il a fait preuve à leur première rencontre.
Il sent à peine son amie se glisser à ses côtés et enlacer sa taille d'un bras avant de poser sa tête sur son épaule.
— « Vous devez discuter de beaucoup d'autres choses parce que tu sembles vraiment avoir confiance en lui », souffle-t-elle doucement.
— « Ils ne sont pas comme tous ceux qui sont venus ici avant eux. Ils m'ont fait signé un contrat de confidentialité pour se protéger et protéger mon… histoire. Ils font des recherches depuis trois jours. »
Carol le lâche doucement. Calant ses reins contre le plan de travail, elle croise les bras sur sa poitrine avant de hausser un sourcil.
— « Et ils vont te faire le compte-rendu », dit-elle et Castiel hoche la tête. « … Tu as bien conscience qu'ils pourraient te raconter n'importe quoi, n'est-ce pas ? Ils ont tout aussi bien pu rester dans leur chambre à Clarence Inn à louer des films sur une plateforme de VOD. Tu sais qu'il y a une belle piscine dans cet hôtel ? »
Le brun lui jette un regard en coin.
— « C'est toi qui les amenés chez moi et qui a tout fait pour me faire accepter leur aide. Tu ne peux pas m'exhorter maintenant à la prudence et tenter de me faire croire que ce n'est peut-être pas une bonne idée, Carol. »
— « Je sais mais je me sens obligée de me faire l'avocat du diable, juste par précaution. » Son amie enroule une mèche de cheveux autour de son doigt. « Tu m'as dit que tu leur as donné toute ta documentation sur cette maison, que veux-tu qu'ils trouvent de plus ? »
— « Ils savent ce qu'ils font, ce sont des professionnels », lui répond Castiel d'un air un peu buté.
La blonde ricane et le bouscule malicieusement d'un tout petit coup d'épaule.
— « C'est exactement pour ça que je suis prudente. Je t'assure que je n'ai rien contre eux, Dean et Sam m'ont fait très bonne impression mais tu sembles… attendre beaucoup après eux. Tu n'as jamais dit d'aucun des charlatans venus ici qu'ils étaient des professionnels. Pas même à propos de ce professeur à l'université de Columbia qui était peut-être le plus sérieux de tous. À moins que ce ne soit l'effet de sa veste de costume. C'est stupide la puissance que l'on peut accorder à un simple vêtement… »
Castiel esquisse un sourire en coin.
C'est exactement grâce à ce simple a priori qu'il a vendu cette grande sculpture en marbre à un richissime homme d'affaires chinois, celle d'une femme à l'antique avec un oiseau sur son épaule que son associé appréciait peu. Son costume Armani avait achevé de le convaincre qu'il achetait quelque chose de vraiment très cher et très rare peu importe qu'il puisse penser que Jean-Baptiste Pigalle était un célébrissime proxénète du XVIIIe siècle plutôt qu'un sculpteur.
Le brun arrange avec soin le service à café sur un plateau et ajoute une assiette de biscuits. Il grignote distraitement un gâteau au chocolat du bout des dents. Le goût du chocolat et celui des noisettes à une acuité particulière sur sa langue. C'est étrange, c'est comme s'il avait retrouvé la puissance de ses sens en trois jours, derrière un brouillard de perceptions engourdies.
Carol se sert aussi, avec moins d'élégance et plus d'empressement. Il sait qu'elle est nerveuse. Son amie n'a pas eu la chance d'échanger avec Dean chaque soir depuis trois jours.
Peut-être est-ce une erreur de laisser tomber ses barrières aussi vite mais que peut-il y faire ? Dean Winchester est simplement… Dean.
— « Dean et Sam sont consciencieux », répète lentement Castiel. « Ils campent presque aux archives municipales depuis trois jours pour travailler et quand on parle ensemble, je sais qu'ils ne font pas semblants. Ils connaissent leur sujet, ils ne me mentent pas. »
Son amie lèche distraitement ses doigts et le regarde avec attention. Castiel lui sourit, d'une manière aussi rassurante et confiante que possible. Il espère y parvenir.
Elle soupire doucement et fouille familièrement dans les placards pour en sortir le café et le sucre.
— « Entendu, je me rends. J'avoue que je suis un peu curieuse de les écouter, je me ferais mon opinion après. »
Elle renifle d'un air vaguement suffisant et Castiel rit. Carol prend le plateau et sort de la cuisine vers le jardin d'hiver. Le brun la suit en silence.
Il y a une autre chose qu'il n'a pas avoué à son amie, pas plus qu'à Dean et à Sam d'ailleurs.
À leur première rencontre, il était troublé, il avait froid et il avait peur mais après sa première véritable nuit depuis des semaines, Castiel a les idées plus claires.
Certes, le sourire et les traits du châtain l'ont un peu déconcentré, un tout petit peu, mais ce qui l'invite à croire en les frères Winchester est autre chose. Une chose contre laquelle des taches de rousseur et de beaux yeux verts pèsent un peu moins.
Il a réagi.
Il ne s'est jamais réellement manifesté quand d'autres « chasseurs » arpentaient la maison avec de petits gadgets clignotants. Il ne torturait que le brun de sa présence en se jouant de ses invités.
Mais dans le jardin d'hiver, Castiel a senti Ses mains posées sur ses épaules, pressées dessus comme s'Il s'appuyait sur lui d'un geste complice. Bon sang, il avait si froid alors, comme des épines de glace qui s'enfonçaient dans sa peau alors qu'un souffle brûlait effleurait sa nuque.
Il a… craint quelque chose à propos des frères Winchester.
Il l'a pincé, Il l'a enveloppé de ses bras froids comme ceux d'un cadavre pour l'empêcher de signer.
Il ne veut pas d'eux dans la maison.
Pour Castiel, c'est une raison de plus de croire en Dean et Sam.
Le brun jette un regard à la coupelle remplie de sel posée à côté de la fenêtre puis il éteint la lumière.
Les ombres envahissent la pièce.
La coupelle est un peu cachée, une délicatesse de Sam pour que Castiel n'ait pas tout le temps sous les yeux la preuve que quelque chose lui veut du mal et qu'il faut l'en protéger.
Le petit bol est en grès vert, à l'intérieur le sel ressemble à de la neige fine. C'était encore le cas il y a trois jours. À présent, il est d'une couleur un peu grise et sale.
Il n'est pas content et Il le montre. Il souille tout.
.
— « Pour l'amour du ciel Dean, roule moins vite. Nous sommes dans une zone résidentielle », grimace Sam en s'agrippant inconsciemment à la portière de l'Impala.
— « Je maîtrise Baby. »
Dean pile à moitié devant un feu rouge, faisant crisser les pneus de la voiture sur le bitume. Son frère a beau être bien accroché, il manque de basculer en avant. Sam grogne d'inconfort quand la ceinture de sécurité lui entre dans le bas-ventre.
— « Tu ne maîtrises rien du tout. Nous ne sommes pas en retard Dean, pas à l'allure à laquelle tu roules », grommelle son frère avant de jeter un regard à sa montre.
Le châtain fronce les sourcils tandis qu'il relance l'Impala dans la circulation. Même crissement de pneus au feu vert, la voiture bondit presque en avant comme un cheval de rodéo. Sam a l'impression de sentir l'odeur de la gomme brûlée dans l'habitacle. Il soupire et passe une main dans sa nuque.
— « Castiel sait que nous avons du retard, je lui ai envoyé un message quand tu achetais une tarte sur W Jefferson Street. C'est toi qui as voulu t'arrêter pour lui… »
Dean fronce si fort les sourcils que son front se plisse en une petite mer de vagues. Sam roule des yeux.
— « Tu es tellement soupe-au-lait… Tu m'en veux alors que je n'ai fait qu'envoyer un message à notre client. Notre client, à tous les deux », reprend le jeune homme.
— « C'est moi qui fais les comptes-rendus à Castiel depuis le début et c'est moi qu'il a appelé la première fois. Il a confiance en moi. »
— « Tu es ridicule… »
Son frère fait une légère embardée sur la route et Sam siffle entre ses dents, la main crispée sur la portière.
— « … Connard. »
Dean ricane.
Quand il entre dans le quartier de Castiel, il ralentit pourtant l'allure et adopte une conduite plus prudente. Rapidement, la large façade de la maison du brun apparaît. Son frère soupire de soulagement.
— « Nous travaillons en équipe », lui rappelle-t-il alors que Dean se gare parfaitement devant. « Je ne sais pas ce qu'il t'arrive mais nous sommes plus fort à deux Dean alors s'il te plaît, ne te transforme pas en harpie jalouse pour un simple message. Tu as raison, c'est à toi que Castiel appelle et c'est à toi qu'il envoie des photos de fleurs et de chat. … Bon sang, vous êtes trop bizarre tous les deux. »
Dean coupe le contact. Il retire la clé et se penche en avant pour observer la maison du brun. Un changement de sujet, vite. Sam l'a bruyamment moqué de lui, il paraît qu'il sourit d'un air stupide quand il appelle le brun et qu'il regarde la photo de Mr Sweety – le chat pas si diabolique que ça.
— « … Trois jours de recherches et nous n'avons toujours rien. Ça ne nous ait jamais arrivé », grogne le châtain.
— « Tu veux aller trop vite. Nous avons une liste avec beaucoup d'hypothèses à vérifier et nous venons à peine de commencer », lui rappelle Sam en sortant de la voiture. « Castiel t'a dit qu'il mangeait et qu'il dormait mieux, c'est déjà une victoire. Nous allons parler de tout ça avec lui et vérifier les protections. Tu vas aussi pouvoir récupérer ton collier et lui offrir le sien. »
Le blond claque la portière derrière lui.
Dean s'est figé derrière le volant, les oreilles un peu chaudes.
Il fait machinalement tourner la bague en argent à son annulaire droit, une trouvaille sortie du sac de Sam qu'il a passé le matin même avant de venir à Belmont Road.
Son frère a insisté pour qu'il porte une protection. L'anneau, gravé à l'intérieur de symboles chrétiens et d'une prière en latin, n'est pas très large mais il le gêne un peu. Le châtain a l'habitude d'avoir les mains nues. Et une bague lui semble un peu… féminin. John Winchester n'a jamais porté de bague, à aucun de ses doigts, exception faite de son alliance. Mary en a toujours, de toutes formes et de toutes couleurs. Voir sa main avec un anneau en argent lui fait une drôle d'impression. C'est bien pour cela que c'est Sam qui garde ce bijou. Son petit frère n'a pas de ces délicatesses un peu macho et pendant son adolescence, il a même porté un anneau à une oreille.
Dean frotte ses paumes sur ses cuisses puis sort à son tour de l'Impala. Sam s'est déjà glissé à l'arrière pour récupérer sa sacoche, le châtain prend délicatement le carton à pâtisserie posé derrière lui. Il remonte l'allée et rejoint son frère qui a déjà appuyé sur la sonnette.
Une voix à l'intérieur puis la porte s'ouvre sur Carol. La blonde sourit largement et s'écarte immédiatement pour les inviter à entrer.
— « Nous vous attendions », les salue-t-elle avant de regarder le carton dans les mains de Dean. « C'est pour Cassie ? »
— « … Il a mangé la tarte aux cerises, je me suis dit qu'il en aimerait une autre. Il doit s'alimenter », balbutie un peu le châtain, pris au dépourvu.
La jeune femme rit tandis qu'elle referme la porte derrière eux.
— « Il est venu dîner à la maison hier soir vous savez, je pense que c'est plus sain que de le nourrir de tartes. »
— « Vous prêchez un convaincu mais mon frère a une conception légèrement différente de ce que constitue un repas équilibré », se moque Sam.
Leurs rires résonnent fort dans la grande cage d'escalier, très haute de plafond. Dean fait le dos rond sans ajouter un mot.
Sam et Carol continuent à babiller joyeusement tandis qu'ils marchent vers le jardin d'hiver. Le châtain entre derrière eux dans la pièce ouverte sur le jardin. Il écarquille les yeux de surprise quand Castiel se lever pour saluer Sam, juste avant de le regarder. Comme s'il n'y avait que lui.
Mince, le brun a dû avoir une scolarité compliquée. Son regard bleu et fixe est stupéfiant.
— « Bonjour Dean. »
— « Salut Castiel. Nous sommes passés sur W Jefferson Street, je me suis dit que tu pourrais avoir envie de manger une autre tarte. Ma mère dit toujours que quand on est malade, il faut manger les choses qui nous font envie et plaisir », répond-il maladroitement
Dean entend Sam ricaner dans le dos du brun car ils ont fait un détour exprès pour s'arrêter à la tarterie. Un grand détour qui les a mis en retard. Castiel sourit en prenant l'emballage et ça le distrait. C'est le sourire qu'il avait l'impression d'entendre quand ils discutaient au téléphone. Leurs doigts s'effleurent aussi sur le carton.
— « Merci. J'ai préparé du café, est-ce que vous voulez une tasse ? »
— « Avec plaisir. »
— « Je vais chercher les assiettes ! », s'exclame rapidement Carol.
— « Je vais lancer le café. Installez-vous, je vous en prie », ajoute Castiel en posant avec soin le carton sur la table basse.
Sam laisse sa sacoche sur la banquette et retire familièrement son blouson. Dean fait de même. Le jardin d'hiver est noyé de soleil et il fait encore chaud. Son frère lui jette un regard.
— « Je vous remercie mais si vous le voulez bien, Dean et moi allons vérifier les protections en attendant. Est-ce que nous pouvons aller aussi dans votre chambre ? »
Castiel acquiesce.
— « Je n'ai pas touché au cercle de sel. »
— « J'en suis certain. »
Dean sourit et entraîne Sam derrière lui.
Les deux frères remontent le couloir et parcourent rapidement les salons du rez-de-chaussée. Le châtain est en train de soulever un rideau pour vérifier la coupelle de sel cachée derrière quand il entend Sam jurer entre ses dents. Il lève le petit bol pour confirmer sa première impression à la lumière du jour et le repose lentement. Son frère a dû voir la même chose.
— « Le tien aussi est gris ? », lui demande-t-il en se relevant.
Sam acquiesce d'un air sombre. Il lui montre le contenu en inclinant légèrement la coupelle dans sa direction.
— « Il est d'une teinte de cendre, un peu comme du sel non raffiné. Nous l'avons déposé il y a seulement quatre jours Dean… »
— « Et tu ne sens rien ici ? »
— « Non, rien du tout. Pas plus à notre arrivée que dans le jardin d'hiver ni auprès de Castiel. Il n'y a même plus cette atmosphère un peu poisseuse dont je te parlais le premier jour. Cette chose est toujours là puisque le sel s'est altéré mais elle sait se cacher. Elle se cache même rudement bien », marmotte le blond.
Dean passe une main dans sa nuque. Il s'engouffre dans les escaliers sans attendre son frère puis entre dans la chambre de Castiel d'un pas pressé. Le sel a aussi viré au gris dans tous les récipients, d'une nuance plus foncée que ceux du rez-de-chaussée. Le châtain rejoint rapidement Sam qui l'attend dans le vestibule.
— « C'est encore pire à l'étage. Il faut qu'on rachète du sel Sammy, beaucoup de sel », grommelle-t-il d'un air sombre.
Son frère acquiesce et le deux hommes rejoignent le jardin d'hiver en silence.
Castiel les accueille d'un joli sourire. D'un regard discrètement échangé, Dean et Sam se comprennent. Pas un mot sur leur découverte. Pas encore et pas devant Carol.
Le châtain s'assoit non loin de lui sur la banquette, son frère à ses côtés. Le brun s'empresse de lui servir une tasse de café et une part de tarte aux pêches. Cela lui remet un peu de baume au cœur. Au moins autant que d'être certain que le brun l'a servi plus généreusement que son frère.
— « Alors ? Est-ce que vous avez bien occupé vos journées ? », leur demande la jeune femme.
Dean n'apprécie pas son ton primesautier mais un peu narquois. Il pensait qu'elle était leur alliée. Peut-être s'oblige-t-elle à la prudence maintenant que Castiel a signé un contrat à moins qu'elle ne les jalouse encore d'avoir obtenu ses confidences.
Le jeune homme repose son assiette et ouvre la sacoche de son frère pour en sortir les deux carnets. Le brun regarde le sien et pose délicatement sa fourchette. Il mange sa part de gâteau avec ce qui ressemble à un vrai appétit. Presque de la gourmandise.
— « Nous nous sommes appuyés sur vos recherches pour commencer. Je vous remercie de nous avoir confié votre documentation, votre carnet nous a bien aidés. »
— « Qu'est-ce que vous avez fait si Cassie a déjà fait le travail pour vous ? »
Dean jette un regard noir à Carol. Sérieusement ?
— « Il a fait une partie du travail selon un axe d'étude très particulier. Nous ne cherchons pas la même chose quand nous dépouillons les archives et les vieux journaux », dit Sam en regardant le brun. « Je doute que les décès et les drames familiaux vous aient particulièrement intéressés. »
— « Ce n'est pas une accusation », ajoute le châtain en voyant l'embarras de Castiel. « Vous devez juste comprendre que dans la majorité des cas, les manifestations surnaturelles sont issues d'événements passés douloureux et traumatiques qui hantent le lieu où tout s'est joué. »
— « … Vous parlez de fantômes et d'esprits frappeurs ? De poltergeist ? », leur demande lentement la blonde.
— « Ce sont de trois sortes d'entité différentes mais c'est l'idée. L'apparition peut être provoquée par un décès brutal ou par une occasion particulière. Le spiritisme était très en vogue au tournant du XXe siècle et parfois, même les divertissements en apparence les plus innocents peuvent avoir des conséquences dramatiques. »
Castiel noue ses doigts sur son ventre et acquiesce lentement.
— « Je suis remonté jusqu'aux derniers propriétaires de la maison et je ne crois pas avoir vu quoi que ce soit d'anormal », dit-il lentement. « Avez-vous trouvé quelque chose ? »
Ce moment est un peu douloureux. Dean baisse les yeux sur ses genoux et se mord les joues.
— « … Nous n'avons pas de piste sérieuse pour le moment », admet-il à regret. « Nous sommes remontés jusqu'aux années 1920, il nous reste cent ans de presse locale à étudier. … Mr Bennett va nous détester quand nous aurons fini. »
Il esquisse un rictus. Trois jours et le Cerbère des archives municipales ne s'est pas vraiment adouci. Que Dean soit rasé de près ou non.
— « Robert ne vous détestera jamais, c'est un homme charmant. Nous avons beaucoup parlé ensemble quand je faisais mes propres recherches. Ne vous inquiétez pas, il est très serviable et passionné par son métier. Il est avide d'aider. »
Le châtain jette un regard en coin à son frère. Ah. Il semblerait que dans le monde de Castiel, beaucoup de choses soient bien plus étranges qu'ils ne le pensaient. Même Sam, pourtant toujours poli et conciliant, commence à s'agacer du comportement ombrageux du responsable de la salle de lecture. Il les ralentit dans leurs recherches mais les deux hommes ne peuvent raisonnablement pas s'en plaindre comme deux enfants. Pas quand le brun les regarde avec toute la candeur du monde et l'air de penser que Robert Bennett est un homme charmant.
— « Sans doute… », grimace Dean avant de poursuivre. « Quoi qu'il en soit, nous avons encore beaucoup de journaux à dépouiller. Nous comptons aussi beaucoup sur les archives de la famille Debray et celles de l'agence de l'architecte pour compléter nos réflexions. »
Castiel acquiesce lentement.
— « Vous espérez trouver de la correspondance qui parlerait de choses que la presse a ignoré ou l'historique des travaux sur le terrain », comprend-il avant de se gratter la mâchoire. « Et vous avez déjà dépouillé plus de quarante ans de l'histoire de la maison ? En seulement trois jours ? »
Sam sourit et lui tend leur carnet de bord.
Depuis leur dernière visite, ce dernier semble avoir doublé de volume. Des pages et des pages sont couvertes de l'écriture des deux frères, remplies de photocopies d'articles de presse dont des éléments ont été surlignés et annotés dans les marges. Il a des schémas, des choses entourées et surtout beaucoup de ratures.
Dean en fronce souvent les sourcils de frustration.
Le brun ne le remarque pas. Il le feuillette avec attention, légèrement penché vers son amie pour le consulter en même temps.
— « C'est très impressionnant… », dit-il après un court silence.
Dean se rengorge légèrement de satisfaction. Il contient son envie de jeter un regard arrogant à Carol, ce serait puéril mais il a vraiment envie.
Sa frustration s'évanouit aussi quand il voit l'estime dans les yeux de Castiel. Et 'espoir.
Sam récupère le carnet des mains du brun.
— « Je ne vous cache pas que la suite de nos recherches dans les archives va nous prendre au moins autant de temps. Nous faisons de longues journées mais cela représente des centaines de pages à éplucher. J'avoue que nous aimerions avancer plus vite… », reconnaît le blond.
Carol boit une gorgée de café et mange un morceau de tarte avant de darder ses prunelles noisette sur eux, encore dubitative.
Castiel grignote sa tarte par petits coups de fourchette réguliers et appliqués. Dean remarque qu'une miette s'égare brièvement à la commissure de ses lèvres fines.
— « Si vous dites vrai, cela fera donc au moins une semaine que vous êtes à Butler. Le contrat que Cassie a signé implique la prise en charge de tous vos frais si je me souviens bien… »
— « Tu sais que l'argent n'est pas un problème », souffle le brun en léchant distraitement les dents de sa fourchette.
Dean est encore distrait. La miette a disparu. Il se racle la gorge.
— « Nous faisons aussi vite que nous le pouvons. Les recherches prennent du temps mais sans elles, nous ne pourrons pas avancer », dit-il en plongeant à son tour son regard dans le sien. « Nous avons encore beaucoup de pistes à étudier. »
Castiel pioche du bout des doigts une grosse miette de pâte égarée dans le fond de son assiette. Dean ne peut s'empêcher de le regarder à nouveau. C'est plaisant de le voir manger avec appétit, sans cet horrible plaid sur les genoux. Le soleil qui baigne le jardin d'hiver ne rend plus sa peau translucide comme à leur dernière entrevue, elle la poudre plutôt délicatement d'o. Le châtain remarque que les cheveux un peu ébouriffés de Castiel ont des reflets presque chocolatés. Il aime le chocolat.
— « Je suis un peu surpris par le temps que vous y consacrez. Vous faites un véritable travail d'historien », dit finalement le brun en le regardant.
Dean sourit tandis qu'il s'appuie nonchalamment contre le dossier de la banquette.
— « Est-ce que vous êtes déçu que nous n'ayons pas de petits appareils avec des voyants multicolores qui bipent tout le temps ? », demande-t-il d'un ton malicieux.
Le brun rougit un peu et hausse légèrement les épaules.
— « Il n'y avait pas que ça. Certains utilisaient des pendules en cristal de roche ou des cartes de tarot pour lire dieu sait quoi », marmotte Castiel d'un ton pince sans rire.
— « Et il y avait l'homme avec le furet qui avait vécu une EMI et était revenu avec des capacités particulières », ricane Carol à ses côtés.
Dean lève les yeux au ciel en même temps que Sam. Ghostbuster a beau être un grand classique du cinéma des années 1980, il a alimenté les fantasmes de beaucoup d'amateurs plus ou moins éclairés.
Le châtain ricane tandis que Carol hausse un sourcil.
— « Vous ne faites pas ça mais vous chassez dans les bibliothèques ? », les taquine-t-elle.
— « Google offre aussi des perspectives réjouissantes. »
La jeune femme glousse tandis que Castiel esquisse un sourire.
— « Nous allons aussi rendre visite à la société d'histoire locale mais pas avant d'avoir terminé nos recherches aux archives municipales », poursuit le blond. « Nous avançons bien, nous vous demandons juste un peu de patience. »
— « Je serai patient », opine le brun. « Je l'ai déjà dit à Dean mais je me sens déjà un peu mieux grâce à vous. C'est comme si je respirais mieux. »
Le châtain jette un regard à son frère. Il faut qu'ils parlent à leur hôte du sel qu'il faut déjà remplacer, probablement en même temps que l'eau bénite.
Dean palpe distraitement la poche intérieure de sa veste en cuir. Sous ses doigts, il sent le relief du petit sachet en papier contenant le collier de Castiel. Il ne sait pas réellement quand le lui donner, ni devant qui d'ailleurs. C'est stupide parce qu'il ne s'agit que d'une médaille au bout d'une chaîne mais c'est un peu… intime d'une certaine manière.
Le châtain remonte sa main jusqu'à son cou sans le réaliser. Castiel cligne des yeux. Il pose son assiette devant lui et s'empresse de plonger la main dans l'encolure de son polo pour récupérer le bijou de Dean.
— « Je devrais vous la rendre maintenant. Rassurez-vous, je l'ai nettoyé. Il n'y a plus la moindre trace de corrosion. »
Carol hausse un sourcil curieux. Dean hésite un instant avant de sortir le petit sachet de sa veste. Il le tend un peu brusquement à Castiel.
— « C'est pour vous. Je l'ai acheté dans une bijouterie sur N McKean Street et je l'ai béni hier soir avec une prière à saint Michel. »
Le jeune homme ouvre délicatement le sachet et fait glisser la chaîne dans sa paume. Il la lève à hauteur d'yeux, accroché à un de ses doigts pour contempler la médaille. Celle-ci est de belle facture, en argent avec une ciselure délicate.
— « Elle est ancienne », note Castiel.
— « Je me suis dit que vous préféreriez », dit-il.
Dean sent sa nuque chauffer légèrement et il la masse du bout des doigts. Le brun le remercie d'un joli sourire et ils se regardent, longuement. Le jeune homme met un terme à ce moment un peu gênant en récupérant sa chaîne, faisant toujours tourner machinalement la bague à son annulaire. Bon sang, ce que cette sensation est étrange. Elle est en plus un peu serrée pour lui car Sam a les doigts plus fins que les siens. Un peu comme ceux de Castiel. Dean hésite une nouvelle fois puis retire l'anneau pour le poser devant le brun.
— « Prenez-la aussi en attendant que nous en sachions plus. Elle est gravée de symboles chrétiens et elle a aussi été bénie. Je préfère que vous ayez plus de talismans que pas assez. »
Précaution utile quand il sait que le sel s'est altéré en quatre jours et que les deux frères ne se souviennent pas d'avoir déjà vu une chose semblable.
Castiel prend le bijou et regarde attentivement les gravures à l'intérieur.
— « Des médailles religieuses ne sont pas des talismans. Certains pourraient vous dire que c'est un blasphème », dit-il en passant l'anneau à son doigt.
Dean le dévisage d'un air interdit avant de rire. C'est le même ton malicieux dont il se souvient quand ils s'appelaient le soir, le châtain appuyé contre la tête de lit ou le garde-corps du petit balcon de leur chambre. Les deux hommes échangent un regard presque complice et un sourire. Ils le savent tous les deux.
Pleinement rasséréné, Dean s'attaque enfin à sa part de tarte avec entrain. Son appétit redouble quand il voit le brun se resservir un petit morceau.
Après un moment, Castiel roule les manches de son polo sur ses avant-bras. Les muscles sont trop fins, les veines un peu saillantes mais la peau est plus rose. Le brun semble avoir un peu chaud alors Dean se lève obligeamment pour aller entrouvrir une des portes vitrées sur le jardin. Le brun le remercie d'un sourire avant d'entamer une discussion très intéressée avec Sam sur l'édition de la presse locale au tournant du XXe siècle.
Dean écoute distraitement, bercé par la voix familière de son frère et celle, plus claire que jamais, de Castiel.
Lui et Sam doivent retourner à la Butler Area Public Librairy pour onze heures, ils ont pris rendez-vous avec Robert Bennett pour récupérer les fonds documentaires dont ils ont besoin pour continuer leurs recherches. Hors de question d'être en retard, l'homme ne leur pardonnerait pas.
Entre-temps, ils vont aussi devoir trouver le temps d'aller acheter deux ou trois kilos de sel au supermarché local pour remplacer celui qu'ils ont déposé dans la maison.
Quand Carol part pour aller récupérer ses enfants pour le déjeuner, Dean saute sur l'occasion. Il explique succinctement au brun le problème pour ne pas l'inquiéter et lui promet de revenir dans la soirée dès la fermeture de la bibliothèque.
Castiel sourit toujours, confiant et apaisé. Il le salue du pas de la porte quand Sam et lui prennent congé.
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Les tempes vrillées par un léger mal de tête et la gorge râpeuse de poussière, le jeune homme revient quelques heures plus tard avec son cadet, guère en meilleur état que lui.
Le sel souillé est changé et est soigneusement récupéré car les deux frères espèrent pouvoir le purifier et le réutiliser.
Dean remarque immédiatement que Castiel porte la bague et le collier.
Le temps est si beau et clément que le brun les invite à rester encore un peu après le renouvellement des protections de la maison. Juste un moment pour discuter. Ou pour ne pas être seul. Le jeune homme s'empresse d'accepter alors que Sam ricane.
La température est encore agréable alors, quand il voit Castiel jeter de petits regards d'envie au jardin, Dean prend son imposant fauteuil à bras le corps pour poser dehors dans une nappe de soleil. Sam le suit avec deux chaises et sa sacoche passée en bandoulière sur son torse.
Les trois hommes étalent entre eux les carnets ouverts et la documentation rassemblée dans l'après-midi, sans plus de succès. Il y a toujours plus de ratures dans leur journal de bord.
Rapidement, ils s'installent plus confortablement.
Guidés par Castiel, Dean et son frère sortent une table pliante rangée dans un discret abri de jardin caché derrière un rideau de verdure. Ils la nettoient puis apportent le service à café, leurs assiettes et le plat à tarte. Il en reste encore.
Le brun fait légèrement racler son fauteuil sur l'herbe pour se rapprocher de la table et prend le carnet de bord des deux frères pour recommencer à le feuilleter avec intérêt. Ses mains s'égarent parmi les photocopies alors qu'il tente de participer de son mieux à l'enquête.
Castiel leur apporte d'autres précieuses informations sur le fonds d'archives de la famille Debray et il leur donne le contact d'un historien amateur chevronné, membre de la Butler County Historical Society. Le brun a compris que leurs relations difficiles avec Robert Bennet pas-si-charmant les rendait un peu circonspects quant à leur chance de parvenir à faire mieux.
Dean regarde le numéro de téléphone que le jeune homme a écrit sur le bas d'une page et lui adresse un sourire réellement reconnaissant.
Les deux hommes sont assis à côté l'un de l'autre et tout à leurs hypothèses enthousiastes, leurs mains se rencontrent parfois parmi les papiers épars.
Ils se sourient maladroitement avant de reprendre leur conversation animée.
Dean et Sam quittent finalement la maison de Castiel à la nuit tombée.
Le brun a les traits un peu plus marqués qu'à leur arrivée. Il est fatigué mais insiste pour les raccompagner une nouvelle fois jusqu'à la porte. Dean l'aide à se relever et reste prudemment à côté de lui tandis qu'ils traversent le jardin d'hiver et le couloir jusqu'au vestibule. Juste au cas où.
Castiel ouvre lentement la porte, le châtain sort sur le perron mais garde les yeux sur lui.
— « Je vous rappelle demain soir pour refaire le point. »
— « Merci. Vous pouvez aussi revenir ici quand vous le souhaitez, je ne quitte pas la maison. »
Dean hoche la tête. Il voit le jeune homme se mordre légèrement les joues et l'espace d'un instant, il pense que Castiel va les inviter à rester dîner. Il aimerait bien. Ça s'est vraiment bien passé entre eux cette après-midi.
— « Merci pour tout ce que vous faites », reprend finalement le brun en se frottant les yeux.
Dean hausse les épaules, comme si c'était peu de choses. Castiel a fait le même geste un peu plus tôt, c'est charmant.
— « C'est notre travail. »
— « Peut-être mais vous le faites bien. » Le brun cache un bâillement dans sa paume. « Est-ce que je dois continuer ce que je fais ? Vérifier les marques sur mon corps chaque matin ? Je me suis dit que je pouvais aussi commencer un carnet pour y noter mes rêves et tout ce que je vois. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée ? »
— « … Ça pourrait nous aider », répond le châtain en avalant sa salive. « Si vous y pensez, est-ce que vous pouvez aussi regarder les coupelles de sel et nous prévenir si vous constatez le moindre changement ? »
— « Vous venez de le changer. »
— « C'est vrai mais il n'était pas censé changer de couleur en quatre jours. »
— « Oh. D'accord, je le ferai. »
Le brun hoche la tête avec conviction, comme si une mission de la plus haute importance venait de lui être confié.
Dean sourit doucement. Il remarque la manière dont le jeune homme joue distraitement avec la bague à son doigt.
— « Continuez aussi à porter vos protections. Nous ne savons pas encore ce qui se trouve ici mais il y a une chose dont nous sommes sûrs maintenant. Il n'aime vraiment pas ça puisqu'Il ne vous approche plus alors ne vous en séparez jamais. »
Castiel s'appuie d'une épaule contre le chambranle et lève légèrement les yeux au ciel d'un air un peu froissé.
— « Je sais. Je vous ai déjà dit que je gardais le vôtre tout le temps, y compris sous la douche. »
Dean ignore soigneusement le regard de Sam qu'il sent lui brûler la nuque. Oui, il n'a pas jugé bon de préciser ça à son frère quand ce dernier l'interrogeait sur ses échanges avec le brun. Après tout, ce n'était pas vraiment important. À quoi cela pouvait-il bien leur servir de savoir que Castiel se douchait avec le bijou ? Qu'il dormait avec ? Pas à grand-chose pour les aider dans leur enquête. Alors Dean n'a juste rien dit. Pas de rire gentiment moqueur, pas de sourire malicieux à son frère. Ça ne regardait que lui et le brun.
Il le pensait en tout cas jusqu'à sentir les prunelles revolver de son frère peser lourdement sur lui. Sam va rire et sourire. Beaucoup. Il le sait déjà.
— « Je vous écoute vous savez. Je vous crois et j'ai confiance en vous. Je ferais tout ce que vous me demandez », reprend doucement Castiel en plongeant ses yeux dans les siens
Dean contient son envie de passer une main gênée dans sa nuque. Il y a tant… d'espoir dans son regard bleu. Juste quelque chose de franc, de simple et de sincère. Le brun a confiance en eux.
Sam esquisse un geste vers l'Impala.
— « Je vous rappelle demain », répète le châtain sur les marches du perron.
— « J'attendrai vos nouvelles. »
Dean le salue d'un geste de main tandis qu'il descend la petite allée vers la voiture.
Alors qu'il contourne le capot pour s'installer derrière le volant, le châtain songe à beaucoup d'autres choses que leur enquête.
Une fois encore, ça ne les fera pas progresser, pas du tout même mais il est content.
Pendant la soirée, Dean a appris que Castiel et lui avaient sensiblement le même âge et cela lui donne vraiment envie de le tutoyer. Outre qu'il trouve ça sexy. Il a même failli le faire plusieurs fois avant de se mordre la langue. Ça lui est venu quand le brun et lui se sont défiés du regard pour savoir qui terminerait le dernier morceau de tarte aux pêches. Castiel tirait très lentement le plat à lui sans le quitter des yeux. Tellement improbable. Tellement… agréable. Dean a cédé de bonne grâce, avec une rapidité qui a fait ricaner son frère.
Le châtain se glisse sur le siège conducteur et engage l'Impala sur la route.
Dans son rétroviseur central, il voit Castiel les saluer puis encore une dernière fois quand Dean fait demi-tour sur Belmont Road et repasse devant la maison.
Ah, une dernière pensée encore tandis que lui et Sam s'éloignent sur N Monroe Street pour regagner le centre-ville.
Sur le brun, une bague ne fait pas bizarre du tout. C'était même… distrayant de le voir jouer avec quand il la faisait tourner distraitement autour de son doigt avec son pouce.
Peut-être que Castiel a l'habitude de porter des bijoux.
Dean appuie son coude sur le montant de la portière et sourit.
Non, ce n'est pas bizarre du tout.
