Mes petits chats,
Dans cette sixième partie, l'enquête de Dean et Sam à Butler continue, leur frustration aussi.
En préparant cette publication, j'ai réalisé combien la partie précédente était trop longue. Emportée par mon élan, je me suis un peu laissée dépasser et j'aurai dû la diviser autrement. A partir de maintenant, je vais tenter d'équilibrer plus agréablement les différentes publications, aussi pour vous faire gagner en confort de lecture. Je suis la première à regretter les parties beaucoup trop longues dont la lecture finit par être fastidieuse… Mea culpa, cela ne se reproduira plus.
Par ailleurs, j'ai remarqué des coquilles quand j'ai téléchargé le fichier sur la plateforme avant sa publication. Je pense les avoir toutes corrigées (mots et espaces manquants) mais il peut y en avoir encore. N'hésitez pas à me les signaler.
Je vous laisse dès à présent en leur agréable compagnie.
Pour les curieux, quelques notes ci-dessous et pour les pressés, ça se passe un peu plus bas.
Bonne lecture,
ChatonLakmé
Le rasoir d'Ockham (dit aussi principe de simplicité) est un principe de raisonnement philosophique, théorisé au XIVe siècle par Guillaume d'Ockham, un théologien anglais. Le terme vient de « raser » qui désigne le fait d'éliminer les explications non nécessaires d'un phénomène. Vulgarisée, c'est l'idée que l'explication la plus simple est souvent la meilleure.
Le saturnisme désigne l'intoxication au plomb, un métal lourd aux effets très nocifs sur la santé. Identifiée dès l'Antiquité, cette maladie a été très documentée au XIXe siècle, époque à laquelle elle connaît un énorme regain d'activité. L'interdiction d'ajouter du plomb dans les peintures et l'essence a contribué à faire baisser le nombre de cas dans les pays de l'hémisphère nord au cours du XXe siècle.
Le ouija est une planche alphabétique censée permettre de communiquer avec les morts grâce à un objet qui se déplacerait dessus, guidé par un esprit. C'est un thème récurrent du cinéma d'horreur, notamment dans les films mettant en scène des adolescents.
L'Institute of Fines Arts est un département très réputé de l'université de New York dédié à l'enseignement de l'histoire de l'art.
L'affaire Philippe Delveau
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Sixième partie
Butler, Pennsylvanie, lundi 2 octobre
Dean a fait tellement de fois le tour du quartier de leur hôtel à pied qu'il a cessé de les compter. C'est peut-être le cinquième. Ou le dixième. À moins que ce ne soit le quinzième. Il a un peu oublié et ça n'a pas vraiment d'importance. Pas plus que le temps qu'il passe à tourner en rond autour du Clarence Hill et les regards qu'il jette à la fenêtre de leur chambre pour voir si les rideaux sont ouverts.
Le châtain regarde l'écran de son portable.
Il marche – il erre, serait plus exact – depuis quarante-cinq minutes. Ou peut-être une heure et demie, il ne sait plus vraiment non plus.
Au tour numéro sept – Dean croit que c'est celui-ci – il a poussé un peu plus loin sa promenade, jusqu'à Ridge Avenue Street et ce café qu'il a repéré à son arrivée à Butler.
Le châtain s'est attablé sur la minuscule terrasse le temps d'y déguster un expresso et un muffin aux pépites trois chocolats avant de reprendre sa marche. Son errance.
Nouveau regard à la fenêtre de leur chambre.
Dean s'arrête.
Les rideaux sont ouverts, Sam est réveillé.
Le jeune homme soupire de soulagement. Enfin.
Il a quitté l'hôtel pour le laisser dormir tout son saoul et parce qu'il avait besoin de réfléchir. Surtout de réfléchir, cette solitude lui a fait du bien.
Le jeune homme est toutefois heureux de retrouver son cadet dans quelques minutes. Il a besoin de s'assurer que Sammy va bien. Qu'il va mieux. Dean n'a pas vraiment avancé sur l'affaire pendant son errance dans le quartier mais si son petit frère ressemble à nouveau au grand échalas malicieux qu'il connaît depuis toujours alors la journée sera belle.
Le châtain reprend sa marche d'un pas un peu plus alerte pour rejoindre le minuscule parking aménagé à côté du Clarence Inn.
Il hausse un sourcil en voyant Sam nonchalamment assis sur le capot de l'Impala, un pied sur la calanque et les mains dans les poches de son blouson. Dean se racle bruyamment la gorge mais le blond bronche à peine. Son cadet tourne lentement la tête vers lui, les yeux encore gros de sommeil.
Le jeune homme esquisse un sourire affectueux. Sam va vraiment mieux.
— « J'ai trouvé ton mot. Je te remercie mais tu aurais pu t'abstenir de déchirer une page du carnet. C'est notre outil de travail », dit-il en agitant un morceau de papier blanc entre eux.
Dean ricane. Ouais, Sam va vraiment beaucoup mieux.
Le châtain le rejoint et le bouscule légèrement d'une épaule pour lui faire poser les deux pieds au sol. Son frère obtempère en grommelant.
Dean ne peut s'empêcher de jeter un regard à la calanque de l'Impala. Pas de rayure ni de saletés. Parfait. Oui, ça va être une belle journée.
Il s'installe à côté de lui.
— « Tu as du chocolat juste là », reprend Sam après un silence en montrant la commissure de sa bouche. « Tu as déjà pris ton petit-déjeuner ? »
— « Non. J'ai marché en attendant que tu te réveilles, j'avais besoin de réfléchir. Est-ce que tu te sens mieux ? », répond Dean en lui jetant un regard en coin.
Son cadet baisse les yeux sur ses pieds d'un air gêné. Le châtain lui donne un autre petit coup d'épaule.
— « Je suis content que tu ailles mieux », ajoute Dean d'un air nonchalant. « … Je crois que la dernière fois que tu as dormi aussi longtemps, tu avais huit ans et tu bavais sur mon oreiller. Maman avait trouvé ça très mignon. Je crois qu'il doit encore y avoir une photo dans ton album à la maison. »
— « Jerk. »
— « Bitch. »
Les deux frères se défient brièvement du regard avant de ricaner. Sam inspire profondément et s'appuie à deux mains sur le capot de l'Impala. Ses paumes vont aussi laisser des traces sur la peinture mais Dean ne relève pas. Il peut être encore un peu complaisant.
— « … Je n'ai pas fait de rêve, je n'ai rien senti de plus non plus depuis hier », souffle le blond d'un ton d'excuse.
— « Il arrive rarement que tu aies des réminiscences après un rituel de Révélation. C'est peut-être encore trop tôt. »
Sam secoue lentement la tête, l'air sombre.
— « Je suis persuadé qu'il n'y aura rien de plus. Nous avons prononcé la prière dans chaque pièce de la maison, du sous-sol jusqu'aux combles, et nous avons plus une seule goutte d'eau bénite de Saint Paul Roman Catholic Church mais il ne s'est rien passé Dean. Mon antenne a été complètement inutile. »
Le châtain se mord les joues. Pour que son frère tourne ainsi sa sensibilité en dérision, c'est qu'il est vraiment défait. Au moins autant que lui. Dean ne peut pas faire semblant, il espérait aussi beaucoup de ce rituel. S'il doit être honnête, il est même un peu vexé de s'être montré aussi inefficace que les cohortes de charlatans venus soutirer de l'argent à Castiel.
Castiel.
Le jeune homme se rappelle soudain qu'il lui a promis de l'appeler et qu'il ne l'a pas fait le soir précédent. Trop de choses à penser, trop d'inquiétudes à apaiser mais ce n'est pas une raison suffisante à ses yeux. Le brun compte sur lui et il n'est pas responsable de leur échec.
Dean s'assombrit un peu.
— « Ce n'est pas encore fini, Dean. Maintenant, nous pouvons affirmer qu'aucun événement tragique n'est à l'origine du mal qui hante la maison. Il nous reste d'autres pistes à explorer », reprend Sam.
Le châtain donne un coup de pied dans un caillou devant lui. Il l'observe rebondir quelques mètres plus loin, encore et encore et encore.
— « Nous ne sommes pas obligés d'en parler maintenant. Allons manger d'abord, tu n'as rien avalé depuis les barres chocolatées d'hier. »
À ce souvenir, Sam grimace un peu et frissonne exagérément. Dean lui donne un coup de coude dans les côtes en roulant des yeux.
— « Nous pourrions aller manger les délicieux pancakes de Mrs. Singleton mais tu plisses le front comme papa quand il est frustré. Avoue ce qui se tracasse, tu apprécieras bien mieux ton petit-déjeuner », le taquine son frère.
Dean soupire. Il s'appuie plus confortablement contre le capot de l'Impala, croise les jambes devant lui et les bras sur son torse.
— « Le problème ne vient pas de la maison, il nous reste donc deux possibilités. La cause est une des antiquités que Castiel a apporté avec lui de New York ou l'entité est liée à son histoire personnelle. Ça peut être tout et n'importe quoi à la fois, ça ne nous aide pas vraiment », expose doctement le châtain.
Sam hoche lentement la tête.
— « … J'ai eu une autre idée ce matin quand je me suis réveillé. J'ai pensé au rasoir d'Ockham. »
— « La solution la plus simple est souvent la meilleure », traduit immédiatement Dean. « Précises. »
— « La maison est très ancienne, il peut y avoir encore des canalisations en plomb ou de l'amiante dans les peintures. Castiel boit l'eau du robinet, il ne sort presque pas, il pourrait être en train de s'empoisonner. Ça expliquerait la détérioration de sa condition physique. La perte de poids, la fatigue et l'anémie sont des symptômes d'un empoisonnement aux métaux lourds. »
— « … Qu'est-ce que tu veux dire ? » Dean écarquille les yeux de surprise. « Tu as bien vu les griffures sur ses bras, n'est-ce pas ? »
— « Il a pu se les faire lui-même dans son sommeil. Je te rappelle que Castiel est le premier à en avoir parlé. »
— « Et la morsure dans sa nuque ? », persiste le châtain.
— « Il est évident que personne ne peut se faire ça seul. … Castiel nous a dit qu'il ne voyait personne mais il a pu nous mentir sans penser à mal. Juste par pudeur. Il a parlé d'un homme… », répond prudemment Sam.
— « Comment est-ce que tu interprètes ses rêves ? »
— « Le cerveau est un organe incroyable », se contente de répondre le blond en haussant les épaules.
Dean le regarde d'un air parfaitement interdit. Il décroise lentement les bras et se tourne vers lui. Il déteste ce que son frère est en train d'insinuer.
— « Conneries. Cas a fait plusieurs examens médicaux, les médecins auraient déjà établi le bon diagnostic », grogne-t-il d'un air peu amène.
— « Le saturnisme est une maladie du siècle dernier, je doute que ce soit la première chose qu'ils aient cherché », proteste son cadet. « Et ne me regarde pas comme ça. Ce n'est qu'une simple hypothèse, je ne dis pas que c'est ce qui est en train de se passer. »
Dean renifle avec dédain et son frère roule des yeux d'un air vaguement exaspéré.
Le châtain se relève, s'éloigne de l'Impala en direction du Clarence Inn. La conversation est finie. Sam râle et le rejoint en quelques grandes enjambées.
— « J'essaye seulement d'être pragmatique. »
— « Et bien tu as tort. La raison n'est pas aussi… banale et il y a vraiment quelque chose qui s'en prend à Cas. Quelque chose de surnaturel », appuie-t-il à dessein.
Sam lève les mains devant lui en signe d'apaisement.
— « Est-ce que je passe par notre chambre pour récupérer le carnet ? Tu veux avancer sur la suite pendant le petit-déjeuner ? »
Dean grommelle une réponse plus qu'il ne la formule. Son frère n'insiste pas. Il tient la porte de l'hôtel à son cadet et passe une main dans ses cheveux.
— « J'appellerai Cas après le repas, je lui ai promis de le faire hier soir », marmotte-t-il.
— « Donc on travaille dessus tout de suite », conclue Sam.
Le jeune homme prend la direction des escaliers pour regagner leur chambre. Le pied sur la première marche et une main sur la rampe, il lui jette un regard.
— « La deuxième explication la plus probable est que Castiel soit au cœur de l'affaire. Nous allons devoir l'interroger, parler de sa vie personnelle et de sa vie privée. »
— « Je sais. Je vais m'installer en terrasse », grogne Dean.
Le jeune homme n'attend pas de réponse. Il traverse immédiatement la petite entrée de l'hôtel, adresse son sourire le plus charmant à Mrs. Singleton quand il l'aperçoit sur la terrasse. Son hôtesse pour une robe à poids et un turban en soie dans ses cheveux clairs.
— « Il est tard Mr. Winchester », lui reproche-t-elle doucement.
— « Je suis désolé Mrs. Singleton. Est-ce que le service du petit-déjeuner est terminé ? »
- « … Pas tout à fait, installez-vous. Votre frère vous rejoint ? »
Dean a plutôt entendu quelque chose qui ressemblait à « Oui, la cuisine est fermée mais je vais faire une exception pour vous » alors il lui sourit d'un air particulièrement charmant.
Les mots de Sam tournent dans sa tête, il triture machinalement sa fourchette avec agacement.
Castiel avec quelqu'un ? … C'est ridicule, le brun leur a promis d'être honnête.
… Il l'a fait, n'est-ce pas ?
.
Dean est assis à côté de Castiel dans un des salons du rez-de-chaussée, le blanc. C'est une pièce dans laquelle ils ne sont pas encore installés depuis leur arrivée à Butler.
La journée est maussade, lourde et pluvieuse. Personne n'a sorti le salon de jardin, les trois hommes ont préféré se regrouper dans ce salon, réchauffée par des boiseries anciennes et un confortable mobilier plus contemporain. Le tissu qui le recouvre est de couleur crème, le châtain a prié très fort pour ne pas le tacher quand il s'y est assis un peu plus tôt.
Castiel s'est éclipsé pour aller préparer du café, il se tord le cou pour regarder la coupelle de sel cachée derrière le rideau. Son contenu est déjà gris foncé. Il a été changé le jour précédent.
L'ambiance dans le salon est aussi maussade qu'à l'extérieur.
Quand Dean entend une pluie fine tomber et crépiter doucement sur les fenêtres, il serre les dents.
Belle journée qu'il disait ? Journée pourrie, oui.
Sa maigre consolation a été de voir que le brun porte à nouveau sa bague mais il n'a pas eu besoin de l'interroger pour savoir qu'il a mal dormi.
Le châtain jette un regard à son frère.
Assis dans un fauteuil voisin, Sam tient sagement son carnet ouvert sur ses genoux serrés. Il lit avec intérêt les tranches des livres rangés dans la grande bibliothèque qui orne un pan de mur.
Escorté par un discret tintement de porcelaine, Castiel revient et Dean s'empresse de dégager la table basse pour l'aider. Le brun le remercie d'un sourire un peu fatigué et les sert tous les trois. Il se rassoit lentement puis boit une gorgée.
Dean l'imite, sans réelle envie. La boisson est bonne pourtant et les grains de grande qualité. Le silence est pesant. Il repose sa tasse, Sam n'a pas touché à la sienne.
Son frère se racle légèrement la gorge. Castiel lève les yeux sur lui, la tête un peu penchée sur le côté.
— « Tu as l'air d'aller mieux », dit doucement le brun.
— « Dean n'a pas ronflé, j'ai bien dormi », répond Sam d'un ton malicieux.
Le jeune homme sourit tandis que son frère roule des yeux à côté de lui.
Le blond ouvre sa sacoche et en sort une pochette cartonnée puis une enveloppe en papier kraft. Dean détourne les yeux, presque avec pudeur. Ah oui, il y a encore ce moment à passer avant de parler de la vie privée de Castiel. Il déteste ça. Journée pourrie.
- « Comme Dean te l'a expliqué, notre rituel de Révélation n'a rien donné mais il y a une autre piste que nous aimerions explorer avec toi », commence Sam. « Avant ça, je dois te donner nos factures de la semaine passée comme preuve de nos dépenses. »
— « Cela fait déjà une semaine ? »
Le brun tend machinalement la main pour récupérer l'enveloppe.
Dean se mord les joues. Il sait que Castiel ne pense pas à mal mais il a tellement de raisons de se crisper à ses paroles. Déjà une semaine comme « Vous êtes déjà là depuis plus de quinze jours et vous n'avez abouti à rien ? » ou « Cela fait déjà une semaine et je dois à nouveau vous payer ? »
Il enfonce sa tête entre ses épaules. Bordel. Dans une situation normale, Sam et lui seraient déjà en train de brûler, d'enterrer ou de… faire Dieu sait quoi d'autre pour faire disparaître leur proie. Ils sont encore loin de quitter Butler et le châtain a l'impression que parler d'argent avec Castiel est indécent.
C'est même être au comble de la torture quand le brun ouvre l'enveloppe pour lire avec attention les factures.
Castiel hoche la tête.
— « Est-ce qu'un règlement par chèque vous convient toujours ? »
Dean grogne quelque chose d'inintelligible entre ses dents serrées. Quelle importance, qu'ils passent vite à autre chose. Sam hoche la tête, il a déjà la main le petit calepin comptable leur permettant de donner une preuve de dépôt des paiements.
— « Tu peux régler à ta convenance, par chèque ou en liquide. … Tu comprendras que pour des raisons de confidentialité, Dean et moi n'acceptons pas les virements bancaires. »
Le châtain gronde. C'est presque obscène. Sam est-il réellement obligé de détailler par le menu la manière de les payer ?
Le brun range avec soin les factures dans l'enveloppe, la pose sur la table basse. La réponse de Castiel l'achève.
— « Je vais chercher mon chéquier », dit-il en esquissant un geste pour se lever.
— « Nous verrons tout ça plus tard Cas, Sam et moi ne sommes pas là pour parler comptabilité », réplique Dean.
— « Le montant total de vos dépenses est de plus de huit cents dollars, vous avez dû avancer beaucoup d'argent », rétorque le brun.
Le jeune homme hausse les épaules, il éloigne avec soin l'enveloppe sur la table basse. Loin, très loin d'eux.
— « Tu es plus important et notre banquier ne va pas nous appeler subitement pour nous dire que nous sommes à découvert », grogne-t-il avant de sentir ses oreilles chauffer.
— « Vous l'êtes ? À découvert ? Dean, je dois vraiment vous régler maintenant et – »
Le châtain secoue la tête. Il pose une main sur le genou de Castiel pour lui indiquer de rester assis sur le canapé, à côté de lui.
— « Plus tard. On peut poursuivre sur ce qui nous amène vraiment maintenant ? », dit-il d'un ton vaguement exaspéré.
Le brun fronce les sourcils avant d'obtempérer, l'air encore un peu suspicieux sur l'état de leurs finances.
Dean lève les yeux au plafond.
Sam et lui ne sont pas millionnaires mais ils ne sont certainement pas dans le besoin non plus. Leur banquier à Lawrence, le même que ceux de leurs parents, leur fiche royalement la paix depuis plus de vingt ans. Les deux frères sont à ce point inexistants pour lui que quand ils ont reçu un petit héritage au décès de leur grand-mère maternelle, Mr. Cruz n'a pas non plus jugé bon de les appeler pour leur conseiller des placements financiers.
Castiel croise ses mains sur son ventre.
— « … Je vais vous payer tout à l'heure. »
— « Je sais mais je préfère qu'on se concentre sur ce qui est vraiment important plutôt que sur nos factures de petit-déjeuner », marmotte le châtain.
Le jeune homme esquisse un sourie et hoche la tête.
— « Qu'est-ce que vous envisagez de faire maintenant ? », demande-t-il poliment.
Dean passe une main dans sa nuque et la masse du bout des doigts. Comment formuler ça sans paraître trop intrusif ou déplacé ? Il fronce les sourcils. Simple et direct, sans fioritures mais avec un sourire quand même. Pour faire passer le tout. À la Dean Winchester, quoi.
— « … Si la maison n'est pas en cause alors que tu viens de t'y installer, l'explication la plus probable est que l'entité est venue avec toi. »
— « … C'est de ma faute ? », souffle Castiel d'un air défait.
— « Non, pas du tout. Elle peut t'avoir suivi pour deux raisons. Tu es antiquaire et les objets, comme les maisons, peuvent être porteurs des souvenirs de leurs propriétaires ou de choses plus maléfiques. C'est particulièrement vrai quand ils sont anciens et ton lieu d'habitation en est rempli. C'est un lien indirect », explique doctement Sam.
— « Quelle est la seconde raison ? »
— « … C'est que l'entité est directement liée à toi et pour le découvrir, nous allons devoir en apprendre plus sur ta vie », reprend le blond avant de sourire d'un air taquin. « Je le répète, tu n'es responsable de rien. … À moins que tu ne t'amuses avec une planche ouija ou que tu pratiques la sorcellerie. »
— « Sam… », grommelle Dean d'un ton vaguement menaçant.
— « Ouija est un film, ça n'existe pas réellement », répond Castiel en fronçant légèrement le nez.
Le brun cligne lentement des yeux. Dans son visage émacié, cela lui donne un peu l'air d'un hibou aux plumes ébouriffées et c'est assez adorable.
Dean sourit doucement. En réalité, les premières planches ouija ont été produites aux États-Unis à la fin du XIXe siècle et elles ont été utilisées pour des séances de spiritisme. Le cinéma n'a fait que s'emparer de l'aspect sensationnel de l'histoire mais c'est anecdotique pour leur sujet.
— « Tu tiens probablement des registres pour tes acquisitions », reprend-il et le brun acquiesce. « Si tu es d'accord, Sam et moi aimerions les consulter et que tu nous dises tout ce que tu sais à leur sujet. Est-ce que certains sont un peu différents ? »
— « Différents en quoi ? J'ai une très rare chaise italienne du XVIIIe siècle en marbre incrusté mais je doute que ce soit ce que tu sous-entends… »
Dean rit doucement.
— « Je pensais plutôt à des objets qui pourraient figurer dans un cabinet de curiosité ou qui auraient servi dans des cérémonies religieuses, peu importe la confession et le lieu de production. …Peut-être as-tu aussi des objets en os humain ? »
Castiel cligne encore des yeux. Un hibou ou une chouette, une de ces mignonnes petites chouettes au plumage doux comme de la soie. Le châtain a envie de passer une main dans ses cheveux sombres un peu fous mais la flamme soudaine dans les prunelles bleues le dissuade de faire le moindre mouvement. Il secoue vivement la tête.
— « Je n'achète pas ce genre de choses. Je fais du commerce d'objets d'art, pas de curiosités et moins encore quand elles sont un peu morbides. Dès que j'ai un doute sur une provenance ou une utilisation, je préfère renoncer à un achat. Mes clients me font confiance pour vérifier ce genre d'informations pour eux, ils veulent des œuvres avec un historique irréprochable. Certaines œuvres valent plusieurs centaines de milliers de dollars. Ce sont toutes des pièces anciennes », ajoute le brun en voyant Dean jeter un regard torve au canapé sur lequel ils sont assis.
Le brun sourit gentiment mais le jeune homme n'est pas pour autant plus à l'aise à l'idée de le tacher par maladresse. Le sofa est couvert d'une flanelle en fine laine bouclée qui transpire aussi les dollars.
Sam ouvre son carnet sur ses genoux et griffonne quelques mots en en-tête d'une page vierge. Castiel louche un peu sur son écriture avec curiosité.
— « Bien entendu, je vous donne accès à toutes les pièces et à tous les registres de mon magasin si cela peut vous aider. Je les connais par cœur. »
— « Merci Cas. »
Le brun sourit d'un air un peu timide à Dean avant de froncer légèrement les sourcils. Il fait tourner distraitement sa bague à son doigt.
— « … Il me reste aussi des exemplaires des catalogues de toutes les expositions que j'ai organisées dans mon ancienne galerie à New York et les catalogues raisonnés des ventes thématiques qu'on organisait chaque trimestre. J'ai tout conservé, c'est le travail de ma vie… »
Le brun se penche et tire de sous la table basse un épais volume qu'il tend à Sam.
Dean plisse les yeux avant de hausser un sourcil appréciateur. La couverture est cartonnée, le papier est glacé et épais avec des photographies couleurs en pleine page superbement imprimées.
Son frère le feuillette avec intérêt avant de le lui donner. Le jeune homme s'en empare presque avec révérence. La publication est luxueuse et sur la quatrième de couverture, il lit un prix de vente qui le fait déglutir un peu. Pour ce montant, Sam et lui pourraient dîner au moins deux fois dans un bon diner du centre-ville.
Il retourne à nouveau la publication et lit le titre, imprimé dans une belle police italique.
De château en château. Mobilier français du XVIIIe siècle.
— « C'est le dernier catalogue que j'ai fait éditer avant de fermer la galerie. Selon moi, c'est un des plus aboutis », souffle Castiel d'une petite voix.
Dean lit distraitement les noms inscrits en dessous du titre.
Castiel Novak. Gabriel Speight.
Le châtain fronce légèrement les sourcils. Qui est Gabriel Speight ? Le jeune homme n'a jamais parlé d'une autre personne.
— « … Qui est Gabriel ? Son nom est écrit à côté du tien », demande-t-il à brûle-pourpoint.
Une ombre passe dans les prunelles bleues de Castiel. Une ombre si emplie de mélancolie qu'elle est au-delà de la tristesse.
Dean referme le volume sur ses genoux.
En face de lui, il voit que Sam tient son stylo en l'air, prêt à noter. La réaction du brun les intrigue.
Castiel garde le silence un long moment, faisant un peu bouillir le sang du châtain.
. ?
— « … Gabriel était mon partenaire », souffle finalement le brun d'un ton douloureux.
Dean hoche la tête, la bouche un peu tordue. Ah. Castiel le regarde et cligne des yeux. Il sourit doucement mais il exsude encore de douleur.
— « Gabriel était mon partenaire en affaires et mon meilleur ami », précise-t-il doucement. « Nous avons fait nos études ensemble à l'Institute of Fines Arts de l'université de New York avant de nous associer une fois diplômés. … Notre galerie était notre projet de vie. Nous l'avons ouverte ensemble et nous l'avons faite grandir. Elle était tout pour nous alors continuer sans lui n'avait plus vraiment de sens. »
Dean et Sam échangent un regard. Le châtain caresse distraitement la couverture cartonnée de son pouce, il le passe encore et encore sur le nom du disparu. Les lettres sont imprimées dans un très léger relief.
— « … Que lui est-il arrivé ? »
Castiel récupère familièrement l'ouvrage sur ses genoux, si distrait qu'il ne remarque pas que ses doigts effleurent la cuisse de Dean. Il le feuillette longuement, plongé dans un silence recueilli avant de s'arrêter sur une double page. Il s'agit de la notice d'un commode en placage de bois clair, ornée de bronzes dorés et d'un plateau en marbre pourpre veiné de gris et de blanc.
— « C'est une commode commandée pour le roi de France Louis XV et qui meublait le château de Versailles, un des plus beaux coups de Gabriel. Il a presque pleuré de bonheur quand il l'a trouvé dans une modeste chambre d'hôtel dans la banlieue de Paris. Le propriétaire pensait que c'était une copie et il l'avait acheté cent cinquante dollars dans un dépôt-vente. Nous l'avons vendu plus d'un million et demi de dollars à un collectionneur privé. … Gabriel est mort une semaine après. » », souffle-t-il d'une voix émue.
Castiel renifle discrètement, ses doigts fins crispés sur les pages. Dean hésite avant de se rapprocher imperceptiblement de lui sur le canapé, une savante glissade que le brun ne remarque pas. Il semble très loin et surtout, particulièrement effondré.
— « Comment est-il mort ? », l'interroge délicatement Sam.
— « Une voiture l'a percuté sur route 78 alors qu'il sortait d'un rendez-vous dans les Hamptons. On m'a prévenu une heure après mais il était trop tard, Gabriel était juste… parti. J'ai tenu la galerie ouverte pendant encore huit mois avant de la fermer et de quitter New York. Je n'y arrivais plus sans lui. »
Dean hoche lentement la tête.
— « Il était quelqu'un de très important pour toi. »
— « … Il était mon Sam. »
Castiel lui sourit mais ça ressemble à une grimace désespérée.
Le châtain acquiesce une nouvelle fois.
Le jeune homme n'a pas à ajouter quoi que ce soit, il comprend. À la manière dont les yeux de son frère se voilent un peu, lui aussi. Perdre quelqu'un que l'on connaît est toujours douloureux mais une sorte d'autre soi-même, c'est destructeur. Ça brise quelque chose en soi et ça rend plus fragile. Plus vulnérable.
Dean jette un regard en coin à Sam. Le blond est en train d'écrire dans son carnet, sans doute a-t-il lui aussi noté cette information capitale. Les entités aiment la vulnérabilité. Elles sont habiles à élargir les fissures pour les transformer en gouffre, creusant toujours plus profond avant de s'y lover confortablement et de s'en nourrir. Le châtain espère vraiment que Sam songe à la même chose que lui.
Castiel se pince l'arête du nez, les yeux fermés. Il frotte ensuite ses doigts sur son pantalon. Ses yeux sont un peu rougis, ses joues un peu pâles.
Dean se mord les joues.
Le brun a vraiment été touché par le décès de son meilleur ami et c'est encore une blessure à vif.
Il se rapproche encore un peu sur le canapé. Le brun lève lentement les yeux sur lui alors il s'enhardit à poser une main sur son épaule.
— « Je suis désolé Cas. »
Le brun exhale un soupir un peu tremblant, véritablement lourd de sanglots.
— « C'était… un accident, cela arrive », reprend-il dans un croassement.
— « Cela reste injuste. »
— « Oui, ça l'est… Il me manque tellement… », chuchote Castiel.
Le châtain presse un peu plus fort son épaule, sa main glisse ensuite dans son dos pour le frotter d'un geste amical.
Le brun a les yeux à nouveau baissés sur ses genoux, il ne semble pas réellement prêter attention à ce qu'il se passe autour de lui. Pas plus qu'à Dean. Lui sent par contre avec une acuité brûlante la peau tiède sous la chemise claire, la crête à peine perceptible mais réelle de ses vertèbres. Sam écrit toujours, penché sur leur carnet.
Castiel se racle légèrement la gorge et se redresse lentement. Dean retire sa main à regret. Il aurait bien aimé la faire remonter jusqu'à la nuque et toucher les petits cheveux noirs qui l'effleurent. Ils ont l'air doux.
— « J'ai fermé notre magasin sur Park Avenue et j'ai cherché un autre endroit où m'installer pour poursuivre mon activité », reprend-il lentement. « Butler est une ville historique, elle est bien desservie par la route et il y a un aéroport à moins de treize kilomètres. Beaucoup de mes clients me sont restés fidèles, ils peuvent venir me rendre visite sans difficultés. »
Dean esquisse un sourire. Oui, un trajet de six cents kilomètres en jet privé est sans doute peu de choses quand on peut dépenser plus d'un million de dollars pour une commode. Le châtain ne pensait même pas que cela était possible. C'est un foutu meuble, celle qui trône dans l'entrée de son appartement à Kansas City lui a coûté cinquante dollars et il la trouve très sympa.
— « Tu as acheté cette maison », l'encourage à poursuivre Sam.
— « Je l'ai choisi parce qu'elle me plaisait esthétiquement et qu'elle fait un très bel écrin pour ma collection. Il n'y a rien de réellement mystérieux dans cela. »
Castiel esquisse un sourire encore un peu fragile. Dean se rappelle de ce qu'ils ont évoqué à leur deuxième rencontre, que la maison ne l'a pas appelé. Bien. Les recherches continuent.
— « Tu as de bonnes relations avec tes clients ? », l'interroge-t-il avec intérêt.
Le brun hausse légèrement les épaules et renifle d'un air un peu suffisant.
— « Quand on vend des œuvres à plusieurs dizaines de milliers de dollars, la confiance et l'estime n'ont pas de prix. Elles sont le fruit de longues années de travail et de belles ventes qui m'ont acquis la loyauté de beaucoup d'entre eux tout en forgeant la réputation de la galerie. » Il baisse les yeux sur ses genoux. « … Gabriel organisait les plus belles expositions de l'année. L'ambiance était toujours incroyable et nos buffets très réputés. Peut-être plus que les œuvres en vente d'ailleurs… Il était bien plus doué que moi pour tout cela, Gabriel était l'atout charme de notre binôme. »
Là, juste là, Dean a envie de protester de toute son âme.
Il ouvre la bouche avant de pincer les lèvres. Très fort. Il n'est pas utile qu'il ajoute quelque chose, cela pourrait devenir gênant.
Gabriel est donc l'homme blond aux yeux malicieux qu'il a vu sur les photos dans le couloir. De son point de vue, Castiel porte infiniment mieux le smoking et il est bien plus séduisant que n'aurait jamais pu l'être son meilleur ami. Sans mauvaise pensée ni mauvaise foi. Le châtain passe une main sur sa mâchoire. … Beaucoup des gens ont dû penser la même chose quand le brun travaillait encore à New York. Il n'est pas familier de ce genre de milieu mais il a déjà vu des films et des séries télé. Dean image des gens prétentieux habillés de costumes sur mesure, de petits foulards en soie autour du cou, et surtout beaucoup beaucoup d'hommes gay. Oui, c'est cliché mais même s'il fait des généralités un peu stupides, il y en avait forcément dans l'entourage du brun. Simple question de probabilité. Autant d'hommes sensibles à la beauté d'autres hommes, voire des hétérosexuels simplement charmés par l'esprit de Castiel. Le Cerbère-Robert-Bennett de la Butler Area Public Library et le bourru Gary Hopkins de la BCHS le trouvent charmant. Le reste du monde aussi doit penser que Castiel est un homme vraiment vraiment séduisant et s'il voyait une photo de Gabriel, sans être médisant, il hocherait la tête à s'en briser les cervicales.
Sam se penche vers eux pour récupérer l'épais catalogue d'exposition, ça lui évite un commentaire gênant.
— « Tu n'as jamais eu de différent avec un de acheteur ? Par exemple la demande d'annulation d'une vente qui aurait donné lieu à une plainte ? », lui demande-t-il.
Castiel fronce les sourcils et lui jette un regard outré. Dean se mord les joues pour ne pas rire. C'est très amusant à voir et assez adorable.
— « Ce n'est jamais arrivé », proteste-t-il. « J'ai toujours eu d'excellentes relations avec tous mes clients et déprécier une pièce pour négocier son prix fait partie des règles du jeu. Je fais la même chose auprès des vendeurs qui acceptent de me céder leurs œuvres pour ma galerie. »
— « Alors est-ce que tu aurais eu affaire à un vendeur mécontent dans ce cas ? », tente à son tour le châtain.
— « Je n'achète jamais à des prix volontairement sous-estimés. C'est un jeu auquel Gabriel aimait se prêter mais je l'apprécie un peu moins. Il faut savoir être raisonnable pour pouvoir acheter d'autres belles pièces au même vendeur. Certains m'appellent encore des années après notre première transaction pour me proposer des œuvres à acheter. C'est une question d'estime et de – »
— « Confiance », achève Dean d'un ton malicieux.
— « Oui. Je peux affirmer sans trop m'avancer que j'ai toujours entretenu d'excellentes relations professionnelles avec l'ensemble de mes interlocuteurs », achève le brun avec conviction.
Les deux frères échangent un regard. Bien, encore d'accord. La piste était peu probable et Castiel est si certain de lui qu'ils peuvent rayer l'hypothèse d'une malédiction jetée par un tiers mécontent. Ça figurait tout en bas de leur liste, rajouté le matin même à la fin de leur petit-déjeuner d'un coup de stylo.
Dean pianote des doigts sur sa cuisse.
Il aura quand même l'occasion de vérifier ça par une habile prière un peu plus tard, juste pour être sûr.
— « Tes relations avec Gabriel étaient bonnes aussi ? Est-ce que vous aviez des désaccords parfois ? », reprend-il d'un peu distraitement.
Le châtain a soudain l'impression d'être la pire personne au monde. Castiel lui jette un regard plein de douleur, les lèvres exsangues. À cet instant, Dean pense qu'il pourrait être le diable qui hante cette maison. Le brun déglutit lentement et cligne des yeux.
— « … Pourquoi me demandes-tu ça ? »
— « Gabriel était une personne importante pour toi et il est disparu trop tôt. Tu as dit qu'il te manquait et il est évident que tu le pleures encore. Ce sont des émotions très puissantes, Cas », tente-t-il d'expliquer.
— « Gabriel était mon meilleur ami et presque mon frère, je l'adorais. »
— « J'adore aussi Sam mais ça ne nous empêche pas d'avoir parfois des disputes qui font trembler les fenêtres. Ou qui me donne envie de le faire passer par l'une d'entre elles. »
— « Ces pulsions arrivent rarement. En règle générale, tu préfères conduire l'Impala en te prenant pour un grand pilote de course. Tu sais que je déteste ça et que ça me rend malade », grogne Sam d'un air peu amène.
Dean sent presque les prunelles bleues de Castiel lui brûler le visage et il lui adresse un sourire un peu maladroit. Le brun ne lui répond pas. Ses doigts sont si crispés sur ses cuisses que ses jointures sont blanches.
— « Pourquoi me demandes-tu ça, Dean ? », répète lentement Castiel.
Le châtain marmonne entre ses dents. C'est le moment d'être courageux et un peu plus diplomate que sa première allégation. Sam et lui ne peuvent pas faire l'impasse sur cette piste en laquelle ils placent de réelles espérances. Et ils ont cruellement besoin de réponses.
— « Tu es très attaché à Gabriel, il pourrait ne pas être totalement parti… »
Le châtain lui jette un regard appuyé qu'il espère assez éloquent. Si tant est qu'un seul regard puisse dire quelque chose comme « fantôme » et « hanté ».
— « Des sentiments très forts peuvent garder les êtres qui nous sont chers attachés à nous, tu comprends ? Ils ne sont pas forcément malfaisants mais ils ne sont pas faits pour rester ici. Leur présence peut rendre malade et affaiblir les gens qui les retiennent. C'est une situation anormale pour eux », explique-t-il soigneusement.
Il a envie de demander à nouveau à Castiel s'il comprend bien qu'il lui parle réellement de l'esprit d'une personne importante qui serait toujours à ses côtés. Vraiment avec lui. Dean en a envie mais il voit le brun hocher très lentement la tête à chacun de ses mots.
Castiel ne dénoue cependant pas ses doigts et ses joues ne retrouvent pas de couleurs. L'ombre dans ses yeux les envahit entièrement tandis qu'il baisse lentement la tête sur ses genoux.
— « … Gabriel ne peut pas me faire de mal. Ça ne peut pas être lui », souffle-t-il d'une voix un peu étranglée.
— « Ce n'est probablement pas ce qu'il veut non plus. Dean a raison, c'est un état anormal et rester dans notre monde demande beaucoup de force », ajoute Sam.
— «Il… C'est impossible », répète Castiel avant d'enfoncer sa tête entre ses épaules. « Ça ne peut pas être lui. C'est… Il est dans mes rêves. »
— « Gabriel peut essayer d'interagir différemment avec toi. Nos perceptions sont très différentes pendant notre sommeil. »
Le brun secoue lentement la tête, les traits tirés et les yeux un peu creusés.
— « Tu ne comprends pas. Il… Il me touche… Je fais… Il vient me rendre visite la nuit et je fais l'amour avec Lui », chuchote Castiel.
Le brun se recroqueville sur lui-même. Sa voix est un murmure faible et un peu brisé. Il semble littéralement écrasé par la suggestion de Dean et ce dernier enfonce ses ongles dans sa nuque. Douloureusement.
— « Nous étions très proches mais il n'a jamais été question de ça entre Gabriel et moi… »
— « Nous avons tous nos secrets. »
— « Gabriel aimait les femmes autant que je suis attiré par les hommes », proteste Castiel et un pli creuse la commissure fine de ses lèvres, presque un sourire. « Je me suis un peu cherché au début, c'est à lui que je lui ai avoué en premier et il a accepté de m'accompagner à mon premier rendez-vous quand j'avais dix-neuf ans parce. J'étais tellement stressé qu'il était certain que j'aurais fait demi-tour devant le café. Gabriel était ce genre d'homme, il veillait tout le temps sur moi. … Je ne peux pas te laisser dire ce genre de choses sur lui, Dean. C'est mal. »
Le châtain écarquille les yeux de surprise.
Il esquisse un geste envers Castiel car il est soudain persuadé que le jeune homme va se lever et les congédier. C'est la première fois que leur hôte n'est pas d'accord, qu'il s'oppose réellement à lui et Dean déteste ça. Il doit faire ce pour quoi il a été engagé mais déplaire à Castiel… Il ne veut pas que ça arrive.
Quand le brun se lève lentement de son fauteuil, il bondit presque sur ses pieds, prêt à se défendre comme un beau diable pour rester. Sam lève les yeux du catalogue qu'il continue de compulser attentivement et hausse un sourcil surpris.
— « Dean ? »
— « Je suis désolé Cas, je ne veux pas te blesser mais nous devons vraiment en parler. Le décès de ton ami est une coïncidence trop importante dans toute cette histoire pour que Sam et moi passions à côté. Ça pourrait être ce qui nous a amené ici », s'empresse-t-il de dire.
— « Je sais mais tu te trompes », répète le brun en tirant distraitement sur le bout de sa manche. « Gabriel ne me ferait jamais de mal et il ne me… il ne me ferait pas toutes ces choses. Il m'a mordu, jusqu'au sang. Tu le sais, tu es le premier à l'avoir vu… Quel amant ferait ça à la personne qu'il aime ? Ça a fait si mal que je me suis réveillé… »
Les deux hommes se regardent sans un mot. Dean fixe Castiel et il se promet de ne pas ciller ni de détourner le regard. Il doit faire comprendre au brun qu'il est vital de creuser cette piste. Ça peut vraiment être ça, juste à portée de main maintenant qu'ils ont un nom.
Le silence s'éternise dans le salon, presque palpable mais pas vraiment malaisant. Il est juste… là, entre eux. Castiel est un peu pâle et le châtain a les poings désagréablement serrés.
— « Je ne veux pas être seul, j'ai peur d'être seul mais Gabriel ne peut pas être à mes côtés. Il est mort. »
— « Cas… »
Dean enroule doucement ses doigts autour de son coude. Il a l'impression que le jeune homme tangue un peu. Castiel a les yeux rivés sur sa main et après un temps qui semble infini, il la presse du bout des doigts. Le brun s'agrippe presque à lui, le jeune homme sent sa nuque chauffer un peu.
— « Est-ce que ça pourrait vraiment être le cas ? », demande-t-il finalement dans un souffle étranglé. « … Il me dit qu'Il m'aime dans mes rêves et je Le crois. Est-ce que je Le crois parce que je sais que je peux avoir confiance en Lui ? Et Il sait comment me toucher pour – Gabriel savait tout de moi. »
Castiel s'égare un peu. Dean presse gentiment son coude et le ramène au canapé pour le faire se rasseoir à ses côtés. Sam referme lentement le luxueux volume et le pose sur la table basse devant lui.
— « Si ce n'est pas ton ami, est-ce que tu penses à quelqu'un d'autre ? Tu as quitté New York il y a quatre mois, est-ce qu'il y avait quelqu'un dans ta vie à cette époque ? », demande le blond avec attention.
Dean roule les yeux d'agacement – que son frère laisse un peu Castiel en paix – mais le brun sort de sa torpeur. Il se redresse, inspire doucement et secoue la tête.
— « Je ne suis pas un grand séducteur, je n'ai pas eu beaucoup de relations », avoue-t-il. « Ma dernière histoire a duré quatre ans et nous nous sommes séparés en bons termes. Oliver a une très bonne situation dans un cabinet d'avocats, il ne voulait pas me suivre à Butler et je ne lui en ai pas voulu. »
— « Est-ce que tu as rencontré quelqu'un ici ? », insiste Sam.
Cette fois, son aîné le fusille du regard. Qu'est-ce que c'est que ces questions ? Qu'il lui foute donc la paix avec ses insinuations ! Ce n'est pas le moment et pourtant son frère s'obstine. Dean et Sam se défient un instant et les yeux clairs de son cadet disent assez combien il trouve sa pudibonderie ridicule. Dean sait qu'il a raison mais il n'a pas envie d'en apprendre plus sur la longue histoire du brun avec cet homme qui a un vrai travail.
C'est long quatre ans, c'est du sérieux.
— « Je n'ai pas menti en disant que j'habite seul ici. Je n'ai fréquenté personne depuis que je me suis installé à Butler et à présent que je me vois dans le miroir chaque matin, je ne suis pas égoïste au point de demander à quelqu'un de devenir mon garde-malade. Je ne peux pas demander ça à la personne que j'aimerai. »
Sam acquiesce gentiment et prend quelques notes sur son carnet.
— « Je n'ai personne et je ne vois même pas comment je pourrais attirer un homme avec l'allure que j'ai. Même la personne que j'emploie pour m'aider à faire le ménage semble mal à l'aise en ma présence. J'ai peine à croire qu'on puisse tomber amoureux de moi », grimace Castiel avec gêne
Dean se mord douloureusement la langue. Il pourrait une nouvelle fois dire quelque chose de vraiment très stupide. Diversion. Diversion. Diversion.
— « Tu as vraiment quelqu'un qui vient entretenir la maison ? », demande-t-il avec une pointe d'envie.
— « Ouais, tu détestes tellement faire ça… La seule chose dont tu prends soin, c'est l'Impala et ça te prend des heures », ricane son frère.
Le châtain regrette que la table basse soit entre eux et l'empêche de lui donner un coup de pied dans le tibia. Castiel esquisse un sourire encore un peu petit et fragile mais il a l'air plus léger.
— « C'est une belle voiture », acquiesce doucement le brun. « Elle date des années 1960, n'est-ce pas ? »
— « Tu t'y connais aussi en voitures ? », s'exclame Dean avec ravissement. « Elle date de 1967, la meilleure année du monde en termes de design automobile ! »
Sam roule des yeux tandis que Castiel secoue lentement la tête d'un air un peu désolé.
— « Je lis juste beaucoup et j'ai une excellente mémoire. Un jour, Gabriel m'a emmené à une vente aux enchères de véhicules de collection pour faire une folie à l'occasion de sa crise de la quarantaine. J'ai fait quelques recherches en amont pour ne pas paraître totalement ignare sur le sujet quand on serait là-bas, il n'y avait que des connaisseurs autour de nous. » Il esquisse un sourire nostalgique. « … C'est ce jour-là que j'ai rencontré Oliver, il était venu à l'exposition pour rêver un peu. Il a acheté un coupé Ferrari sur un coup de tête. »
La bouche fine de Castiel s'ourle un peu plus, c'est presque un rire et Dean fronce les sourcils. Diversion. Diversion Diversion Diversion Diversion Diversion Diversion. Il ne veut rien savoir de cet homme avec sa bonne, stable, rassurante et très rémunératrice situation professionnelle, sans doute promis à un bel avenir. Pas comme lui.
— « Je t'emmènerai faire un tour avec l'Impala si tu veux », lui dit-il d'un ton qu'il espère aussi nonchalant que possible. « … Est-ce que nous pouvons continuer ? »
Son frère ricane d'un air moqueur, les yeux baissés sur son carnet.
Dean se penche par-dessus la table basse pour le lui retirer sans pitié. Le stylo de son frère dérape et laisse un grand trait d'encre sur la page blanche en dérapant. Sam s'offusque bruyamment, il n'aime pas le désordre. Son aîné est très satisfait de pouvoir l'embêter, même d'une manière aussi puérile.
Il se rassoit à côté de Castiel et feuillette les pages pour relire leur liste d'hypothèses. Il sent que le jeune homme regarde avec curiosité dans sa direction alors Dean s'autorise à se rapprocher de lui pour faciliter sa lecture. C'est juste une attention comme une autre. Il n'arrête pas de le faire aussi avec Sam alors ça ne veut pas vraiment dire grand-chose.
— « Tu es d'accord avec ça ? », reprend-il en lui montrant leur liste. « Je comprends que cette idée te mette mal à l'aise mais je pense réellement que nous devrions l'étudier. »
Castiel s'assombrit mais il finit par acquiescer, les yeux rivés sur le prénom de Gabriel. Le style de Sam a fait une rature juste à côté, comme une balafre noire sur la page blanche.
— « …Je suppose qu'il faut tester toutes les pistes pour pouvoir les éliminer et arriver à la solution, n'est-ce pas ? »
La voix du brun sonne d'un timide espoir, de quelque chose qui dit « Faisons-le pour passer ensuite à autre chose parce que mon meilleur ami n'y est pour rien ». Et même « Faisons-le le plus vite possible ».
Castiel se penche un peu plus vers lui, son épaule effleure la sienne. Dean a l'impression d'en sentir le relief avec une acuité brûlante malgré sa veste en cuir.
— « Par contre, vous pouvez supprimer cette hypothèse-là », reprend le brun en montrant une ligne. « L'agence immobilière m'a fourni une copie des diagnostics techniques de la maison. Elle ne comporte ni plomb, ni amiante ni infestation de champignons. Toute la structure est très saine. »
— « On n'a pas pensé aux champignons », marmotte Sam d'un air déçu. « Certaines spores peuvent empoisonner les bronches et – »
— « Ce n'est pas une foutue histoire de champignons ou de moisissures. Je t'avais dit que ça ne pouvait pas être ça et grâce à Cas, nous allons pouvoir rayer ce truc », grogne Dean.
Le brun lui tend obligeamment un stylo et le jeune homme ricane tandis qu'il rature avec un soin exagéré la ligne concernée, les yeux sur Sam. Son cadet pince d'agacement, le châtain s'offre le plaisir de la rayer une deuxième fois bien proprement. S'il appuie un tout petit peu plus fort, il transpercera le papier.
— « … Est-ce que je pourrais quand même lire les rapports d'expertise ? »
— « Bordel Sam, laisse tomber. Nous avons quelque chose de plus sérieux à étudier. »
À côté de lui, Castiel se renfrogne un peu. Il ne veut pas non plus s'attarder sur le cas « Gabriel ».
Dean a soudain envie d'éclater de rire devant tant de bouderies dans la même pièce. À défaut, il pourrait leur faire un discours un peu sentencieux sur le fait que c'est inutile, une perte de temps particulièrement improductive mais il ressemblerait trop à John Winchester. Son père lui a dit quelque chose de semblable quand il avait dix ans et qu'il pleurnichait pour avoir un chien. L'idée est aussi étrange que désagréable. Il a bien le temps de commencer à ressembler réellement à John, Dean sait qu'il aura des cheveux blancs ou au moins gris bien assez tôt. C'est un peu mortifiant pour sa coquetterie parce qu'il n'est pas certain qu'il les portera aussi bien.
Il cale son dos contre les coussins du canapé.
— « Je récapitule », reprend-il en tapotant la pointe du stylo sur la page griffonnée. « Les événements violents sont plus facilement consignés que les autres petits faits de la vie quotidienne. Nos recherches sur l'histoire de la maison n'ont rien donné donc nous pouvons penser que l'entité est liée à toi, Cas. … Tu as perdu une personne très chère et c'est la raison pour laquelle tu es venu t'installer à Butler. Sam et moi avons appris que les coïncidences n'existent pas alors nous allons nous pencher sur cette piste. »
— « Comment allez-vous faire ? Je ne peux pas vous raconter tous les détails de ma vie, je ne pourrais jamais être exhaustif et ce que j'oublie pourrais être exactement ce dont vous avez besoin. »
Dean sourit de plaisir.
Castiel est brillant, il a l'esprit vif et remarquablement pragmatique compte-tenu de la situation. C'est très séduisant. L'espace d'un instant, il imagine son duo avec Sam devenir un trio et le brun assis à l'arrière de l'Impala en train de dodeliner de la tête sur la musique d'AC/DC. Ou installé à côté de lui, à lui sourire dans une forme d'intimité agréable tandis que son frère dormirait sur la banquette arrière en ronflant un peu comme si les deux hommes n'étaient que tous les deux et Dean lui offrirait des virées en Impala presque quotidiennement. Ça serait bien.
perdu dans ses pensées, il entend vaguement son cadet soupirer lourdement en face de lui. Son frère a le front plissé et les lèvres si pincées qu'elles ressemblent à une très fine ligne blanche.
Dean s'assombrit aussi. Ouais, Sam est bon pour refaire un plongeon dans les eaux troubles du surnaturel et aucun d'entre eux n'en a envie.
— « C'est gentil de ta part de vouloir nous aider mais Dean et moi avons une autre méthode pour savoir si une entité est liée à toi », reprend le blond après un long silence. « … Si cela fonctionne, je devrais parvenir à sentir sa présence et peut-être même la voir. »
— « … Vous allez l'invoquer, n'est-ce pas ? Faire une séance de spiritisme ? », comprend le brun.
Vraiment vif et intelligent mais cette fois, Dean a un coup de stress. Il songe plutôt à l'état dans lequel il va récupérer Sam après la séance et au fait que leur rituel de Révélation date d'il y a moins de vingt-quatre heures. C'est peut-être trop tôt. Sam est grand et fort mais frayer avec la mort et l'Autre Côté affaiblirait n'importe qui. De nombreux Américains se plaignent d'être électrosensibles côtoyer des fantômes et des démons aurait de quoi les faire s'évanouir en vomissant.
Sam esquisse une grimace et passe une main lourde dans sa nuque.
— « C'est effectivement ce que nous allons faire, nous avons juste besoin d'un peu de temps pour nous préparer. »
Dean se crispe. Aider le brun au plus vite ou veiller sur la santé de son petit frère ? Le dilemme est horrible. Sa loyauté doit aller à Sam, au petit Sammy qui ronchonne quand il l'oblige à manger des barres chocolatées trop sucrées, mais Castiel… Castiel est quelqu'un de bien et d'important aussi pour lui. Il serre si fort ses doigts sur son stylo qu'il a l'impression d'entendre le plastique craquer.
Le brun opine lentement.
— « Je préfère que vous soyez sûr de vous et que tu te sentes prêt à faire ça », dit-il gentiment et Dean a envie de le serrer contre lui. « … Est-ce que vous pouvez juste remplacer le sel avant de partir ? Il a à nouveau changé de couleur. »
— « Déjà ? Bordel… », grogne Dean et il referme vigoureusement le carnet. « Nous allons aussi asperger les pièces d'eau bénite. Tu as vu d'autres marques ? »
— « Pas sur mon corps. … Est-il possible qu'Il puisse altérer d'autres choses dans la maison ? »
Castiel lui jette un regard en coin un peu incertain, comme s'il craignait de dire une énorme stupidité. Le châtain lui sourit gentiment. Il n'y a jamais rien de stupide dans une question, encore moins quand elle concerne le surnaturel. Sam et lui ont assisté à assez des choses vraiment étranges, très inattendues et parfois complètement tordues pour ne juger personne.
— « Qu'est-ce que tu penses avoir vu ? »
— « Ce n'est peut-être rien, la plupart des meubles ici sont anciens et je les connais par cœur mais j'ai remarqué des sortes de griffures et d'autres petites traces. Elles sont toutes dans ma chambre, concentrées autour de mon lit. Je fais aussi très attention à ne pas toucher le cercle de sel mais je crois qu'il a un peu changé de forme », détaille lentement le brun.
Dean échange un regard avec son cadet et déglutit lourdement. Merde. Si Castiel dit vrai alors c'est vraiment mauvais. C'est même au-delà de l'inquiétant.
Le sel et l'eau bénite sont censées Le tenir éloigné de Castiel. Jusque-là il y a peu, cela semblait fonctionner mais Il ne s'avoue pas vaincu et Il continue à lutter. Marquer le mobilier ? Chaque interaction de l'indicible avec quelque chose de tangible tient du monstrueux, d'une puissance au-delà du compréhensible. Le châtain se souvient des bronzes qui ornent le mobilier et que Castiel a fait entreposé hors de la maison parce qu'ils s'oxydaient. C'est l'haleine mortifère de l'horreur, le souffle chargé de soufre du mal. Son frère et lui connaissent. Mais des griffures ? Et Il parviendrait à toucher le sel ? C'est impossible.
Dean rend leur carnet à Sam, le jeune homme écrit rapidement à l'intérieur d'une main un peu fébrile. Encore d'autres observations, d'autres hypothèses mais toujours aucune réponse.
Castiel penche légèrement la tête sur le côté.
— « Est-ce que c'est inquiétant ? »
Le brun le regarde avec appréhension et joue avec la bague à son doigt. Dean n'a pas envie de l'inquiéter plus que nécessaire mais cette affaire commence à prendre des proportions qui le déstabilisent. Une fois allongé dans son lit au Clarence Inn et sans Castiel devant lui, il admettra peut-être que cela le rend franchement nerveux. Pas l'agréable nervosité qui fouette le sang et qui stimule plutôt celle qui instille le doute et sème la peur.
Il grimace légèrement, botte un peu en touche.
— « … C'est un peu plus anormal que le reste, nous allons nous en occuper maintenant. Sam ? »
Son frère range leur carnet de bord et se lève d'un air un peu raide. Il fait craquer son grand corps, roule des épaules puis s'éloigne vers le vestibule.
— « Je vais chercher ce qu'il faut dans l'Impala. »
Dean observe son frère s'éclipser, sa large silhouette disparaissant dans l'embrasure et la porte d'entrée claquant doucement derrière lui. Il comprend que Sam a besoin d'un peu de temps pour accepter l'idée de ce qu'ils vont bientôt devoir faire. Encore. Peut-être face à une entité plus puissante que toutes celles auxquelles ils ont déjà été confrontés.
Le jeune homme se promet de laisser son cadet choisir le restaurant du soir et de lui offrir tout ce qu'il désire à la carte.
— « Sam a l'air troublé », note doucement Castiel.
Dean n'a pas envie de mentir. Il soupire, appuie son dos contre le dossier du canapé et renverse la tête en arrière en haut du dossier.
— «Sentir une maison est toujours éprouvant pour lui mais le spiritisme est quelque chose d'encore plus puissant. On ne parle plus d'impressions face à quelque chose de négatif mais d'une confrontation à des choses parfois franchement mauvaises. C'est difficile pour lui », explique-t-il lentement.
— « Je ne veux pas qu'il se force si cela le rend malade. Ton frère était si pâle la dernière fois… »
Le châtain tourne la tête vers lui et lui sourit gentiment. Castiel a l'air un peu buté des gens obstinés, c'est mignon. Hibou – ou chouette, il ne parvient pas à se décider – ébouriffé.
— « Je pense que nous n'avons plus vraiment le choix. Je vais en parler avec lui mais nous ferons pas la séance demain, ni même après-demain. Je suis désolé, il va que tu sois patient. »
— « Ça ne me dérange pas. …Je ne veux pas qu'il vous arrive quoi que ce soit. Je suis malade mais vous êtes importants aussi. »
Le brun noue un peu nerveusement ses mains sur ses genoux.
Les deux hommes se fixent en silence pendant un long moment.
Ça serait probablement très gênant si Sam était avec eux mais il est absent alors le moment s'éternise.
Dean voit les joues un peu pâles de Castiel se colorer légèrement, lui aussi sent sa nuque chauffer.
Le brun ne pourrait pas plaire maintenant qu'il a les pommettes un peu saillantes et les épaules fines ? Quelle blague. Castiel est beau – il a les plus beaux yeux du monde – et ça tord quelque chose d'agréable dans son ventre.
Le brun se mordille distraitement les lèvres, les rendant un peu rosées et nacrées.
Dean cligne lentement des yeux.
La porte d'entrée claque à nouveau doucement, le parquet du vestibule craque sous les pas lourds de Sam tandis que ce dernier lui demande de le rejoindre. Le châtain se lève, s'excuse d'un sourire un peu gêné avant de traverser le salon. Il aperçoit Sam, lourdement chargé, qui peste en bas des escaliers mais il s'arrête quand même sur le seuil du salon.
— « Cas, tu es important aussi. Je vais trouver comment t'aider, je te le promets. Tu dois juste garder confiance en moi », dit-il en se tournant vers lui.
— « J'ai confiance en toi. »
Ton tranquille et confiant, visage apaisé, sourire un peu timide.
Les deux hommes échangent un dernier regard, silencieux et un peu intense avant que le châtain ne rejoigne rapidement son cadet.
Sam s'active déjà dans le salon voisin, versant le sel grisâtre dans un petit sac en toile pour le remplacer dans les coupelles.
Presque à quatre pattes derrière un lourd rideau en velours pour faire la même chose, Dean sourit encore malgré la poussière qui flotte dans l'air autour de lui.
Il pense à Castiel.
… Sam a peut-être raison.
Le brun lui plaît. Beaucoup.
