Mes petits chats,
Je vous propose aujourd'hui la septième partie de l'affaire de Dean et Sam à Butler, Pennsylvanie.
Elle est longue (un peu trop, je n'ai pas réussi à la couper de manière équilibrée) mais il s'y passe beaucoup de choses importantes… J'espère que ce sera à votre goût :)
Je vous souhaite une bonne lecture,
ChatonLakmé
Greg Louganis (né en 1960 à San Diego) est un plongeur américain d'origine suédoise. Multimédaillé en compétions nationales et internationales (notamment aux Jeux Olympiques), il est considéré par beaucoup comme un des meilleurs athlètes dans sa discipline.
L'hydrocution est un malaise due à l'immersion dans l'eau, souvent liée à un choc thermique. Ce phénomène peut arriver lors d'une baignade réalisée après directement après le repas ou une longue exposition au soleil.
Meissen est une prestigieuse manufacture de porcelaine fondée en 1710 en Saxe suite à la découverte du procédé de fabrication de cette pâte blanche, dure et translucide dont le secret était jalousement gardé par les Chinois. Diffusé par le chimiste Johann Böttger, celui-ci fut protégé par le roi de Saxe Auguste le Fort qui soutint l'activité de la manufacture en passant notamment de prestigieuses commandes. Une des plus fameuses est celle d'une véritable ménagerie en porcelaine (projet de 600 pièces, 458 réalisés) d'animaux grandeur nature peints au naturel (du dindon au lion, du perroquet au rhinocéros). Le groupe des singes évoqué plus bas est aussi une pièce caractéristique de Meissen, reproduites dans plusieurs variantes. Les collections du Maridon Museum de Butler en comptent plusieurs exemplaires. Vous pouvez visiter virtuellement le musée sur son site internet si le cœur vous en dit et voir les œuvres citées ici (y compris les fameux paons en jade).
Le krach boursier de 1929 reste à ce jour la plus longue crise financière de l'histoire (elle a duré vingt-deux jours). Débutée aux États-Unis à la fin du mois d'octobre, elle provoque un effondrement général de la Bourse à cause de l'explosion de la bulle spéculative des investisseurs et plonge le pays dans la Grande Dépression, une période de grande récession dans le pays. La crise gagne ensuite l'Europe au début des années 1930. La crise sociale qui en découle contribue à favoriser la montée des extrémismes, notamment le nazisme en Allemagne.
Les Yupiks sont un peuple indigène d'Alaska, apparentés aux Inuits.
Thomas Edison (1847-1931) est un inventeur (plus de mille dépôts de brevet) et scientifique américain, rendu célèbre par ses multiples innovations telles que le phonographe (appareil d'enregistrement et de restitution du son) et l'ampoule à incandescence. Le nécrophone, resté à l'état de projet, était censé permettre de communiquer avec les morts en enregistrant leurs voix. Il devait restituer le phénomène des voix électroniques (PVE) soit des bruits de provenance inconnue et inaudible par l'oreille humaine.
La théorie de l'eau a été formulée en 1988 par le chercheur Jacques Benveniste selon laquelle l'eau, en contact avec certaines substances en conserverait certains actifs. La médecine ayurvédique indienne considère que l'eau peut également se charger des émotions, positives et négatives, de ce qu'elle touche. Selon ce principe, l'eau aurait donc une mémoire.
Les prières récitées par Dean et Sam sont inspirées de prières que j'ai lu sur différents sites d'évêchés en France puis recomposé pour les adapter à mon histoire.
L'affaire Philippe Delveau
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Septième partie
Butler, Pennsylvanie, mardi 3 octobre
Dean s'avance jusqu'à la piscine. Il crispe légèrement ses orteils sur le rebord, roule des épaules, ajuste sa position puis plonge.
Alors qu'il touche l'eau, le châtain grimace légèrement. Grand bien lui fasse de vouloir imiter Greg Louganis, il a fait une sorte de plat un peu ridicule et la peau de son ventre chauffe doucement.
L'eau est fraîche. Elle lui coupe brièvement la respiration avant qu'il ne nage jusqu'à l'autre bout du bassin en apnée. Dean émerge et s'ébroue vigoureusement. Maintenant qu'il est complètement immergé, il trouve la température idéale.
— « Tu ne sais pas ce que tu manques Sammy ! Elle est vraiment bonne ! », s'exclame-t-il en s'accoudant au rebord.
Le jeune homme ajuste distraitement l'élastique de son short de bain sous l'eau avant d'asperger son frère. Ce dernier est trop loin, assis en tailleur sur un bain de soleil sous un parasol, mais il lui jette un regard noir tandis qu'il éloigne leur carnet de bord pour le protéger.
— « Il est dix heures du matin Dean, je viens de terminer de petit-déjeuner et je n'ai pas envie d'aller me baigner. Il n'y a que toi qui penses que l'hydrocution est une légende urbaine. … Et l'eau ne doit même pas être à vingt degrés », grommelle-t-il.
Le châtain jette un regard au thermomètre qui flotte doucement un peu plus loin, un phare de pacotille couronné par un gros crabe en rouge coiffé d'une casquette de capitaine de navire. Il ne parvient pas à croire qu'il a trouvé une seule fausse note d'un goût douteux dans toute la douce élégance du Clarence Inn.
— « … De toute manière, il n'y avait pas de maillot à ma taille au supermarché », marmotte encore Sam.
Le jeune homme se réinstalle soigneusement sous le parasol et Dean ricane d'aise.
Prenant appui sur le bord, il se projette en arrière dans une grande gerbe d'eau avant de se laisser flotter doucement sur le dos. Les bras étendus de part et d'autre et les yeux fermés, il sourit de plaisir. Ce moment a un goût de paradis. Sam lui a parlé de la piscine du Clarence Inn quand il a fait leur réservation mais c'était semblait si anecdotique. Comment a-t-il pu penser ça ? En allant faire quelques courses hier sur E Brandy Street, Dean s'est acheté un short de bain pas trop laid pour pouvoir en profiter. C'est sans doute la meilleure idée qu'il a eue depuis très longtemps, quand il fantasme parfois une vie tranquille, avec une boîte aux lettres inscrite à deux noms et deux voitures devant le garage. Le châtain rêve aussi d'une maison avec piscine. Ça lui plairait bien d'y faire l'amour. Ce sont souvent des moments de grande sensualité dans les films, il aime ça.
— « Tu es bien ? La maison de Castiel n'est plus la plus belle du monde ? Tu préférerais rester ici pour le reste de ta vie ? »
Dean s'agite brusquement et boit la tasse. Il refait surface en crachotant tandis que son frère rit en se tenant les côtes sur son bain de soleil. Le châtain passe une main dans ses cheveux pour dégager son front et le fusille du regard.
— « Connard. Je réfléchis mieux quand j'ai l'esprit en paix », siffle-t-il en nageant à nouveau jusqu'au bord.
— « Content pour toi », marmonne Sam en fronçant les sourcils, les yeux baissés sur leur carnet.
Dean fronce les sourcils. Il se hisse à deux mains pour s'asseoir sur le rebord de la piscine, les pieds dans l'eau.
— « Le repas d'hier soir ne t'a pas réconforté ? Tu t'es fait plaisir pourtant, tu as commandé du tilapa »
— « Du tilapia, c'est un poisson élevé en Afrique du Sud. Le tilapa n'existe pas Dean », le corrige son frère.
Le châtain hausse légèrement les épaules. Il s'en fiche en fait. Sam avait choisi un restaurant de poisson, Dean n'a fait qu'y manger des assiettes de frites. Le poisson, très peu pour lui.
Son frère allonge ses grandes jambes sur le bain de soleil et s'appuie confortablement contre le dossier. Dean bat distraitement des pieds dans l'eau, savourant le soleil qui chauffe agréablement ses épaules et son dos.
Ils ont besoin de ce moment qui ressemble un peu à d'illusoires vacances.
Depuis qu'ils sont rentrés de chez Castiel, l'ambiance est sombre et inquiète entre eux. Sam est très troublé. Il griffonne sans cesse dans leur carnet, navigue sur internet et prend frénétiquement des notes. Dean n'épie pas ce qu'il fait, c'est son jardin secret et son moyen de se changer les idées. Même si cela implique de regarder dans leur chambre un documentaire National Geographic de plus de deux heures consacré aux fourmis de feu – Solenopsis invicta – de la forêt amazonienne.
— « J'aimerais bien aller au Maridon Museum aujourd'hui », souffle Sam après un long silence.
Dean arrête de battre des pieds. Il lui jette un regard par-dessus son épaule.
— « Pourquoi ? Cela pourrait nous aider ? »
— « … Pas nécessairement. » Le blond hausse les épaules. « J'ai juste envie de faire quelque chose qui me ferait plaisir… »
Le châtain se mord les joues. Il n'aime pas quand Sam parle comme s'il était un mourant cochant une case de sa to-do-list-avant-la-fin. Dean se lève d'un coup de rein et se laisse tomber sur un bain de soleil voisin de celui de son frère.
— « Qu'est-ce qu'il expose ? »
— « C'est le seul musée à l'ouest de la Pennsylvanie consacré aux arts d'Asie. Il y a une très belle collection de porcelaines de Meissen aussi. »
— « … Ce n'est pas le musée où travaille la petite-fille de Gary ? », note soudain Dean.
— « Si mais elle n'a jamais pris contact avec nous », lui rappelle le blond. « J'ai juste envie de voir de belles choses et je trouve les arts d'Asie très apaisants. Nous ne sommes pas obligés d'y rester pendant des heures, j'aimerais juste faire un peu de tourisme. »
Le châtain est heureux d'avoir mis ses lunettes de soleil sur son nez sinon Sam verrait combien il le regarde d'un air réprobateur à cet instant. Vraiment réprobateur. Un peu comme John Winchester quand il l'avait surpris en train de bécoter William Chambers de l'équipe de baseball dans sa voiture. Ça avait été moins gênant que le moment où son père l'avait pris avec lui pour une discussion entre homme et lui avait demandé s'il se protégeait pendant ses rapports sexuels. Bon sang, Will était à peine un gros béguin, ils ne faisaient que s'embrasser et avec la langue depuis pas très longtemps. Il avait tellement rougi de gêne que Mary lui était venue gentiment en aide. En revenant le lendemain des courses familiales, elle lui avait doucement glissé dans la main une boîte de préservatifs d'un air entendu.
Dean enfonce légèrement sa tête entre ses épaules.
— « Nous ne sommes pas vraiment là pour faire du tourisme Sammy », lui rappelle-t-il sans méchanceté.
— « Je sais mais j'en ai besoin. S'il te plaît Dean. »
Son frère lui jette un regard appuyé et le châtain ne peut pas lui refuser ça. Il ne peut pas parce que Sam est majeur et qu'il n'a pas besoin de son autorisation mais aussi parce qu'il comprend pourquoi il a besoin de s'étourdir encore un peu de culture et d'autres choses pas forcément utiles. Lui mange quand il est stressé, Sam apprend des choses impossibles à replacer dans une conversation normale avec des gens normaux.
Dean se masse la nuque.
— « À quelle heure ouvre le Maridon ? »
— « À onze heures », lui répond Sam et son sourire et si doux que son frère ne peut vraiment pas lui en vouloir. « Avec un peu de chance, nous pourrions aussi y croiser la petite-fille de Gary. Nous devons encore réfléchir à la possibilité qu'une des œuvres d'art de la maison de Castiel soit maudite. »
Sam, toujours si raisonnable et pragmatique même quand c'est vraiment difficile pour lui et que toutes ses pensées sont tournées vers la séance de spiritisme à venir. Dean se sent soudain un peu honteux de le reprendre sur cette échappée qu'il veut s'autoriser pour la journée.
— « J'ai dit à Cas que nous ne pourrions pas faire la séance tout de suite alors va pour une visite au musée », dit-il d'un air de martyr.
— « Tu vas lui mentir. Pas très sain pour commencer une relation », sourit Sam.
— « Bitch. »
— « Jerk. »
Les deux frères chahutent sur leurs bains de soleil jusqu'à ce qu'un coup un peu vif ne manque de renverser Dean sur le carrelage.
Le châtain se réinstalle aussi dignement que possible et lève les yeux vers le ciel, vers le soleil qui chauffe agréablement son visage. Quel dommage d'aller s'enfermer dans un musée par une si belle journée mais il est un grand frère vraiment très attentionné. Et peut-être trouvera-t-il un intérêt aux collections du Maridon. Dean aime bien les films d'arts martiaux. Voir des armures de samouraïs et des sabres pourraient rendre l'expérience un peu plus intéressante.
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En entrant dans le Maridon Museum sur North McKean Street, Dean est satisfait par la taille modeste du bâtiment en verre et métal. Petit donc pas beaucoup d'objets donc visite courte. Parfait. Le châtain est allé voir le site internet du musée, il n'y a pas de sabres de samouraïs alors un petit bâtiment – une petite visite – lui convient parfaitement.
Tandis que Sam paye leurs billets d'entrée, il lit une plaque posée dans le hall indiquant que le musée est le fruit du don de la collection de Mary Hulton Phillips à la ville. Encore mieux, le parcours permanent n'expose qu'environ huit cents objets suffisant pour distraire Sam et ne pas les retenir trop longtemps. Ils seront rapidement sortis.
C'est ce que Dean se répète une nouvelle fois avec conviction alors que son cadet s'absorbe dans la contemplation d'un petit groupe en porcelaine peinte du XVIIIe siècle. Les deux hommes sont dans la galerie dédiée à la collection de la manufacture porcelainière de Meissen en Allemagne. Le châtain a lu quelque part sur un panneau d'explication qu'elle est d'une qualité extraordinaire, réputée dans toute l'Europe. Sans doute. Il est juste particulièrement insensible aux petits angelots aux fesses délicatement rosées et aux animaux modelés grandeur nature. Quoique cet orchestre de singes en perruque et costumes Ancien Régime est amusant.
Les mains dans les poches de son jean, le châtain suit son frère d'un pas un peu traînant.
Il s'ennuie.
Quand Sam s'extasie bruyamment sur une nouvelle porcelaine représentant deux femmes drapées à l'antique, il roule définitivement les yeux d'un air exaspéré. On dirait un groupe en pâte d'amande tant les couleurs sont douces et sucrées. Ça lui donnerait presque mal aux dents.
— « C'est incroyable », répète Sam pour la… énième fois parce qu'il a cessé de compter. « Regarde la finesse des détails Dean, on dirait qu'elle va se briser si on la touche. »
— « Hum hum. »
C'est mal de penser que ce serait un événement distrayant dans leur interminable matinée. Vraiment mal.
Son frère sort son portable pour faire une photo et le jeune homme étouffe un ricanement entre ses lèvres pincées. Qu'est-ce que Sam va bien pouvoir faire de tous ces clichés de trucs semblables à des confiseries ?
— « Je me demande si Castiel a déjà visité le Maridon Museum. J'ai vu dans un des salons du rez-de-chaussée de la maison un groupe qui ressemble beaucoup à celui-ci », reprend Sam en observant l'œuvre suivante.
Dean fronce les sourcils. Il marche si vite vers la vitrine qu'il manque de la heurter de son front. Le jeune homme se penche avec attention, son souffle formant une fine buée sur le verre.
— « Tu es sûr ? Je ne me souviens pas d'avoir vu un truc pareil », dit-il en lui jetant un regard en coin.
— « C'est parce que tu ne regardes pas autour de toi. Ou plutôt, tu regardes toujours dans la même direction et vers une seule personne. »
Le châtain tente de lui donner un coup de pied mais Sam s'est déjà esquivé habilement. À présent, il est plongé dans la contemplation d'une grande vitrine qui expose des animaux grandeur nature en porcelaine blanche.
Dean renifle légèrement et se concentre sur le couple de berger et de bergère en train de se parler d'amour. Castiel a vraiment un truc pareil chez lui ? Lui a bien remarqué les vitraux du jardin d'hiver mais c'est peut-être parce qu'ils font seulement de jolis jeux de couleurs sur la peau blanche du brun. Parmi d'autres choses.
Le châtain s'approche encore un peu plus de la vitrine et plisse les yeux pour saisir les moindres délicatesses de la porcelaine. Si jamais Castiel lui en parle, par un immense hasard, il veut pouvoir lui répondre quelque chose d'intelligent. Même s'il trouve ça très laid.
…Seigneur, il y a vraiment une chèvre couverte de rubans couleur de dragée à leurs pieds ?
Dean observe, détaille, scrute, avant de lire très attentivement le long cartel rédigé devant lui. Le châtain s'approche encore et s'accoude nonchalamment au-dessus de la vitrine.
Une porte s'ouvre dans son dos suivi par des bruits de pas mais Dean n'y prête pas attention. Il doit se souvenir comment s'écrit Albrechstbourg, c'est le nom du château en Allemagne où était installée la manufacture de 1710 à 1840. Juste au cas où.
— « S'il vous plaît. »
Albrechstbourg. Albrechstbourg.
Quelle horreur toutes ces lettres qui n'ont rien à faire les unes à côté des autres. On dirait un alphabet pour enfant complètement bouleversé. Ou une tentative de sortir au scrabble le mot rassemblant le plus de lettres ensemble.
— « S'il vous plaît, Monsieur. »
Il ferme brièvement les yeux pour l'épeler dans sa tête. Le château, c'est commence à rentrer mais il y a aussi le nom de l'inventeur de la porcelaine. Cela pourrait être utile parce que Castiel le connaît forcément.
Johann Friedrich Böger. Non, Bötger. Toujours pas. Böttger.
Le châtain rouvre les yeux et claque sa langue contre son palais de satisfaction.
Yes, c'est ça. Deux sur deux. Albrechstbourg et Böttger.
— « Oh, je vous parle ! »
Dean sent qu'on le saisit par l'épaule pour attirer son attention.
Il se retourne et se dégage vigoureusement avant de se figer.
Une jolie blonde aux yeux verts lui fait face vraiment jolie mais ses prunelles le fusillent d'une manière moins sympathique.
Le jeune homme se redresse lentement et retire son coude de la vitrine. La blonde s'adoucit à peine. Elle porte des gants blancs en coton qu'elle retire d'un geste sec avant de les fourrer dans la poche de son jean.
— « Je vous remercie de bien vouloir ne pas vous appuyer sur le mobilier de présentation. Ces œuvres sont très fragiles et elles sont très coûteuses. Croyez-moi, vous n'avez aucune envie d'en connaître le montant exact. »
— « Désolé », marmonne-t-il sans envie.
La jeune femme le regarde toujours d'un drôle d'air avant de croiser les bras sur sa poitrine. Dean lève les yeux au plafond.
— « Je ne vais pas y toucher, je lisais juste les explications », reprend-il en levant les mains devant lui en signe d'apaisement. « …Je n'aurais pas eu besoin de me pencher autant si c'était plus à hauteur d'yeux. C'est une présentation étrange. »
Ah. Pas la chose à dire.
La jeune femme le fusille à nouveau du regard tandis que ses joues s'empourprent un peu de colère. Dean songe distraitement que cela la rend encore plus séduisante.
— « C'est moi qui ai organisé cette vitrine », lui dit-elle d'un ton glacial.
— « Eh bien vous auriez dû demander un autre avis, juste pour être sûr que ça convienne », rétorque le châtain en haussant les épaules.
— « Dites donc – ! »
— « Dean ? »
Le jeune homme se tourne, un sourire bravache aux lèvres. Attiré par leur conversation – le musée est vide, bien sûr qu'il l'est ! – son frère les rejoint, son portable toujours à la main et l'application photo ouverte.
— « Ce n'est rien Sammy. Dépêchons-nous de finir, j'ai envie de sortir de là », dit-il en lui tapotant l'épaule. « Mademoiselle. »
Dean salue la blonde d'un sourire exagérément charmant et moqueur mais la jeune femme ne cille pas. Elle les dévisage tour à tour, l'air suspicieux. Le châtain remarque que Sammy lui sourit d'un air un peu timide. … Est-ce qu'il rougit un peu aussi ? Quelque chose avec le bout de ses oreilles… Dean étouffe un ricanement. Sérieusement ?
— « Je suis désolé. Mon frère ne pensait pas à mal, il est juste un peu… spontané. »
Dean voit la blonde s'adoucir à son tour tandis qu'elle décroise les bras, un sourire plus avenant aux lèvres. Il hausse un sourcil très haut. Sérieusement ?!La jeune femme sourit encore, Sam aussi et c'est assez ridicule, comme un moment suspendu.
Le châtain roule les yeux.
— « … Vous êtes frères. … Vous êtes Sam et Dean… Winchester ? », demande-t-elle après un court silence.
Sam acquiesce avec surprise. La sourire qui creusait si joliment une fossette à la commissure de ses lèvres disparaît immédiatement. La jeune femme se crispe un peu plus.
— « … Je suis Jessica Moore, la petite-fille de Gary. Il m'a donné votre numéro mais je ne vous ai pas contacté… Est-ce que vous m'avez suivi ici ? », demande-t-elle, l'air peu amène.
— « Pas du tout ! Je vous assure que c'est un hasard. Dean et moi sommes seulement venus visiter le Maridon », s'empresse de répondre Sam.
— « Vraiment ? » Jessica hausse un sourcil soupçonneux et vraiment très haut. « Vous n'avez pas l'air de grands amateurs d'art asiatique. »
— « Dean aime les films de kung-fu et j'admets que les jades sculptés ne sont pas ma spécialité mais j'aime beaucoup votre collection de porcelaines de Meissen. Elle est remarquable. »
— « … Vous n'avez pas non plus l'air d'amateurs de porcelaine européenne. »
Sam esquisse un sourire d'excuse et pose une main sur l'épaule de Dean.
— « Nous ne voulons pas vous mettre mal à l'aise, nous allons partir », dit poliment le jeune homme en tirant doucement son frère vers lui. « Nous sommes désolés de vous avoir dérangés. »
Sam et Dean ont déjà fait quelques pas en arrière – Dean est très heureux parce que cela signifie que leur visite est plus courte que prévu – quand Jessica les retient.
— « C'est moi qui suis désolée. Je ne voulais pas être désagréable, j'ai juste été un peu surprise. Gary m'a pourtant dit que vous aviez l'air de gars sympas… Jessica Moore. »
— « Sam Winchester. Et voici Dean, mon aîné », s'empresse de dire le blond en lui serrant la main.
La jeune femme hoche la tête et passe une main dans ses longs cheveux blonds. Dean sourit en coin. Sam semble hypnotisé par la manière dont ses doigts passent dans les mèches dorées, un air un peu stupide accroché au visage. Sérieusement ?!
— « Mon grand-père m'a dit que vous écriviez un livre sur l'histoire de Butler. »
— « Ce sera plutôt un livre sur des anecdotes historique que sur la grande Histoire », précise le châtain. « Gary nous a expliqué que vous avez fait votre thèse sur les maisons victoriennes de Butler et que vous êtes historienne de l'art. »
- « Je suis diplômée de l'université de Pittsburgh mais ma thèse était une analyse historique et surtout architecturale sur les constructions de la ville. Je n'y connais pas grand-chose en petits événements historiques. Sans vouloir paraître prétentieuse. »
— « Vous ne l'êtes pas », ajoute rapidement Sam avec chaleur et il rougit légèrement quand elle lui sourit gentiment. « Dean et moi avons aussi fait beaucoup de recherches mais sans beaucoup de succès jusqu'à présent. … La maison de Belmont Road a attiré notre attention. »
— « Celle de Castiel Novak ? » Jessica hausse un sourcil. « Je vous confirme qu'il ne s'est jamais rien passé d'étrange là-bas. Le nouveau propriétaire est antiquaire, il vient de New York. Si vous aimez vraiment la porcelaine, il a de très belles pièces sorties des plus célèbres manufactures européennes. Elles datent principalement du XVIIIe siècle. »
— « Est-ce que vous savez si des objets anciens sont restés dans la maison au gré des changements de propriétaires ? Nous avons consulté l'inventaire après décès de Milton Debray et il était très long », demande Dean avec intérêt.
— « La famille Debray était une des plus fortunées du comté de Butler. J'aurai rêvé de pouvoir étudier la maison avec son mobilier mais tout a été dispersé au gré des successions et des revers de fortune. Elle s'était lancée dans la spéculation et le krach boursier de 1929 les a ruinés », explique Jessica. « … Cela ne semble pas avoir réellement de liens avec le sujet de votre livre. Pourquoi êtes-vous à Butler ? »
Les deux frères échangent un regard. Jolie et plus intuitive, que tous leurs autres interlocuteurs jusqu'à présent. Ils pourraient tenter de la tromper encore mais les légers plis sur son front montrent que la jeune femme commence à être sur la défensive. Dean enfonce ses mains dans ses poches.
— « Nous travaillons pour Castiel. Nous enquêtons sur les œuvres d'art de sa collection », ment-il avec aplomb et il va falloir en informer le brun.
— « Vous retracez leur provenance et leur histoire ? Je croyais qu'il faisait cela seul… » Jessica sourit, ses yeux verts brillent doucement. « Je vous envie un peu. Je n'ai pas eu l'occasion de voir toute sa collection, Castiel n'était pas très en forme dernièrement. Je suppose que c'est plus raisonnable d'avoir demandé un peu d'aide. »
— « Peut-être que vous accepteriez de nous aider si nous rencontrons des difficultés », lui suggère le blond.
— « Vous n'êtes pas non plus spécialiste en mobilier français, n'est-ce pas ? », le taquine gentiment la jeune femme. « Vous êtes étrange, les frères Winchester. Presque un peu trop séduisants pour ne pas être un peu dangereux… »
Dean lui jette une œillade veloutée qui la fait rire. Il pensait que son frère rougissait ? Maintenant, il ressemble à une sorte d'étrange lanterne rougeoyante.
Jessica jette un regard à sa montre.
— « Je suis désolée mais le musée va fermer pour l'heure du déjeuner. Je vous raccompagne. »
La bonde les invite à la suivre d'un sourire. Sam lui emboîte immédiatement le pas, incapable de détourner le regard. Dean suit derrière, trouvant soudain un relatif intérêt aux jades et aux ivoires sculptés que son frère et lui ont déjà regardé. Il peut bien lui laisser un peu d'intimité. Et assister en direct à la naissance du béguin de son cadet. En restant à une légère distance, le châtain ne manque absolument rien de ses petites maladresses.
Jessica les ramène dans le hall d'entrée et passe brièvement derrière le comptoir de l'accueil. Le châtain l'observe griffonner quelque chose sur un morceau de papier puis les rejoindre souplement. Sur le chemin, elle décroche un bracelet en perles de jade sur un présentoir de la boutique et tend les deux à Sam qui les prend presque avec révérence.
— « C'est mon numéro de portable et une offrande de paix. Le jade porte chance en Chine, j'espère que ça pourra vous aider. N'hésitez pas à m'envoyer un message si vous avez besoin d'aide », lui dit-elle avec un petit sourire gêné
Dean se retient de lui faire remarquer que c'est lui qu'elle a presque agressé verbalement dans la salle des porcelaines et qu'ils sont deux à avoir besoin de chance dans cette histoire. Mais Sam passe le bracelet à son poignet et il rayonne. Il range aussi avec soin le petit bout de papier dans son portefeuille et sort un billet de dix dollars.
Le châtain roule des yeux. Son frère est brillant mais parfois, il est vraiment idiot.
— « Je vous l'offre, c'est un cadeau », rit Jessica en refusant l'argent d'un signe de tête.
— « Oh. » Sam regarde rapidement autour de lui et prend un peu au hasard un produit pour le lui donner. « Je vais acheter ça quand même. C'est vraiment un beau musée, je suis content d'être venu. »
— « Merci. »
La blonde retourne derrière le comptoir et encaisse son achat avant de tendre à Sam un petit sac au logo du Maridon Museum.
Dean croit voir un instant leurs doigts s'égarer un peu sur les anses en papier kraft. Dire qu'il se pensait maladroit avec Castiel. C'est peut-être seulement un trait de caractère des Winchester.
Son frère sourit encore d'un air béat tandis qu'ils regagnent l'Impala, sagement garée sur le petit parking à côté. Dean l'observe s'asseoir lentement sur le siège passager et poser sagement le sac sur ses genoux.
— « Qu'est-ce que tu as acheté ? »
— « … Je ne sais pas trop. Je crois que c'est un lot de cartes postales ou peut-être un livret de visite… », avoue le blond d'un air gêné.
— « Adorable. Tu me laisseras en envoyer une à maman pour lui annoncer que tu viens d'avoir un coup de foudre ? », ricane Dean en mettant le contact.
— « Je te donnerai une carte seulement si je peux aussi en envoyer une qui dit que tu craques sur un mec aux yeux bleus qui est attaqué par une entité maléfique. »
Le châtain grimace en coin. D'un regard, les deux hommes signent un pacte de paix, au moins momentané. Pas de moqueries sur leurs histoires sentimentales, ça ferait mal à Dean se parler d'amour avec son frère comme deux copines à une soirée pyjama.
Sam appuie son coude sur la portière et pianote distraitement des doigts dessus.
— « Tu n'as pas fait de séance de spiritisme depuis longtemps, cette fille pourrait être ton point d'ancrage », reprend Dean après un silence.
— « Dean… »
— « Ne grogne pas comme ça, je ne moque pas de toi », lui répond-il en lui jetant un coup d'œil. « Je pense que c'est une remarque raisonnable Sammy. Tu as besoin de t'accrocher à quelque chose pour ne pas dériver trop loin et te protéger. Plus jamais comme à San Antonio, tu te souviens ? »
Son frère se mord douloureusement les joues avant d'acquiescer.
— « Je viens à peine de la rencontrer », souffle presque timidement le blond.
— « Je connais Castiel depuis quinze jours », lui répond Dean du tac-au-tac et c'est un aveu de la taille d'un éléphant que personne ne relève histoire du pacte. « Penser à elle pendant la séance n'a rien d'obscène ou de déplacé. Tu ne ferais que garder le bracelet dans ta main pour l'avoir tout le temps à l'esprit. »
— « Tu seras aussi présent… »
— « Ouais mais je ne te fais réagir au quart de tour comme elle vient de le faire. Tu as rougi jusqu'à la racine de tes cheveux et tu as acheté pour lui faire plaisir un truc qui va probablement traîner dans ton sac sans que tu saches quoi en faire. » Le châtain fronce les sourcils. « … Je ne veux plus jamais te voir comme cette fois-là en Californie, Sam. »
Sans un mot, son frère tourne la tête pour regarder par la fenêtre.
Dean sait qu'il y pense, à ce moment. Cette unique fois où le démon qu'ils avaient dû affronter était brièvement entré en Sam. Son frère avait rouvert les yeux. Ses pupilles étaient noires et dilatées tandis qu'un rire de dément éclatait dans sa bouche. Néant et odeur de pourriture.
Son cadet fait encore des cauchemars de la sorcière de Stanford lui alterne entre le souvenir de cette fille à la nuque brisée et cette vision terrifiante de son frère. Plus vraiment homme, plus vraiment humain. Sam avait dû être hospitalisé pendant deux jours au San Antonio Metropolitan Health District pour une déshydratation sévère. Dean serre les dents. Plus jamais.
— « Elle est très séduisante. »
— « Oui. … Elle a un beau sourire aussi. Vraiment joli. »
Le châtain esquisse un sourire. Son frère regarde par la fenêtre mais il triture déjà inconsciemment le bracelet en perles de jade à son poignet.
Butler, Pennsylvanie, mercredi 4 octobre
Il faut encore une journée aux frères Winchester pour se préparer à la séance de spiritisme.
Entre temps, ils passent plusieurs heures chez Castiel pour étudier avec lui les objets de sa collection. Dean et Sam passent au crible toutes les œuvres d'art du rez-de-chaussée. Elles sont nombreuses, le châtain ne pensait pas possible de conserver autant d'objets précieux dans une seule pièce de trente mètres carrés. Elles prennent les formes les plus étranges à ses yeux, jusqu'aux tapis à fleurs un peu kitsch – Dean, ne verse pas de café dessus s'il te plaît. Ce sont des pièces de la manufacture des Gobelins à Paris, elles sont cent cinquante ans – et les appliques murales.
Castiel les accompagne en compulsant les lignes d'un tableur Excel imprimé sur des feuilles A3, l'inventaire du fonds de son magasin de New York.
Dean a haussé un sourcil vaguement dubitatif quant au fait que ces informations logistiques puissent réellement les aider mais il a sous-estimé Castiel Novak. Vraiment. Le jeune homme sait déjà que le brun est un homme particulièrement séduisant, que quelque chose se tord dans son ventre quand il lui sourit. Il a découvert en plus qu'il a une mémoire presque absolue. Plus de trois cents œuvres d'art sur la liste et autant d'anecdotes, d'analyses et surtout d'historiques que le brun a récité sans jamais hésiter. Sans aucun aide-mémoire d'aucune sorte. C'est impressionnant.
Sam effleure avec précaution chaque objet pour sentir tandis que Dean récite discrètement une prière pour faire réagir. Sans succès. Huit pièces du rez-de-chaussée et du sous-sol visitées avec attention sans que son frère ou lui ne remarquent quoi que ce soit. Bien entendu, les recherches de Castiel ne lui ont pas toujours permis de remonter jusqu'à l'origine des objets et à l'arbre généalogique de leurs propriétaires. Par ailleurs, il ne s'est jamais intéressé aux récits intimes, familiaux que ces derniers auraient pu raconter ce n'était pas son sujet. Quand bien même, aucune œuvre d'art n'a réagi. La seule chose que Dean et son frère ont senti a parfois été la fine odeur de poussière, de métal et de bois ciré. Rien d'autre. Ah si, il a bien vu le groupe en porcelaine dont lui a parlé Sam au Maridon Museum, celui avec le berger la bergère et la chèvre couverte de rubans. Couleurs semblables, finesse identique des détails.
— « Une œuvre du château d'Albreschstbourg… C'est bien là qu'était installée la manufacture de Meissen, n'est-ce pas ? », dit-il en interrogeant Castiel du regard.
Oh, son regard à cet instant. Un peu étonné mais surtout agréablement surpris et réellement… admiratif. Dean espère que jamais il ne sera amené à devoir écrire le nom du château en Allemagne, il se ridiculiserait, mais bon sang qu'il est agréable de partager ça avec lui.
— « Tu as raison. Je suis très impressionné Dean, je ne pensais pas que tu t'intéressais à la porcelaine européenne. »
— « Ouais, mon frère est un homme plein de surprises… », ricane Sam, à moitié accroupi sous une table pour trouver une éventuelle marque en dessous.
Castiel ne réagit pas, il ne l'a pas entendu. Il ne quitte pas non plus Dean des yeux, un joli sourire aux lèvres et le châtain sent ses oreilles chauffer un peu.
— « Je les aime beaucoup aussi. … Es-tu déjà allé au Maridon Museum dans le centre-ville ? Nous pourrions le visiter ensemble, je n'y ai pas mis les pieds depuis des mois et je sais que certaines vitrines ont un peu changé », renchérit le brun avec chaleur.
Ah. Cette fois, Dean se sent vraiment rougir à l'invitation. Castiel lui adresse un petit sourire un peu timide et triture machinalement ses grandes feuilles A3.
Le châtain entend son frère ricaner, toujours à moitié plongé sous la même petite table. Il déglutit un peu.
— « Ce n'est qu'une proposition. Je ne veux t'obliger à rien mais comme tu disais vouloir me montrer l'Impala, cela aurait pu être… possible. Si tu veux », ajoute doucement le brun.
— « … Sam et moi y avons passé la matinée hier », lui explique lentement le châtain et plutôt mourir que de lui avouer qu'il a appris des cartels entiers pour l'impressionner. « Mais je serai ravi de te conduire où tu le veux avec l'Impala pour t'aider. Je n'ai pas vu de voiture garée devant ta maison en quinze jours. »
— « J'ai vécu toute ma vie à New York, c'est une dépense inutile dans une grande ville. Je n'ai pas mon permis non plus mais j'ai pris quelques leçons quand j'ai emménagé à Butler. … J'ai dû arrêter à cause de mon état. »
Autant pour Dean et son songe un peu absurde d'avaler les kilomètres avec le brun en chantant AC/DC à tue-tête. C'est un peu mignon d'imaginer Castiel dépendant d'un tiers pour se déplacer, un peu comme un adolescent. C'est comme ça que le châtain a fait ses premières conquêtes sérieuses au lycée, toujours volontaire pour aider une connaissance. Ça et l'incroyable pouvoir suggestif des lignes acérées de l'Impala mais c'est un peu hors sujet.
Sam sort enfin de sous la table et époussette distraitement ses cuisses du plat de la main.
— « Nous avons rencontré Jessica Moore au musée, elle te connaît », dit-il.
— « Je l'apprécie beaucoup. Nous avons eu des discussions très intéressantes sur certaines des œuvres que je garde ici. Jessica m'a proposé son aide pour retracer des provenances qui m'échappent encore mais depuis que je suis malade, je n'ai pas repris contact avec elle… »
Les deux frères échangent un regard. La perche tendue est trop belle. Ils n'ont plus qu'à la saisir.
— « Nous lui avons dit que nous travaillons pour toi sur le même sujet pour expliquer nos liens avec ta maison. Dean et moi ne sommes pas des professionnels, je me suis dit qu'elle pourrait peut-être nous aider. Jessica n'a pas besoin d'être informée de la cause réelle de notre présence ici », explique Sam.
— « … Si vous pensez que c'est nécessaire », souffle Castiel.
Le brun est gêné, pudique à l'idée de dévoiler un peu de sa situation actuelle à une tierce personne. Dean sourit gentiment.
— « Si tu ne veux pas la croiser, je t'emmènerai jusqu'à Lake Arthur avec l'Impala pendant qu'elle travaille ici. Sam se fera un plaisir de l'accueillir pour nous, il aime vraiment beaucoup Jessica », ricane-t-il.
Son frère lui jette un regard noir tandis que Castiel penche légèrement la tête sur le côté d'un air un peu interrogateur. C'est mignon Dean se dit qu'ils pourraient vraiment passer une chouette journée ensemble à Lake Arthur. Le châtain rêve de s'essayer à la pêcher depuis des années, Castiel serait un excellent partenaire pour ça. Calme, silencieux, appliqué. Distrayant à regarder quand ça ne mord pas et qu'il s'ennuie un peu.
Sam vérifie le plan du rez-de-chaussée qu'il a esquissé dans son carnet.
— « Nous avons fini avec ce salon. Est-ce que tu peux nous montrer les objets qui te posent question ? J'en parlerai à Jessica pour lui demander ce qu'elle en pense. Elle semblait enthousiaste à l'idée de nous aider, nous devrions avoir rapidement des réponses. »
— « Ouais, surtout si tu la regardes encore avec ces yeux de chiot et que tu achètes des souvenirs inutiles à la boutique du musée juste pour lui faire plaisir », se moque Dean.
— « C'est ce que tu as fait ? », demande Castiel avec intérêt.
Le châtain s'esclaffe tandis que son frère rougit et se met à baragouiner des excuses embrouillées en agitant les mains dans tous les sens.
Il s'avère que Sam a acheté un lot de trente cartes postales reproduisant les œuvres les plus emblématiques du Maridon certaines sont vraiment laides du point de vue de Dean et ils vont mettre des années à épuiser le stock en les utilisant en guise de cartes de vœux. Le jeune homme trouve ça hilarant, il a épinglé la plus moche de toutes à côté du miroir de leur salle de bain au Clarence Inn. Juste pour rire. Sam ne trouve pas ça très amusant.
Castiel sourit doucement.
— « Est-ce que tu as une carte avec les paons en jade de la première salle ? C'est mon œuvre préférée, je suis prêt à te l'acheter si tu veux. »
Le blond jette un regard éloquent à Dean qui rit beaucoup moins subitement. C'est justement la carte postale moche. C'est désagréable d'avoir un point de divergence aussi fort avec Castiel, Dean pensait que tout était sucre et miel entre eux depuis quelques jours. Bon sang, le brun a un surnom, il le tutoie et il lui sourit d'une manière qui –
Sam éclate de rire et tapote gentiment l'épaule de Castiel.
— « Je vais plutôt te l'offrir de bon cœur, tu te souviendras de nous. … Si Dean accepte de s'en séparer », s'esclaffe-t-il en lui jetant un regard en coin.
— « Oh. C'est aussi ton œuvre préférée ? »
Le brun a l'air encore plus ravi que lorsque Dean a dit Albreschstbourg sans faire d'erreur.
Le jeune homme roule des yeux, récupère la liste imprimée dans les mains de Castiel, donne un coup d'épaule à son frère quand il change de pièce en marmonnant entre ses dents serrées. Derrière lui, il entend Sam continuer à le taquiner en expliquant à Castiel qu'il apprécie tellement ce paon en jade qu'il l'a affiché dans leur chambre d'hôtel. Dean a envie de lui répliquer vertement quelque chose avant de se souvenir de cette journée qu'ils sont en train de vivre. La dernière bouffée d'air avant que son frère ne replonge en apnée de l'Autre Côté.
La séance de spiritisme est pour demain. Demain, tout pourra se passer.
Dean ne rit plus et il laisse Sam s'amuser à ses dépens en parlant encore et encore de cette foutue carte postale. Il est passé à autre chose, il a ce goût un peu aigre dans la bouche comme s'il avait mangé quelque chose d'avarié. Il oublie le paon, même un peu les sourires du brun qui, devant son trouble, lui dit doucement qu'il peut garder la carte postale puisqu'elle semble tant lui tenir à cœur. Il a même un catalogue en double des collections du Maridon qu'il sera heureux de le lui offrir.
Dean sourit d'un air qui ressemble à une grimace. Il pense à demain.
Il y pense encore quand Sam et lui quittent la maison pour rejoindre le Clarence Inn.
C'est une réflexion un peu plus diffuse pendant le dîner parce que Mrs. Singleton a cuisiné une tarte aux pommes pour le dessert.
Quand son frère se couche tôt et s'endort tout aussi rapidement, le jeune homme se retrouve seul dans leur chambre – le catalogue en question est posé sur sa table de chevet – et il a du temps pour réfléchir. À demain et à beaucoup d'autres choses.
Il rumine la frustration de constater qu'une fois encore, leur piste se révèle infructueuse. Les œuvres d'art dans la maison de Castiel sont juste surnaturellement hors de prix.
Il songe avec une forme d'affection à l'invitation du brun. … Un rendez-vous peut-être ? Castiel n'a pas caché le fait qu'il aime les hommes et c'est sans doute un peu orgueilleux de sa part, mais Dean se sait séduisant. Ça pourrait vraiment être bien – pas la sortie au musée en tant que tel, il n'a pas envie d'y remettre les pieds – plutôt l'après, quand il inviterait Castiel à aller boire un verre loin de Sam et de son regard trop curieux.
Le châtain contemple le plafond et fronce les sourcils.
Un rendez-vous, oui… Et après ? Dès leur affaire achevée à Butler, ses pas le conduiront probablement dans un autre État auprès d'une autre personne qui sera aux prises avec une autre entité. Ça pourrait être à l'autre bout du pays, du côté de la Californie voire de l'Alaska – on les a déjà sollicités pour une histoire d'esprit-loup, finalement réglée par un chaman Yupik. Donc, à l'autre bout du pays. Plus de quatre mille kilomètres, trente-sept heures en voiture. Que signifiera alors ce rendez-vous partagé avec le brun ? Si la séance de spiritisme porte ses fruits, et il espère vraiment que Sam ne va pas plonger pour rien, alors tout sera fini dans un ou deux jours. Les frères Winchester savent déjà comment repousser un esprit mauvais et purifier une maison. Pas de surprise donc et une conclusion rapide, efficace et satisfaisante.
Elle le sera en théorie parce que, alors que Sam dort profondément et ne le voit pas, Dean peut s'avouer qu'il n'a pas envie de partir.
Pas encore et pas maintenant.
Il a envie de voir Castiel redevenir le bel homme athlétique qu'il a vu sur les photos du couloir, juste pour s'assurer qu'il va bien. … La transformation pourrait prendre des semaines ou des mois, c'est bien trop long pour des vacances. Comment justifier une telle décision auprès de son cadet alors que des gens en difficulté comptent sur eux ?
Dean se tourne et se retourne dans son lit, les draps se froissent doucement.
Il finit par enfouir son visage dans l'oreiller et grogne légèrement. Il en a vraiment envie pourtant. De ce rendez-vous et de plein d'autres choses qui ont toutes en commun la présence de Castiel. Dean pourrait s'accoutumer à se fixer à Butler pour un temps… indéterminé. Il a déjà ses habitudes dans les commerces du centre-ville et Laurie, la vendeuse de sa tarterie préférée, l'appelle même par son prénom.
La vie des Winchester est très différente d'une série télé.
Ils ne sont pas des âmes torturées, ou pas trop. Ils ont une famille, un chez-eux qu'ils occupent peu mais qu'ils apprécient de retrouver quand ils s'accordent un peu de temps libre. … Ils ont aussi envie d'une vie à deux dont l'autre personne ne serait pas son frère même s'ils s'adorent. Juste un truc banal avec de l'amour, deux clés pour une seule porte d'entrée et deux noms sur une boîte aux lettres. Sam aimerait se marier et avoir des enfants. Dean se projette d'une manière un peu moins officielle mais ça ne veut pas dire qu'il n'aimera pas sincèrement, entièrement et passionnément. Il sait faire, il a eu des coups de coeur en quarante ans.
… Garer l'Impala ailleurs que dans la rue devant son appartement à Kansas City plutôt devant la porte d'un garage ou dans une allée qui serait sa place et la même tous les jours. Embrasser quelqu'un dès qu'il passerait la porte et sourire de contentement parce que, ce serait sa place à lui.
Castiel et sa grande maison lui donne un peu envie de tout ça.
Le châtain se mord les joues, grogne une nouvelle fois et se débat avec ses draps.
— « Pour l'amour du ciel Dean, endors-toi », marmotte Sam d'une voix lourde de sommeil.
— « C'est ce que je fais. »
— « Non, tu te contentes d'essayer et tu es très bruyant. » Son frère roule sur le flanc et lui jette un regard noir. « … Tout va bien se passer. »
— « Quoi donc ? »
Le châtain râle d'exaspération. Il s'est emmêlé dans ses draps et gigote pour se dégager.
— « Tout va bien se passer demain », appuie Sam à dessein. « Tu es inquiet mais nous allons y arriver, comme toujours. … S'il te plaît, j'ai besoin de dormir un peu. J'en ai vraiment besoin. »
Dean marmonne des excuses gênées tandis qu'il se réinstalle correctement dans son lit.
Le jeune homme épie la respiration de son frère, écoute le froissement des draps qui lui indique qu'il s'est recouché. Rapidement, son souffle se fait à nouveau lent et profond.
Le châtain songe brièvement à aller prendre l'air sur le parking, assis derrière le volant de l'Impala ça l'a toujours apaisé. À la place, il se redresse contre ses oreillers, se lève et récupère leur carnet dans la sacoche de Sam. Debout devant la fenêtre donnant sur le jardin du Clarence Inn, Dean le consulte dans un rayon de lumière qui passe par les rideaux entrouverts. Il relit avec attention le déroulé de la séance d'invocation puis jette un regard aux affaires de son frère en plissant les yeux comme pour voir à travers le tissu et s'assurer qu'il y a bien tout ce dont ils auront besoin.
Il soupire et se pince l'arête du nez.
Tout va bien se passer. C'est sans doute vrai puisqu'ils auront les réponses qu'ils cherchent. Quant au reste… Dean aime un peu moins ce que leur victoire signifie pour leur duo. Pour Sam et lui. Pour lui et Castiel.
Butler, Pennsylvanie, jeudi 5 octobre
Le silence est pesant. La tension presque palpable. Le café que Castiel leur a poliment servi à leur arrivée a été inutile pour dissiper l'appréhension qui rend l'atmosphère vaguement poisseuse.
Dean tire distraitement sur le col de son tee-shirt. Il a l'impression que le tissu colle désagréablement à son dos un peu moite. Le châtain a abandonné sa veste sur le dos d'une chaise. Il fait plutôt bon dans la chambre de Castiel – le soleil donne directement à l'intérieur pendant la journée – mais il ne cesse de sentir un frisson désagréable courir le long de sa colonne vertébrale.
Le jeune homme baisse les yeux sur ses avant-bras nus. Il voit sa peau se couvrir d'une fine chair de poule et les poils fins se dresser imperceptiblement. Dean se frotte vivement les bras. Il ne le sent pas et cela n'a rien à voir avec sa mauvaise nuit.
Le jeune homme gigote d'une fesse sur l'autre. Sous lui, le parquet est couvert d'un épais tapis mais l'assise est dure. Castiel lui a proposé de remonter des coussins des canapés du rez-de-chaussée, il a refusé avec un air un peu bravache. Mal lui a pris. Le châtain a déjà mal aux fesses et ils viennent à peine de s'asseoir dans la chambre.
Dean relève la tête. Dans l'embrasure de la porte de la salle de bain, il voit le brun remplir avec précaution une coupelle en argent que Sam lui a tendu un peu plus tôt. Son frère est en train d'achever de tracer autour d'eux le cercle de sel, ceint par une prière en latin dédiée aux morts.
Le châtain jette un regard au lit de Castiel à côté de lui et il fronce les sourcils. Ses doigts jouent nerveusement avec l'ourlet de son tee-shirt. Il a déjà vu les marques dont le brun leur a parlé, les traces laissées sur le mobilier, mais son ventre se tord encore une fois désagréablement. Les montants en acajou semblent avoir griffé par un animal aux crocs effilés. Les rayures se répètent autour du cercle de sel, le déformant légèrement sur le bord extérieur.
Dean a déjà fait attentivement le tour du lit. Plusieurs fois. Il n'a pas jugé bon de dire au brun que les traces sont particulièrement concentrées du côté où il dort et au niveau de sa tête. Comme une proie que l'on épie. Cette seule idée lui donne envie de noyer la pièce sous des litres d'eau bénite et de réciter des prières jusqu'à avoir une extinction de voix.
Bordel.
Il ne le sent vraiment pas pourtant Sa présence est plus forte que jamais dans la chambre. Ils sont obligés d'y pratiquer la séance de spiritisme.
Dressé de toute sa hauteur, Sam observe attentivement son cercle de sel avant de s'asseoir en face de lui. Son cadet lui cache la salle de bain, Dean se décale très légèrement pour continuer à voir Castiel.
— « On y est hein ? », dit son frère avec un sourire un peu tordu.
Le châtain regarde attentivement autour d'eux.
Au centre de leur cercle se trouvent deux bougies qu'ils allumeront au début du rituel ainsi qu'un bouquet de sauge qu'ils enflammeront au même moment.
La lumière pour guider et l'odeur pour attirer.
Sur ses genoux croisés en tailleur, Sam a déposé leur carnet, ouvert à la page de la prière qu'ils ont travaillé ensemble les deux derniers jours.
Il ne leur manque plus que le bol en argent.
L'eau du robinet s'arrête de couler dans la salle de bain, la lumière s'éteint et Castiel les rejoint. Le brun tient soigneusement l'objet à deux mains pour éviter d'en renverser la moindre goutte, il progresse lentement sur le parquet, les sourcils froncés. Dean ne peut s'empêcher de sourire. Le jeune homme lève exagérément haut les pieds pour ne pas marcher sur le cercle de sel tracé par Sam et il sent son sourire monter jusqu'à ses oreilles. Dire que Castiel pense que son pouvoir de séduction est mort en même temps que sa capacité à courir un marathon… Parfois, l'attirance tient à très peu de choses.
Le brun s'accroupit et dépose la coupe entre eux avant de s'asseoir.
— « Est-ce que ça convient ? »
— « C'est parfait Cas. Merci. »
Dean plonge la main dans la sacoche de Sam et en sort une petite fiole en plastique. Il l'ouvre, récupère une feuille de chrysanthème et la dépose avec soin sur l'eau. Elle tangue doucement avant de se stabiliser. La surface se ride à peine.
Son cadet tire à son tour la sacoche à lui et récupère un vieil enregistreur cassette. Il vérifie la bande à l'intérieur de l'appareil puis le dépose avec soin entre eux. Dean esquisse un sourire. C'est une véritable antiquité.
— « À quoi tout cela va-t-il servir ? Et cet enregistreur ? Tu es certain qu'il fonctionne Sam ? Il a l'air aussi ancien que la maison… »
Le châtain rit doucement. Castiel qui fait de l'humour ? C'est plus amusant que ça ne le devrait. Sam lui jette un regard noir.
— « Il fonctionne très bien et il est bien plus fiable que les appareils électroniques dernier cri qu'on peut acheter en ligne », réplique-t-il d'un ton un peu vexé.
— « Ce que Sam essaye de te dire c'est que la technologie numérique ne nous ait pas d'une grande aide. Nous allons enregistrer la séance et les bandes magnétiques capturent bien plus de bruits, notamment tous les sons parasites. L'entité peut s'exprimer de beaucoup de manières différentes et elles ne sont pas toutes audibles. Sam et moi les écouterons plus tard pour être sûr de ne rien manquer. » Dean sourit. « Si tu as des doutes, sache que Thomas Edison a travaillé sur la question. Il a inventé le nécrophone, un appareil qui aurait permis aux vivants et aux morts de communiquer. »
— « C'est l'inventeur de la lampe à incandescence, je respecte ça. Quelle est l'utilité de tout le reste ? »
— « Une bougie allumée est comme une lanterne pour guider l'entité jusqu'à nous. Elle est aussi le symbole du temps qui passe et nous en utilisons deux pour représenter notre monde et l'Autre. Les mouvements des flammes pourront nous donner des informations sur la force de son incarnation et sa présence », lui explique Sam en allumant les mèches avec soin.
— « L'eau agit comme un catalyseur. Elle est purifiée par le contact avec l'argent mais elle reste sensible à son environnement. C'est une sorte d'application surnaturelle de la théorie de l'eau. En présence directe d'une entité, tous les phénomènes sont exacerbés et la feuille de chrysanthème sera notre témoin. Traditionnellement, elle est désignée comme la fleur des morts », ajoute Dean.
Castiel acquiesce lentement, le front plissé par la concentration. Il se mord distraitement les joues et le roulement léger des muscles creuse comme des vagues sous la peau pâle. Le châtain a envie d'effleurer sa mâchoire pour lui indiquer gentiment d'arrêter, que tout va bien passer. Sauf qu'il ne peut pas.
Il se racle la gorge et jette un regard à Sam.
— « C'est bon pour toi, Sammy ? »
— « Jamais réellement mais allons-y », sourit le blond d'un air peu crispé.
Dean lui répond d'un air aussi rassurant que possible, il n'est pas certain de réussir.
Il frotte ses paumes moites sur ses cuisses et regarde Castiel. Assis en tailleur, les coudes sur ses genoux et ses mains liées entre ses jambes, les cheveux adorablement ébouriffés, il ressemble à un petit garçon. Le jeune homme s'en veut mais il a oublié de lui dire une dernière chose.
— « Cas, nous ne savons pas ce qu'il va se passer maintenant mais je veux que tu gardes quelque chose à l'esprit. De tout ce que tu vas voir ou entendre, sache que rien de ce que nous allons dire n'est guidé par une curiosité mal placée ou un goût du morbide pour te blesser. Nous voulons seulement t'aider et éloigner cette chose de toi pour que tu ailles mieux. La séance va peut-être prendre une forme très inattendue, d'accord ? »
— « … D'accord. »
Castiel acquiesce lentement.
Nouveau regard à Sam.
Son frère hoche la tête.
La flamme des bougies monte, claire et belle, et le châtain y enflamme avec soin le bouquet de sauge avant de s'éteindre pour n'en conserver que la fumée.
Sam ferme lentement les yeux, inspire profondément. Il tend une main, enveloppe la coupe de sa paume et plonge le bout de son pouce dans l'eau. Dean se raidit un peu. Le catalyseur fonctionne aussi pour les perceptions de son frère, il va garder un doigt dans la coupe jusqu'à ce qu'elles s'aiguisent. Il ne s'agit que de donner un tout petit coup de pied pour entrouvrir la porte. Rien de plus.
Le jeune homme a les épaules déjà douloureusement contractées et il sent les muscles de son dos tirer désagréablement.
Quelque chose vienne serrer son genou. Dean baisse les yeux. C'est la main blanche de Castiel. Le brun le regarde et tapote un peu maladroitement. Un miroir un peu déformant de tous ces gestes rassurants que Dean a déjà eu pour lui depuis quinze jours. Le châtain a envie de la prendre dans la sienne. Très fort.
— « Promets-moi que vous arrêterez tout si les choses tournent mal ou si Sam n'en peut plus. Je veux que vous ailliez bien. Tous les deux », souffle un peu timidement le brun.
— « … On le fera, Cas. »
Les deux hommes échangent un dernier sourire avant de s'éloigner.
Le châtain fait aller et venir son regard du visage concentré de Sam aux bougies, tous les sens aux aguets. Le silence dans la chambre est lourd, aussi poisseux que l'atmosphère. Il s'éternise. Puis son frère exhale une sorte de soupir, il ouvre la bouche tandis que ses doigts se referment doucement sur la coupe.
- « Nous voici devant Toi. En Ton Nom nous sommes réunis pour T'appeler. Toi qui es parti, viens à nous, montre-Toi et demeure avec nous car nous avons besoin de Te parler. Tu es Celui qui a les réponses et qui peut apporter Consolation. »
La voix de Sam est lente et profonde, son ton est mesuré. C'est une demande polie mais Dean a beau garder les yeux rivés sur les flammes des bougies à en sentir des picotements derrière sa rétine, celles-ci ne bougent pas.
Il fronce les sourcils.
— « Nous voici devant Toi. En Ton Nom nous sommes réunis pour T'appeler. Toi qui es parti, viens à nous, montre-Toi et demeure avec nous car nous avons besoin de Te parler. Tu es Celui qui a les réponses et qui peut apporter Consolation », répète le blond. « Si Tu as peur, je serais ton intercesseur. Tu peux parler par ma voix, sentir par mon nez et voir par mes yeux. Chuchote-moi ce qui Te retient dans ce monde, adresse-nous un signe pour Te montrer. »
— « Aller, dis-nous bordel… », grommelle le châtain entre ses dents serrées.
Sam rouvre un œil et lui jette un regard mauvais pour lui imposer le silence.
Le châtain enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Il sait qu'il ne doit pas intervenir, pas tant que son frère est en sécurité mais c'est difficile de réfréner son monstrueux instinct de protection envers son cadet.
Castiel les regarde tour à tour, il noue et dénoue nerveusement ses mains sur ses genoux. Sam inspire et se concentre à nouveau. Dean se tait mais il voit une fine sueur perler à ses tempes. Tout le corps de son frère est crispé, comme douloureusement tendu dans l'attente.
Bon sang, Il doit parler.
— « Nous voici devant Toi. En Ton Nom nous sommes réunis pour T'appeler. Toi qui es parti, viens à nous, montre-Toi et demeure avec nous car nous avons besoin de Te parler. Nous avons besoin de Toi comme Tu as besoin de nous car Ta place n'est pas ici. »
Dean se mord les joues et se retient de gigoter sur place d'inconfort car il sent ses fesses le lancer désagréablement. Aller. Aller. Aller. Aller.
— « Nous voici devant Toi. En Ton Nom nous sommes réunis pour T'appeler. Toi qui es parti, viens à nous, montre-Toi et demeure avec nous car nous avons besoin de Te parler. Tu as changé Sa vie et il se tient proche de la Porte des deux mondes. Il n'est pas Tien. Tu l'aimes mais Tu le blesses parce que Tu n'es pas en paix. Nous pouvons t'aider à trouver Ta juste place. Celle qui est Tienne depuis que Tu es parti. Libère-le pour Te libérer aussi. »
À côté de lui, Castiel inspire bruyamment. Ses joues sont un peu pâles tandis qu'il entend les paroles de Sam et leurs sous-entendus.
Dean le fixe presque férocement pour capter son regard et le garder sur lui. Le brun tourne légèrement la tête. Ses lèvres sont blanches. Il lui sourit et hoche la tête. Castiel doit se rappeler, ils ne sont pas là pour le faire souffrir. C'est bien la dernière chose que souhaite le châtain. Le brun expire tout aussi bruyamment. Sa maigre poitrine se gonfler sous l'effet de son souffle mais son visage ne reprend pas réellement de couleurs.
Soudain, Sam respire brusquement. Ses doigts tremblent autour de la coupe en argent. Quand Dean le voit retirer son pouce de l'eau, il sent une goutte de sueur couler le long de son dos.
La Porte s'est entrouverte.
La flamme de la bougie rouge vacille doucement avant de crépiter. Une onde agite l'eau dans la coupe, faisant frémir la feuille de chrysanthème.
— « Parle-moi », reprend Sam en essuyant son front d'un revers de la main. « Parle-moi, je T'entendrai. Nous T'entendrons tous si Tu le désires. Tu parviens à interagir dans ce monde, Tu es puissant. Donne-nous ton nom. »
La bougie rouge crépite une nouvelle fois dans une gerbe d'étincelles. Elle est petite, elle a un son presque joyeux mais Castiel sursaute désagréablement. La flamme vacille de plus en plus fort, il n'y a pourtant aucun souffle dans la chambre.
Dean jette un regard au vieil enregistreur audio. Il n'entend rien mais la bande magnétique est bien en train de capturer le moindre son dans la chambre. Il fronce les sourcils. Il ne sent rien mais la température de la chambre est en train de baisser. Le jeune homme frissonne. La sueur sèche dans son dos, froide et désagréablement collante. Elle baisse tellement que bientôt, Castiel frissonne violemment à ses côtés, les lèvres un peu bleues. Dean tend la main pour s'emparer d'un plaid qu'il a soigneusement plié dans le cercle avant qu'ils ne commencent la séance. Il le pose sur les épaules du brun qui s'empresse d'en resserrer les pans sur son torse.
— « … Dean, qu'est-ce qu'il se passe ? », chuchote-t-il d'un ton incrédule.
— « On y est Cas. Ça va aller. »
Le châtain sourit. Oui, ils y sont. La Porte s'entrouvre encore un peu plus, c'est le froid de l'Autre Côté qui est en train d'envahir la chambre.
Dean se concentre sur Sam.
Le moment critique approche. La frontière devenue perméable entre les mondes peut attirer d'autres choses que celle qu'ils traquent. Le châtain remet sa veste sur ses épaules, il louche sur son souffle qui se transforme en une délicate vapeur d'eau devant son visage.
En face de lui, son frère plonge à nouveau son pouce dans l'eau.
— « Tu es avec nous. Dis-nous Ton nom à présent. »
Dean relève le col de son blouson sur son cou. Le froid est piquant. La flamme de la bougie tangue si fort qu'elle manque de s'éteindre. Vacillante comme sous l'effet d'une haleine frustrée et agacée.
Le châtain reste sur ses gardes et épie la moindre réaction du visage de son frère. Il transpire toujours mais ses traits sont relativement sereins.
Soudain, Dean remarque quelque chose dans son dos. Ça apparaît sur la grande psyché en acajou au cadre joliment sculpté. Son miroir est légèrement embué. Suffisamment pour voir des lettres être péniblement tracées sur sa surface.
Le châtain inspire brusquement.
Merde.
Castiel enfonce frileusement sa tête entre ses épaules et suit distraitement son regard.
— « Dis-nous Ton nom », ordonne Sam d'un ton impérieux.
Une lettre après l'autre. Lentement. Très lentement. D'une écriture maladroite.
G… A… B…
GABRIEL
Le soupir qui échappe au brun ressemble à un couinement terrifié. Dean se rapproche de Castiel. Le brun a la tête tellement tendue en avant que les tendons saillent sous la peau trop fine et blanche. Il ne réalise pas qu'il a enroulé ses doigts sur le bas de la veste de Dean. Celui-ci se raidit un peu. Ok. D'accord. C'est ce qu'ils cherchaient, tout va bien.
Le châtain rampe sans bruit jusqu'à Sam et effleure son épaule. Son frère rouvre brusquement les yeux, Dean lui indique de se retourner d'un petit signe de tête. Les deux hommes se déplacent un peu maladroitement dans le cercle de sel pour faire face à la psyché. Castiel a l'immobilité et la pâleur d'une statue.
— « Tu es Gabriel, le meilleur ami de Castiel », explique doucement le blond.
Les lettres s'effacent et sont lentement remplacées par d'autres.
FRERE
Cette fois, le brun exhale un sanglot faible et étranglé.
— « Oui, tu étais comme son frère. Tu l'aimais plus que tout », acquiesce Sam.
FRERE
— « Est-ce que parce que tu tiens tant à lui que tu ne peux pas partir de l'Autre Côté ? Tu sais que tu ne fais plus partie du même monde. Vos vies sont différentes à présent, tu ne peux pas rester là », demande Dean un peu brusquement.
Les doigts de Castiel sont si serrées sur l'ourlet de sa veste que ses jointures blanchissent. Le brun semble être en apnée, une pénible respiration sur trois, alors Dean effleure gentiment ses doigts pour le ramener à lui. Il l'entend avoir un léger hoquet puis inspirer à nouveau à peu près normalement. Bien. Il ne peut pas gérer seul la santé des deux hommes en même temps, il doit rester concentré.
LIEN
Dean fronce les sourcils.
C'est-à-dire ?
La flamme de la bougie rouge a cessé de s'agiter, elle brûle plus haute que jamais, claire et limpide. Elle a presque quelque chose de gai, de doux et de réconfortant. C'est une impression étrange, les deux frères ressentent rarement ce genre d'émotions pendant une séance.
LIEN
Il fronce les sourcils, frustré de ne pas comprendre. Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire ?
— « … Je le retiens. Tu as raison, c'est moi qui le garde à mes côtés. Gab, je suis désolé. Tellement désolé », chuchote Castiel d'une voix presque inaudible mais très rauque.
FRERE
Le brun rit doucement. Dean le voit essuyer ses yeux d'un revers de main sans même essayer de se cacher.
— « Oui, tu es mon frère », sourit Castiel avec une infinie tendresse. « Je suis désolé de t'avoir contraint à rester à mes côtés, tu… tu peux partir maintenant. Je t'aime mais nous nous faisons du mal à vouloir rester ensemble. »
La flamme crépite et vacille brusquement. Dean hausse un sourcil surpris. Il suppose que c'est un équivalent paranormal à un roulement d'yeux un peu agacé. Peut-être.
Il jette un regard à Sam. Son frère a l'air aussi paisible qu'une personne censée pourrait l'être dans une telle situation. Il a retiré son pouce de l'eau car le catalyseur est inutile maintenant que le contact est établi. Le blond a les mains posées sur ses genoux, le dos droit mais sans raideur. Dean remarque que ses yeux sont un peu brillants, leur éclat un peu fiévreux mais il tient bon.
Le châtain regarde à nouveau la psyché.
— « Tu peux partir Gabriel. Je suis désolé de t'avoir retenu mais je peux te dire au revoir correctement alors pardonne-moi, s'il te plaît », répète doucement le brun.
La flamme vacille brusquement comme agitée par un vent furieux.
PROTÉGER
Dean fronce les sourcils.
— « … Tu voulais veiller sur lui ? », tente-t-il.
SEUL
Castiel se frotte les yeux pour en chasser les larmes qui perlent à ses cils.
— « Ça va aller », croasse-t-il un peu d'une voix lourde de tristesse. « Tu n'es plus avec moi mais je vais y arriver. Je vais… Je vais travailler dur pour nous et je retomberai amoureux. Je serai très heureux avec un homme que j'aime, je te promets que je ferai tout pour cela. »
Léger crépitement de la flamme. Un peu comme un rire malicieux. Un rire tendre aussi. Le brun essuie ses joues humides, la couleur revenue sur ses joues et un sourire incroyablement tendre ourlant ses lèvres fines.
Dean en a le cœur serré. Dieu qu'il est beau.
— « Cas est bien entouré, il a des amis et il rencontra un homme bien. Tu as veillé sur lui mais il te libère à présent. Sam et moi pouvons t'aider à passer de l'Autre Côté. »
La flamme tangue mais cela ne ressemble pas à une danse. Elle se tord, se contorsionne, se cabre. Elle proteste. Dean fronce les sourcils.
— « Ta présence ici est anormale, tu le blesses en restant à ses côtés parce que tu n'es pas fait pour rester de ce Côté. Tu as des réactions que tu ne dois pas comprendre toi-même. Tu l'aimes mais tu le griffes et tu le mords. Tu lui fais mal. »
La bougie rouge tombe brusquement au sol.
La cire fondue goutte sur le tapis. Image fulgurante d'éclaboussures de sang. Sam s'empresse de la remettre debout. Il siffle de douleur quand la cire brûlante coule sur ses doigts.
PROTÉGER
PROTÉGER
Dean grince des dents de frustration.
— « Tu n'as plus besoin de faire ça pour lui, nous sommes là », dit-il brusquement à brûle-pourpoint. « Sam va réciter la prière des morts et tu pourras – »
PROTÉGER
PROTÉGER
PROTÉGER
Castiel se rapprocher inconsciemment de lui. La flamme de la bougie danse furieusement, d'une manière saccadée. Elle a des à-coups, des sursauts qui la font flamber plus fort que jamais avant de recommencer à tressauter. C'est comme une convulsion et ça met Dean mal à l'aise.
PROTÉGER
PROTÉGER
PROTÉGER
PROTÉGER
Soudain, Sam inspire brusquement. Il tend la main derrière lui pour récupérer l'enregistreur et le mettre devant eux, à la limite du cercle de sel.
— « Tu le protèges d'autre chose », souffle-t-il en jetant à Dean un regard entendu. « Tu n'es pas le seul à être à ses côtés. Il y a autre chose ici et c'est Elle qui lui fait du mal. C'est ça ? Tu ne l'as jamais touché, tu ne l'as jamais voulu comme ça, pour toi seul. C'est l'Autre. »
MAL
MAL
MAL
Le châtain se raidit douloureusement. Merde. Merde. Merde. Merde. Ce n'est pas ainsi que les choses devaient se passer.
POSSEDER
POSSEDER
POSSEDER
ARRIVE
ARRIVE
ARRIVE
L'écriture est hachée, comme convulsée aussi. Paniquée. Terrifiée.
LÀ.
ICI
Dean veut répliquer, ajouter quelque chose mais ses pensées se bousculent dans son esprit.
C'est trop tard.
Soudain, le miroir de la psyché se fend sur toute sa hauteur dans un horrible craquement. Blessure. Les assemblages des pièces en acajou se rompent, la psyché se disloque. C'est comme une blessure et le châtain a l'impression que du sang va se mettre à couler.
La surface se craquelle, creusant un réseau sans fins de fissures. Le miroir tient encore un instant au cadre sculpté avant que les morceaux ne tombent et ne se brisent sur le parquet. Certains, acérés, se plantent profondément dans le bois. Poignard.
Les flammes des deux bougies s'éteignent simultanément tandis qu'elles tombent et roulent au sol.
L'odeur de fumée envahit la chambre, piquante et âcre. Elle enveloppe complètement celle du bouquet de sauge qui continuait doucement à se consumer.
Accroupi sur le tapis, Dean regarde hâtivement autour d'eux, fouillant les recoins de la chambre des yeux. Ils font la séance en plein jour pourtant la pièce lui semble plein d'ombres. Pleine de dangers. Pleine de monstres cachés comme dans les contes pour enfant.
Le cercle de sel autour d'eux prend sous ses yeux une teinte sale et grise.
Le jeune homme sent son ventre se tordre d'angoisse.
Bordel, qu'est-ce que –
— « De… Dean… »
Le châtain tourne la tête vers Castiel. Ce dernier, pâle comme la mort, lui montre la coupelle en argent. Si l'eau est toujours limpide, la feuille de chrysanthème est en train de se flétrir à vue d'œil. Les fines dentelures de son bord se recroquevillent lentement sur elles-mêmes tandis qu'elle noircit. Posée sur l'eau, elle ne sèche pas. Elle pourrit, se couvre de fines moisissures nacrées avant de se déliter et de tomber au fond en petites particules.
Dean déglutit et se rapproche inconsciemment du brun.
Il pose une main sur l'épaule de Sam pour attirer son attention mais son frère ne cille pas. Immobile, il ne quitte pas la psyché dévastée des yeux. Son souffle est haché, ses tempes sont marbrées de sueur. Ses mains sont crispées sur ses genoux et sur ses manches roulées sur ses avant-bras, les perles de jade de son bracelet luisent délicatement.
Le châtain le secoue par l'épaule. Son corps ressemble à un bloc de granit.
— « Sam… Sammy. Touche le bracelet pour rester avec nous. On y est, tu dois t'ancrer pour ne pas dériver. Tu te souviens ? », l'appelle-t-il doucement.
Sam cligne lentement des yeux. Il serre si fort les poings que ses jointures blanchissent. Dean le voit esquisser un geste pour serrer le bracelet mais son geste reste suspendu en l'air. Le blond se redresse lentement, démesurément grand.
— « Il est là, l'Autre. Il vient le clamer parce qu'Il considère qu'Il est à Lui. Que Castiel lui appartient. »
Ce n'est pas Sam. C'est bien sa voix mais Dean sait que ce n'est pas son frère qui parle. À côté de lui, Castiel hoquette et étouffe un gémissement.
— « …C'est la voix de… C'est Gabriel… Seigneur, Dean… »
— « Castiel… Je dois le protéger. C'est ce que j'ai toujours fait. Je suis resté pour lui mais il y a l'Autre. Il le veut. Si fort. Je ne peux pas… Je ne peux plus. Si fort, si – »
Soudain, Sam ahane bruyamment, comme s'il crevait la surface de l'eau après une longue apnée. Il ouvre et ferme plusieurs fois la bouche, cherche Dean du regard d'un air paniqué. Ce dernier serre plus fort son épaule, enfonçant ses doigts dans sa chair.
— « Ton bracelet, Sammy. Prends ton bracelet et pense à elle », siffle-t-il.
Son cadet s'exécute lentement, le corps comme engourdi.
Il a à peine le temps d'enrouler ses doigts autour des petites perles vertes que ça arrive.
Dean en a le souffle coupé.
Son estomac se tord.
L'appréhension qui se transforme en peur. Réelle.
Les doigts sur sa veste, Castiel le tire inconsciemment vers lui. Sa respiration est celle d'un marathonien en plein effort alors que le châtain entend à peine la sienne.
La température de la chambre descend brusquement, les faisant tous frissonner. L'atmosphère devient glacée. La lumière du jour qui entre par la fenêtre sur la rue tombe comme une nuit de cauchemar, envahissant la pièce de ténèbres.
Les bougies roulées au sol se rallument brusquement dans un crépitement sinistre et la cire continue à couler sur le tapis dans un goutte-à-goutte sanguinolent morbide.
Leur lueur tremblotante dessine des ombres dansantes sur les murs.
Parmi ces mouvements hypnotiques, une masse reste étonnamment immobile. La silhouette vague d'un homme. Une autre personne et c'est impossible car ils ne sont que trois dans la chambre.
Puis Elle s'anime lentement, Elle défile lentement le long des murs.
Celui en face d'eux, une forme qui passe dans les débris brisés de la psyché, avant de poursuivre sa marche sur le mur adjacent.
Les trois hommes la suivent du regard dans un silence presque sépulcral.
Sam tremble à côté de Dean.
— « C'est Lui. Il est là pour lui. Il le veut. »
La voix du blond est d'outre-tombe.
Un ricanement dans la chambre. Dean est certain de l'avoir entendu.
Castiel gémit à côté de lui et se recroqueville sur lui-même, tentant de disparaître dans les plis du plaid. Il garde pourtant les yeux rivés sur l'Ombre qui continue de se promener dans la chambre d'un air insupportable de vainqueur. Quand le châtain la voit s'approcher du lit du brun, ralentir son pas funèbre avant de se découper dessus, il se crispe douloureusement.
Un nouveau rire qui résonne, c'est insupportable.
Le froid toujours plus mordant, plus morbide.
Le jeune homme ouvre brusquement la sacoche de Sam. Il en sort une fiole d'eau salée bénite. Le bouchon saute et roule sur le parquet mais il ne s'y attarde pas. Il plonge la main dans le col de son tee-shirt et tire sur sa chaîne. Dean la brandit devant eux, la croix en argent danse doucement au bout de son anneau.
— « Saloperie. Tu n'as pas ta place ici », grogne-t-il.
L'Ombre s'arrête, juste à côté du lit. Le châtain asperge le meuble d'eau bénite mais Elle tressaille à peine. Elle semble démesurément grande tout à coup et quand Elle se tourne vers lui, Dean ne peut s'empêcher d'avoir un mouvement de recul.
Quoi que ce soit – qui que ce soit – ça le regarde.
— « Je ne peux pas protéger Cassie, je n'y arrive plus. Il est trop puissant et Il me torture aussi. »
Le brun étouffe un sanglot un peu désespéré et branle furieusement la tête. Dean le sent au bord du malaise, les nerfs lâchent.
— « Dégage de là saloperie ! Donne toi-même, Seigneur, à l'âme de son serviteur défunt le repos dans un lieu lumineux – »
Le jeune homme commence à réciter la prière des morts mais soudain, l'ombre se précipite vers eux. Sa silhouette se découpe sur le parquet comme une menace. Castiel est pâle comme la mort.
— « Je ne peux pas – »
Sam répète les mêmes mots plusieurs fois, l'air hagard. Sa respiration est complètement anarchique, toutes couleurs ont déserté son visage et ses lèvres sont bleues.
Dean jure bruyamment.
Il retire vivement le bracelet du poignet de son frère, le glisse dans sa paume avant de prendre sa main dans la sienne. Il pose l'autre dans sa nuque, enfonce ses doigts dans la chair froide. Le châtain les serre à les broyer. Le cœur au bord des lèvres, il voit enfin les prunelles dilatées de son frère retrouver un éclat plus familier.
Le répit est de courte durée.
L'Ombre s'approche si près d'eux qu'Elle frôle le cercle de sel.
Dean écarquille les yeux. Cette fois, le sel ne fonce pas de manière inquiétante. Il moisit et bordel, le châtain sait que c'est impossible. Mais le sel moisit, se marbrant de tâches noirâtres et de fines particules blanches et duveteuses.
— « … peux pas. »
Malgré son malaise, le jeune homme tend l'oreille. Le sang bat sourdement à ses tempes, étouffant ses pensées. Il s'oblige à se concentrer, à entendre au-delà. C'est la Révélation, l'identification de leur Proie. Tout ce qui se tient à cet instant est crucial alors il lutte contre sa nausée et se concentre. Sam ne semble pas en état de se souvenir de quoi que ce soit, il doit le faire.
— « …ne peux pas. »
Dean fronce les sourcils et ferme brièvement les yeux. Encore. Ce n'est pas assez.
— « Tu ne peux pas. Vous ne pouvez rien. Il est déjà… mien. »
Le jeune homme crispe ses doigts sur la fiole d'eau bénite. Il a un goût de pourriture dans la bouche.
— « Il n'est pas à toi », siffle-t-il d'un air mauvais. « Nous te prions, toi qui es la Résurrection et la Vie : donne aux morts de reposer en paix dans ce tombeau. »
Un nouveau rire résonne dans la chambre.
L'Ombre devient démesurée.
Dean écarquille les yeux quand il remarque que quelque chose, son bras peut-être, tente de franchir le cercle de sel. Elle fait plusieurs tentatives avant que des doigts excessivement effilés n'y parviennent. Le sel moisit instantanément, entièrement moucheté de noir et de gris. Ils s'étirent comme indéfiniment en direction de Castiel.
Dean agrippe vivement le brun par les épaules avant de le tirer vers lui. Ce dernier ne réagit pas, il se laisse docilement entraîner, le corps mou et sans force.
Le châtain s'empresse de faire couler un filet d'eau bénite sur les doigts tentaculaires. L'Ombre grogne de douleur, la fenêtre côté rue tremble sur son châssis.
— « Bien fait pour toi connard », ricane-t-il avec satisfaction.
Il enroule un bras autour des épaules de Castiel et le garde soigneusement contre lui.
— « À moi. Mien. »
— « Jamais de la vie. Nous savons que Tu existes et qui Tu es. Nous savons aussi comment Te chasser », répond Dean.
C'est une réponse bravache car en réalité, ni lui ni Sam n'en savent rien. Ils ignorent même réellement ce qu'Elle est mais le châtain préférerait se faire posséder que de lui céder le moindre pouce de terrain.
Cette chose est puissante, démesurément puissante.
Elle s'est montrée et Elle rit d'eux parce qu'Elle exsude de confiance.
Dean ne peut pas céder.
Sam semble lutter contre sa nausée tandis que Castiel regarde l'ombre d'un air halluciné. Dean doit tenir pour eux trois.
C'est pourtant difficile quand l'Ombre écarte les bras et qu'elle envahit la chambre. Toute la chambre. Elle couvre entièrement le lit et c'est insupportable pour Dean. Comme si elle se vautrait dans les draps du brun, roulait sa tête sur ses oreillers et tirait sur le couvre-lit de plaisir.
Il brandit une nouvelle fois la fiole et asperge le matelas d'eau bénite. Seul un rire suintant de satisfaction lui répond.
— « Il est à moi. Je l'ai déjà marqué. »
Dean sent le sang refluer de son visage, le bourdonnement dans ses oreilles devenir assourdissant.
Un ongle acéré, une griffe invisible, grave quelques lettres sur le cadre du lit, face à eux.
MIEN.
Le gémissement de Castiel est un râle d'agonie.
Cette fois ça suffit. Le châtain est prêt à verser des litres d'eau bénite sur le moindre centimètre carré de la chambre mais comme si cette confrontation ne l'amusait plus, comme si Elle se satisfaisait de la terreur du brun, de ce pouvoir qu'Elle possède sur lui, Elle disparaît lentement.
La température de la chambre remonte et la lumière du jour envahit à nouveau la pièce.
Sam s'avachit sur lui-même, épuisé.
La Porte s'est refermée mais elle n'a pas emporté le Mal pour autant.
En temps normal, Dean ressent une forme d'excitation après avoir découvert l'adversaire contre lequel son frère et lui doivent lutter. C'est stimulant, ça réveille l'instinct du chasseur en lui et la raison, peut-être un peu inavouable, pour laquelle il continue cette étrange profession. L'excitation de la chasse.
À cet instant, il a juste les mains qui tremblent un peu.
— « Sammy ? »
Son frère lui sourit mais ses traits sont complètement défaits. Il rouvre lentement la main, les perles de jade roulent sur le parquet. Dean s'empresse de les rassembler, les récupérant jusque dans le cercle de protection qu'il dérange sans sourciller. Ce dernier est devenu complètement inutile, le sel a moisi et c'est toujours foutrement impossible.
En pleine lumière, la vue de ces marbrures sombres est plus répugnante que jamais.
— « Je l'ai cassé. J'ai tellement tiré dessus que le fil a cassé », souffle Sam d'une voix éraillée.
— « C'est rien Sammy. On va pouvoir le refaire et ton béguin n'en saura rien. Elles sont toutes là. »
Dean va vider la coupelle en argent dans la salle de bain avait d'y déposer les perles. Il fouille dans la sacoche et dépose d'autorité sur ses genoux des barres chocolatées.
— « Mange. Je veux que tu en manges jusqu'à la nausée Sammy, tu es en train de faire une crise d'hypoglycémie », lui ordonne-t-il en déballant déjà les Kit Kat pour lui.
Trop épuisé, complètement bouleversé, son frère ne proteste pas et commence docilement à en grignoter une.
Dean s'assure qu'il mange correctement avant de s'accroupir à côté de Castiel.
Le brun ne cille pas.
Les yeux rivés sur le montant du lit, il effleure lentement les lettres du bout de son index. Les retrace. Encore et encore. La pulpe de son doigt s'égratigne contre les échardes formées par Son ongle effilé. Dean voit un peu de sang.
Il fronce les sourcils et pose sa main sur la sienne pour le faire cesser.
— « Cas ? »
Le jeune homme ne réagit pas. Il frotte doucement son pouce sur la surface irrégulière, l'air absent. Un infime tressaillement agite finalement la commissure de ses lèvres trop blanches. Dean prend d'autorité sa main dans la sienne pour l'observer attentivement. Castiel s'est enfoncé une écharde dans le doigt. La chaire est rouge et contusionnée.
— « Je vais te l'enlever mais mange quelque chose d'abord », lui indique-t-il en lui mettant la barre chocolatée dans la main.
Castiel le répond rien. Son regard hanté est rivé sur les débris de la psyché.
— « Aller Cas, mange-en un peu. C'est très sucré, je suis sûr que tu vas adorer. Ce sont mes préférés », achève-t-il d'un air de confidence.
Le brun se contente de serrer distraitement ses doigts sur la confiserie, sans un mot ni un regard vers lui. Le papier crisse doucement entre ses doigts crispés.
Dean hésite avant de glisser une main dans sa nuque. Il presse doucement la chair tendre du bout des doigts pour le ramener vers lui. Ça a fonctionné avec Sam, son cadet mange toujours des Kit Kat sans aucun commentaire.
— « Mange. Ne t'inquiète pas pour moi, il y en a plein le sac de Sam. Je vais aussi avoir ma part alors tu peux te faire plaisir. À moins que tu n'aimes pas le chocolat blanc. Tu es allergique ? »
Dean appuie encore, il oblige Castiel à tourner la tête pour le regarder. Le brun lutte un peu avant de se laisser docilement faire. Il cligne des yeux.
— « … Non. J'aime bien ça. »
Le châtain effleure gentiment ses cheveux sombres sur sa nuque. Il tente de garder son attention fixée sur lui car le regard du brun dérive à nouveau vers les lettres gravées sur le montant de son lit.
Dean caresse délicatement la peau fine, il la sent frémir sous son toucher.
— « Ne le regarde pas Cas. Je vais trouver une râpe à bois quelque part et je vais les faire disparaître. Tu retrouveras ta chambre comme si rien ne s'était passé », souffle-t-il en continuant ses caresses.
Dean ajuste les pans du plaid sur ses épaules car sa peau est froide sous son pouce. Trop froide. Il veut bien faire mais soudain, Castiel se raidit douloureusement. Une lueur brûle dans ses yeux écarquillés. Rien de téméraire, aucun sursaut d'héroïsme. Cette étincelle est juste celle de la plus absolue des terreurs.
— « … Je ne veux pas y rester », murmure-t-il d'une voix hantée. « Je ne peux pas – Je ne peux pas rester dans cette chambre Dean ! Il est là, Il est – Il est ici, dans mes draps, je – je ne veux pas ! »
Castiel est blême mais très agité. Un peu hystérique. Il panique et perd pied.
— « Il l'a marqué ici, tu étais là ! Je ne veux plus dormir, plus jamais ! Je ne veux plus de cette maison ! Gabriel – Gabriel – »
Le jeune homme suffoque, sa respiration se fait erratique.
Dean sent la crise d'angoisse monter.
Il jette un regard en coin à Sam.
Son frère continue de manger les barres chocolatées, les joues à peine plus colorées. Il est toujours épuisé mais il le rassure d'un imperceptible hochement de tête. Le châtain s'autorise à lui tourner le dos un instant et à ne plus veiller sur lui. À genoux sur le tapis, il prend le visage de Castiel en coupe. Le jeune homme se débat, proteste mais il tient bon et cherche son regard avec insistance. Le brun s'agrippe comme un forcené à ses poignets, ses ongles s'enfoncent durement dans sa peau.
— « Tu n'es pas seul Cas. Tu.n' .seul. »
— « Mais Il est là », souffle le brun d'une voix étranglée.
— « Je peux te le jurer que ce n'est plus pour longtemps. Il s'est monté à nous et ça montre qu'Il est foutrement trop confiant. Ça va aller Cas », grogne-t-il.
Il s'avance trop, Sam et lui n'en sont pas encore là, mais il ne peut pas laisser Castiel se consumer de terreur. La manière dont le brun s'effondre ainsi devant lui – contre lui – lui tord le ventre. Son pouls affolé qu'il sent sous ses doigts est une horde de chevaux lancés dans un galop furieux. Le souffle du jeune homme est brûlant, il le sent effleurer ses lèvres mais cela n'a rien de sensuel.
Le châtain glisse discrètement deux doigts sur une veine pour mieux sentir ses pulsations. Quelque chose ne va pas. L'écriture ronde et déliée de Carol danse soudain devant ses yeux.
20 juillet : Premières palpitations cardiaques.
1er août : Palpitations régulières depuis deux semaines. Castiel a pris rendez-vous à l'hôpital.
Dean cligne les yeux. Une fine sueur couvre ses tempes et la racine de ses cheveux.
— « Tu as des problèmes cardiaques, pas vrai ? »
Castiel acquiesce lentement et déglutit.
— « Il y a des comprimés dans la salle de bain, des bêtabloquants. »
— « Est-ce que tu as besoin d'en prendre ? »
Le brun opine lentement. Dean court si vite dans la salle de bain qu'il s'emmêle les pieds et manque de tomber sur le parquet. Il voit les flacons posés sur le meuble à vasques, consulte frénétiquement les étiquettes. Le jeune homme revient dans la chambre et tend le bon à Castiel avec un verre d'eau. Les mains tremblantes, le brun prend difficilement deux comprimés.
Dean, à nouveau à genoux devant lui et poings serrés sur les cuisses, le dévisage avec une intensité qui frôle l'indiscrétion.
Castiel passe une main sur son front moite de sueur.
— « … J'ai besoin de m'allonger mais pas ici. Seigneur, pas ici. »
Un sanglot s'étrangle dans sa gorge. Dean enroule immédiatement ses doigts autour des coudes du jeune homme et le hisse puissamment à lui. Nouveau regard à Sam qui acquiesce en silence, les jambes couvertes de papiers d'emballage. C'est bon, je peux rester seul.
Castiel s'appuie lourdement sur lui tandis que le châtain le guide lentement jusqu'au palier puis à une porte voisine. Il s'agit d'une belle chambre, plus petite que celle du brun mais meublée avec goût. Dean le conduit jusqu'au lit au cadre en métal. À peine le brun est-il assis sur le matelas qu'il attrape familièrement ses jambes pour l'allonger. Castiel se laisse faire sans protester, dolent et le corps fourbu. Le châtain arrange un peu inutilement les oreillers dans son dos en se penchant sur lui. Le brun rit doucement quand la chaîne et ses pendentifs viennent effleurer son visage. Dean n'a rien entendu de plus rassurant depuis le début de l'après-midi. Un sourire et il disparaît à nouveau pour revenir avec le sel et l'eau bénite. Dean trace diligemment un cercle parfait autour du lit et verse quelques gouttes à intervalle régulier. Il essuie ses mains moites sur son jean.
— « Est-ce que ça va aller ? Je suis désolé mais je dois vraiment aller voir Sam… »
Castiel acquiesce doucement, ses yeux papillonnent déjà un peu. Le châtain le couvre soigneusement avec le plaid, leurs doigts s'effleurent dans les poils duveteux.
— « Vas-y, je peux rester seul », souffle le brun.
— « Je reviens le plus vite possible. »
— « Je suis épuisé, je ne suis même pas sûr de te voir revenir », répond mollement Castiel.
Dean esquisse un sourire un peu tordu. Dieu que Castiel semble petit dans ce lit.
— « Tu as toujours ta médaille et ta bague ? »
Le brun sort la chaîne de l'encolure de son haut. Dean y emmêle aussitôt ses doigts le temps de les asperger avec soin d'eau bénite.
— « Ok. … Je reviens Cas. Tu es en sécurité ici. »
Castiel lui sourit mais ça ne plisse pas joliment ses yeux ni ne creuse une fossette dans ses joues.
Dean a envie de le serrer contre lui avant de quitter la chambre mais il n'ose pas.
Les poings serrés, il se contente de hocher la tête et de partir en trombe. Dans la chambre du brun, son frère s'est traîné jusqu'au lit pour s'appuyer contre le montant, son visage a retrouvé un peu de couleurs. Il a les doigts maculés de chocolat et des traces sombres au coin de la bouche dont il semble se préoccuper comme d'une guigne. Les deux cercles de sel ne sont plus qu'un vague souvenir, il y a des traces blanches de craie sur le parquet. Dean grimace légèrement en voyant les coulures de cire sur le beau tapis du brun.
Il repousse la sacoche de son frère du pied, piétine les inscriptions en latin et les fait un peu baver. Le châtain se laisse tomber à côté de lui, les jambes un peu coupées. Sam le salue d'un sourire épuisé.
— « Tu manges comme un enfant », sourit Dean en montrant la commissure de ses lèvres.
— « J'ai envie d'être un peu un enfant pour une fois. Il reste encore des Kit Kat ? »
Dean lui pince malicieusement les côtes et Sam se débat mollement avant de finalement s'appuyer lourdement contre lui. Son frère dodeline légèrement de la tête puis la pose sur son épaule. Le châtain s'autorise à appuyer doucement sa joue sur le sommet de son crâne. Il a vraiment eu la trouille ils ont eu la trouille. Un silence épuisé envahit la chambre. Dean tend l'oreille, espérant un peu stupidement entendre la respiration de Castiel juste à côté. Juste pour s'assurer que son sommeil est apaisé et que les battements de son cœur sont tranquilles.
— « Comment va Castiel ? », demande Sam d'une voix rauque.
— « Aussi bien qu'on puisse l'imaginer dans une telle situation. Son cœur s'est emballé mais ses comprimés ont eu l'air de l'aider. Il a presque fait une crise de panique, il est épuisé. »
— « J'aurais pu en faire une aussi si c'était aussi ma première fois. » Son frère baille longuement dans sa paume. « Cette chose, elle était… »
— « Tu es aussi parti très loin. Est-ce qu'ils t'ont parlé tous les deux ? »
Sam hausse paresseusement les épaules.
— « Gabriel était dévoré par l'inquiétude, je ressentais ses appréhensions à l'idée de le laisser seul. C'était puissant mais comme j'ai déjà pu m'inquiéter aussi pour toi. Je gérais la situation. »
— « Il t'a possédé, ça n'est pas arrivé depuis San Antonio », rétorque Dean d'un air sombre.
Horrible souvent. Pupilles noires et rire de dément. Hospitalisation. Il secoue la tête.
— « Je sais mais c'était presque familier. Je pense la même chose à ton sujet » marmotte le blond. « Puis Il est arrivé. Il a tout… dévoré. »
— « Il n'a pas encore gagné. Il a fait une erreur à se dévoilant. »
— « Ou Il est tellement sûr de lui qu'Il ne se sent absolument pas menacé. Il a presque touché Castiel devant nous Dean. Il a passé le cercle de sel et il a gravé ces mots sur son lit… Finley n'aurait pas fait autre chose en pissant sur sa jambe pour montrer que Castiel était son humain. »
Le châtain ricane mais le son est grinçant. Il déchire méthodiquement les papiers d'emballage éparpillés autour d'eux pour s'occuper les mains. De petits morceaux parsèment bientôt le tapis mais peu importe. C'est ça où il tirerait nerveusement sur le bas de son tee-shirt à le déchirer.
— « Cas n'est à personne », gronde-t-il d'un air sombre.
— « Il l'a inscrit sur son lit », insiste Sam d'un ton sec. « Dean, nous n'avons jamais vu une chose pareille. Des traces suspectes sur des murs, des coulures ou d'autres trucs dégoûtants, d'accord. Mais Il l'a fait devant nous, dans de l'acajou. »
— « C'est juste du foutu bois pour faire de vieux meubles kitsch. »
— « C'est un bois tendre à travailler mais Il n'est pas tangible, Il ne devrait pas avoir cette force. », Sam fronce les sourcils. « … Je suppose que cela ne devrait pas réellement nous surprendre, Il l'a mordu après tout. »
Le blond passe une main lasse dans ses cheveux et tire presque douloureusement sur les longues mèches dans sa nuque.
Dean s'assombrit.
Il attrape la sacoche, la renverse sur le tapis. Les barres chocolatées pleuvent et il en entame une avec fureur. Il est tellement en colère, tellement frustré et… tout le reste qu'il remarque à peine le goût gras et sucré du chocolat blanc et le croquant du biscuit. Dean a juste envie de prendre l'Impala et de conduire pendant des heures sans but pour apaiser les battements fous de son cœur. Dans quoi Sam et lui ont-ils mis les pieds ?
— « Il y avait donc bien quelqu'un mais ce n'était pas Gabriel… », conclue son frère d'une voix fatiguée.
Dean acquiesce d'un air raide. Il a les dents trop serrées et la mâchoire trop contractée pour ajouter quoi que ce soit. Le chocolat colle aussi dans sa bouche et rend s langue pâteuse.
— « … Il s'est montré mais Il ne m'a rien dit. C'était comme plonger dans un bain glacé, avoir la respiration coupée et ne pas savoir comment remonter à la surface. Il m'empêchait de respirer et j'avais tellement froid. Quand je pense que Castiel vit avec lui depuis quatre mois… Pas étonnant que sa santé se soit autant dégradée. Cette chose est mauvaise Dean. Vraiment foutrement mauvaise », reprend Sam en se frottant les yeux
— « … Peut-être que Cas devrait aller habiter chez Carol pendant quelques jours. L'idée de rester ici le terrifie. »
— « Tu sais que ça ne changera rien, Il est déjà attaché à lui. Peu importe où Castiel va, Il le suivra. … Il ne le laissera pas partir. »
— « Dans ce cas, trouvons qui Il est, comprenons la manière dont Il a pu s'incarner aussi puissamment dans ce Côté et détruisons-le, bordel », grogne Dean.
Sam soupire. Il s'éloigne lentement de lui et commence à manger une autre barre chocolatée.
— « Espérons que la bande magnétique a enregistré quelque chose pour nous aider, nous n'avons aucune piste pour le moment », murmure-t-il en relevant lentement la tête. « Il faut nettoyer tout ça aussi. »
— « Ne te préoccupe pas de ce foutoir, je vais le faire. … Tu as encore envie de manger ton poids en mauvais sucre ? »
— « Connard. »
Sam ricane et lui donne mollement un coup de genou.
Le châtain jette un coup d'œil à la porte de la chambre. Il a envie de retourner voir Castiel, juste le voir dormir depuis le pas de la porte et revenir auprès de son frère. Mais le corps de son cadet pèse de plus en plus lourd contre le sien alors il gigote un peu pour que Sam soit installé plus confortablement.
Il glisse un bras sur ses épaules et plonge affectueusement une main dans ses cheveux.
— « Retourne voir Castiel, je te sens pris au milieu d'un horrible dilemme », se moque-t-il.
— « Il dort probablement, je peux encore veiller un peu sur toi. Comme lorsque tu étais petit. »
— « Je ne suis pas un enfant. »
Dean appuie son crâne contre le montant du lit et inspire profondément. Il s'autorise à fermer les yeux.
Le châtain a l'impression que les lettres gravées dans son dos le brûlent, comme une flétrissure. Il déglutit, la gorge un peu serrée.
Les deux frères plongent dans un profond silence. Son cadet s'assoupit lentement, écrasé par les événements.
Dean se redresse, concentré et attentif. Il y a peu de chance qu'Il se montre à nouveau à eux, la Porte s'est refermée mais Sam a raison. Il est puissant.
Une des qualités des Winchester, parfois poussée jusqu'au défaut, est l'obstination. Dean Winchester est opiniâtre, persévérant et tenace. Très tenace quand il a un objectif en vue. Peu importe qu'il s'agisse d'acheter une rare affiche d'AC/DC lors d'une vente en ligne avec plus de cent acquéreurs potentiels ou d'une proie, il ne vacille jamais. Sauf peut-être devant Castiel.
Il se lèche distraitement les lèvres. La chasse commence et elle va être difficile.
Dean bouge légèrement.
MIEN
Ça lui brûle le dos, comme une morsure en train de s'infecter, une blessure qui suinte.
Il ne posera plus jamais les mains sur Castiel.
Dans un avenir plus immédiat, les trois hommes vont surtout partager des cauchemars.
La nuit va être longue.
