Mes petits chats,

L'enquête surnaturelle des Winchester continue ! Il y a encore beaucoup de frustrations et d'agacement mais de micro-pistes commencent à se dessiner… Je vous laisse enquêter aux côtés de Dean, Sam et Castiel si le coeur vous en dit :)

Cette partie est encore longue, il y a en quelque sorte plusieurs récits emmêlés alors j'ai prêté une attention particulière à la mise en page. J'espère que cela sera assez compréhensible et lisible à la lecture. Je vous invite à vous installez confortablement et à vous lancer ;) !

Chère Rhea S, je te dédie ce chapitre. Un grand merci pour ton commentaire si enthousiaste et stimulant !

Je vous souhaite à tous une très bonne lecture,

ChatonLakmé

PS : j'ai remarqué que le document texte une fois publié sur la plateforme présentait des coquilles de mise en forme. Je pense les avoir toutes corrigées, dans le cas contraire mea culpa et n'hésitez pas à me les signaler :)


L'affaire Philippe Delveau

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Huitième partie


Butler, Pennsylvanie, samedi 7 octobre


Dean est immergé dans la piscine du Clarence Inn. Il se tient aux montants en aluminium de l'escalier mobile accroché au bassin pour se maintenir au fond. Ses genoux râpent légèrement sur le carrelage, le sang bat sourdement à ses tempes, ses poumons le chatouillent un peu. Il sait qu'il ne va pas rester en apnée encore très longtemps mais pour le moment, Dean se sent bien. Il n'entend rien, exceptés les propres battements de son cœur et un bourdonnement un peu vague dans ses oreilles. C'est parfait pour oublier. Juste un peu.

Il n'est que neuf heures du matin, l'eau est fraîche et la piscine déserte. Oui, parfait.

Le châtain lève la tête vers la surface, cligne lentement des yeux. Une ombre est apparue au-dessus de lui. Elle se découpe sur le bord du bassin, indistincte et menaçante.

Dean sent son ventre se tordre violemment et il boit maladroitement la tasse. Réaction primaire de survie. Instinct du chasseur. Il pousse puissamment sur le sol du bassin pour remonter à la surface. Des gouttes perlant à ses cils, le jeune homme cherche machinalement une arme sur le bord du bassin, n'importe quoi.

Ça ne dure qu'une seconde avant que sa vue ne s'éclaircisse.

— « Est-ce que tout va bien Dean ? Vous étiez sous l'eau depuis longtemps, je commençais à m'inquiéter. »

Le jeune homme passe une main dans ses cheveux pour les repousser en arrière sur son crâne. L'ombre n'est que celle de Mrs. Singleton qui, penchée vers lui, le regarde d'un air préoccupé.

Dean esquisse un sourire.

— « Je réfléchissais. »

— « …Vous réfléchissiez depuis longtemps. Avez-vous des soucis ? Une dispute avec votre frère peut-être ? Je ne le vois pas avec vous. »

— « Sammy est sorti marcher ce matin. Nous sommes deux grands garçons dans une seule chambre, nous avons parfois besoin d'un peu de temps pour nous », la taquine-t-il.

Son hôtesse fronce les sourcils. Elle se relève lentement avant de lisser soigneusement les plis de son tablier à fleurs

— « Est-ce que vous restez barboter ? », lui demande-t-elle en coinçant une mèche de cheveux derrière son oreille d'un geste coquet. « Vous allez ressembler à un pruneau tout fripé… »

Le châtain, les bras en croix tandis qu'il se laisse paresseusement flotter sur l'eau, hausse les épaules. Il jette un regard caressant à la sexagénaire et roule un peu des épaules d'un air bravache. Mrs. Singleton rit affectueusement.

— « Je prends le risque, j'ai besoin de me changer les idées. Je survivrai si j'ai les doigts fripés et les yeux qui piquent », dit-il en regardant à nouveau le ciel parfaitement dégagé.

Le châtain sourit une nouvelle fois et son hôtesse s'assoit sur un bain de soleil à côté de la piscine. Les mains nouées sur ses genoux, elle l'observe, une douce lueur dans ses yeux gris. Elle ressemble un peu à Mary Winchester, c'est le même regard dans lequel Sam et lui se sentent encore petit garçon quand ils retournent à Lawrence.

Un regard qui appelle aussi aux confidences.

L'espace d'un instant, il a envie de mettre la tête sous l'eau, les bras autour de ses genoux, mais ça serait vraiment trop enfantin. Il a quand même quarante ans passés.

Dean se redresse, pose lentement les pieds sur le carrelage et marche jusqu'au bord. Il sent le regard de Mrs. Singleton peser sur lui tandis qu'il progresse dans l'eau. Le châtain s'accoude au bassin, les bras croisés devant lui et passe une main dans ses cheveux. Des gouttes tombent de ses cils et coulent sur son visage. Il soupire.

— « Vous n'êtes pas obligé de me parler mais il est bon parfois d'échanger avec une inconnue qui ne vous jugera pas », reprend doucement son hôtesse.

Le jeune homme appuie sa joue contre ses bras et lui sourit d'un air un peu las. Il n'a plus vraiment envie de faire semblant et d'être charmant Sam non plus, c'est bien la raison pour laquelle il a quitté l'hôtel dans la matinée, sa sacoche sur l'épaule. Il avait le même sourire fatigué accroché aux lèvres et des cernes bleus qui lui mangent la moitié du visage. Très bleus et très gros.

Son frère dort mal depuis deux jours.

— « … Vous n'êtes plus vraiment une inconnue. Vous nous faites des pancakes à toute heure du jour et je sais que vous avez changé le parfum d'ambiance de la chambre parce que Sam a dit qu'il était sensible à la lavande », proteste-t-il en triturant une feuille tombée sur la margelle.

Mrs Singleton rougit un peu et hausse les épaules en guise d'aveu.

Accrochée derrière le comptoir de l'accueil, Dean a vu la photo d'un beau garçon avec les mêmes yeux gris, en compagnie d'une jolie blonde et d'un petit garçon qui souriait de toute sa bouche édentée à l'objectif. Le fils de Mrs Singleton doit avoir à peu près le même âge que Sam et lui et s'il en croit le paysage très californien qu'il a vu en arrière-plan, la famille habite à l'autre bout du pays.

Dean ne veut pas faire de généralité mais son hôtesse réagit un peu comme Mary quand les deux frères reviennent dans la maison familiale. Juste avoir le plaisir de faire plaisir.

Il frotte son front sur ses avant-bras joints.

— « Sam et moi sommes sur un cas difficile », confesse-t-il finalement.

— « Vous écrivez un livre, n'est-ce pas ? Je ne suis pas très familière du processus d'écriture mais je suppose que vous êtes un peu… bloqués dans vos réflexions ? »

— « En quelque sorte. » Dean esquisse un rictus. « Les choses ne se passent pas comme nous le voudrions. Nous ne trouvons pas ce que nous espérions et le temps file. Nous sommes à Butler depuis plus de deux semaines déjà… »

— « … Il faut moins de temps que cela pour écrire un livre ? »

La femme lui adresse un sourire malicieux que Dean ne lui retourne pas.

Mrs. Singleton se gratte la joue. Elle croise élégamment les jambes devant elle, le châtain aperçoit le bord froncé du jupon blanc qu'elle porte sous sa robe bleue à fleurs blanches.

— « … C'est peut-être un peu présomptueux de ma part mais avoir un autre regard sur ce qui nous tracasse peut parfois être d'une grande aide », reprend-elle doucement. « J'ignore quel est votre sujet mais je peux peut-être, vous savez… »

Son hôtesse agite légèrement la main entre eux et oui, le châtain comprend. Il refuse toutefois poliment d'un signe de tête et d'un sourire aussi charmant que possible.

— « Je vous remercie mais ce n'est pas possible. Notre éditeur n'appréciera pas qu'une autre personne jette un coup d'œil à nos recherches. Lui-même n'est pas au courant de tout, il dit que le mystère est une bonne chose pour susciter l'intérêt », lui explique-t-il.

Ou le désespoir parce qu'il est trop mystérieux.

Mrs. Singleton lève les yeux au ciel, l'air de dire « Vous ne savez pas ce que vous manquez comme avis éclairé » et Dean ricane en enfonçant son visage entre ses bras repliés.

Il n'a pas envie d'évoquer encore l'autre avis que Sam et lui pourraient solliciter. Bordel, cette affaire est la leur, ils vont y arriver comme ils l'ont toujours fait. Sans personne d'autre. Ils savent qu'Il existe, reste maintenant à comprendre le qui, le comment et le pourquoi. Un jeu d'enfant, Castiel a probablement les réponses sans même le savoir. C'est sa vie et son histoire après tout.

Le châtain appuie presque douloureusement son front sur ses avant-bras. Les choses se débloqueront sans doute quand ils discuteront tous ensemble dans le salon de Carol, Finley sur ses genoux. Une zone neutre. Une chambre sans lit marqué par Lui et dans lequel Castiel aura passé une vraie bonne nuit.

— « Dean ? »

Le jeune se hisse hors du bassin d'un souple coup de rein. Il s'ébroue légèrement sur le bord avant d'ébouriffer ses cheveux.

— « Tout va bien Mrs. Singleton. Je réfléchis encore. »

— « Sachez que vous pouvez me parler quand vous le désirez, Dean… Est-ce que vous déjeunerez à l'hôtel ce midi ? Avec votre frère peut-être ? »

— « Je ne pense pas. J'ai aussi besoin d'espace, je vais plutôt aller marcher et j'irais manger un morceau en centre-ville. »

Son hôtesse acquiesce. Après un dernier sourire affectueux, elle s'éloigne, suivie par le discret claquement de ses petits talons sur les dalles de la terrasse.

Le châtain se laisse tomber sur un bain de soleil puis cache son visage derrière son avant-bras.

Il songe à Sam qui doit être en train de visiter à nouveau le Maridon Museum avec Jessica à cet instant. Son frère a convenu d'un rendez-vous avec la blonde pour parler de la collection d'œuvres d'art de Castiel, il a préféré s'y rendre à pied pour réfléchir. Dean, lui, rumine un peu depuis deux jours et la séance de spiritisme. Il songe encore au poids du corps de son petit frère contre le sien tandis qu'il veillait pour eux tous, assis sur le tapis de la chambre du brun sentinelle jusqu'à ce que Castiel ne vienne les rejoindre, le corps rompu et les traits tirés.

Le jeune homme s'était arrêté sur le pas de la porte, un peu trop pâle, incapable d'entrer.

Un sac de voyage plus tard, Dean l'escortait diligemment jusqu'à la maison de Carol qui les avait accueillis comme le fils prodigue. Ils n'avaient pas eu le temps de se dire grand-chose, juste lui demander de prendre soin de Castiel, de le faire manger correctement et qu'il se repose. Il fallait que le brun soit entouré et qu'il ne reste pas seul avec ses cauchemars.

Le jeune homme y était encore hier, observant sagement les jeux de Tom et Julia dans le jardin et les facéties de Finley.

Pendant sa visite, Dean pense qu'il est le seul à avoir remarqué combien les yeux du brun s'égaraient vers sa maison de l'autre côté de la rue.

C'était toujours le cas quand Sam et lui l'avaient quitté après un agréable après-midi passé dans le jardin.

Pendant que son cadet jouait avec le beagle, le châtain était retourné dans la maison, seul. Il avait comblé Ses marques sur le cadre de lit avec un mélange de sciure et de colle blanche avant de teindre le tout au marc de café. Dans son portable, il conserve précieusement plusieurs clichés de Son mot qui lui donne envie de noyer la chambre sous l'eau bénite.

Everett Moore lui a offert une bière locale quand il les a rejoints, le châtain en a à peine savouré le goût.

Castiel regardait toujours sa maison, aussi hiératique qu'une statue mais les joues étonnamment roses et les gestes fébriles. Il en avait renversé son assiette, que Finley s'était empressé de dévorer dans l'herbe en faisant rire aux éclats les enfants. Ce moment avait tout d'un instant volé en famille, un intermède agréable qui fait oublier les soucis. Son propre dîner avec Sam le soir précédent a été morne et terriblement silencieux et ce matin, son frère l'a presque fui pour lui préférer la compagnie de Jessica. Le châtain voit encore le sourire d'excuse de Sam, la manière dont il plissait la commissure de ses lèvres avec une culpabilité si évidente que Dean l'a presque conduit lui-même au seuil de leur chambre d'hôtel pour le faire partir.

Il déglutit, un peu hanté par le souvenir de ses cernes, de sa peau un peu parcheminée et de son teint brouillé. Pas un canon de beauté Winchesterien mais il vaut mieux vaut que Sammy passe deux ou trois heures avec la jolie blonde tandis que lui continue de ruminer dans son coin. Les deux frères se sont entendus au dîner, Dean va étudier les bandes audios de la séance de spiritisme. Ils s'y sont essayé hier mais Sam, encore physiquement malade de sa confrontation avec Lui, a vomi aux premières minutes d'écoute comme une réaction pavlovienne. Ils n'ont pas insisté.

Il ne leur reste pourtant que ça. Et Castiel.

Le jeune homme est à peu près sec, il se retourne d'un coup de rein pour sécher son dos et le reste de son maillot, le visage posé sur ses bras repliés.

C'est aussi la raison pour laquelle Sam est allé rejoindre Jessica. Peut-être que la blonde est cet autre regard dont lui parlait justement Mrs. Singleton. Et le point d'ancrage dont son frère a besoin à cet instant.

Dean esquisse un sourire fatigué.

Jessica a l'air d'être une chouette fille, elle plaît vraiment à Sam et cela serait une bonne chose pour son frère. Ce n'est pas comme s'ils pouvaient vraiment avoir la maison aux barrières blanches avec la vie compliquée qu'ils mènent mais aimer un peu, pendant un temps, ne fait jamais de mal. Il ne s'agit même pas de sexe, juste d'avoir des conversations normales et de partager quelque chose de doux avec quelqu'un.

Le jeune homme entend des bruissements de voix dans l'hôtel et bientôt des bruits de pas sur la terrasse. On racle les pieds des chaises de jardin sur les dalles, on dérange le mobilier.

Dean relève légèrement la tête. Des clients du Clarence Inn sont en train de s'installer aux tables de petit-déjeuner, il est temps pour lui de remonter dans sa chambre. Mrs. Singleton apporte un plateau à un couple installé non loin de lui sous la pergola et elle l'interroge du regard. Le châtain refuse d'un petit signe de tête. Il n'a pas très faim, peut-être une collation plus tard. Son hôtesse lève les yeux au ciel mais hoche la tête. L'heure du petit-déjeuner est finie Dean mais je vais quand même vous préparer un petit quelque chose. Le jeune homme rit doucement et lui jette une œillade veloutée en guise de remerciement.

Il se lève, s'étire et passe négligemment sa serviette de bain sur ses épaules. Son pas est lourd, l'escalier craque bruyamment sous ses pieds tandis qu'il monte au premier étage vers sa chambre. Le jeune homme entre dans la pièce, prend quelques affaires pour aller prendre une douche très chaude.

Dean s'appuie d'une main contre le carrelage, la tête basse tandis que l'eau ruisselle sur ses épaules et son dos. Il songe à la bande enregistrée qui l'attend, bien au chaud dans le vieil enregistreur, lui-même enfoui au fond de son sac de voyage. La foutue bande magnétique qui semble le narguer d'oser se plonger à nouveau dans les événements de cet après-midi.

Un frisson remonte le long de son dos.

Le châtain coupe l'eau, se frictionne et s'habille avant de quitter la salle d'eau, des gouttes d'eau perlant encore dans ses cheveux.

Il récupère l'appareil, prend le bloc-note à en-tête de l'hôtel, un crayon et s'affale sur son lit, le dos calé contre les oreillers. Avisant la cafetière posée sur la commode en face des lits jumeaux, Dean hésite un instant mais son estomac fait une embardée un peu brusque et nauséeuse. Peut-être plus tard.

Le châtain enclenche le chronomètre de son portable avant d'appuyer presque rageusement sur le bouton de lecture de l'enregistreur.

Dean esquisse un sourire tordu en entendant le crépitement caractéristique de la bande, tous les bruits parasites enregistrés qui forment comme un bourdonnement diffus. Dean fronce les sourcils et croise les jambes devant lui, appuyant le carnet sur son genou.

« Nous voici devant Toi. En Ton Nom nous sommes réunis pour T'appeler. Toi qui es parti, viens à nous, montre-Toi et demeure avec nous car nous avons besoin de Te parler. Tu es Celui qui a les réponses et qui peut apporter Consolation. »

Le châtain tend attentivement l'oreille pour tenter de surprendre le moindre bruit suspect. Sam a beau répéter l'invocation, le jeune homme n'entend que leurs trois respirations et la voix profonde de son frère.

Dean ferme les yeux et appuie son crâne contre le montant du lit. Encore. Il doit écouter encore.

Le jeune homme s'entend s'énerver du silence de l'entité, mâtiné d'impatience et de frustration. Puis l'inspiration brutale de Castiel. L'entendre à travers le haut-parleur grésillant de l'enregistreur est étrange. Ça le rend à la fois plus intime, comme un son capté d'une manière indue, et plus lointain parce qu'il l'a déjà ressenti en vrai.

Tout en suivant le fil de la séance de spiritisme, Dean fait appel à ses souvenirs pour se rappeler son déroulement dans le moindre détail. La bande magnétique ne peut pas rendre compte du moment où la température de la chambre est descendue ou du tremblement de la flamme des bougies.

« Dean… »

Oh. Le jeune homme sent son ventre se tordre légèrement. C'est le premier appel de Castiel vers lui, teinté d'incrédulité et d'étonnement. Ça pourrait être mignon dans d'autres circonstances. Il grimace un peu en entendant sa réponse, sans doute inutilement bravache. Si Sam dépouille à son tour la totalité de l'enregistrement, il ricanera et ne manquera pas de le lui faire remarquer la manière dont il s'est taillé un costume de super-héros dans la cape de Superman.

« Tu es avec nous. Dis-nous Ton nom à présent. »

Le châtain se souvient du froid mordant, de la danse folle de la flamme des bougies.

Puis soudain, ça arrive.

Dean se redresse lentement dans le lit, il sent les poils de ses bras se hérisser.

Maintenant, il entend une autre respiration dans l'enregistrement.

Un quatrième souffle parmi les leurs. Un peu sifflant mais lent. Très lent. Inhumain.

Le jeune homme tend l'oreille tandis qu'il enfonce ses ongles dans sa paume. C'est à ce moment que Gabriel a écrit ces quelques mots sur le miroir de la psyché. Dans le lointain de la chambre, Dean est certain de saisir un bruit de pas qui fait craquer le parquet. Oui, il en est certain. Aussi lent que la respiration supplémentaire qui continue à souffler dans le haut-parleur.

« Dis-nous ton nom. »

Dean se crispe. Il voit les lettres être tracées un peu maladroitement sur le miroir de la psyché.

« … Ga… Gabriel… »

Le châtain noircit la page du bloc-note de tout ce qu'il remarque, accompagné dans la marge des repères temporels du chronomètre de son portable. La respiration, les pas. La voix du disparu, inaudible pendant leur séance mais capté par le micro. Son timbre est grave et rauque, lointain comme un murmure. Sépulcral. Dean sent pourtant une pointe de chaleur, de tendresse bien cachée dans sa prononciation neutre. Presque un rire. C'est celle d'un parent affectueux. Celle d'un meilleur ami. Gabriel Speight aime… aimait sincèrement Castiel.

« Oui, tu étais comme son frère. Tu l'aimais plus que tout. »

Les hauts-parleurs grésillent un peu plus fort.

« Plus que tout. J'aurais donné ma vie pour lui comme Cassie l'aurait fait pour moi. Nous étions un tout en étant deux. »

Dean hoche la tête. La formule est jolie et la tendresse dans cette voix d'outre-tombe a quelque chose d'émouvant. Il s'en veut un peu quand il s'entend brusquement briser cet instant en ordonnant à Gabriel de partir. Ça paraît présomptueux maintenant mais à ce moment, Castiel l'avait agrippé par le bas de sa veste, le souffle court et le regard halluciné. Il cherchait son contact et sa chaleur, il était tout contre lui.

« Oui, tu es mon frère. Je suis désolé de t'avoir contraint à rester à mes côtés, tu… tu peux partir. Je t'aime mais nous nous faisons du mal à vouloir rester ensemble. »

« Ce n'est pas de ta faute petit frère. Nous sommes liés et c'est mon devoir de rester à ses côtés pour veiller encore sur toi. Je le fais depuis plus de quinze ans. »

« Tu peux partir Gabriel. Je suis désolé de t'avoir retenu mais je peux te dire au revoir correctement alors pardonne-moi, s'il te plaît. »

« Tu m'appelais sans t'en rendre compte et j'avais aussi envie d'être là. Je suis resté pour toi, parce que tu étais seul. Je serai resté jusqu'à ce que tu tombes amoureux d'un homme bien et que tu commences à m'oublier parce que tu étais heureux. Mais je ne peux pas. »

Dean se demande s'il doit faire écouter cette bande et les paroles de son meilleur ami défunt à Castiel. Il hésite. Le châtain fronce les sourcils et se concentre, les épaules raides et les yeux fermés. L'enregistrement approche du moment qui l'intéresse vraiment. Il entend la respiration de Sam.

« Tu le protèges d'autre chose. Tu n'es pas le seul à ses côtés. Il y a autre chose ici et c'est Elle qui lui fait du mal. C'est ça ? Tu ne l'as jamais touché, tu ne l'as jamais voulu comme ça, pour toi seul. C'est l'Autre. »

« C'est Lui. »

La respiration de Gabriel devient hachée, un trémolo agite sa voix. Ça pourrait être de l'émotion mais Dean sait que c'est la peur. Il la connaît. Le jeune homme rouvre brusquement les yeux, les doigts crispés sur son crayon. Les mots tracés sur la psyché dansent devant ses yeux et il cligne fortement des paupières. MAL. POSSÉDER. ARRIVE. LÀ. ICI. Le grésillement des hauts-parleurs est frénétique, il le gêne et le châtain frotte machinalement son oreille droite. La sensation est semblable à celle d'un coton-tige enfoncé un peu trop loin et qui chatouille désagréablement le tympan. Il serre les dents.

« C'est Lui. Il a trouvé Castiel comme Castiel L'a trouvé. Il le veut pour Lui, pour Lui seul. Je voulais le protéger mais je n'y arrive pas. Il est trop puissant. Il est… »

La voix de Gabriel devient saccadée, comme coupée par des interférences ou camouflée par des bruits parasites. La bande enregistrée saute, crépite pendant une longue minute, elle restitue seulement des bruits blancs comme un appel passé dans une zone mal couverte par le réseau télécom.

« Il le possède, Il est partout et Il n'arrêtera pas tant qu'Il ne l'emmènera pas avec Lui. Il le désire si fort, Il va le dévorer. »

L'enregistrement saute encore, encore et encore. Les bruits blancs sont remplacés par un sifflement continu, un peu sourd mais qui devient de plus en plus puissant. Dean se crispe. C'est le bruit annonciateur de Son arrivée, la tempête soufflant l'haleine putride du Mal.

« Il est (…) Veut (…) Peut pas (…) Protéger (…) Me fait (…) Mal… »

La voix de Gabriel est à peine perceptible tant le Mal souffle fort.

Le jeune homme entend le meilleur ami de Castiel gémir, la respiration haletante et comme suffoquée. De douleur. De peur. De terreur.

Soudain, un cri envahit la chambre quelque chose qui tient plus de l'animal que de l'humain. Quelque chose qui n'est pas ce monde. Dean n'entend qu'un dernier gémissement terrifié de la part de Gabriel, un petit filet de voix avant de le perdre.

« Castiel (…) Danger (…) Mort. »

Le cri se transforme alors en un hurlement continu, celui qui a fait trembler les fenêtres de la chambre sur leurs châssis. Il tient autant du rire d'un dément que d'un son réellement inhumain. Dean sent son sang se glacer dans ses veines et son ventre se tordre douloureusement. Le cri est si puissant que le jeune homme pense que les hauts-parleurs de l'enregistreur vont lâcher. Est-il possible qu'ils explosent comme dans une série télé ?

Il se jette presque sur l'appareil pour baisser immédiatement le son et ne pas attirer l'attention. Ça s'avère inutile. Dean a beau tourner la molette du volume jusqu'à mettre l'enregistreur en sourdine, le hurlement continue à vriller le vieux matériel audio. Il finit par jeter dessus deux oreillers et s'y appuyer de toutes ses forces pour tenter de l'étouffer. Le cri inhumain est à peine assourdi alors il s'appuie plus fort, s'arc-boute rn enfonçant l'appareil dans le matelas.

Le jeune homme sent ses tempes se marbrer de sueur tandis que ses jointures blanchissent. Il est pourtant glacé par l'appréhension. Ce son est pire que tout ce qu'il a déjà pu entendre. C'est au-delà de la Mort et de la porte entrouverte sur l'Autre Côté. Il dévore tout, il est comme le néant Dean n'entend même plus sa voix ou celle de Sam. Juste ce hurlement.

Le châtain serre les dents, les mains crispées sur les oreillers qu'il presse toujours plus.

— « La ferme. La ferme, la ferme, la ferme », grogne-t-il avec exaspération.

Comme pour le narguer, le hurlement s'apaise enfin, se termine en chuintement avant de se transformer en rire. Dean se mord les joues. C'est plus insupportable encore à entendre. Il semble si sûr de lui, si moqueur. Si assuré de sa victoire. Sam a raison, leur ennemi s'est montré non pas parce qu'il a suivi la lueur des bougies mais guidé par la tranquille confiance des vainqueurs. Bordel.

« Sam… Sammy. Touche le bracelet pour rester avec nous. On y est, tu dois t'ancrer pour ne pas dériver. Tu te souviens ? »

Dean hausse un sourcil. Il ne pensait pas que sa voix sonnait avec ce timbre d'inquiétude.

« Il est là, l'Autre. Il vient le clamer parce qu'Il considère qu'il est à Lui. Que Cassie Lui appartient. »

« C'est Lui. Il est là pour lui. Il le veut. »

C'est Gabriel qui parle par l'intercession de Sam.

Le châtain frissonne presque douloureusement.

Il déteste ça, autant que l'angoisse de Castiel qui suinte d'une manière presque palpable dans sa respiration haletante et étranglée.

Le rire se transforme en gloussement, quelque chose de condescendant et de moqueur pour la terreur de Gabriel. Ce dernier gémit et la bande saute une nouvelle fois de manière frénétique avant d'être dominé par Son rire. Dean sait que le meilleur ami de Castiel a fui ou a été chassé de la chambre par l'Autre.

Ce rire est celui qui avait résonné parmi eux tandis que le froid se faisant plus mordant. Cette Ombre. Démesurée. Le sel qui moisit devant eux alors que c'est impossible. Dean se rappelle de tout avec une parfaite précision. Il se voit encore brandir sa croix en argent devant eux tous et agiter la fiole d'eau bénite. Pour La faire danser. Ça aussi, il s'en souvient. Affirmation ridicule. Il semble être du même avis car Son rire redouble.

Le châtain se sent vaguement nauséeux, son tee-shirt colle à ses épaules en sueur.

« Tu ne peux pas. Vous ne pouvez rien. Il est déjà… mien. »

Sa voix.

Dean écrit frénétiquement sur le bloc-note, couvrant des lignes de son écriture serrée. La bande s'emballe et saute d'une manière frénétique, le jeune homme s'attend à la voir jaillir soudain de l'enregistreur comme un diable de sa boîte, étalant son ruban noir et brillant partout sur le couvre-lit comme une gerbe de sang. Le jeune homme ne saisit que des bruits épars avec Son ricanement en arrière-plan. C'est le moment où les choses se sont emballées. Sa main s'étendant jusqu'à parvenir finalement à franchir le cercle de sel pour attraper Castiel. La manière dont l'Ombre semblait avaler le lit du brun tout entier.

« Il est à moi. Je l'ai déjà marqué. »

Le crissement de Son ongle effilé sur l'acajou emplit soudain les haut-parleurs, comme une craie appuyée sur un tableau noir d'écolier. Le châtain plaque ses mains sur ses oreilles, le bruit est physiquement douloureux et il est une torture pour ses tympans déjà malmenés.

Il serre les dents.

Dean sait que la séance touche à sa fin, que la Porte va bientôt se refermer.

L'air vibre autour de lui avant de s'apaiser lentement. Le châtain éloigne prudemment ses mains de ses oreilles, le silence soudain de la bande est toutefois loin de le tranquilliser. Il est anormal. À ce moment de la séance, Dean devrait entendre leur agitation à Sam, Castiel et lui, la respiration haletante de son frère épuisé et la terreur paniquée du brun.

Il fronce les sourcils, les yeux rivés sur l'appareil.

Et maintenant ? Et maintenant ?!

Il appuie si fort la pointe de son stylo que la page du bloc-note se déchire.

Et maintenant ?!

Maintenant, Il rit encore, comme un bon amusement.

Puis Il commence à fredonner. Le léger grésillement dans les haut-parleurs est identique à celui d'un vieux tourne-disque. Le châtain pense saisir les bribes d'une chanson, des paroles un peu décousues. Ce n'est pas de l'anglais, la langue lui est inconnue. Il s'empresse d'activer l'enregistreur de son portable et le colle contre les haut-parleurs du vieil appareil Dean ne peut pas noter ce qu'il ne comprend pas. La seule chose dont il est certain est la détestable audace de son adversaire, son ton est badin et joyeux.

À ce moment, Castiel se consumait de peur à côté de lui.

« Je t'ai rencontré simplement

Et tu n'as rien fait pour chercher à me plaire

Je t'aime pourtant

D'un amour ardent. »

Sa voix est chaude et veloutée. Elle roule les "R" et ressemble à un roucoulement amoureux. Dean essuie son front humide d'un revers de main. Bordel. Connard.

« Tu seras toujours mon amant

Et je crois en toi comme au bonheur suprême

Je te fuis parfois, mais je reviens quand même

C'est plus fort que moi… je t'aime ! »

Il y a un dernier éclat de rire, un atroce grésillement puis la bande enregistreuse retrouve sa clarté et sa tonalité un peu surannée.

Dean cligne des yeux, un peu hébété de reconnaître sa voix quand il ordonne à Sam de manger son poids en confiseries. Le parquet craque quand il aide Castiel à quitter la chambre pour aller se reposer dans une pièce voisine.

L'enregistrement s'arrête.

Le silence envahit sa chambre, il est presque aussi étourdissant que Ses hurlements forcenés.

Le châtain s'avachit contre ses oreillers, le bloc-note abandonné sur le matelas. Il essuie ses tempes humides avec le bas de son tee-shirt, la vue de la cafetière lui retourne l'estomac. Il a envie de boire dans un bar. Beaucoup. Sa gorge est sèche, rêche comme du papier de verre sa langue est lourde et pâteuse.

Bordel, dans quoi Sam et lui ont-ils mis les pieds ?

La respiration un peu erratique, le jeune homme fait un rapide calcul. Son frère et lui sont arrivés à Butler il y a dix-sept jours et ils ruminent leurs échecs depuis presque aussi longtemps.

À présent, il n'est plus question d'appréhender égoïstement le moment de sa séparation avec le brun et le fait de manquer… quoi que pourrait signifier ce quelque chose entre eux. Peu importe comment il regarde l'avenir, il voit juste quelque chose de dramatique. Sam et lui doivent faire vite et bien. Son cadet a raison, cette chose est vraiment mauvaise et Elle se joue d'eux.

Son portable sonne à côté de lui. Dean sursaute absurdement haut sur le matelas. Un oreiller tombe au sol et il le ramasse en grommelant, les yeux sur le message de Sam. Le jeune homme esquisse un pâle sourire. Jessica l'invite à déjeuner avec elle ? Juste tous les deux précise le message. C'est parfait. Dean envoie rapidement une réponse, range précieusement l'enregistreur dans son sac, arrache les feuilles du bloc-note puis s'empare de ses clés.

Sur le pas de la porte qu'il ouvre à la volée, il manque de heurter Mrs. Singleton. Dean la rattrape rapidement d'une main autour de son coude tandis que la sexagénaire pose une main sur sa poitrine.

— « Excusez-moi Mrs Singleton, je ne regardais pas où j'allais. »

— « Ce n'est rien, je vous ai surpris. » Elle le remercie d'un sourire et se redresse. « Est-ce que tout va bien ? Vos voisins de chambre m'ont dit avoir entendu des bruits inquiétants… »

— « C'est de ma faute, j'ai mis le volume de mon ordinateur trop fort. Ça ne se reproduira plus. Sam vient de me dire qu'il déjeunerait dehors, je vais faire de même alors inutile de nous garder une table. »

— « C'est regrettable, j'ai cuisiné une tarte aux pommes pour le dessert. »

Ah. Mince. La tentation est réelle mais Dean a l'impression d'entendre encore le grésillement de la bande enregistrée bourdonner dans ses oreilles. Le bout de ses doigts le picote à l'idée de les refermer sur une bouteille de bière bien fraîche. Son hôtesse tapote gentiment son avant-bras.

— « N'ayez pas l'air aussi déconfit. Je vous en garderai une part ainsi que pour votre frère si vous me promettez de ne pas la manger dans votre chambre, c'est interdit par mon règlement Dean…Passez une bonne journée, j'espère que vous trouverez ce que vous cherchez. »

— « … Moi aussi. »

Le jeune homme s'éclipse dans le couloir et descend les escaliers dans un grand tremblement de marches. Il trouvera plus tard, pour le moment, il veut surtout oublier.

Dean pense encore à la meilleure manière de s'étourdir quand il gare l'Impala devant un diner du centre-ville. Le châtain se laisse tomber sur un haut tabouret au comptoir et sans jeter un regard à la carte, il commande un énorme cheeseburger avec double steaks et portion de fromage, une montagne de frites et une bouteille de bonne bière texane. L'odeur de graisse qui flotte dans la salle lui fait soudain prendre conscience qu'il est affamé.

La serveuse – Tracy, brushing digne d'une comédie musicale des années 1980 et faux ongles trop roses – est joviale et a envie de faire la conversation. Dean esquive d'un sourire poli, les lèvres déjà refermées sur le goulot. Il ne veut pas vraiment parler ni se montrer charmant, juste ruminer en paix en avalant son total de calories journalières en un seul repas. Il lorgne sur la vitrine réfrigérée des desserts plus loin sur sa gauche ils lui offrent une belle opportunité d'achever de faire exploser son taux de glucose dans le sang.

Le châtain profite d'être seul à table pour manger avec ses doigts. Le ketchup coule le long de sa paume, comme quand il était enfant et qu'il lapait la sauce comme un petit chiot, et ça lui fait plaisir. Ses notes sur l'enregistrement pèsent lourd dans la poche intérieure de sa veste. Dean la retire en roulant des épaules, attentif à ne pas tacher le vieux cuir patiné de graisse. Il l'abandonne négligemment sur le dossier d'un tabouret voisin du sien.

Les mains serrées sur son cheeseburger, le jeune homme ne cesse de jeter des regards mauvais à son vêtement. Ses mâchoires s'activent avec la puissance d'un bulldozer en pleine opération de terrassement tandis qu'il fronce les sourcils. Dean boit une longue gorgée de bière avant de reprendre son repas avec l'efficacité d'un essaim de sauterelles.

— « Une autre bière jeune homme ? »

Le châtain acquiesce. Quand Tracy la décapsule habilement devant lui, il la remercie d'un sourire d'excuse.

— « Je vous en prie, vous semblez en avoir besoin. Dure journée ? », demande-t-elle avec chaleur.

— « En quelque sorte », grommelle-t-il.

Inutile de lui faire remarquer qu'il est midi à peine passé, ça fait tôt pour une dure journée mais Dean décide arbitrairement qu'il n'y a pas d'heure pour décréter qu'une journée est vraiment pourrie. La sienne l'est officiellement depuis le début de la matinée et la lecture d'un enregistrement grésillant sur un vieil appareil datant de plus de vingt ans.

Le jeune homme regarde sa veste, la poche de sa veste. Ouais, journée pourrie.

— « Est-ce que vous souhaitez encore des frites ? Ma mère disait toujours que la vie était toujours plus belle quand on mange des trucs frits. Elle a gagné le concours des meilleures ailes de poulet frites de Oak Hills en 1962, vous savez. »

Dean hausse un sourcil et esquisse un sourire un peu plus sincère. Il tend le cou en direction du passe-plat pour regarder l'intérieur de la cuisine. Le châtain regarde avec envie une assiette odorante passer devant lui, emportée par Tracy.

— « C'est la spécialité de la maison, la recette de maman », lui souffle-t-elle avec un clin d'œil entendu.

— « Donnez-m'en aussi une assiette », marmotte Dean.

— « Avec de la sauce barbecue ? »

— « Évidemment. »

La serveuse pouffe d'un air ravi avant de lancer un ordre tonitruant à la cuisine.

Le châtain se félicite de son choix quand il voit le plat déposé devant lui quelques minutes plus tard. La panure frite brille comme de l'or et les grains de sel ressemblent à des diamants. Dean essuie distraitement ses doigts et commence à piocher dans la corbeille en plastique dont la serviette en papier est déjà imbibée de gras. Il lèche son index. C'est bon, félicitation à la gagnante.

Accoudé au comptoir, le châtain regarde distraitement autour de lui tandis qu'il grignote ses ailes de poulet avec plaisir. Il remarque des couples, des employés de la mairie, des salariés seuls ou venus à plusieurs. Tous passent un bon moment. Dean soupire. Il esquisse un geste pour ébouriffer ses cheveux avant de se retenir ce serait franchement dégoûtant.

Même s'il mange les mêmes ailes de poulet qu'eux – ça a vraiment l'air d'être une institution locale – le châtain se sent complètement en décalage avec les clients qui l'entourent.

Deux employés de la voirie discutent non loin de lui d'un trou à combler dans une rue du centre-ville. Un groupe de jeunes qui sort du lycée passe derrière lui pour aller s'asseoir, plein de rires et de bruyantes taquineries. Derrière la devanture, deux filles assises sur la même banquette se chuchotent des mots à l'oreille, leurs mains jointes sur la table. De manière éparse, le châtain saisit des résumés de programmes télé regardés la veille, des problèmes de bureaux, des projets pour le week-end. Tracy va d'une table à l'autre, toujours souriante avec un mot amical pour chacun.

Dean est seul avec ses démons.

Il mange du poulet frit dont la graisse coule presque sur ses doigts et sa deuxième bouteille de bière est presque achevée. Il a l'air aussi maussade que le routier qui mange en silence à l'autre extrémité du comptoir, les yeux rivés sur le journal du coin dont il fait les mots croisés. L'homme fronce les sourcils à intervalle régulier, ses puissantes mâchoires roulent sous sa barbe en une mastication lente et appliquée.

Dean a d'autre préoccupation que le coût de l'essence qui a connu un désagréable sursaut il y a deux jours ou quel est le symbole du bohrium en deux lettres. Il a été confronté au Mal. Il L'a entendu parler. Il L'a entendu rire. Il L'a entendu chanter. Il ne sait pas qui Il est et il doit encore Le chasser pour aider Castiel.

Le Mal dans son essence la plus parfaite.

Le châtain dépose lentement une frite dans la corbeille en plastique, l'estomac noué. Il hésite puis récupère ses notes et son portable. Il branche ses écouteurs, lance son enregistrement de la chanson qu'Il fredonnait.

Dean sursaute sur son tabouret. Le fichier numérique n'est qu'un atroce grésillement violent qui lui vrille douloureusement les tympans. Le châtain parvient à étouffer son cri d'exaspération mais pas son mouvement d'humeur.

— « Bordel ! Putain de saloperie ! », jure-t-il bruyamment en arrachant ses écouteurs.

Tracy hausse un sourcil réprobateur de l'autre côté du comptoir. Dean s'excuse d'un grognement et remet un écouteur, baisse le volume au maximum mais le son est à peine assourdi. Il navigue dans le menu du lecteur audio, modifie la vitesse de lecture, joue avec les fréquences. Sa tentative est un échec.

Le châtain abandonne son matériel sur le comptoir, exaspéré. Merde.

Dean s'affale contre le dossier de son tabouret, ses notes devant ses yeux. Il continue de grignoter ses frites, les mâche et les avale distraitement.

Le châtain relit soigneusement, tente de saisir le début d'une piste, un sujet sur lequel orienter sa prochaine discussion avec Castiel. Sa tentative n'est pas plus concluante. Il sent juste son ventre se serrer désagréablement en relisant les paroles de Gabriel, sa voix un peu distante mais pourtant pleine de tendresse pour le brun. Les bruits blancs, les grésillements et les hurlements sont inexploitables, ils ne sont que des preuves d'une manifestation surnaturelle.

Le châtain serre les dents.

Il y a la chanson. Son ton insupportable, moitié roucoulement, moitié caresse. Pas besoin d'être polyglotte pour comprendre qu'elle parle d'amour.

Dean fronce si fort les sourcils que des plis sans nombre froissent sa peau. Il ferme les yeux et tente de se souvenir. Sa responsabilité est énorme. Le jeune homme crispe ses doigts dans ses cheveux courts, tire dessus. Se souvenir. Dean commence à marmonner entre ses dents serrées. À fredonner. Il s'arrête et reprend plusieurs fois ce n'était pas ça, il sait qu'il fait fausse route.

Le jeune homme murmure en sourdine quand un client passe derrière lui ou que Tracy va et vient derrière le comptoir. Elle le débarrasse de sa bière vide, l'interroge d'un regard mais Dean refuse d'un signe de tête. Il demande un soda pour accompagner sa première part de tarte aux myrtilles. Quand la serveuse pose son assiette devant lui, le châtain a croisé les mains devant sa bouche, les yeux fermés. Il fredonne toujours. Dean entend Tracy faire de même non loin de lui. Il rouvre brusquement les yeux.

— « Vous connaissez cette chanson ? », lui demande-t-il à brûle-pourpoint.

La serveuse lui jette un regard navré et secoue la tête.

— « Je vous ai juste entendu fredonner, j'ai trouvé que c'était joli. Vous ne savez pas ce que vous chantez ? », lui répond-elle gentiment.

— « Je l'ai entendu dans un magasin et elle ne me sort pas de la tête. »

— « Je connais, ça me fait la même chose quand j'écoute Britney Spears », rit-elle.

Dean esquisse un rictus.

Il est en train d'entamer son deuxième dessert – une part de tarte aux noix de pécan, première place au concours de tartes de Oak Hills en 1967 – quand Sam l'appelle. Le jeune homme met son fichier sur pause et retire un écouteur, il s'est enregistré un peu plus tôt en fredonnant ce qu'il pense être la bonne mélodie. Dean est un homme obstiné et il faut l'être parce qu'il ne trouve pas qu'il fredonne particulièrement juste il pensait que cela l'aiderait peut-être à se souvenir des paroles mais le châtain n'est pas meilleur polyglotte. Il marmonnait plus qu'il ne parlait pendant ses cours d'espagnol au lycée. De toute manière, il avait choisi cette option parce que le remplaçant de Mrs. Brandley était un Mexicain torride pour ses hormones d'adolescent. … Il pense qu'il était Mexicain. Il s'appelait Diego Garcia et Dean rêvait de sa voix chaude au charmant accent lui murmurant des choses sexy à l'oreille pendant qu'il ondulerait entre ses cuisses. Dean esquisse un sourire.

— « Salut Sammy. Ton déjeuner s'est bien passé ? », roucoule-t-il en léchant avec soin sa cuillère.

Son frère marmonne dans le combiné et Dean ricane. Dieu que c'est bon, son petit frère lui a manqué.

« Jess avait choisi un restaurant à côté du Maridon. C'était délicieux, nous avons très bien mangé. »

— « Jess, hein ? »

« Si tu cesses d'avoir des goûts d'homme des cavernes, je t'y emmènerai peut-être un soir. »

Dean entend un rire à l'arrière-plan et il sourit d'un air un peu stupide. Il entend dans la voix de son frère que celui-ci a passé un excellent moment, il perçoit son sourire dans la moindre de ses paroles alors il se sent bien aussi. Il ne veut pas autre chose pour Sammy.

— « Vous êtes toujours ensemble ? Je ne me moque pas de toi, je l'entends juste rire derrière toi », ajoute le châtain en roulant des yeux.

« … Nous sortons du restaurant. Je t'appelle pour savoir où tu es. Tu es toujours à l'hôtel ? »

— « Je pourrais être chez Castiel pour travailler pendant que tu t'amuses avec Jess. »

« C'est impossible. Je viens de l'appeler et il me l'aurait dit si vous aviez déjeuné ensemble en tête-à-tête. »

Le châtain fronce les sourcils.

— « Pourquoi est-ce que tu l'as appelé ? Qu'est-ce que tu avais à lui dire ? », grommelle-t-il.

« Seigneur, ne fais pas ta femme jalouse. Jess a eu une idée pendant qu'elle me montrait les réserves du Maridon Museum. Nous lui rendons visite demain. … Ce n'est pas comme si tu comptais rester loin de lui et de sa maison de toute façon, pas vrai ? »

Dean se renfrogne un peu. Touché. En plein dans le mille même. Il essuie distraitement d'un doigt le bord de son assiette à dessert et lèche les miettes croustillantes.

— « … Pourquoi est-ce qu'on ne va pas le voir aujourd'hui ? », marmotte-t-il.

« Parce qu'il n'est pas à Butler. La famille Moore passe la journée à Lake Arthur, Castiel est avec elle. Carol l'a un peu forcé à les accompagner si j'ai bien compris. »

— « Cas est à la plage et il se baigne dans un lac ? », demande Dean d'un ton incrédule.

« … Je ne vais même pas répondre à ça, Dean. Où es-tu ? »

Le jeune homme jette un regard à l'en-tête d'un menu abandonné sur le comptoir. Il n'a pas réellement fait attention à l'endroit où il s'est arrêté un peu plus tôt. La couleur de la façade lui a plu, le logo en forme d'avion de cartoon est amusant et l'Impala est bien à l'abri sur sa large place de stationnement. Elles lui ont semblé être de bonnes raisons de s'arrêter.

— « Je déjeune au American Diner, c'est à l'ouest du centre-ville. »

« Oui, sur American Avenue. Jess connaît, elle y allait quand elle était au lycée. On arrive. »

Dean raccroche il sourit toujours quand il pose son portable à côté de son assiette.

Le jeune homme regarde rapidement la salle. La clientèle du déjeuner s'est dispersée, il y a de nombreuses tables vides que Tracy est en train d'achever de débarrasser. Le jeune homme remarque un carré avec deux banquettes en skaï rouge, au bout de la vitrine. Il s'empare de sa veste d'une main, de son assiette de l'autre et va s'installer. Il remercie la serveuse quand celle-ci le rejoint, apportant avec elle son verre et sa bouteille de soda. Son sourire est le plus franc qu'il lui a offert depuis qu'il s'est installé pour le déjeuner. Tracy le remarque et son visage avenant se met à rayonner.

— « Vous pouviez continuer à chantonner au comptoir, ça ne me dérangeait pas », le taquine-t-elle. « … Est-ce que vous avez trouvé les paroles qui vous manque ? »

— « Non. Elles n'étaient pas en anglais et je baragouine seulement deux mots d'espagnol. »

C'est une exagération. Pour être tout à fait exact, il baragouine la conjugaison complète du verbe « aimer », quiero, quieres, quiere… Le châtain avait l'impression que l'accent plein de chaleur de Diego Garcia était encore plus brûlant quand il faisait répéter sa classe de lycéen. Tracy rit joyeusement.

— « Quand vous les aurez trouvés, n'hésitez pas à revenir me les fredonner. Je suis persuadée qu'il s'agit d'une chanson d'amour et je trouve que c'est encore plus beau quand elle est dans une autre langue », reprend-elle en rassemblant les menus épars sur la table voisine.

— « … Ouais. Laissez les menus s'il vous plaît, mon frère et sa copine vont bientôt me rejoindre. »

La serveuse s'exécute avant de s'éloigner Dean l'entend toujours chantonner, son timbre plus tendre aussi. Comme le Sien. Le châtain dévore une énorme bouchée de tarte, si grosse qu'il doit ouvrir la bouche d'une manière franchement grotesque pour l'avaler en une fois. Les yeux rivés sur la rue, il est en train de réitérer son exploit quand il entend un léger raclement de gorge à côté de tourne la tête. Jessica lui sourit d'une manière qui creuse d'adorables fossettes dans ses joues tandis que Sam le regarde d'un air à la fois exaspéré et dégoûté.

— « Tu es dégoûtant », grommelle-t-il en jetant un regard noir à sa bouchée trop grosse.

— « Le American Diner doit faire les meilleures tartes de Butler », rétorque Dean en mâchant ostensiblement devant lui.

— « Elles sont très bonnes même si elles sont un peu en dessous de celles de Butler Bakery sur W Jefferson Street. … Je vais quand même t'accompagner, j'adore leur tarte à la citrouille et c'est la pleine saison », dit Jessica en se glissant sur la banquette.

Le châtain adresse un sourire triomphant à son frère qui s'assoit à côté d'elle.

— « Nous sortons de table… »

— « C'est juste de la gourmandise, tu devrais essayer aussi Sam », répond-elle en interpellant Tracy d'un signe.

Dean ricane. Il met de justesse sa main devant sa bouche pour évident de postillonner des miettes de gâteau sur la table. Sam le connaît par cœur alors il le regarde d'un air proprement horrifié tandis que la blonde s'esclaffe. Dean rit encore. Il apprécie vraiment cette fille.

— « Je t'invite Jessica. Sammy, cesse de faire pas la tête et prend aussi un petit quelque chose ! Je suis d'humeur généreuse. »

— « Merci mais je n'ai plus faim », lui répond son cadet d'un ton pince-sans-rire.

— « Il n'est pas gourmand, hein ? Au restaurant, je suis certaine qu'il a pris un menu complet uniquement pour m'accompagner. Un garçon de sa carrure, on pourrait penser qu'il mange comme quatre… »

Jessica appuie son menton dans sa paume, un coude sur la table. Elle sourit encore, les fossettes sont toujours là mais surtout, il y a dans ses yeux une lueur nouvelle. La tête légèrement tournée vers Sam, elle le regarde avec tendresse et Dean voit les oreilles de son frère rougir un peu. Le blond se cache derrière le menu qu'il porte haut devant ses yeux et étudie avec un soin trop particulier pour être honnête. Son frère rit sans pouvoir s'en empêcher. Le nœud douloureux dans son estomac – rien à voir avec la friture de la maman de Tracy, merci bien – se desserre un peu.

Le châtain hausse un sourcil admiratif quand leur serveuse dépose son assiette devant la blonde, généreusement accompagné de crème fraîche et de caramel. Dean lui jette un regard oblique, jaloux de ne pas y avoir pensé et étonné par le fait que la jeune femme va réellement avaler cette montagne de sucres rapides et de graisse saturée.

— « Merci Tracy. Est-ce que vous pouvez ajouter une autre cuillère ? Il va goûter », demande-t-elle en désignant Sam d'un petit geste de tête. « Dean a déjà la sienne. »

Bon sang, le châtain adore cette fille. Les oreilles de Sam rougissent plus fort encore au regard éloquent de leur serveuse sur eux. Il grommelle vaguement qu'il n'a pas faim mais Jessica place nonchalamment l'assiette entre eux et le blond commence à picorer dedans. Dean le contemple d'un air vaguement interdit. C'est plus sérieux entre eux qu'il ne le pensait si son cadet mange un plat qu'il n'apprécie pas vraiment en temps normal.

Le châtain s'appuie contre le dossier de sa banquette et croise ses mains sur son ventre pour les observer plus à son aise. Il remarque tant de petites choses qu'il est certain de pouvoir taquiner son frère pendant des semaines. Sam n'a pas la moindre idée de ce qui va lui tomber dessus quand il l'aura décidé.

Dean baisse les yeux et remarque les perles de jade autour de son poignet. Il interroge Sam du regard.

— « J'avais les perles avec moi et Jess a trouvé au musée un morceau de fil pour refaire le bracelet. »

— « Tu les avais sur toi… par hasard », renchérit malicieusement Dean.

Son cadet lui jette un regard noir et il ricane. Qu'il laisse donc aller, lui et Jessica n'en sont plus là à présent.

— « Les produits de la boutique de souvenirs du Maridon sont plutôt courants, je ne suis pas surprise qu'il ait cassé. Ça arrive rarement aussi vite par contre. Vous menez une vie plutôt agitée pour deux écrivains… », dit la jeune femme.

Dean lui adresse un sourire charmant pour botter en touche. Jessica est une fille géniale mais elle est intuitive. Sam et lui ont besoin d'elle, elle va les obliger à jouer plus serré que d'habitude.

— « Sam m'a un peu détaillé votre affaire après notre visite des réserves du Maridon. »

Dean la voit pousser délicatement plusieurs noisettes caramélisées vers son frère. L'attention est touchante – Jessica sait déjà ce qu'il préfère alors, mince, ça a l'air vraiment sérieux – mais le châtain est un peu distrait. … Peut-être que Sam et lui auraient dû discuter de son rendez-vous avant son départ du Clarence Inn pour accorder leurs violons.

— « Je lui ai dit que nous avions commencé nos recherches sur la collection de Castiel et que nous n'avons pas vu grand-chose sur les meubles et les œuvres d'art. Jess est d'accord pour nous aider », ajoute son frère avec un regard éloquent.

— « Tu aurais vraiment pu refuser ? Je croyais que tu l'admirais ? », demande Dean en la regardant.

— « J'admire sincèrement cette collection mais je n'ai pas échangé directement avec Castiel à ce sujet, cela me met dans une situation un peu délicate. »

— « Je lui ai assuré que Castiel était d'accord mais Jess a parlé un peu avec lui après le déjeuner quand je l'ai appelé. Elle est très professionnelle », renchérit Sam.

— « … Sans doute. » Dean roule des yeux tant la fierté de son frère sonne stupidement. « Tu nous accompagnes demain alors ? »

— « Je serai là et je ne serai pas seule. J'ai un peu de matériel scientifique chez moi, Castiel est d'accord pour que j'utilise une lampe UV pour notre examen. La lumière bleue pourrait nous montrer des tampons effacés de marchands ou faire ressortir des marques d'ébéniste. »

Le châtain acquiesce. Sam et lui en ont aussi une dans le coffre de l'Impala mais elle est tombée en panne et Dean ne parvient pas à la réparer ils étaient sur le point d'aller en acheter une autre dans une quincaillerie. Le jeune homme laisse volontiers à la jeune femme le soin de débattre avec Castiel de vieilles inscriptions importantes pour l'histoire de l'art lui et son frère feront semblant de s'y intéresser tout en cherchant toutes les autres traces suspectes sur le bois ou le métal.

— « Sam m'a aussi détaillé la disposition des pièces de la maison et ce qu'elles contiennent, nous avons réfléchi à une méthode de travail pendant le déjeuner. Castiel nous attend pour quatorze heures, il a dit que nous pouvions rester jusqu'à ce que nous ayons fini », poursuit la blonde.

— « Cas est très fatigué, nous ne pourrons sans doute pas faire autant de choses que tu l'as prévu. »

— « Cas ? » Jessica hausse un sourcil. « Je ne savais pas que Castiel avait un surnom… Il ne semble pas le genre d'homme à aimer ça. »

— « C'est le truc de Dean, je ne m'y risquerai pas si j'étais toi », ricane Sam.

— « … Je vois. »

— « La ferme, Sammy. »

Le regard de la jeune femme est si pétillant que le châtain lui trouve un éclat presque dangereux. Il s'empare de sa fourchette et creuse presque une tranchée dans la tarte à la citrouille de Jessica. Sam est scandalisé mais la blonde se contente de lui sourire avec malice. Mince. C'est amusant de menacer son petit frère de plaisanteries sans fin sur son énorme béguin ça devient beaucoup moins drôle quand il a l'impression que la blonde pourrait en faire autant avec lui. Non pas que son propre béguin pour Castiel soit énorme. … Il est juste monstrueusement gigantesque.

Il tente de soutenir le regard de Jessica mais finit par baisser les yeux sur son assiette. Le châtain lui vole un nouveau morceau de tarte par vengeance mais la jeune femme se contente de pousser doucement l'assiette dans sa direction, un sourire plein de fossettes aux lèvres.

— « Si Castiel accepte, je suppose que c'est plus votre truc que seulement le tien », ajoute-t-elle nonchalamment en dégustant la crème fraîche du bout de sa fourchette.

Ah. Maintenant, Dean sent ses oreilles chauffer un peu et du coin de l'œil, il voit Sam sourire d'un air triomphant. Accepterait-il un surnom d'une autre personne que Mary qui l'appelait « étourneau » quand il était petit à cause de ses taches de rousseur, semblable au plumage de l'oiseau ? Sam le gazouillait aussi et c'était mignon vraiment mignon quand il comptait du bout des doigts les éphélides sur ses joues et son front, grimpé sur ses genoux. À part ces moments d'enfance, Dean n'a jamais eu de surnom. Pas plus au collège qu'au lycée quand il portait déjà un blouson en cuir un peu élimé aux coudes et qu'il jouait au mec cool pour cacher ses regards vers les fesses musclées de Scott Jones. C'était un garçon de dernière année et de son point de vue, le plus séduisant étudiant de tout du lycée public de Lawrence. Le châtain joue distraitement de sa fourchette sur l'assiette, la faisant tinter sur la porcelaine. … Si c'est leur truc, Castiel pourrait aussi lui donner un surnom ? Il compterait avec tendresse ses taches de rousseur, un sourire aux lèvres et son doigt frais effleurant doucement sa peau ?

Dean relève machinalement les yeux. Jessica sourit toujours, une ombre taquine à la commissure de ses lèvres. Le jeune homme s'essuie vigoureusement la bouche avec sa serviette et se racle la gorge.

— « Et donc ? Qu'est-ce que Sammy et toi avez comploté pendant que vous mangiez les yeux dans les yeux devant une triste salade sans sauce ? », élude-t-il maladroitement.

Son frère roule des yeux et sort leur carnet de bord de sa sacoche. Dean cligne les yeux de surprise. Sam a-t-il perdu l'esprit pour montrer ainsi leur outil de travail et toutes leurs annotations à la blonde ? Son cadet roule des yeux et l'ouvre soigneusement à l'envers et dans l'autre sens, comme un cahier vierge. Non vraiment Dean, merci de me faire confiance, je ne suis pas stupide.Sur le papier s'étale une large écriture ronde et déliée, celle de Jessica, avec un plan et des listes. Le châtain se penche vers eux tandis que la jeune femme repousse leurs assiettes vides et commence à lui expliquer leur plan d'attaque.

Quand elle s'absente un instant pour prendre un appel du Maridon Museum, Sam se penche à son tour vers lui.

— « Est-ce que tu as pu écouter la bande ? »

— « Tu passes de toute évidence une excellente journée Sammy, tu es sûr de vouloir parler de ça maintenant ? »

— « Ce n'est pas comme si je pouvais oublier ce qu'il s'est passé. Je pense beaucoup à Castiel depuis que je l'ai appelé tout à l'heure », lui répond son frère. « … Nous devons continuer, pas vrai ? »

Dean opine en silence. Toutes ces tartes sont un peu lourdes dans son estomac. Oui, c'est exactement ce qu'ils doivent faire. Le châtain palpe machinalement sa veste en cuir avant de passer une main dans sa nuque.

— « Je l'ai écouté et j'ai pris des notes. … Cet enfoiré chantait et Il avait l'air foutrement sûr de lui », marmonne-t-il d'un air crispé.

Sam fronce les sourcils. Il surveille Jessica du coin de l'œil, la jeune femme est toujours devant le restaurant.

— « Qu'est-ce qu'il chantait ? »

— « J'en sais rien, ce n'était pas en anglais mais ça ressemblait à une chanson sentimentale. Ou à quelque chose d'approchant. C'est comme s'il roucoulait. » Dean crispe ses doigts sur sa fourchette. « Je l'ai enregistré pour en garder la trace mais ça n'a pas fonctionné. »

— « … C'est pour ça que tu as bu de la bière alors qu'il fait très chaud et que nous ne sommes qu'au déjeuner ? Je l'ai senti à ton haleine quand je me suis assis en face de toi », sourit gentiment son frère.

Le châtain hausse les épaules. Trop tard pour nier de toute manière, Sam n'hésitera pas à demander confirmation à Tracy qui trouvera son attention touchante et lui dressera par le menu la liste de ses excès alimentaires depuis qu'il est entré au American Diner. Jessica revient vers eux et le blond sourit.

— « Tu te sens de l'écouter une nouvelle fois quand on sera rentré à l'hôtel ? Je préférerais me plonger dedans le plus rapidement possible », souffle-t-il rapidement.

— « On le fait quand tu veux, Sammy. Je me demande juste ce que tu vas dire à Jessica pour expliquer le fait que vous ne dînerez pas ensemble ce soir. Elle te dévore déjà du regard. »

— « … Elle est sympa. »

Le jeune homme éclate de rire. C'est comme si Sam se transformait à nouveau en petit garçon, le même enfant maladroit qui lui disait qu'il trouvait Britanny Morris chouette alors que Dean, du haut de son expérience d'aîné de onze ans, savait qu'il rêvait de se marier avec elle. Ce souvenir lui fait du bien, il participe plus activement que jamais à la conversation.

Sam et lui finissent par prendre congé au milieu de l'après-midi.

Les reins calés contre le capot de l'Impala et les bras croisés sur sa poitrine, le châtain assiste aux saluts de son frère avec Jessica sur un bout de trottoir, aussi intenses que si Sam partait à la guerre. Il en rit encore quand il gare la voiture sur le parking du Clarence Inn. Il s'esclaffe toujours quand ils entrent dans leur chambre et que Sam le bouscule pour passer devant lui, les oreilles un peu rouges.

Dean sourit sans pouvoir s'en empêcher quand ils enclenchent le vieil enregistreur, tous les deux assis autour de la petite table vintage couverte d'un napperon en crochet.

Leur parenthèse enchantée au parfum de sucre et au goût de fruits se clôt aussi brutalement qu'elle s'était ouverte.

Les deux frères revivent ensemble le début de la séance de spiritisme et Dean voit son frère frissonner aux mots de Gabriel, la mâchoire serrée. Cette fois, il n'y a pas de hurlement de dément.

Le châtain trépigne, il attend l'arrivée de l'Autre. Il tressaute nerveusement d'une jambe, ça va arriver, les hauts-parleurs grésillent, crachotent plus que jamais. Soudain, une fumée blanchâtre commence à s'échapper de l'appareil. Puis une étincelle. Le châtain se précipite mais il est trop tard. La cassette s'enflamme brusquement. Un mélange de plastique et de bande magnétique fondus tapisse l'intérieur de l'appareil d'un dépôt noirâtre, gluant et malodorant. Le détecteur d'incendie de la chambre se met à hurler au-dessus d'eux. Dean jure atrocement. Ça pourrait être la faute du vieux matériel mais les deux frères n'y croient pas une seconde.

Alors que Sam emporte l'enregistreur dans la salle d'eau et l'asperge à l'aide du pommeau de douche pour éteindre les flammes, son dernier crachotement d'agonie ressemble à un rire. Son rire.

.

Castiel descend du SUV familial et tient obligeamment la portière à Finley qui saute sur l'herbe devant la maison des Moore. Le beagle est immédiatement suivi par Tom et Julia qui, dans un concert de cris ravis, lui courent après.

Le brun referme avec soin derrière eux et s'appuie un instant contre la voiture, un sourire fatigué aux lèvres. Leur joie inépuisable semble résonner dans tout le quartier autour de Belmont Road. Il les contemple puis tourne la tête pour regarder de l'autre côté de la rue. Sa maison. Elle n'a pas changé en deux jours, toujours belle et altière.

Son regard erre sur les massifs qui bordent la galerie couverte du rez-de-chaussée, sur les fenêtres de l'étage jusqu'au bow-window de sa chambre.

Castiel sent un frisson remonter le long de son dos. Un mouvement agite légèrement les rideaux. Une ombre se découpe dans l'embrasure. Le jeune homme cligne des yeux avant de frotter ses paupières de son poing fermé. Il a dû le rêver. Sans doute. Pourtant, la psyché sculptée en acajou qu'il aime tant a bien été détruite. Hier, Dean lui a dit qu'il avait jeté le miroir brisé et enveloppé soigneusement la structure avec une couverture pour la protéger en attendant une restauration.

Castiel esquisse un sourire tendre. Dean. Dean avait des taches de rousseur hier aussi. Beaucoup sur les joues et les tempes. Le brun l'avait regardé rire avec Finley, il avait eu envie de sentir les délicates éphélides sous ses doigts. Les petites rides aussi qui illuminaient le coin de ses yeux si verts.

Un aboiement dans le jardin attire brièvement son attention, juste une seconde, avant qu'il ne recommence à La regarder. Il plisse les yeux. Oui, il est persuadé d'avoir vu un rideau onduler doucement. Comme une invitation.

Le brun se mord les joues. Dean. La maison. Sa maison. Son lit que le châtain a soigné de sa blessure. L'ombre. … Non, l'Ombre.

Castiel pâlit un peu et s'appuie plus lourdement contre la voiture. Il triture machinalement l'anneau à son doigt, presque douloureusement.

— « Cassie ? »

Une main se pose doucement sur son épaule. Le brun sursaute. Il déglutit lourdement tandis qu'il croise le regard noisette de Carol, teinté d'inquiétude. La blonde presse gentiment son avant-bras.

— « Est-ce que tout va bien ? Tu as l'air fatigué. » Elle grimace légèrement. « Ça a été une grosse journée, n'est-ce pas ? Tu sais que tu pouvais nous dire que tu voulais rentrer, les enfants auraient compris. »

— « Je vais bien. J'ai été heureux de passer cette journée avec vous à Lake Arthur », répond Castiel.

Le brun est surpris par sa propre capacité à mentir. C'est vrai que la journée a été drôle et pleine de chaleur mais il aurait préféré rester à Butler. Dans sa maison. Le jeune homme regarde encore la demeure par-dessus l'épaule de son amie. Il observe le rideau de sa chambre et salue distraitement Everett qui passe devant eux, portant deux sacs et la grosse glacière. Le regard de la blonde pèse sur son visage, il lui sourit.

— « Je ne suis pas si fatigué que cela. J'ai juste eu un peu chaud dans l'après-midi mais je me sens bien. »

— « Tu pouvais aller te mouiller les pieds, Julia aurait été ravie que tu l'accompagnes en lui tenant la main. … Tu as pris un peu de couleurs, c'est mignon. »

Carol sourit et effleure affectueusement sa joue au relief un peu trop acéré. Castiel se frotte distraitement le visage d'une main. Il aime sa peau blanche, Il le lui chuchote souvent à l'oreille.

— « Est-ce que tu dors bien ? »

— « Ça va », acquiesce le brun.

Le mensonge ne pèse pas si lourd dans sa bouche. Le brun s'en étonne à peine et se laisse docilement étudier par son amie. La jeune femme lui fait gentiment tourner la tête en appuyant sur sa joue avant de glousser.

— « Tu as un coup de soleil sur la nuque », ajoute-t-elle en effleurant sa peau légèrement rougie et Castiel frissonne d'inconfort. « Tu es très rouge, tu n'as pas senti que ça chauffait ? »

— « Je n'ai pas fait attention. Ça a dû arriver quand je me suis assoupi à l'ombre. »

Carol fronce légèrement le nez.

— « Tu m'as dit que tu dormais bien à la maison… Si c'était réellement le cas, tu ne ferais pas la sieste en pleine après-midi comme Finley. »

— « Je suis très fatigué. » Le brun lui sourit d'un air rassurant. « Tu voudras bien me mettre de la crème un peu plus tard ? Ça picote un peu. »

Le jeune homme peut sourire sincèrement parce que ce n'est pas un mensonge. Gabriel se moquait toujours de lui quand, lors des vacances annuelles qu'ils s'accordaient ensemble dans une luxueuse destination ensoleillée, Castiel rougissait à des endroits parfois improbables de son corps. Son sourire s'affaisse lentement. Gabriel. Son ami, son frère qui reste auprès de lui parce qu'il l'aime et qu'il est seul.

Le jeune homme crispe ses doigts sur le toit de la voiture et enfonce ses ongles dans sa paume.

— « Cassie ? »

— « Est-ce que je peux rentrer ? », lui demande-t-il doucement.

Son regard s'égare vers sa maison. Vers la fenêtre de sa chambre. Il sent que son amie referme gentiment sa main sur son avant-bras pour le guider vers le perron de la maison familiale. Castiel reste contre la voiture, droit et raide. Pourquoi l'entraîne-t-elle ailleurs ? Il doit rentrer. Chez lui.

— « Ta chambre est ici, chez nous. Tu te souviens que Dean t'a confié à moi hier soir ? Je t'oblige à manger des gâteaux depuis ton arrivée. »

Dean. Ses éphélides. Son sourire. L'éclat de ses yeux. La chaleur de son corps quand il s'agrippait à lui dans sa chambre pendant la séance de spiritisme. Le brun regarde distraitement Carol. Son amie lui sourit mais ses yeux brillent d'inquiétude. Elle tend la main et tire doucement sur la chaîne de sa médaille.

— « Tu te souviens ? Tu es ici pour aller mieux, Cassie », répète-t-elle.

— « … Je ne suis pas certain que manger mon poids en sucre soit une manière très saine de le faire… »

La blonde pouffe main le son est un peu étranglé. Elle glisse ses doigts jusqu'à son poignet et l'entraîne gentiment vers sa maison. Castiel ne proteste pas. Il peut faire encore un peu semblant, jusqu'au retour de Dean. Dean vient demain, avec Sam et Jessica pour continuer à étudier sa collection d'œuvres d'art. Il sera en sécurité avec eux et il pourra reprendre possession de sa maison. De sa chambre. Le brun n'ose pas le dire à son amie mais il se sent comme un étranger dans la chambre d'ami que cette dernière lui a offerte. Il y dort mal et reste longtemps à fixer le plafond, les yeux ouverts. Ou à contempler sa maison, assis dans le confortable fauteuil qu'il a tiré à côté de la fenêtre pour la veiller.

Castiel sait qu'il devrait avoir peur. Il se souvient encore avec gêne des prémices de sa crise de panique, de sa voix à moitié hystérique et de Dean qui le bordait presque comme un enfant. Il le sait. Mais le brun ne peut pas s'en empêcher. Il n'est pas à sa place chez les Moore, il se sent maladroit et mal à l'aise. Ce n'est pas chez lui. Il n'a trouvé un peu d'apaisement qu'en fermant enfin les yeux, vaincu par la fatigue. Il était là, avec lui comme Il ne l'avait pas été depuis des nuits. Il n'était plus une ombre mais des mains douce. Il n'était plus une silhouette indicible mais une voix rassurante et chaude lui murmurant des mots d'amour.

Que Dieu lui pardonne, Castiel est épuisé et il a encore envie de l'entendre.

Bine plus tard, allongé sur le confortable matelas king size, les bras écartés, il regarde l'heure qu'égrènent doucement les aiguilles de la pendule design posée sur la table de chevet. Son ventre gargouille un peu et le brun se frotte distraitement l'estomac par-dessus son haut de pyjama. Castiel a grignoté du bout des lèvres au dîner, les nerfs un peu à vif mais le corps las. Il veut rentrer chez lui.

La pendule sonne discrètement trois heures. Le jeune homme soupire et s'oblige à fermer les yeux. Il lutte contre l'envie de se lever une nouvelle fois pour aller contempler sa maison par la fenêtre. Le bow-window de sa chambre, ses rideaux et sa présence.

Castiel tâtonne maladroitement sur sa droite et récupère son portable sur la table de chevet. Il ouvre sa messagerie, se perd dans la lecture des messages que Dean lui a envoyé dans l'après-midi.


De Dean. Reçu à 16h45.

Salut Cas. Sam m'a dit que vous aviez convenu d'un rendez-vous pour demain avec Jessica. J'espère que c'est vraiment ok pour toi. Nous pouvons encore décaler si tu as besoin de temps. Rien ne presse et tu n'as même pas besoin d'être là. On en discute quand tu veux.


Le brun sourit doucement. Dean est si attentionné sous ses airs bourrus.


De Dean. Reçu à 18h01.

J'espère que tu as passé une bonne journée. Lake Arthur a l'air d'être un endroit sympa.


Oui. Vraiment attentionné.


De Dean. Reçu à 19h16.

Bonne soirée. Prends soin de toi Cas.


De Dean. Reçu à 19h48.

Est-ce que je ramène une tarte demain ? Qu'est-ce que tu préfères ?


Dans l'obscurité de sa chambre, Castiel se mord les joues. Même entre les dents serrées et les belles lèvres pleines un peu pincées, il entend sa voix incroyablement tendre. Dean Winchester est un homme facile à aimer pour bien des raisons.

Le brun pose son portable sur son torse et, les doigts doucement serrés autour, il ferme les yeux. Le jeune homme sent sa tête s'enfoncer dans son oreiller et son corps peser de plus en plus contre le matelas. Il voit Dean demain et ils seront dans sa maison.


Debout dans sa chambre, les deux hommes se font face. Castiel porte sa belle chemise bleue, celle qui le met le plus en valeur. Dean sourit, lui fait un petit signe de tête avant d'enfiler son blouson. Le cuir se tend sur ses épaules solides et ses bras musclés.

« Je ne peux rien faire pour toi Castiel. Tu es seul sur ce coup-là. »


Le brun déglutit difficilement dans son sommeil. Ses jointures blanchissent sur les draps qu'il maltraite. Il est pourtant beau dans cette chemise, il l'a mise tout spécialement pour lui.


« Je vais partir avec Sam pour aider des gens qui en ont vraiment besoin. »

Castiel écarquille les yeux de surprise. Dean le regarde en souriant toujours mais il n'y a rien de sympathique dans ses yeux verts. Juste quelque chose d'un peu distant et de poli, d'un peu nonchalant aussi comme si les deux hommes se saluaient seulement comme deux amis.

« Je ne reviendrai pas à Butler. Je vais continuer sans toi. »

Le brun secoue la tête. Il ne comprend pas. Dean l'apprécie, n'est-ce pas ? Ils rient ensemble, ils se sourient et parfois, ils sont très proches l'un de l'autre. Dean lui a donné un surnom et Castiel l'a accepté sans protester parce qu'il aime bien ça. Ça semble aussi ravir le châtain alors pourquoi Dean regarde nonchalamment autour de lui en ajustant le col de sa veste ? Pourquoi l'appelle-t-il par son prénom complet ? Castiel est simplement Cas pour lui.

« Tu… »

« Je voulais t'aider mais tu ne fais pas vraiment d'effort. Tu ne luttes pas. » Le châtain lui jette un regard si désapprobateur que le brun a l'impression de se liquéfier. « Tu ne veux pas te séparer de Lui alors il vaut sans doute mieux que vous restiez ensemble. »

« Dean… Re… »


— « Reste… », soupire Castiel dans un murmure.

Le jeune homme frissonne dans ses draps.


Il sent une main, Sa main, effleurer son dos, descendre jusqu'à ses reins avant de l'enlacer par la taille. Ses doigts, longs et chauds, se crochètent au relief aigu de sa hanche et le tirent en arrière, vers un autre corps, masculin et puissant. Castiel tente de lutter, mais Ses ongles s'enfoncent doucement dans la peau tendre de son ventre. Il se mord les joues et rougit. Le regard vert de Dean est fixé sur son étreinte avec Lui, sur Sa main qui l'enserre possessivement. Le brun gigote pour se dégager. Les lèvres sensuelles de Dean s'ourlent d'une petite moue et le châtain hausse les épaules.

« Il est à tes côtés et tu veux de Lui. C'est Lui qui doit rester avec toi, je te suis inutile », reprend-il d'un ton nonchalant.

« C'est faux, tu – »

« Adieu Castiel. »

Dean tourne les talons et sort de la chambre, sans un regard derrière lui et la main levée en un dernier salut. Le brun fait un pas en avant mais Il le retient.

« Il est parti. Il t'a laissé à moi. »


Castiel dodeline de la tête dans son oreiller.

— « Non… », proteste-t-il dans un souffle.


« Il ne veut pas de toi. Il te laisse derrière lui, comme tous ceux qui t'ont toujours accompagné jusqu'à présent. Gabriel, Carol, Oliver qui disait t'aimer… Tous. »

« Ils – »

« Moi, je suis toujours à tes côtés. Je ne t'abandonnerai jamais. Sais-tu pourquoi ? »


Castiel roule sur le flanc et se recroqueville sur le matelas, les draps emmêlés autour de son corps. Il sait mais le dire serait interagir avec Lui. Il sait qu'il ne doit pas. Il secoue lentement la tête et frotte sa joue contre la taie d'oreiller. Il fronce le nez. Odeur d'agrume, ce n'est pas le parfum de sa lessive. Il n'est pas chez lui. Ce n'est pas son lit, sa chambre. Il est un étranger. Le jeune homme gigote plus fort, inconscient du cadre de lit qui tremble doucement et grince.


« Le sais-tu ? »

Ses ongles s'enfoncent plus fort dans son aine, sous l'ourlet de son pantalon et son sous-vêtement. Castiel serre les dents. Il lui fait mal mais Ses doigts, si chauds et doux, apaisent la morsure de la douleur d'une caresse incroyablement délicate. Comme s'il était précieux. Le brun exhale un soupir étranglé.

« Le sais-tu ? Mon amour… »

« Parce que… Parce que tu m'aimes… », avoue-t-il d'une voix un peu éraillée.

« Oui, dans cette vie et dans toutes les autres. Tu n'as besoin de personne d'autre. Je suis bon pour toi. Je suis doux avec toi. Je sais t'embrasser, je sais te toucher et te faire frémir. Je sais tout de toi.


Castiel ferme fort les yeux dans son sommeil, son front et son nez durement plissés. Sait-Il pour Dean ? Pour ce que le jeune homme provoque en lui ? Dean n'a pas besoin de le toucher pour le faire vibrer. Il n'a pas besoin de… l'embrasser pour gonfler agréablement sa poitrine trop mince de quelque chose de chaud. De vivant.

Le jeune homme s'enroule sur lui-même, petite boule serrée dans les draps.

Embrasser Dean. Sentir ses lèvres sur les siennes, son souffle s'emmêler au sien. Le sentir et avaler son rire. Dean a un très beau rire. Le brun serre inconsciemment ses cuisses l'une contre l'autre. Le sentir. Se sentir vivant à nouveau.


Ses ongles effilés serrent douloureusement sa hanche et Castiel gémit doucement.

« Tu n'as besoin de personne d'autre. Je t'aime et tu m'aimes aussi. Tu as besoin de moi. Je te donnerai du plaisir et je te le répéterai jusqu'à ce que tu ne vives que par moi. Tu le réaliseras vite mon amour. Et tu me diras ce que je veux entendre, ton serment d'éternité envers moi. »

Il frissonne quand Ses lèvres froides se posent sur sa nuque pour la dévorer avec passion. Sa bouche, mutine et sensuelle, remonte lentement le long de son cou jusqu'à son oreille. Elle butine la peau fine et sensible sous son lobe, lèche le relief d'un tendon. Castiel tremble contre lui.

« Tu as besoin d'amour, comme moi et je suis prêt à t'offrir tout ce que tu désires. … Tu es romantique et tu souhaites ton Grand Amour. »

Le brun rougit. Il veut protester mais Ses bras s'enroulent tendrement autour de lui, Son menton se pose d'un geste câlin sur son épaule et Son souffle effleure son cou.

« Je t'ai rencontré simplement

Et tu n'as rien fait pour chercher à me plaire

Je t'aime pourtant

D'un amour ardent

Tu seras toujours mon amant

Et je crois en toi comme au bonheur suprême

Je te fuis parfois, mais je reviens quand même

C'est plus fort que moi… je t'aime ! »


Castiel se réveille brusquement.

Il plaque immédiatement sa main sur sa hanche et siffle d'inconfort. Sa chair pulse et picote désagréablement. Il n'a pas besoin de regarder sous l'ourlet de son pantalon pour savoir que sa peau est contusionnée, rougie et éraflée.

Le brun cligne des yeux, surpris de voir sa chambre inondée de lumière. Il se redresse sur ses oreillers, le sang pulsant à ses tempes. Castiel caresse machinalement son aine et regarde par la fenêtre. Ses jambes tremblent encore un peu, il n'ose pas se lever pour aller voir sa maison.

On frappe à la porte et il sursaute. Le petit visage encore un peu endormi de Tom apparaît dans l'embrasure.

— « Tu es réveillé Cassie ? Maman demande ce que tu veux pour le petit-déjeuner. Elle a fait des pancakes. Tu as faim ? »

— « J'ai toujours faim pour des pancakes. Tu veux bien m'en garder quelques-uns ? Je vais me lever », répond-il d'une voix un peu tremblante.

Le petit garçon acquiesce et agrippe Finley par le collier alors que le chien tente d'entrer discrètement dans la pièce. Il entraîne le beagle à sa suite avant de passer à nouveau la tête dans l'embrasure.

— « Est-ce que tu as bien dormi ? », demande-t-il poliment.

— « Oui, je te remercie. »

— « … Je t'ai entendu te retourner plusieurs fois pendant la nuit. Le lit grince beaucoup, il est vieux. Tu as fait un cauchemar ? »

Castiel baisse les yeux sur ses genoux. Il sent ses oreilles chauffer légèrement tandis qu'il triture le bas de son tee-shirt, juste par-dessus sa hanche blessée. Le brun voit la petite main de Tom apparaître dans son champ de vision et se poser délicatement sur la sienne dans les draps.

— « Moi aussi j'en fais parfois. Mon copain Josh m'a raconté une histoire de monstre qui habite sous les lits et j'ai un peu peur maintenant », souffle-t-il dans un aveu discret.

— « Ton super-héros Spidey-Boy ne vient pas te sauver ? »

— « … C'est Spider-Man, Cassie. Tu es tellement mauvais à ça, je vais devoir tout te réexpliquer. »

Le brun le prend par les bras pour l'aider à montrer sur le lit et le serre contre lui. L'enfant rit de plaisir et roule sa tête dans son cou de contentement.

Du coin de l'œil, Castiel remarque que Finley est entré et parcourt la pièce avec attention, la truffe au sol. Alors qu'il contourne le lit, le beagle s'arrête face à lui, un tressaillement nerveux agitant son corps. Le brun tend gentiment la main vers lui mais Finley baisse les oreilles, rentre sa queue entre ses pattes arrières et recule lentement jusqu'à sortir de la chambre en un saut un peu brusque.

Le jeune homme caresse les cheveux de Tom, le cœur gros. Son aine pique plus fort.

— « Maman marmonnait aussi que tu devais vite te lever parce que sinon Dean et Sam vont te trouver au lit comme un roi. Je n'ai pas très bien compris ce que ça veut dire mais elle a souvent raison, je n'aimerais pas que quelqu'un me voit en pyjama. » Il renifle doucement. « Tu sens bizarre aussi. »

Castiel rougit franchement. Il sent la transpiration et son tee-shirt en coton colle à ses épaules.

Le brun desserre son étreinte et Tom glisse sur la moquette. Sur le pas de la porte, il lui adresse un petit salut mais le jeune homme ne le remarque pas. Il a déjà balancé ses jambes sur le bord du matelas, joue avec ses orteils dans les longues fibres claires de la descente de lit. Dean arrive. Castiel ne veut pas qu'il le trouve ainsi, les yeux encore plein de sommeil, les traits froissés et un vieux tee-shirt sur le dos plein d'odeur de sueur.

Il se glisse dans la salle de bain attenante et referme la porte sur lui. Rapidement, l'eau coule, chaude et bienfaisante.

La tête sous le jet et les yeux fermés de plaisir, Castiel fredonne une vieille chanson dont les paroles lui échappent.

Juste un souvenir


Un petit mot pour conclure cette partie. La chanson évoquée dans les lignes ci-dessus n'est pas de mon invention, j'ai retranscrit les paroles les plus communément admises. Je ne peux toutefois pas vous en dire plus pour l'instant au risque d'en dévoiler un peu trop, je vous demande donc un peu de patience :)

Je vous souhaite une agréable fin de semaine,

ChatonLakmé