Mes petits chats,

Après trois semaines de silence, je suis de retour pour mieux vous servir ! Conformément à mon message d'alerte publié au début de la douzième partie de cette histoire, je n'ai pas réussi à consacrer un seul moment à mon écriture pendant les trois dernières semaines. Mes congés ont été l'occasion de mettre mon cerveau en pause, il en a avait bien besoin :)

Je reprends donc dès aujourd'hui le rythme de publication, à raison d'une nouvelle partie tous les quinze jours, publiée en alternance avec "L'homme de la plage", mon autre histoire en cours.

J'ai terminé la relecture de ce chapitre très tard, je vous présente mes excuses pour les coquilles que vous pourriez trouver malgré mes soins. L'histoire gagne aussi en épaisseur, j'espère ne pas commettre d'impairs ou d'incohérences dans mon scénario. N'hésitez pas à me faire un retour sur l'un ou l'autre de ces sujets, il sera apprécié :)

Chère Choow, bienvenue dans ma modeste petite communauté :) Un grand merci pour tes commentaires enthousiastes et ton œil exercé ! Je ne manquerai pas de faire les petites corrections que tu suggères.

A tous, je vous souhaite une agréable lecture,

Bien à vous,

ChatonLakmé


L'affaire Philippe Delveau

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Treizième partie


Butler, Pennsylvanie, lundi 16 octobre


« Tu es stupide. Et faible. Tu me fais horreur. »

Castiel accuse le coup mais il a le souffle coupé. En face de lui, debout dans le vestibule de la maison, Dean le dévisage fixement, les traits de son visage crispés. Déformés par la colère. Par le dégoût.

« Quand je pense au temps que j'ai perdu ici pour toi. J'aurai dû abandonner bien avant. J'aurai dû t'abandonner. »

« Dean, je… »

Le châtain lui tourne brusquement le dos. Castiel tente de le retenir, tendant une main pour attraper doucement son avant-bras. Surtout, ne pas le brusquer. La réaction de Dean est pourtant épidermique. Le jeune homme le repousse d'un geste brutal tandis que ses traits se contractent un peu plus. Le brun ouvre la bouche mais le souffle lui manque, sa parole reste coincée dans sa gorge trop serrée.

Dean.

Dans un grondement rauque, le châtain l'attrape à la gorge. Il le fait reculer si brutalement que Castiel se sent trébucher plusieurs fois seule la prise de Dean le maintient sur ses pieds. Ses ongles s'enfoncent dans la chair tendre de sa gorge. Le brun bute contre le bas de l'escalier. Il tombe. Le jeune homme gémit de douleur quand les arêtes aiguës des premières marches lui rentrent dans le dos et les côtes. La main de Dean est de fer sur lui. Elle serre. Encore.

Le châtain se penche sur lui. Vue d'en dessous, son corps semble d'une taille démesurée. Menaçant. Le brun se débat. La peur lui tord le ventre. Dean ricane. Ses yeux – ses si beaux yeux verts – brillent d'une lueur cruelle.

« Tu es si faible. »

Castiel hoquette en sentant son pouce caresser presque tendrement le relief de la pomme d'Adam.

« Tu es si laid. »

Dean fait courir lentement son doigt le long de sa gorge, sur l'artère qui palpite sous l'effet de l'adrénaline qui court dans ses veines.

« Tu es si inutile. »

Le châtain lève son autre main et la pose à son tour sur sa gorge. Il serre encore.

« Personne ne voudra jamais de toi. »

Il serre plus fort, lentement, comme un enfant cruel qui arracherait les ailes d'une mouche et la regarderait tourner sur elle-même avec l'énergie du désespoir. Castiel papillonne des yeux. Les prunelles vertes de Dean sont si vides à cet instant. Pas de sourire, pas de gentillesse ni de rire rassurant pour lui juste une vague lueur de curiosité pour son sujet d'étude, pour observer la manière dont il passe lentement de vie à trépas.

Le brun panique.

Il se débat vigoureusement, sa poitrine se soulève dans un rythme de plus en plus frénétique. Dans l'effort, il sent ses muscles brûler le peu d'oxygène qu'il possède encore puis protester douloureusement pour en avoir plus.

Lutter.

Se protéger.

De Dean.

Dean qui lui plaît vraiment. Qui lui manque tant depuis qu'il est parti pour La Nouvelle-Orléans il y a six jours soit une éternité. Qui ne l'appelle pas malgré sa promesse.

Castiel écarquille brusquement les yeux, suffoquant comme un poisson hors de l'eau. Le châtain éclate de rire au-dessus de lui. Il s'abaisse encore, pose un genou sur une marche de l'escalier, juste entre les cuisses de Castiel. Il est si près que le brun respire son parfum comme s'il avait le nez plongé dans le creux de son cou. Comme s'il le goûtait. Dean s'approche encore. Son genou frotte contre son entrejambe tandis que le brun lutte pour lui échapper. Le rire du châtain est presque hystérique.

« Tu es si pathétique. »

Son souffle effleure sur son visage. Brûlant. Humide. Parfum de vétiver et de bois de santal. Dean. Castiel tente de reculer mais le châtain le suit. Son genou frotte encore contre son sexe.

« Tu n'as plus personne. Gabriel est mort, ton amant n'a pas voulu te suivre. Tu es tellement seul. »

Castiel voit sa vision se brouiller de larmes. Il suffoque et elles coulent sur ses joues sans qu'il ne puisse les retenir. Le brun enroule ses doigts autour des poignets de Dean, sentant la peau chaude et pleine de vie irradier sous ses paumes. Castiel aime cette sensation quand le châtain est avec lui, elle le réchauffe mais à cet instant, il est juste envahi par le froid.

« Tu devrais mourir. Juste tout abandonner. Ça serait plus simple, il n'y a pas de douleur de l'Autre Côté. Meurs Castiel. »


Une porte claque non loin de lui. Le brun sursaute si fort que son coude glisse sur le bras de sa chaise et il manque de tomber en avant. Castiel se redresse, tente de retrouver une contenance à peu près digne. L'assistante médicale s'empresse de quitter le comptoir derrière lequel elle est assise. Elle traverse la salle d'attente du cabinet du Dr. Lauwers et ferme la fenêtre non loin du brun.

— « Je suis désolée. Je l'avais ouverte pour faire un courant d'air mais il était trop fort », lui dit-elle avec un sourire contrit.

Castiel hoche lentement la tête d'un air un peu absent. Un autre patient en train de patienter proteste. Plus de courant d'air, il va faire insupportablement chaud dans la salle d'attente. Le brun se contente de serrer machinalement les pans de sa chemise sur son torse. Il baisse les yeux sur ses genoux, les doigts enroulés sur la boutonnière. Il se sent un peu ridicule habillé ainsi, en chemise sur un tee-shirt, pantalon long et chaussures fermées. Son voisin est vêtu d'un bermuda et d'un polo fin, des baskets en toile aux pieds. C'est plus adapté aux confortables vingt-cinq degrés qui règnent dehors mais le brun n'a pas pu faire autrement. La seule idée de retirer une couche de vêtement le fait déjà frissonner.

Il n'est pas le seul à se trouver un peu étrange l'homme lui jette un regard en coin vaguement suspicieux, l'assistante médicale est trop gentille et polie pour faire la moindre remarque en ce sens.

Depuis que Castiel vient consulter le Dr. Lauwers, elle est toujours charmante avec lui. Carol l'a aperçu une fois en l'accompagnant, elle a ricané en lui disant qu'elle jouerait probablement bien au docteur avec lui. Le brun a répondu quelque chose comme : « C'est une profession sérieuse, tu ne devrais pas plaisanter avec ça. » Nouvelle crise de rire qui avait résonné jusque dans le couloir.

Castiel esquisse un sourire, une risette tout petite et fatiguée qui meurt sur ses lèvres aussi vite qu'elle est apparue.


Carol se tient dans l'embrasure de la porte de la maison. Debout à côté d'elle, Finley lui grogne dessus en retroussant les babines.

Castiel sourit gentiment le chien se recroqueville un peu plus sur lui-même, prêt à bondir et à le mordre. La jeune femme l'apaise d'une caresse. Le regard qu'elle darde sur lui est glacial et sombre comme la nuit.

« Je ne veux pas que tu entres. Je ne veux pas que tu vois Tom et Julia. Tu es trop étrange Castiel. »

« Je – »

« Tu es… malsain. Tu habites seul dans cette grande maison, entouré par toutes ces vieilleries… Ce n'est pas normal. »

« C'est mon métier », proteste maladroitement le brun.

La blonde agite la main entre eux comme si c'était une bagatelle.

Castiel déglutit, la gorge serrée. Plus que son métier, elle sait que c'est toute sa vie. Cette boutique à New York était sa fierté c'était entre ses quatre murs, sous sa belle verrière datant du début du siècle que le brun s'imaginait continuer sa vie. Vieillir. Avoir un compagnon qui passerait la porte certains soirs pour lui rappeler qu'il devait rentrer chez eux.

Carol claque sa langue contre son palais.

« Je sais mais c'est quand même trop étrange. Pas étonnant que tu n'aies personne. »

« Tu es mon amie depuis que je me suis installée à Butler. C'est toi qui es venue te présenter. »

Les yeux noisette de la jeune femme flamboient brusquement de colère.

« J'ai eu tort, je n'aurais pas dû faire ça. Je ne veux plus te voir ici et si tu insistes, j'appellerai la police. »

Castiel écarquille les yeux, le cœur douloureux. Il fait un pas vers elle sans pouvoir s'en empêcher. C'est si… absurde, ils sont amis. Ils ont passé des soirées à refaire le monde avec Everett, l'esprit rendu agréablement léger par une bonne bouteille de vin de Lakewood Vineyards. Le salon ou la terrasse résonnaient de leurs rires et le brun se sentait si bien.

« N'approche pas. N'approche pas ou je demande à Everett de te mettre dehors », le menace-t-elle avant qu'une ombre furieuse ne passe dans ses prunelles. « … Non, je ne l'appellerai pas, je ne veux pas que tu l'approches non plus. Je sais très bien pourquoi tu venais si souvent à la maison. Everett te plaît, tu voulais le séduire. Comment as-tu pu me faire ça ? Tu es… un monstre. »

Le brun veut parler mais ses paroles meurent sur ses lèvres.

Une main levée.

Une brûlure cuisante sur sa joue droite.

Carol vient de le gifler à la volée.

Les griffes en or qui retiennent le diamant de son alliance érafle sa pommette trop saillante. Il essuie sa peau, observe ses doigts ensanglantés. C'est écœurant, ça lui retourne l'estomac. Une amitié qui se brise doit aussi avoir ce goût-là.

« Tu mérites d'être seul et de mourir seul », siffle la jeune femme d'une voix cruelle.


Le brun se frotte machinalement la joue droite.

Ce n'était qu'un rêve la nuit passée pourtant il sent encore sa peau trop chaude et sensible.

Pourtant, il a encore peur de Carol.

Au moment de prendre son taxi pour le cabinet du Dr. Lauwers, il a vu la jeune femme sortir de chez elle. Elle souriait mais la panique l'a envahi. Le brun s'est caché dans l'embrasure de la fenêtre du salon pour qu'elle ne le voie pas, il a attendu qu'elle ait disparu au coin de la rue avant de rejoindre son taxi. Castiel n'a pas pu faire autrement, il entendait encore ses accusations horribles, ses épouvantables promesses d'avenir. Seul. Mourir. Comme Dean la même nuit tandis qu'il l'étranglait.

Le jeune homme déglutit difficilement. Il se pince l'arête du nez.

Il est si fatigué, tellement à fleur de peau.

Ces cauchemars sont les pires qu'il ait faits jusqu'à présent, atroces dans leur réalisme et Castiel souffre. Il commence à avoir peur des gens qu'il aime.

La porte du cabinet s'ouvre au fond de la salle d'attente. Le brun sursaute démesurément et les pieds de sa chaise raclent bruyamment sur le carrelage. Le patient au bermuda et polo le fusille du regard et siffle entre ses dents de désapprobation. Castiel se fait tout petit, la tête enfoncée entre les épaules.

— « Mr. Novak ? »

Le jeune homme tourne lentement la tête. Sur le pas de sa porte, le Dr. Lauwers l'invite à entrer d'un geste, un gentil sourire aux lèvres. Castiel se lève maladroitement et passe devant lui en lui serrant la main. Quand le médecin ferme la porte derrière lui, le brun a l'impression de sentir encore le regard particulièrement noir de l'autre patient dans son dos.

Le Dr. Lauwers lui indique de s'asseoir tandis qu'il contourne son bureau pour s'installer derrière. Il s'agit d'une belle pièce d'un designer suédois des années 1960 qui sied bien au visage un peu anguleux mais élégant du sexagénaire aux cheveux poivre et sel.

— « Vous avez une petite mine. C'est une bonne chose que nous faisons votre consultation de suivi aujourd'hui. »

Castiel acquiesce lentement.

L'homme pianote un instant sur l'antique clavier de son ordinateur. Les touches sont énormes, elles font un bruit d'enfer dans le silence recueilli du cabinet. Un dernier clic et une image médicale s'affiche sur la télévision à écran plat accroché au mur voisin.

— « Ce sont les résultats de votre dernier bilan cardiaque, l'hôpital de Pittsburgh me les a envoyés il y a deux jours », indique le Dr. Lauwers.

— « Je les ai aussi reçus par mail. »

C'est tout ce que le brun peut dire, il n'y a jeté qu'un regard distrait. Pas besoin d'être médecin pour comprendre que dans l'ensemble, ça ne va pas. Il croit apercevoir de légères décolorations dans ses poumons.

— « Votre cœur est très fatigué et les résultats de vos tests d'endurance se sont considérablement dégradés », analyse l'homme en pointant différentes parties de l'image avec le curseur de sa souri. « Mr. Novak, est-ce que vous prenez bien les bêtabloquants et les vitamines que je vous ai prescrit ? »

— « Oui. »

Là non plus, pas grand-chose à ajouter.

Le médecin pince légèrement les lèvres, les sourcils froncés. Castiel regarde avec intérêt le calendrier perpétuel posé devant lui sur le bureau. Depuis sa première visite, il le trouve fascinant. C'est un grand cercle traversé par une barre horizontale graduée avec les mois. Sur celle-ci, une boule se déplace au fur et à mesure de l'année qui s'écoule tandis qu'une aiguille surmontée d'une boule noire pointe le jour inscrit sur la moitié supérieure du cercle. Le brun rêve de le voir bouger, de voir le temps s'écouler, ça lui prouverait qu'il est un peu vivant.

Après un long silence, le Dr. Lauwers croise les mains devant lui, les coudes appuyés sur son bureau. Ses sourcils à l'élégante courbe ne forment plus qu'une ligne dure et inquiète.

— « Déshabillez-vous s'il vous plaît, je vais faire votre check-up. »

— « Est-ce que je dois vraiment tout retirer ? » demande le brun d'une petite voix.

— « Vos vêtements pourraient fausser les mesures, je vous assure que ça ne sera pas long. »

Castiel s'exécute dans des gestes las. Quand il fait passer son tee-shirt par-dessus sa tête, il frissonne violemment. Il a si froid. Le brun rejoint le praticien à côté du pèse-personne, il croise brièvement son regard tandis qu'il monte sur la balance. Castiel ne se regarde plus nu depuis des jours, des semaines. La pitié qu'il voit dans ses yeux lui tord le ventre.

— « Vous avez encore perdu du poids. Est-ce que vous mangez correctement ? »

— « Oui. Dean m'a dit de le faire », répond-il distraitement.

— « Qui est Dean ? Est-il un de vos amis ? »

Tu devrais mourir. Juste… abandonner. Meurs Castiel.

Le jeune homme déglutit et n'ajoute rien. Dolent, il se laisse manipuler par le médecin pendant son examen. Quand ce dernier passe dans son dos pour écouter sa respiration avec son stéthoscope, Castiel se raidit. La morsure dans sa nuque. Sa marque. Il a envie de passer une main sur sa peau contusionnée mais se retient bravement. Le Dr. Lauwers ne fait aucune remarque. Quand il se détourne pour changer d'instrument, le brun presse frénétiquement le bout de ses doigts sur sa peau. Elle est lisse. Pas de marque de dents comme Dean a pu les effleurer avant. Il est persuadé de L'avoir senti pourtant mais il a dû rêver Ses dents qui s'enfonçaient dans sa chair.

Dean.

Castiel baisse la tête, les yeux sur ses cuisses nues. Si blanches. Si faibles.

Tu es si laid.

Oh oui, c'est vrai. Il se recroqueville un peu sur lui-même, les épaules et la tête basses. Le brun serre les poings sur ses genoux. Les jointures sont si saillantes qu'elles forment des dessins cahoteux sous la peau trop fine.

— « Redressez-vous s'il vous plaît, je n'ai pas encore tout à fait fini. »

Castiel se laisse manipuler comme une poupée de chiffon. Les examens s'enchaînent sans qu'il n'y prête réellement attention. Il a juste envie de rentrer chez lui.

— « Je vous remercie, vous pouvez vous rhabiller Mr. Novak. »

Enfin. Le brun a l'impression que cela a duré une éternité. Il s'empresse de retrouver la chaleur et la protection de ses vêtements, il résiste à l'envie de frotter son nez dans le col de son tee-shirt comme un enfant cherchant du réconfort. Castiel se sent un peu mieux, un peu moins vulnérable. Pas moins faible ou moins laid.

Devant lui, le praticien cale ses reins contre son bureau et, les bras croisés sur son torse, se gratte la mâchoire.

— « L'aggravation de votre état de santé me dérange vraiment », admet-il avec une humilité un peu gênée. « Je vais vous demander de faire plusieurs bilans biologiques par prise de sang le plus rapidement possible – bilan hépatique, mesures de vos défenses immunitaires, glycémie, dosage de votre taux de fer – pour réajuster la posologie de vos vitamines. Je vais aussi vous prescrire des compléments alimentaires. »

— « Vous allez le faire avant d'avoir les résultats ? »

— « Je sais que vous en avez besoin alors oui, je vais le faire dès maintenant », répond-il en accentuant chacun de ses mots. « Comment est la qualité de votre sommeil ? Est-ce que vous dormez bien ? »

— « Pas vraiment », souffle Castiel en tordant ses mains sur ses genoux.

— « Utilisez-vous les somnifères que je vous ai prescris ? »

— « … Je n'aime pas les prendre. J'ai l'impression de ne plus m'appartenir, d'être comme détaché de mon corps quand je commence à dormir. Je me sens… vulnérable. »

— « Je comprends mais ils pourraient vous aider à récupérer un peu. On néglige trop souvent l'importance d'un bon sommeil réparateur », dit doucement le médecin.

Le jeune homme baisse les yeux sur ses doigts emmêlés. Sans doute. Ça allait un peu mieux il y a encore quelques jours mais maintenant… Il est tout le temps avec lui. Il ne lui laisse aucun repos. Aucun répit. Il ne parvient pas encore à passer les barrières placées autour de son lit mais le brun sait que ce n'est qu'une question de temps. Il est seul et Dean – à presque deux milles kilomètres de Butler – ne veut plus l'aider. Il lui fait du mal. Castiel le répugne alors que le brun sentait son ventre se tordre si agréablement quand il lui souriait. Maintenant, lire son nom sur l'écran de son portable quand il l'appelle suffit à le faire paniquer. Dean a tenté de le joindre dans l'après-midi, Castiel a renvoyé l'appel. Dean – juste Dean, il n'est plus Dean Winchester dans son répertoire depuis plusieurs jours – lui donne des sueurs froides, des palpitations et l'envie de fuir. Il suffoquait en sentant encore ses mains autour de sa gorge et a évité la crise de panique dans son propre salon par un miracle qu'il n'explique pas.

— « Mr. Novak ? Castiel ? », l'appelle gentiment le Dr. Lauwers.

Le brun relève les yeux sur le médecin, le regard un peu trouble. Ce dernier hésite un instant avant de tirer le fauteuil voisin du sien pour s'y asseoir à son tour.

— « Je suis votre médecin mais vous pouvez aussi me parler d'autres choses vous savez. Vous n'êtes pas obligé de tout me raconter mais vous semblez vraiment au bout du rouleau et ça m'inquiète », l'invite-t-il doucement.

Le brun crispe spasmodiquement ses mains entre elles. Ses poignets trop fins, ses doigts si longs, ses ongles à peine rosés. Il les enfonce dans sa chair trop blanche.

— « …Est-il possible d'avoir peur de ses cauchemars ? De craindre les gens qu'on y voit ? »

Le Dr. Lauwers hausse un sourcil un peu interrogateur et Castiel sent ses oreilles chauffer. Il se sent ridicule – pathétique – avec sa chemise trop grande sur ses épaules et ses peurs d'enfant.

Le praticien déplace encore un peu le fauteuil pour lui faire face. Il se penche, les coudes appuyés sur ses genoux et les mains nouées entre ses jambes.

— « Est-ce que vous voulez m'en dire un peu plus ? »

— « … Je fais des cauchemars qui impliquent des gens que je connais. »

— « Est-ce que ces personnes sont proches de vous ? »

— « … Oui, d'une certaine manière », acquiesce le brun. « Dans mes rêves, ils se montrent violents envers moi. Ils me disent des choses horribles et ils me font physiquement du mal. Avant de venir ici, j'ai vu ma voisine par la fenêtre et je n'ai pas pu… Je me suis caché pour qu'elle ne me voie pas. J'ai aussi refusé l'appel d'une autre personne que je connais. La seule idée d'entendre sa voix m'a pétrifié. »

Le Dr. Lauwers hoche lentement la tête, l'air concentré. Il garde le silence un long moment avant de passer une main sur sa mâchoire et plisse légèrement les yeux.

— « Est-ce que vous avez encore des anxiolytiques ? Est-ce que vous les prenez régulièrement ? », demande-t-il lentement.

— « Seulement en périodes de stress intenses. »

— « Était-ce le cas quand vous avez aperçu votre voisine ? »

— « J'en ai pris la moitié d'un, j'avais des palpitations », admet le brun.

Dieu sait que c'est un aveu de faiblesse. Le médecin fronce les sourcils, Castiel attend avec appréhension la remontrance lui disant qu'il se comporte comme un enfant peureux. Le sang bat sourdement à ses tempes, ses paumes deviennent moites. Il aurait bien besoin de prendre un autre cachet à cet instant précis.

— « Certains anxiolytiques ont des effets secondaires qui peuvent induire une forme de paranoïa. C'est aussi le cas quand on arrête brutalement un traitement. Vous pouvez ressentir un manque physique le temps que le corps élimine les molécules actives », explique lentement le médecin. « Je vais changer votre médicament. Même si vous ne l'aimez pas, je pense que vous devez continuer à le prendre et plus régulièrement. Votre tension était très élevée quand je l'ai mesuré, vous êtes soumis à un stress intense qui ne vous aide pas. »

— « Vous ne pensez pas que je suis fou ? », demande le brun d'une petite voix.

— « Vous ne l'êtes certainement pas. Vous traversez une épreuve et je suis navré que cela vous arrive mais vous devez garder confiance », sourit le Dr. Lauwers avec bienveillance. « Cette personne dont vous avez refusé l'appel, est-elle importante pour vous ? »

— « … Oui. »

— « Et vous vous sentez mal de l'avoir fait ? Alors répondez-lui la prochaine fois. Des angoisses, cela se combat et vous êtes quelqu'un de fort. Si vous vous appelez, cela signifie que vous n'êtes pas ensemble et qu'il ne peut donc pas vous faire du mal. »

Castiel hoche la tête, c'est un raisonnement pragmatique qu'il peut entendre et comprendre.

— « Quant à ce qu'il vous a dit dans ces cauchemars, est-ce que cela lui ressemble ? »

Le brun relève les yeux sur le calendrier perpétuel, sur les boules blanche et noire qui restent immobiles sur la structure en métal. Lundi 16 octobre. Il secoue lentement la tête.

— « Non. Dean est… attentionné. Il tente de m'aider parce qu'il sait que je ne suis pas en grande forme en ce moment », répond-il avec pudeur.

— « Je pense que vos cauchemars et vos angoisses sont une réaction de votre cerveau aux molécules chimiques de vos médicaments. Je vais changer votre prescription et y ajouter les examens à faire. J'aimerais aussi que vous repreniez rendez-vous pour votre prochain check-up, dans trois semaines par exemple. Aurez-vous eu le temps de réaliser vos bilans sanguins d'ici-là ? »

Le brun acquiesce, il n'a pas grand-chose d'autre à faire de toute manière. Le Dr. Lauwers lui sourit gentiment et regagne son bureau, recommençant à taper avec soin sur son clavier. Le bruit sourd des touches apaise un peu Castiel qui s'autorise à fermer brièvement les yeux. Il prend les documents que crachote avec application la vieille imprimante à jet d'encre installée dans le dos du médecin et lui serre la main sur le seuil du cabinet.

— « Nous allons y arriver. Nous allons trouver ce qui vous rend malade et vous irez mieux Mr. Novak. »

— « D'accord. Je vous remercie, Dr. Lauwers. »

Le brun quitte le cabinet comme une ombre. Les feuilles pèsent lourd dans sa main.

Sur le trottoir, Castiel y jette un regard. La prescription médicale est si longue qu'il se dit qu'il n'ira pas à la pharmacie. Pourquoi acheter ces médicaments puisqu'il ne les prendra pas ? Il lui reste encore des bêtabloquants et quelques anxiolytiques, les vitamines sont si inefficaces qu'il pourrait les croquer comme des bonbons si elles avaient meilleur goût. Les laboratoires pharmaceutiques n'ont pas encore inventé une pilule magique pour se protéger des entités surnaturelles qui vous touchent et vous dévorent qui vous embrassent et vous vénèrent quand la nuit tombe.

Castiel rentre chez lui dans un état second, il laisse un pourboire de roi au chauffeur. Ce dernier est si gêné qu'il veut lui rendre au moins un des trois billets qu'il lui a tendu distraitement pour avoir parcouru le petit kilomètre et demi qui le sépare du centre-ville. Castiel note distraitement le numéro d'identification inscrit sur la carrosserie du break. Un chauffeur honnête, il pourra demander expressément après lui la prochaine fois qu'il appelle la compagnie.

Le brun ouvre lentement la porte de la maison et entre dans le vestibule. Il referme derrière lui. Dean est à La Nouvelle-Orléans, qui dit qu'il aura un jour l'occasion de monter dans l'Impala comme le lui a proposé le châtain. … Peut-être même que Dean ne reviendra pas.

Castiel passe une main lasse dans ses cheveux. Quelques-uns restent entre ses doigts et le brun a envie de pleurer. Il a oublié de dire au Dr. Lauwers qu'il a commencé à les perdre il y a quelques jours. Le brun a lu que le stress pouvait favoriser la perte des cheveux c'est encore un peu de lui qui disparaît, un peu de sa fierté et de sa beauté d'homme aussi. Avant son accident, Gabriel se rongeait les sangs parce qu'il trouvait que ses tempes commençaient déjà à se dégarnir. Castiel a ri, se moquant gentiment de son obsession capillaire. Il se sent bien petit à cet instant. Le jeune homme se traîne jusqu'à l'escalier et se laisse tomber sur la première marche. Il est épuisé. Il se recroqueville un peu sur lui-même. Il est à nouveau avec Lui, il Le sent.

« Il t'a blessé. Ils t'ont tous blessé. Je ne te ferai jamais ça mon amour. »

Sa main caresse tendrement ses cheveux sombres puis sa tempe en un effleurement doux et apaisant.

« Je suis bon pour toi. Plus qu'eux. »

Le jeune homme se redresse lentement. Il gagne la cuisine pour se préparer un thé. Il est toujours à ses côtés, Sa main délicatement posée sur sa hanche comme un amant qui le soutiendrait avec affection et qui enroulait un bras autour de lui pour l'accompagner. Partout. Tout le temps. Castiel Le sent.

Il hésite un instant, songe à son livre de chevet qu'il a laissé sur son lit. Le brun est déjà fatigué à la seule idée de gravir les marches du grand escalier jusqu'à sa chambre, il préfère s'installer dans le salon vert dont le vaste bow-window ouvre sur le jardin. Le jeune homme boit son thé puis s'allonge lentement, la tête calée sur un coussin. Il se tourne du côté du dossier, un peu recroquevillé. Il est déjà sur lui, Son corps parfaitement moulé contre le sien. Il l'entoure d'un bras puis embrasse sa nuque avant d'y frotter Son nez d'un geste câlin.

« Je suis avec toi. Je ne te ferai jamais de mal, tu m'es trop précieux. »

Le brun observe distraitement les reflets du soleil mourant jouer sur le velours vert tendre du canapé. Il caresse le tissu du bout des doigts, donne un coup de coude maladroit derrière lui pour Le repousser. Il ne cille pas et referme plus fort Son bras sur sa taille avant de le tirer vers Lui. Castiel sent que leurs bassins s'emboîtent, ses hanches dans les siennes et leurs jambes emmêlées. Il pince les lèvres.

« Tu n'as pas à avoir peur de moi. Tu me fuis mais jamais je ne te ferai souffrir, pas comme lui. »

— « Ce n'était qu'un cauchemar. C'est mon cerveau qui me joue des tours », chuchote le brun.

« En es-tu sûr ? »

Castiel déglutit. Ses doigts effleurent sa gorge et soudain, sa peau brûle. Quelque chose l'oppresse, comme s'il sentait à nouveau les mains de Dean serrées autour de son cou. Ses ongles dans sa chair. Il s'oblige à respirer lentement, profondément.

« Tu vois ? Tu le sens ? C'était réel. Il te veut du mal. »

Le brun ne réagit pas.

Il se contente de fermer les yeux et de repenser aux paroles rassurantes du Dr. Lauwers.

Une simple réaction chimique dans son cerveau.

Une réaction secondaire à un médicament qui lui fait plus de mal que de bien. Peut-être. Ou une forme de folie.

Il est si fatigué.


La Nouvelle-Orléans, Louisiane, mardi 17 octobre


« Bonjour Mr. Winchester, c'est Elsie Vernantes à l'appareil. Je vous appelle car je me suis souvenue de quelque chose après votre départ, une autre personne qui pourrait peut-être vous renseigner sur l'histoire de la famille. Il s'appelle Georges Guermantes, il a changé la graphie de notre nom de famille quand il s'est marié. Georges m'a contacté l'année dernière parce qu'il retraçait l'arbre généalogique de la famille. »

Son portable à l'oreille, Dean écoute avec soin le message qu'Elsie lui a laissé tôt ce matin, vraiment trop tôt pour que le châtain soit réveillé. La nuit a été agréablement fraîche, il a dormi comme un mort pendant neuf heures. Ah ah, quel amusant jeu de mots.

Le jeune homme pianote du bout des doigts sur la table encore encombrée des assiettes de son petit-déjeuner à leur hôtel. Sam s'est absenté pour aller se resservir au buffet depuis sa chaise, le châtain le voit hésiter entre la corbeille de fruits frais et le grand saladier de salade de fruits. Dilemme intensément dramatique comme son frère en a le secret. Lui choisirait plutôt une autre brioche aux pépites de chocolat, dans la corbeille posée juste à côté. Quoique, celles aux noisettes étaient très goûteuses aussi. Dean est allé se resservir deux fois avant de s'avouer repus.

« Je l'ai appelé ce matin pour lui parler de vous. Il vous attend dans la journée si vous avez un moment à lui consacrer, il part ce soir pour quelques jours. Georges habite dans le quartier de West End, au 416 Tacoma Street. J'espère qu'il pourra vous aider. Bonne journée. »

Le message vocal s'achève, le combiné sonne brièvement dans le vide avant que le châtain ne raccroche. Il pince les lèvres. Sam le rejoint, une coupelle de salade de fruits dans une main et un yaourt dans l'autre. Nature, sans sucre ni parfum. Il roule brièvement des yeux. Quelle tristesse alors qu'il y a des brioches qui sont réellement excellentes juste à côté, vraiment juste à côté.

— « Quelque chose ne va pas ? Tu fronces les sourcils si fort que tu as une ride juste là. »

Son frère désigne le bas de son front d'un doigt. Dean se renfrogne et frotte distraitement sa peau de son index. Il n'est pas particulièrement coquet mais le visage de John s'est fortement creusé avec les années et le châtain ne trouve pas ça très beau. Même si Mary embrasse toujours tendrement son mari à cet endroit, un sourire incroyablement tendre aux lèvres en lui assurant sur ce qu'elle a de plus cher que cela le rend très sexy.

— « Est-ce que c'était Castiel ? Il t'a dit qu'il était désolé pour hier ? », reprend Sam.

Cette fois, Dean lui jette un regard vraiment noir. Il n'a pas envie d'en parler, pas maintenant alors qu'il a bien dormi et bien mangé. Il préfère se ronger les sangs à ce sujet et commencer à ruminer vraiment un peu plus tard dans la journée.

— « C'était Elsie, elle a laissé un message ce matin », marmotte-t-il en essuyant d'un doigt une trace de chocolat dans son assiette.

— « Pas de nouvelles de Castiel alors ? »

— « Non, pas de nouvelle de Castiel », siffle Dean d'un ton peu amène.

Son frère hausse les épaules, peu impressionné par son ton menaçant.

— « C'est étrange, vous avez pourtant convenu ensemble de vos rendez-vous téléphoniques quotidiens. Il a dû avoir un empêchement pour rejeter ton appel », reprend-il distraitement en piquant un morceau de pomme du bout de sa fourchette.

— « Bordel Sam, est-ce que tu veux savoir ce qu'Elsie m'a dit ou pas ? », grogne le jeune homme et son frère acquiesce. « Elle s'est souvenue d'un autre membre de la famille de Vernantes qui pourrait nous aider. »

Le châtain tend son portable à Sam par-dessus leurs assiettes et leurs verres. Ce dernier écoute à son tour le message avec attention, picorant de sa fourchette dans sa salade de fruits. Dean attrape la sienne et se sert familièrement dans le petit bol. Il mange rapidement les fraises ça, il aime bien. Sam lui jette un regard noir et bataille brièvement contre lui pour attraper les derniers morceaux. Son frère est distrait par le message d'Elsie alors le châtain saisit sa chance et ricane quand il emporte la partie. Dean lui laisse par contre volontiers le triste yaourt nature.

— « C'est inattendu mais très encourageant. Qu'en penses-tu ? », demande son cadet en lui rendant son portable.

— « Je pense qu'on va aller à West End dès que tu auras fini ton triste petit-déjeuner », répond Dean en s'affalant contre le dossier de sa chaise.

Son cadet lui jette un regard noir.

— « … Heureusement qu'Elsie s'est souvenue de lui. Elle nous a dit que leur nom de famille avait perdu sa particule mais nous n'avons pas du tout pensé au fait que la graphie avait aussi pu changer. »

— « Emmett Patterson ne nous en a pas parlé non plus », lui rappelle le châtain en ébouriffant ses cheveux. « … J'espère que Georges Guermantes sera plus sympathique que Rupert Vernantes. J'ai bien cru qu'il allait nous mettre dehors. »

— « Il est vrai que tu as été tellement aimable… »

— « Est-ce que tu as vu la manière dont il a réagi quand j'ai commencé à insister un peu ? Il nous a probablement menti. »

Dean pointe sa fourchette entre eux et l'agite avec insistance, projetant de petites gouttes poisseuses de sirop sur la table. Sam grimace quand l'une d'entre elles tombe sur sa main et l'essuie d'un coup de serviette.

— « Il était surtout mal à l'aise et cela n'a peut-être aucun rapport avec le sujet qui nous intéresse. Tu sous-entendais presque que son ancêtre avait pu avoir un enfant caché. Personne n'aime ce genre d'allusion Dean », le corrige le blond.

— « Il est mort depuis plus de cent ans, tout le monde s'en moque maintenant », ronchonne le châtain.

— « Rupert veut faire vivre le nom de sa famille avec une association consacrée aux familles de Créoles français de La Nouvelle-Orléans. Je doute qu'il soit enchanté par la perspective d'une branche bâtarde des de Vernantes. … C'est à se demander si tu ne le fais pas un peu exprès. »

Dean hausse les épaules. Il pose sa fourchette mais joue à présent avec son couteau, tapotant la pointe sur la table dans un rythme staccato.

— « Je sens qu'il nous a menti et je sens que c'était tout à fait en rapport avec notre affaire », s'obstine-t-il.

— « Étant donné qu'il ne nous avouera probablement jamais ce qu'il nous cache, espérons que Georges sera aussi bien informé et un peu plus loquace. … Je regrette que Rupert Vernantes nous ait mis à la porte, j'aurais bien aimé pouvoir regarder ses archives d'un peu plus près. Nous ne cherchons pas du tout la même chose que lui, il y aurait pu y avoir des choses intéressantes de notre point de vue. »

Le châtain se renfrogne un peu. Son frère lui donne un petit coup de pied sous la table.

— « Je sais que tu es frustré par la situation. Moi aussi j'ai cru que nous avions résolu l'affaire de Castiel quand il nous a parlés de Joseph de Vernantes. Nous serions déjà sur la route du retour et les choses auraient été plus faciles. J'aurais vraiment aimé que ce soit le cas et sentir quelque chose devant son portrait mais ça n'a pas été le cas », reprend doucement Sam.

— « Tu n'as vraiment rien senti ? Même pas un frisson ? »

— « Je suis désolé, Dean. Je persiste quand même à dire que nous sommes à La Nouvelle-Orléans pour une bonne raison. Jessica m'a parlé d'un musée du vaudou quand nous nous sommes appelés hier soir, ça pourrait être un bon endroit pour exploiter la piste des symboles. »

Cette fois-ci, Dean s'assombrit vraiment. Ouais. Tandis que lui se faisait jeter par Castiel, son frère roucoulait avec la jeune femme au téléphone pendant trente minutes. Il avait beau être sorti sur le petit balcon de leur chambre pour avoir un peu d'intimité, le châtain l'entendait sourire et rire par-dessus les rires artificiels de la rediffusion d'America's Got Talent qu'il regardait.

Dean joue avec la pointe de son couteau, l'appuyant doucement sur la pulpe de son doigt. Un peu plus fort – un peu trop fort peut-être – mais merde, Castiel lui a raccroché au nez ! Non, encore pire que ça, il l'a envoyé promener et il ne l'a pas rappelé dans la soirée ni ne lui a envoyé de message. Le châtain l'a bien fait pourtant quand il a manqué l'appel du brun il y a deux jours non pas qu'il tienne des comptes de quoi que ce soit mais il l'a fait. C'est tout. Bon sang, qu'est-ce qu'il a bien pu se passer à Butler pour que Castiel ne donne aucun signe de vie après l'avoir ignoré ? Dean a envie d'appeler Carol pour lui demander si elle sait quelque chose parce que, même s'il est un peu vexé, il est aussi un peu inquiet. … Un peu jaloux peut-être. Le jeune homme se souvient que le brun attendait la venue d'un de ses fidèles clients en leur absence, un homme intéressé par une sculpture en marbre installée dans le petit salon de musique du rez-de-chaussée. Dean la trouve kitsch mais il n'a rien dit parce que Castiel la regarde comme si elle était le plus gros et beau double cheeseburger de toute la Côte Est. Le jeune homme respecte ça.

Il fronce les sourcils et pique plus fort la peau tendre de son pouce sur la pointe de son couteau.

Pourquoi Castiel a-t-il rejeté son appel sans donner signe de vie après ?

Pourquoi ?

— « Nous pourrions nous séparer pour aller plus vite si tu veux. Tu peux me laisser au musée vaudou avec l'Impala et aller interroger Georges Guermantes seul », lui propose gentiment son frère en terminant avec soin son yaourt nature, toujours sans sucre. « Jessica était navrée de n'avoir personne vers qui m'orienter pour me faire gagner du temps. »

Le châtain hausse les épaules avec raideur.

Jessica a appelé Sam quand celui-ci était sous la douche et si Dean a eu envie de décrocher pour les taquiner, il ne l'a pas fait. Quand son frère est sorti et a vu l'écran afficher un appel manqué de la blonde, il l'a immédiatement recontacté. Jessica a immédiatement décroché et le châtain a été aux premières loges pour les entendre flirter comme deux adolescents. Ouais, normal, c'est ce que font les gens polis. Alors pourquoi les choses ne se sont-elles pas passées comme ça avec Castiel ? Bordel, pourquoi ?!

Son frère lui retire son couteau de sa main, Dean suce distraitement son pouce un peu contusionné.

— « … Dommage que Jessica soit parfaitement inutile sur ce coup », grogne-t-il entre ses dents.

— « Ne sois pas désobligeant et arrête de bouder, tu es ridicule. Si ça te travaille à ce point, appelle-le maintenant. Il te rassurera sur le fait que tu lui manques aussi et tu pourras te concentrer à nouveau sur ce qui nous intéresse », grommelle Sam en rassemblant leurs assiettes vides.

Son frère se lève brusquement et rapporte leurs plats à côté du buffet où un employé saisonnier tente de gérer seul toute la salle du petit-déjeuner. Dean racle bruyamment les pieds de sa chaise tandis qu'il se redresse à son tour. Il rapporte leurs verres et leurs tasses à café, pique une dernière brioche sur le buffet et rejoint son frère. Sam l'attend dans la cour intérieure de l'hôtel, les yeux rivés sur son portable alors qu'il consulte le site internet du musée vaudou. Dean lui donne un petit coup d'épaule.

— « Je suis inquiet, d'accord ? », marmonne-t-il d'un ton qui ressemble à tout sauf à des excuses.

— « Je sais mais il peut y avoir beaucoup d'explications tout à fait raisonnables pour lesquelles Castiel ne t'a pas rappelé. Tu es vraiment… mordu de lui. »

— « La ferme Sammy. »

Son frère ricane d'un air entendu et le châtain sent ses oreilles chauffer. Dean garde un silence borné tandis qu'il mâchonne vigoureusement la viennoiserie. Sam navigue encore quelques secondes sur le net avant de lui montrer son portable.

— « Le musée ouvre à dix heures, tu peux m'y déposer en allant à West End. »

— « Il nous manque encore des éléments sur cette foutue bague, je préfère que nous soyons sûrs que cette piste est close avant de nous lancer dans autre chose. Tu viens avec toi. »

Le blond hausse les épaules, c'est comme il veut.

Les deux hommes repassent rapidement dans leur chambre pour prendre leurs affaires et s'assoient dans l'Impala moins d'une fraction de seconde plus tard. Dean engage la voiture dans la circulation et rejoint rapidement la route 10. Le quartier de West End est situé au nord du centre-ville sur les berges du Lac Ponchartrain. Sur West End Boulevard, il s'arrête à un feu rouge, juste le long de New Basin Canal Park. De l'autre côté de la clôture, un petit garçon observe l'Impala avec la plus grande attention, ses doigts emmêlés au grillage. Le châtain le salue d'un coup de klaxon qui fait violemment sursauter son frère, plongé dans la relecture attentive des notes de leur carnet de bord. L'enfant écarquille les yeux avant de s'enfuir dans un éclat de rire ravi. Dean sourit. Il sourit toujours quand il se gare finalement au 416 Tacoma Street, devant une maison blanche au large perron en brique, une copie comme en carton pâte d'une maison de style européen qui la rend touchante.

Il est en train de fermer la Chevrolet quand la porte d'entrée s'ouvre devant Sam le blond n'a pas eu le temps d'appuyer sur la sonnette. Dans l'embrasure, un homme aux cheveux très noirs, en polo clair leur sourit d'un air avenant.

— « Je pensais bien avoir entendu une voiture s'arrêter devant chez moi. Joli modèle au passage », les salue-t-il en leur offrant une vigoureuse poignée de main. « Vous êtes Dean et Sam Winchester ? Elsie m'a parlé de vous. Je suis Georges Guermantes. »

Il les invite à entrer et referme la porte derrière eux. Les deux frères le suivent dans le salon, agréablement décoré de couleurs claires et de pièces de mobilier vintage. Le châtain n'est pas un grand fan des années 1960 mais tout lui semble plus chaleureux que l'intérieur de Rupert Vernantes, moins mémoriel. Pas d'armes au mur. Ni de trophées. Dean a déjà envie de lui sourire plus poliment qu'il ne l'a fait hier en deux heures.

Dans un coin du salon, non loin de l'escalier menant à l'étage, il repère deux valises et plusieurs cartons.

— « Elsie nous a dit que vous partiez bientôt en voyage, j'espère que nous ne vous dérangeons pas. »

— « Mon épouse rentre du travail à seize heures, nous ne partirons pas avant ce soir », explique-t-il en s'asseyant dans le salon, suivi par les deux frères. « Nous allons rendre visite à notre fille pour quelques jours. Elle a été acceptée à l'université de Pennsylvanie, nous en profitons pour lui apporter certaines de ces affaires. »

— « C'est impressionnant. Penn University est une fac très réputée », dit Sam en hochant la tête.

— « Joan a obtenu une bourse, elle était dans l'équipe de basket du lycée », ajoute Georges en souriant avec une tendre fierté.

Dean observe le salon et repère rapidement les cadres photos posés un peu plus loin sur un beau buffet en bois. Il plisse les yeux. Encore une seconde et il repère Joan Guermantes, une belle fille au sourire éclatant et aux longues tresses plaquées sur son crâne. Elle pose avec fierté vêtue de sa tenue de diplômée ou avec ses parents, plus jeune et avec des traits plus enfantins. Métisse. Le châtain imagine brièvement l'ambiance des repas de famille avec les très conservateurs Rupert Vernantes. Probablement de charmants moments.

— « Est-ce que vous voulez quelque chose à boire ? J'étais sur le point de me faire un café », leur propose leur hôte en faisant déjà mine de se relever.

Le châtain refuse d'un signe de tête tandis que Sam accepte poliment un verre d'eau. Le jeune homme se cale contre les coussins du canapé tandis que son frère sort leur carnet de sa sacoche et un stylo. Prêt. Sam remercie leur hôte d'un sourire tandis que celui-ci se rassoit.

— « Elsie m'a dit que vous travaillez pour un notaire de Springfield dans le cadre d'une succession, c'est bien ça ? Je suis surpris que vos recherches vous aient conduit jusqu'aux de Vernantes. À ma connaissance, notre noyer familial est partagé entre La Nouvelle-Orléans et la France. Nous ne sommes pas des gens très aventureux vous savez. »

Ses yeux marron pétillent de malice et Dean ne peut s'empêcher de rire. Quelle différence avec le ton pompeux et l'air suffisant de Rupert Vernantes. Il croise les mains sur son ventre et cale confortablement ses reins contre le dossier du canapé.

— « Que puis-je faire pour vous ? »

— « Elsie nous a dit que vous aviez travaillé sur un arbre généalogique de votre famille. Nous avons besoin de connaître les différentes branches pour identifier de potentiels héritiers », raconte Sam avec aplomb.

— « Elle aurait mieux fait de vous adresser à Rupert Vernantes, c'est lui le grand historien de la famille. »

Dean esquisse un rictus.

— « Nous lui avons rendu visite hier, ça n'a pas été aussi concluant que nous l'espérions. Il nous a laissé ses coordonnées si jamais nous avions d'autres questions… »

— « Rupert ne vous a pas raconté par le menu combien les de Vernantes étaient des hommes d'affaires avisés et des nobles français des plus respectables ? »

L'homme hausse un sourcil, son ton est franchement narquois et Dean a envie de rire. Un regard noir de son frère l'invite toutefois à faire profil bas, il serait malvenu de réitérer ses exploits d'hier.

— « … Il l'a fait mais j'ai posé quelques questions qui ne lui ont pas beaucoup plût », admet-il lentement.

— « Vraiment ? J'aurais beaucoup aimé être là pour voir ça ! Rupert peut être tellement arrogant concernant l'histoire de notre famille. Elle date d'il y a plus de deux cents ans, qui peut se soucier maintenant de ses sales petits secrets ? Soyons sérieux, il y en a forcément eu… »

Georges éclate d'un bon gros rire. Dean sourit d'un air particulièrement victorieux à Sam qui se contente de rouler des yeux. Leur hôte boit une gorgée de café, un sourire aux lèvres. Ses yeux pétillent toujours de malice et le châtain a envie de lui montrer la chevalière, de la lui montrer pour de vrai. Il ne demande pas l'avis de son frère et tire le sachet en velours de sa veste pour en sortir la bague en or. Dean pose soigneusement l'ensemble sur la table basse.

— « C'est ce bijou qui nous a conduit jusqu'à vous. Le notaire nous l'a confié, elle était dans les affaires du défunt. Nous avons pensé qu'elle était peut-être le signe d'un mariage passé qui aurait lié vos deux familles », explique-t-il.

— « Est-ce que je peux la regarder d'un peu plus près ? »

Le châtain acquiesce. Leur hôte la fait tourner un instant entre ses doigts avant de la porter à ses yeux pour observer la gravure sur la sardoine.

— « Rupert nous a dit qu'il s'agissait de la chevalière d'un de vos ancêtres, Joseph de Vernantes. Il nous a montré son portrait dans son bureau et plusieurs photos », ajoute Sam.

Le blond pose entre eux leur carnet et lui montre le croquis de l'arbre généalogique. Georges hoche lentement la tête.

— « Oui, je vois très bien à qui il a fait allusion. S'il y a bien une chose que je lui envie, c'est l'énorme documentation qu'il a rassemblée sur notre famille. … C'est à cause de cette bague qu'il vous a mis dehors ? »

— « Plus ou moins », élude un peu Dean. « Le testament de Joseph précise qu'il avait demandé à être enterré avec sa chevalière puisqu'il n'avait pas d'héritier mâle direct à qui transmettre son nom. Votre parent nous a accusé de l'avoir volé. Nous avons juste un peu insisté pour savoir s'il n'avait vraiment pas eu d'enfant… »

Sam lui jette un regard noir au pronom collectif et le châtain ricane. Ouais, il aurait tellement aimé faire sortir Rupert Vernantes de ses gonds. Encore quelques minutes de réflexion et il aurait pu faire bien mieux. Dean est certain qu'il aurait réussi à faire de très belles allusions sur son projet d'association sudiste ou sur les peintures de blasons franchement grandiloquentes couronnant l'arbre généalogique. Du grand art s'il avait eu juste un peu plus de temps. … Et pas de carabines Winchester accrochées au mur du salon juste sous ses yeux, il n'est pas inconscient à ce point.

— « Je suis désolé mais nous allons vous demander la même chose sur cet homme », reprend Sam en désignant la branche de l'arbre généalogique qui se déploie autour de Joseph de Vernantes.

— « Rupert vous a dit qu'il n'avait pas eu d'enfant que ses deux filles. Il vous l'a assuré, n'est-ce pas ? », dit Georges en croisant les mains sur son ventre

Dean hoche la tête et l'homme renifle d'un air dédaigneux. Le châtain fronce les sourcils, cette mimique le fait un peu ressembler à son parent.

— « Est-ce bien le cas ? », insiste-t-il.

Leur hôte hésite un instant, pianotant du bout des doigts sur l'accoudoir de son fauteuil.

— « Je n'en suis pas sûr mais j'ai de sérieux doutes », avoue-t-il avant de passer une main dans sa nuque. « Si je me suis intéressé à notre famille, ce n'est pas par intérêt personnel mais pour aider ma fille sur un devoir d'histoire qu'elle avait à faire pour le lycée. Elle m'a posé des questions alors nous avons travaillé ensemble sur son sujet. J'ai pris sur moi pour demande de l'aider à Rupert mais il a refusé. … Je suppose que c'est une bonne chose d'une certaine manière, j'ai pu faire mes propres recherches sans le moindre a priori. »

Son sourire est particulièrement amer. Dean le voit jeter un regard vers les cadres photos sur le buffet, vers les visages souriants de sa femme et de sa fille, la brillante étudiante peut-être un peu trop colorée de peau pour être une héritière de Vernantes.

Il serre les poings sur les bras de son fauteuil. Merde, c'est moche.

— « Rupert vous a parlé de son projet d'association de familles créoles françaises ? Inutile d'être très brillant pour comprendre ce qu'il pense en réalité », reprend leur hôte d'une voix un peu rauque. « Quand j'ai épousé ma femme, j'ai modifié mon nom de famille pour ne pas apporter tous ces souvenirs dans notre foyer. Rupert ne me l'a jamais pardonné mais je n'ai jamais pu accepter non plus qu'il n'invite jamais officiellement mon épouse et notre fille à nos repas de famille. »

Cette fois, sa voix ressemble à un grincement horrible quelque chose de râpeux qui racle la gorge et la fait saigner. Dean hoche la tête d'un air sombre. Il en était sûr, il le savait. Bon sang, il aurait vraiment dû dire quelque chose qui aurait mis Rupert hors de ses gonds. Juste pour le plaisir.

— « C'est pour cela qu'il n'a pas voulu vous montrer ses recherches ? »

— « C'est probablement une des raisons mais je pense que c'est encore plus mesquin en réalité », ricane leur hôte. « Selon moi, il a été très vexé de voir qu'une autre personne que lui voulait faire le même travail, comme s'il n'avait pas été assez compétent. Je pense qu'il l'a été mais il s'est aussi montré très partial. »

— « Son arbre généalogique est erroné ? », l'interroge Sam.

Dean se redresse vivement dans le canapé. Il pointe d'un doigt le nom de Joseph dans l'arbre généalogique. Georges esquisse une légère moue qui vaut tous les accords du monde pour lui.

— « Bon sang, je savais qu'il nous avait menti ! Je te l'avais dit Sam ! »

— « J'ai dit que je n'en étais pas certain », le corrige gentiment leur hôte. « J'ai trouvé le nom de Joseph de Vernantes associé à une procédure judiciaire en 1913. Il était mort depuis à peine un an et le demandeur argumentait devant la justice qu'une part de son héritage lui revenait. … Pourquoi aurait-il fait ça s'il ne pensait pas être dans son bon droit ? C'est peut-être parce qu'il était son fils. »

L'homme leur jette un regard éloquent et le châtain exulte. Sam fronce légèrement les sourcils.

— « Joseph Vernantes aurait eu un enfant adultérin ? »

— « C'est ce que j'en ai conclu. Quand j'en ai parlé avec Rupert, il m'a presque mis dehors aussi. Je pense qu'il est également tombé dessus pendant ses recherches mais qu'il a préféré l'ignorer. »

— « C'est moche pour un travail d'historien », claironne Dean.

Sam roule ostensiblement des yeux mais le châtain se réjouit toujours bruyamment.

— « C'est cet enfant qui aurait hérité de la chevalière ? Joseph Vernantes n'aurait donc pas été enterré avec… », réfléchit son cadet à voix haute.

— « Je ne sais pas mais je suppose que tout est possible », admet Georges.

Dean claque sa langue contre son palais de contentement. Avisant le verre d'eau de son frère, il l'attrape et le boit d'une traite, ignorant les protestations de ce dernier. C'est presque aussi bon qu'une citronnade ou qu'un thé glacé. L'excitation courant dans ses veines comme un feu de forêt et il a besoin d'apaiser un peu l'incendie.

— « Quel est son nom ? », demande Dean à brûle-pourpoint.

— « Je ne sais pas. »

Le jeune homme relève lentement les yeux sur leur hôte qui lui adresse un sourire navré. Quoi ? Non… Non ! Pas maintenant ! Pas encore !

– « Mais vous parliez de – »

— « J'ai seulement lu cette mention dans l'inventaire du fonds judiciaire des archives municipales », explique gentiment Georges. « Quand je m'y suis présenté pour demander la consultation du carton correspondant, le bâtiment était fermé à cause d'une infestation de moisissures et ne communiquaient plus aucun document. Je n'ai pas dépassé la salle des inventaires. Joan a fini ce devoir sans cette information et j'avoue m'être un peu désintéressé de tout ça après. »

— « Votre mémoire est excellente pourtant », dit poliment Sam et son frère lui en est reconnaissant, il sait qu'il allait dire une autre énormité.

— « Je me suis replongé dans mes dossiers après l'appel d'Elsie, je pensais bien que vous viendriez tôt ou tard. »

Dean est complètement défait. Est-ce possible d'être aussi malchanceux une nouvelle fois si près du but ?

— « C'était il y a plus d'un an, les archives municipales de La Nouvelle-Orléans ont rouvert normalement depuis », ajoute gentiment leur hôte à son intention.

Le châtain fronce les sourcils. Ok. Nouveau plan. Nouvelle destination. Ce n'est qu'un léger contretemps.

— « Est-ce que vous vous souvenez du numéro de la boîte d'archive ou du nom de l'inventaire ? »

— « Je dois aller vérifier dans mes papiers. Je reviens. »

Georges s'excuse d'un sourire et quitte le salon. Dean jette un regard à Sam qui feuilleter leur carnet avec application.

— « Je t'avais dit qu'il nous mentait », siffle le châtain en se penchant vers lui.

— « Oui Dean, l'effet de ta petite antenne sans doute », chantonne son frère d'un ton moqueur.

Il lui donne un brusque coup de genoux mais Sam ricane. Dean sort son portable et navigue rapidement sur internet.

— « Les archives ferment pour le déjeuner, elles rouvrent à quatorze heures », dit-il.

Sam acquiesce. Leur hôte revient vers eux, compulsant un dossier un peu désordonné.

— « C'était le dossier 1746 W 451 dans le fonds du tribunal civil. L'inventaire indiquait « Procédure P.D. vs de Vernantes 1913-1915 ». Son nom n'est pas cité en entier, je ne pense pas qu'il était blanc. » Georges les regarde. « Je vous ai tout ramené si vous voulez regarder et prendre des photos. »

Il leur tend la chemise cartonnée et Sam le remercie d'un sourire. Entre deux pages de notes, il tombe sur une copie d'étudiant à l'écriture ronde et soignée, gratifiée d'un beau A-. Le blond sourit. Georges tend une main pour la récupérer, un sourire d'excuse aux lèvres.

— « Désolé, ça n'a rien à faire là. … J'avais oublié que Joan avait eu la meilleure note de sa classe avec ce devoir », dit-il avec tendresse et fierté.

Dean prend les feuilles au fur et à mesure que Sam les lui donne pour les lire rapidement à son tour.

Les recherches sont un peu plus brouillonnes mais elles synthétisent celles de Rupert Vernantes exception faite que dans les marges, leur hôte a indiqué quantités d'interrogations. Il a fait des recoupements avec des faits de la petite et grande Histoire. Pris dans son ensemble, c'est en fait bien plus intéressant que le développement parfaitement linéaire et parfaitement parfait dont Sam et lui ont eu un aperçu il y a deux jours.

Sam prend des clichés avec son portable et ajoute quelques notes dans leur carnet. Il redemande poliment en verre d'eau à leur hôte sous le regard goguenard de Dean avant de donner le signal du départ. Le châtain range soigneusement la chevalière dans son petit sac en velours et le glisse à nouveau dans sa veste. Il palpe machinalement la poche pour s'en assurer une nouvelle fois.

— « Nous vous remercions sincèrement pour votre aide », dit-il en lui tendant une main amicale à leur hôte.

— « … Pour être tout à fait franc, je trouve votre histoire de succession un peu étrange », répond-il en lui rendant sa poignée de main. « J'ai travaillé un temps pour un notaire quand j'étais étudiant et j'ai aussi été confrontée à des successions. Toutes vos recherches sont un peu surprenantes. C'est cette chevalière votre véritable sujet, n'est-ce pas ? »

Dean se fige. Il hésite mais de toute évidence trop longtemps. Leur hôte presse ses doigts autour des siens, sans méchanceté ni méfiance.

— « … Mon frère et moi travaillons sur une affaire privée mais rien qui soit de nature à porter préjudice à votre famille, je vous le promets. Et rien d'illégal non plus. Cette bague est entrée en notre possession de manière tout à fait régulière », avoue-t-il du bout des lèvres.

Georges plonge ses yeux marron dans les siens et le châtain sent ses doigts se serrer une dernière fois autour des siens, comme un pacte silencieux noué entre eux.

Dean ne détourne pas le regard, il est sincère et n'a rien à cacher. Ou si peu.

— « Ma famille tient toute entière sur ce buffet, vous savez », sourit leur hôte en désignant les photos encadrées. « Quant à cette chevalière, je la trouve un peu démodée et je laisse volontiers à Rupert le soin de se faire des cheveux blancs à son sujet. Quoi que vous cherchiez, j'espère que vous le trouverez. »

— « Merci Mr. Guermantes. »

— « Georges s'il vous plaît. Bonne continuation. » L'homme les raccompagne jusqu'à la porte d'entrée. « Ah, si vous allez aux archives municipales, demandez David et dites-lui que vous venez de ma part. Nous avons fait connaissance quand j'allais y travailler avec Joan et depuis, nous allons souvent pêcher ensemble au Lac Pontchartrain. C'est quelqu'un de bien et il vous aidera volontiers. »

Dean le remercie une dernière fois chaleureusement avant de quitter la maison.

Pendant leur visite, le soleil est monté à son zénith et la température extérieure est celle d'un four. L'habitacle de l'Impala exhale une chaleur d'enfer mais le châtain sourit d'un air satisfait quand il s'installe derrière le volant. Il le sent dans ses tripes. Bon sang, il le sent vraiment bien.

Sam ne lui demande pas où il les conduit quand il démarre la Chevrolet.

C'est parfaitement évident.

.

Un sandwich dégusté dans French District plus tard, Dean trépigne d'impatience devant les portes vitrées de la New Orleans Public Library. Les archives municipales sont installées au premier étage du grand bâtiment, elles conservent notamment les archives des tribunaux civils de la ville entre 1804 et 1927.

Le châtain a l'impression d'être un sprinteur sur la ligne de départ, les pieds bien calés dans le starting-block.

Un, deux, trois. Prêt. Partez.

Il s'engouffre dans le bâtiment à peine les portes déverrouillées par une employée et traverse le hall d'un pas empressé. Sam le suit facilement à l'aide de ses grandes jambes. Par une chance que le châtain décide d'attribuer à sa bonne Fortune, David est assis derrière le comptoir d'accueil de la salle à leur arrivée. L'homme a l'air aussi avenant que Georges son visage un peu anguleux s'éclaire de plaisir quand Dean évoque de son grand ami de pêche.

— « Vous venez de la part de Georges ? Cet homme est mon héros depuis qu'il a sorti du Pontchartrain un superbe brochet de quinze kilos ! Je serai ravi de vous aider ! », s'exclame-t-il dans un grand éclat de rire.

Avec son aide, Dean et Sam consultent les inventaires des archives des tribunaux civils de La Nouvelle-Orléans puis s'installent à une table pour l'attendre avec les boîtes qui les intéressent. David est d'une parfaite célérité. Il revient vers eux à peine quinze minutes plus tard avec un chariot sur lequel s'alignent soigneusement des boîtes en carton numérotées au feutre noir. Les deux frères s'y plongent avec un empressement au moins égal. La description de certains inventaires était trop imprécise et les archives demandées ne correspondent pas à ce qu'ils recherchent. Ils perdent du temps. Dean ronge son frein, mâchonnant ses joues comme un enfant contrarié jusqu'à ce qu'il entende une infime variation dans la respiration de son frère. Une inspiration entrecoupée puis plus profonde. Les épaules de Sam s'abaissent lentement tandis qu'il se redresse sur sa chaise. Le châtain a envie de crier de joie.

— « Je l'ai trouvé Dean », souffle son cadet.

Dean se désintéresse immédiatement des feuillets qu'il est en train de parcourir, une vague histoire de spoliation foncière dans French District datant du mois de février 1913. Il les range avec soin avant de se glisser sur la chaise voisine de celle de Sam. Son frère met le dossier entre eux.

— « C'est le procès P. D. contre la famille de Vernantes. Les archives s'étendent du 26 avril 1913 au… 12 octobre 1915 », lit Sam en pointant le titre du document avant de les feuilleter

— « Qui est P. D. ? », demande Dean avec empressement.

— « Je ne sais pas encore, je viens à peine de commencer », le rabroue gentiment son frère en poursuivant sa lecture. « … Georges avait raison, c'est une contestation d'héritage. P. M. a demandé au tribunal de faire casser le testament de Joseph de Vernantes. Tous ses biens sont allés à ses deux filles et à ses parents les plus proches, il considère avoir été floué par la succession. … Il s'est présenté comme son fils unique. Et illégitime. Esther de Vernantes certifie dans ce document qu'elle n'a jamais eu de garçon. »

— « Rupert a dû s'étrangler quand il a trouvé ça », ricane d'aise le châtain. « Continue Sammy, continue. »

— « Le procès a duré environ un an et demi. Les deux parties n'ont cessé de s'affronter. » Il fronce les sourcils. « P. D. ne semble pas avoir eu beaucoup d'arguments pour prouver son identité. »

— « Pas même la chevalière ? »

— « Non, elle n'est pas citée. »

Le châtain palpe machinalement la bague dans la poche de sa veste. Décidément, cette affaire est obscure. C'est la possession de cet anneau qui a rendu Castiel malade, il n'y a aucun doute là-dessus. Pourtant l'objet ne réagit pas aux éléments de purification qu'ils ont mis dans le sac en velours. À chaque fois qu'il a l'impression de tenir le bout d'un nouveau fil d'Ariane, la pelote se dénoue pour finir dans le vide. Dean ne sait toujours pas précisément ce qu'il chasse mais il sait parfaitement qu'il le hait profondément.

— « Quoi d'autre ? »

— « Je ne suis pas un lecteur public. Si tu veux le savoir, tu n'as qu'à lire à ma place », grogne son frère.

Dean jette un regard peu amène à l'écriture très chantournée qui courent sur les documents, parfois si complexe qu'elle en devient presque illisible avec toutes ses boucles et ses déliés. Il hausse les épaules et Sam renifle d'un air suffisant.

— « Je te remercie. … Les questions de l'avocat des de Vernantes sont répugnantes. Elles sont très racistes et plusieurs fois, le greffier a désigné le plaignant sous le nom de « nègre ». P. D. a perdu son procès mais je suppose que tout était joué d'avance », grimace son frère après un court silence.

— « Ça doit être le seul moment où Rupert a souri quand il a lu ce torchon », grogne le châtain. « Est-ce qu'il y a le nom complet du plaignant quelque part ? »

— « … Non. Il a signé en bas des procès-verbaux avec ses initiales et une signature qui pourrait être celle d'un roi. »

Dean jette un regard aux documents avant de ricaner. C'est effectivement une signature incroyable de suffisance. La sienne ressemblait un peu à ça quand il tentait de la trouver, griffonnant dans la marge de ses cahiers de littérature parce qu'il s'ennuyait terriblement il a conclu vers l'âge de quinze ans pour une forme pragmatique et rapide. Le châtain a toujours trouvé que la signature de Sam était plus agréable à regarder et il a la même depuis qu'il a douze ans. Mary le consolait de sa jalousie mal placée en lui disant que la sienne était volontaire et pleine de caractère. Il n'empêche, celle de son frère est plus élégante. Celle de Castiel aussi.

— « Le procès s'est conclu comme ça ? »

— « P. D. s'est acharné pendant les deux années qui ont suivi. Les héritiers n'étaient pas non plus d'accord entre eux concernant la succession mais ils ont fait front contre lui à chaque nouvelle tentative. Les plus importants dossiers des demandes de révision du testament ont seulement été enregistrés en février 1916 et en juin 1917 il n'y a pas eu d'autres procès », ajoute Sam en feuilletant les derniers feuillets

Soudain, le blond se fige. Il se penche brusquement sur le document et plisse les yeux, les doigts crispés sur le rebord de la table.

— « Merde Dean… Il parle de la chevalière, juste là. Écoute : Le plaignant P. D. affirme posséder la preuve de sa filiation avec le défunt Joseph de Vernantes. Devant l'honorable juge Franck Willougby, il a montré la chevalière de ce dernier, en or et sardoine, gravé aux armes de la famille. Henry de Vernantes, représentant de la famille devant le tribunal civil de La Nouvelle-Orléans, réfute devant l'honorable juge Willoubgy l'authenticité de cet objet. Il rappelle le testament de Joseph de Vernantes et affirme que la bague a été placée dans son cercueil, conformément à ses dernières volontés. Le plaignant P. D. s'obstine et insulte l'autre partie. Il annonce vouloir provoquer Henry de Vernantes en duel. Pour cet affront devant l'honorable juge Willoubgy, le plaignant est condamné à verser soixante-quinze dollars d'amende. Sa demande de révision du testament de Joseph de Vernantes est rejetée par le présent tribunal. »

Dean exulte. Cette fois il ne peut pas s'en empêcher, il tape du plat de la main sur la table. Le bruit sourd résonne dans la salle de lecture comme dans une église.

Sam rassemble avec soin les documents dans la boîte d'archives avant de la refermer. Il a pris des photos, sans flash, de ce qui les intéressait.

— « On avait raison, la chevalière a été récupérée par son fils », reprend-il avec satisfaction quand son frère se rassoit à leur table.

— « Rupert Vernantes peut aussi avoir raison, la chevalière a pu être volée sinon pourquoi n'en a-t-il pas parlé avant ? »

— « Elle aurait été dérobée dans le mausolée ? Tu as vu la taille de ce truc ? », ricane le châtain. « Je pense plutôt que c'est la famille qui s'est bien gardée de respecter le souhait de Joseph. Ils ont dû la garder par attachement sentimental. Ils se disputaient bien pour l'héritage alors que tout était déjà prévu par le testament. Si c'est bien le cas, il n'y a rien de surprenant à ce qu'Henry de Vernantes ait menti devant le juge en disant ne pas la reconnaître. »

— « Peut-être… »

Sam s'étire longuement, faisant craquer sa nuque contractée par leurs longues heures d'étude. Il grogne doucement de plaisir.

— « Il semble que nous avons trouvé le nom du second propriétaire de la chevalière. Nous devons maintenant retracer sa vie pour savoir ce qu'elle est devenue », reprend-il.

— « On se plonge dans l'état civil ? »

— « Oui. Il faut trouver s'il s'est marié, s'il a eu à son tour des enfants… Tu peux demander leurs registres pendant que je consulte la presse de l'époque ? Les de Vernantes étaient une très importante famille de La Nouvelle-Orléans, ils ont sans doute voulu garder ce procès secret mais il a peut-être été couvert par les journalistes. Ils ont pu écrire quelque chose sur P. D. »

La perspective de plonger dans les registres de naissance ne l'enthousiasme pas réellement mais Dean acquiesce. Il n'est pas très bon pour déchiffrer les écritures anciennes, Sam appelle cela la paléographie.

— « Ne t'en fais pas, nous échangerons nos rôles dans l'après-midi », ricane son frère en se levant.

Il ramène gentiment le chariot à David. Pris d'une intuition, Dean lui emboîte brusquement le pas.

— « Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? », leur demande l'homme avec intérêt.

— « Nous avons déterré une bonne piste », sourit Sam.

— « David ? Excusez-moi mais est-ce que vous connaîtriez quelqu'un à La Nouvelle-Orléans qui pourrait nous renseigner sur l'histoire de la communauté noire ? », ajoute le châtain.

L'homme se lève et effleure distraitement le dessus des boîtes d'archives bien rangées par Sam. Il fronce les sourcils, pianote du bout des doigts sur le carton.

— « Mrs. Anne Morton au HNOC a travaillé sur l'immigration haïtienne qui a suivi la révolution de 1804. Il y avait beaucoup de planteurs blancs ici mais aussi des esclaves et des hommes noirs libres », dit-il après un temps de réflexion. « Plusieurs historiens amateurs qui ont écrit sur ce sujet, des ouvrages de très bonne qualité même si certains commencent à dater un peu. Je pense qu'ils sont tous ici, à la New Orleans Public Library. Vous pouvez aussi vous renseigner au William Research Center à la HNOC. »

Dean prend mentalement des notes. Peut-être qu'Emmett Patterson, le conservateur à la HNOC aura le nom d'un collègue à leur donner.

— « Je vous remercie », sourit-il. « Mon frère et moi aimerions consulter l'état civil de La Nouvelle-Orléans pour la fin du XIXe siècle et la presse des années 1910. »

— « Les registres ont été numérisés, vous pouvez les lire sur les ordinateurs qui sont là-bas », répond David en désignant le fond de la salle. « Pour la presse écrite, je vais regarder avec vous. Les journaux sont toujours en cours de numérisation, je vais peut-être devoir aller en chercher dans les magasins. »

Le châtain jette un regard de martyr à son frère qui ricane en coin. Des écritures anciennes à déchiffrer sur un écran ? L'enfer. Il se frotte les yeux du bout des doigts et traverse la salle de lecture, récupérant quelques feuilles de papier brouillon mis à disposition des lecteurs dans une bannette et un crayon de papier. Sam et lui inverseront leur place plus vite que le blond ne le pense c'est préférable pour leur santé à tous les deux. Dean va probablement avoir la migraine à la fin de journée, Sam sait mieux que quiconque qu'il vaut mieux à tout prix leur éviter ça. Il pourrait devenir insupportable et tant pis si c'est parce qu'il refuse de faire évaluer sa vue et d'éventuellement commencer à porter des lunettes quand il consulte un écran. Son sex-appeal n'y survivrait pas.