Mes petits chats,

L'enquête en Louisiane des frères Winchester se poursuit. Ils progressent, ils progressent mais Dean est maladroit et… lisez pour en savoir plus :)

Je tâtonne un peu concernant la mise en page et l'indication du déroulé chronologique de cette histoire. Je souhaite pouvoir vous indiquer clairement les événements qui se passent respectivement à La Nouvelle-Orléans et à Butler, soit le même jour, soit des jours différents. Pour l'instant, la séparation en "." et en "oO0Oo" avec l'indication de la temporalité ne me satisfait pas entièrement. N'hésitez pas à me faire un retour si vous voulez bien.

Comme à l'accoutumée, les curieux et curieuses trouverons quelques notes de contextualisation ci-dessous.

Je vous laisse en leur compagnie et à tous et toutes, je vous souhaite une bonne lecture.

Bien à vous,

ChatonLakmé


Le cimetière Saint-Louis désigne un ensemble de trois cimetières historiques construits successivement à La Nouvelle-Orléans dans et autour du Carré français. Le No. 1 est le plus ancien, il a été ouvert en 1789 alors que la Louisiane était encore une possession française. Il rassemble en grande majorité les tombes des familles franco-louisianaises, une petite partie est réservée aux personnes de confession protestantes et des personnalités liées au vaudou y sont également enterrées, dont Marie Laveau dont il est beaucoup question dans cette histoire. Le No. 2 est la première extension construite de ce cimetière historique, inaugurée en 1823. Le No. 3 a été ouvert en 1854. L'architecture des tombes y est plus ostentatoire, dans une démarche de mise en scène de la mort et du prestige des familles tout à fait caractéristique du XIXe siècle. Je précise que le plan du cimetière Saint-Louis No. 1 mentionné ci-dessous existe bel et bien et est consultable en ligne sur le site internet de la HNOC.

Les Froot Loops sont des céréales de petit-déjeuner commercialisées depuis 1962 par l'entreprise agro-alimentaire américaine Kellogg's. En forme d'anneaux et multicolores, elles sont aromatisées aux fruits et ont été déclinées en petit snack et chips. Leur bilan nutritionnel est très mauvais, elles comptent 45% de sucre au 100g.

Memento mori est une locution latine signifiant littéralement «Aie à l'esprit, à la pensée que tu meurs» soit «Souviens-toi que tu meurs». Elle est généralement rendu en français sous la forme «Souviens-toi que tu vas mourir.» Issue du christianisme d'époque médiévale, cette formule invite les hommes à réfléchir sur leur propre mortalité et condamne donc les vanités de la vie terrestre comme futiles et vaines. Avec le temps, la phrase est également devenue un substantif: un memento mori peut désigner un objet rappelant le caractère éphémère de la condition humaine et/ou le souvenir des défunts. Un des meilleurs exemples et sans conteste l'art de la nature morte, des peintures représentant notamment des objets souvent périssables (fleurs, fruits…), des insectes… On trouve des mentions proches de cette maxime dès l'Antiquité gréco-romaine.

Un ex-voto est une offrande donnée en remerciement à une divinité après la réalisation d'un vœu exaucé. Elle peut prendre des formes très diverses (plaques commémoratives, petit artefact, fleurs…). Aujourd'hui, elles ornent souvent les églises.

WWL-TV est une chaîne de télévision de Louisiane dont les locaux sont installés à La Nouvelle-Orléans.

Le Panthéon est un ancien temple romain édifié à Rome au Ier siècle avant J.-C. sur ordre de l'empereur Agrippa, dédié à toutes les divinités de la religion romaine. Plusieurs fois reconstruits au cours de l'Antiquité, il s'agit du plus grand édifice de cette période qui nous soit parvenu. Sa coupole d'un diamètre de 43,30 mètres a été la plus grande de l'Antiquité et reste encore aujourd'hui une des plus vastes coupoles non réalisées en béton armé. Transformé en église, le Panthéon est aujourd'hui un lieu touristique. Sa forme et ses dimensions exceptionnelles ont fortement influencé les architectes européens et américains au cours des siècles. On peut citer par exemple le Panthéon de Paris, un temple dédié aux hommes illustres de la France construit entre 1757 et 1790 ou encore le Jefferson Memorial (1939-1943) à Washington D.C.

Le po'boy est un sandwich typique de Lousiane, constitué d'un pain baguette garni de bœuf rôti ou de fruits de mer frits.

Je profite également de cet encart pour vous dire – si vous en doutiez ou que j'avais pu manquer de clarté précédemment – que cette célèbre figure de La Nouvelle-Orléans a réellement existé. Il sera question de sa biographie dans les parties suivantes. Je ne me suis autorisée que le récit annexe de sa fille Jeanne, sortie de mon esprit même si Marie Laveau a eu de nombreux enfants dont plusieurs filles. Excepté cela, tous les autres faits évoqués dans cette histoire concernant la famille Laveau sont authentiques.


L'affaire Philippe Delveau

o0O0o o0O0o

Quinzième partie


La Nouvelle-Orléans, Louisiane, vendredi 20 octobre


Au volant de l'Impala, Dean tend le cou tandis qu'il tourne une nouvelle fois de Basin Street sur Conti Street. Il guette avec la plus grande attention une place de stationnement aux alentours du cimetière Saint-Louis No. 1 mais les voitures s'alignent le long du trottoir en une file ininterrompue. Pas un seul endroit dans lequel se faufiler. Le châtain refuse de laisser la Chevrolet trop loin de leur destination – encore moins le long d'un trottoir à côté d'un terrain vague comme il l'a vu quand il conduisait depuis French District – alors il persévère. Le quartier d'Iberville ne lui inspire que vaguement confiance. À moins qu'il ne commence à apprécier un peu trop leur bel hôtel dans French District, son restaurant et la climatisation réparée de leur chambre. Le jeune homme est en train de se faire un devoir de goûter à l'ensemble des desserts de la carte; il ne devrait pas en être aussi satisfait.

Dean pile brusquement au milieu de la route. Projeté en avant, Sam se retient d'une main posée sur le tableau de bord et grogne de douleur quand la ceinture de sécurité lui rentre dans le bas-ventre.

—«Dean!»

Sur leur droite, un break hors d'âge sort péniblement d'une vaste place de stationnement, une merveille parfaitement parfaite pour la longue carrosserie de l'Impala. Le châtain désigne la voiture devant eux d'un geste emphatique et Sam roule des yeux. Son frère devrait pourtant le savoir, Baby est vraiment très importante pour lui.

La conductrice du break met un temps infini pour sortir mais le châtain patiente avec une étonnante bonne humeur. Il salue même la vieille femme à la flamboyante permanence bleutée d'un sourire particulièrement charmant puis gare la Chevrolet en deux coups de volants, souples et élégants.

Dean claque sa langue contre son palais de satisfaction et Sam ricane.

—«Frimeur.»

—«Un peu de respect Sammy, je t'ai conduit à ton premier rencard avec une fille dans cette voiture et si je vous avais laissé faire, je suis sûr qu'elle aurait aussi été le lieu de ton premier pelotage en règle», le gronde-t-il en coupant le contact.

—«Je suis un gentleman, je l'aurai seulement embrassé et pas avant notre troisième ou quatrième rendez-vous.»

Son frère détache sa ceinture, prenant soin de lui donner un vigoureux coup de coude dans les côtes dans la manœuvre.

—«Par contre, c'est ce que tu as fait» reprend Sam en extirpant son grand corps de l'Impala. «J'avais douze ans et je t'ai surpris avec Peter Johnson que tu embrassais comme un perdu dans ta voiture. … Je me souviens que tu faisais des bruits très humides et que tu couinais un peu comme un petit chiot…»

—«Enfoiré», rougit légèrement Dean en le rejoignant sur le trottoir.

—«J'aimais bien Peter, il avait toujours des Froot Loops Letters dans son sac de cours. Maman ne voulait jamais nous en acheter», poursuit son cadet d'un air rêveur.

—«Tu m'avais caché ton petit béguin…»

—«Je l'aimais bien au début. Il t'a quitté pour une fille stupide du club de théâtre et je t'ai vu pleurer dans cette même voiture un soir quand tu rentrais du lycée.»

Le châtain hausse légèrement les épaules, les mains dans les poches.

C'est vrai qu'il craquait pour Peter Johnson, avec toute la fougue et la maladresse des premiers coups de coeur. Il était très blond, avec des yeux bleus magnifiques et des abdominaux taillés à la serpe; des vrais de vrai comme ceux de ce coach sportif dont Mary suivait les cours deux fois par semaine sur TLC. Dean les avait entre-aperçu plusieurs fois quand Peter relevait son jersey de sport pour essuyer son visage rougi et transpirant pendant les matches de basket. Ça avait hanté ses rêves. Peter embrassait bien et il avait aussi de grandes mains – presque des mains d'homme – dont le contact lui chatouillait le ventre quand il serrait son genou ou sa cuisse. Dean avait rapidement réalisé que ce qu'il prenait pour de l'assurance était de l'orgueil et qu'en réalité, son béguin n'était pas une bonne personne mais il avait quand même souffert quand ils s'étaient quittés. Le châtain n'est pas certain que Peter ait jamais pensé qu'ils étaient réellement ensemble.

—«… Elle était vraiment stupide cette fille.»

—«Tout à fait. Elle n'était pas très jolie non plus.»

Le jeune homme esquisse un sourire. Le petit Sammy de douze ans lui avait dit la même chose tandis qu'il le serrait contre lui de toute la force de ses petits bras. Gentil, si gentil Sammy.

Les deux hommes passent Conti Street et remonte Basin Street vers l'entrée du cimetière.

—«Je ne pleurais pas», se sent-il obligé d'ajouter après un silence.

—«Non, du tout. Ça devait être une poussière sur le tableau de bord de l'Impala. Ou une réaction allergique au produit lustrant pour sa carrosserie. Tu avais le visage tout fripé, un peu comme lorsque tu pensais que Castiel te boudait il y a cinq jours.»

Dean bouscule vigoureusement Sam pour passer avant lui le petit portillon en fer forgé du cimetière. Son frère ricane et le laisse prendre de l'avance; il préfère s'attarder un instant sur le panneau un peu rouillé accroché à l'entrée qui raconte en quelques lignes l'histoire du plus vieux cimetière de La Nouvelle-Orléans.

Dean s'engage rapidement dans une allée latérale le long de laquelle s'alignent proprement de petites pierres tombales blanches ornées de discrètes statues. Après quelques pas, il s'arrête et fait demi-tour. Il n'a aucun sens de l'orientation, il sait qu'il s'est trompé. Sam achève sa lecture et l'accueille d'un sourire goguenard en le voyant revenir vers lui.

—«Le carré réservé aux gens de couleur est là-bas», dit-il en désignant une allée opposée d'un signe de tête.

Le châtain marmonne entre ses dents que la vie est parfois vraiment dégueulasse pour séparer encore les hommes jusque dans la mort.

Son frère a trouvé un plan du cimetière Saint-Louis No. 1 sur le site internet de la HNOC daté de 1992. La tombe de Marie Laveau, épouse Glapion, est située Basin Parallel 1-L, dans l'angle sud-ouest du cimetière. Le jeune homme a déjà oublié précisément où et comment s'y rendre. Il jette un regard au panneau couvert de rouille pour le lire à son tour. En diagonale. Vraiment de manière très succincte.

—«Allons voir d'abord le mausolée des de Vernantes.».

—«Est-ce que tu te souviens comment y aller?», le taquine Sam, un sourire en coin.

Dean fronce les sourcils, ouvre la bouche, hésite et finit par désigner un espace assez vague devant eux. Vraiment très vague. Approximativement la moitié du cimetière Saint-Louis No. 1. Son frère s'esclaffe et passe devant lui pour lui montrer le chemin. Le châtain lui emboîte le pas, les mains dans les poches.

Merde.

Un jour, il y arrivera; il conduira l'Impala d'un point A à un point B avec une parfaite nonchalance, sans l'aide de Google Maps ni de son frère qui semble posséder une boussole dans sa tête chevelue.

Dean s'engage d'un pas volontaire dans la large allée centrale en face de lui mais son frère le rattrape une nouvelle fois. Il lui montre un petit panneau indiquant que le chemin est à sens unique et il l'entraîne à droite sur Alley 1-R. Le châtain claque sa langue contre son palais d'exaspération. Sérieusement?

Les deux frères marchent, bifurquent sur Saint-Louis Alley puis remontent vers le nord du cimetière. Le gravier crisse doucement sous leurs pas, le lieu est désert.

Le jeune homme observe distraitement les tombes qui s'alignent le long de l'allée.

Le soleil se reflète sur les petits mausolées en pierre blanche ou grise, parfois proprement entourés d'une grille en fer forgé. Cela ressemble à un étrange village, peuplé de maisons au toit bien pentu et au fronton parfois sculpté. C'est presque un peu poétique, une idée de continuation entre la vie et la mort, Memento mori, etc. etc.

Dean remarque que plus ils progressent dans le cimetière, plus les noms gravés sur les monuments funéraires sonnent de consonance française. Il contemple les alentours avec une attention renouvelée.

Les deux frères progressent maintenant dans la partie la plus ancienne du cimetière Saint-Louis No. 1, celle ouverte en 1789 qui accueillent principalement les tombes des Français de Louisiane.

Son frère tourne à l'ouest sur Alley 8-L, le châtain suit docilement.

Il sourit quand il passe devant un mausolée en forme de pyramide puis un énorme caveau dont l'arête du toit est hérissée de sculpture. L'orgueil jusque dans la mort, c'est triste et un peu pathétique.

Sam tourne une nouvelle fois à l'angle d'une autre allée et remonte le long de la clôture du cimetière. Dean sourit.

—«Est-ce que tu serais perdu, Sammy?», demande-t-il d'un ton nonchalant.

Son frère lui jette un regard noir par-dessus son épaule. Le châtain a vraiment envie de lui répliquer quelque chose de bien senti parce – bon sang – Sam lui a rappelé qu'il l'a vu pleuré il y a plus de trente ans, mais les mots meurent sur sa langue.

Devant lui, son frère ralentit le pas avant de s'arrêter devant un mausolée propret en forme de sarcophage.

Un mausolée bien petit.

Dean fronce les sourcils.

Il ne ressemble pas à l'énorme architecture à colonnes et coupole qu'il a vue sur internet. Pas du tout. Il se penche pour lire le nom gravé sur la porte du caveau. L'écriture est en lettres capitales, d'une typographie très rectiligne toute en majuscules. DE VERNANTES. Les alentours sont soigneusement entretenus, il y a même une composition en roses artificielles dans un grand vase un peu prétentieux posé sur la margelle. Le châtain grimace. Ça lui rappelle un peu la décoration du salon de Rupert de Vernantes.

—«Je pense que nous sommes au bon endroit, Rupert doit avoir l'autre paire dans son salon…», dit-il en le désignant d'un signe de tête.

Son frère acquiesce en ricanant. Lui aussi y a pensé. Il plisse les yeux pour lire à son tour le nom sur le mausolée et Dean passe une main dans sa nuque, un peu agacé.

—«Nous sommes au bon endroit mais ce n'est pas ce que j'ai vu sur internet. Ce truc est minuscule.»

—«Il est de belle taille comparé aux autres mausolées que nous avons vu sur le chemin», rétorque Sam en regardant alentour.

—«Tu sais ce que je veux dire, il n'a rien à voir avec l'espèce de temple à colonnes que je t'ai montré quand nous étions chez Rupert de Vernantes.»

Sam fronce les sourcils. Il sort son portable de la poche de sa veste et pianote rapidement dessus.

Dean attend impatiemment à côté de lui.

Ce n'est pas ce qu'ils cherchent.

Si Google Images l'a induit en erreur, c'est toute leur théorie qui s'effondre et la piste de Philippe Laveau qui se refroidit.

Ce caveau devant eux semble solidement bâti mais un pied de biche pourrait probablement fracturer l'entrée après un peu de travail, elle n'est constituée que de deux dalles superposées. D'un seul regard, le châtain voit déjà les faiblesses de la structure et donc l'endroit où il l'attaquerait pour ouvrir le mausolée. Oui, juste glisser le bout du pied de biche dans l'interstice entre les deux dalles dont le joint est un peu fragile. Exercer une pression forte et rapide sur le manche pour les séparer encore un peu et finalement les faire tomber. La porte n'est pas très haute, elle ne se briserait probablement pas en heurtant le petit parterre couvert de gravillon blanc devant; ce serait discret. Encore quelques minutes pour ouvrir le bon cercueil et arracher la chevalière. Tout replacer, l'air de rien. Philippe Laveau ne serait pas l'homme en possession de la chevalière de Joseph de Vernantes et la bague présentée au tribunal serait une copie. Ou pas. Ou –

Dean étouffe un juron entre ses dents serrées.

Merde, ça pourrait être n'importe qui.

Sam et lui auraient perdu cinq jours à traquer un fantôme qui n'était pas le bon.

Merde. Merde!

De rage, le châtain shoote dans un gros caillou posé au bord du chemin. Comme au ralenti, il le voit partir dans une direction parfaitement rectiligne puis heurter la cuisse de Sam. Son frère grogne de douleur et lui jette un regard mauvais. Dean lui répond de la même manière. Oui, il l'a fait, et alors?! Il a promis à Castiel qu'il travaillait dur, qu'il avait une piste et qu'il rentrerait bientôt à Butler. Tu parles. Si ça continue, il pourrait encore rester des semaines dans la moiteur étouffante de La Nouvelle-Orléans. Le châtain presse presque douloureusement ses doigts sur sa nuque. Il déteste mentir ou être pris à défaut et – bordel – il fait encore tellement putain de chaud dans cette foutue ville!

Dean repère un autre caillou sur le bord du chemin, plus gros encore que le premier mais Sam le fusille du regard.

—«Arrête de t'énerver, je pense savoir ce qu'il se passe.»

—«Il se passe qu'on fait encore fausse route.»

Le châtain grogne et son frère roule des yeux.

—«Nous n'avons pas complètement fait fausse route. Est-ce que tu te souviens du testament de Joseph de Vernantes? Il a demandé à être enterré avec sa chevalière. Il n'y a pas de place pour… quatre générations de la famille dans ce caveau», compte-t-il rapidement. «Le Saint-Louis No. 1 est le plus vieux cimetière de la ville, je pense que c'est la sépulture des générations les plus anciennes de la famille.»

—«Il y aurait un autre cimetière avec un autre caveau?», tente Dean avec espoir.

Sam hoche la tête et lui montre son portable.

—«C'est ce que je suis en train de chercher et je pense avoir trouvé. Le cimetière Saint-Louis No. 3 a été construit à partir de 1854 et les tombes sont un peu différentes. Elles sont plus richement décorées que celles-ci, probablement pour montrer la réussite et la fortune de ceux qui y étaient enterrés. Je pense que nous devrions trouver le mausolée en forme de temple là-bas. Cela me semble cohérent avec la nouvelle fortune des de Vernantes après la guerre de Sécession quand ils ont investi dans le développement du chemin de fer. Les photos des visiteurs sur Tripadvisor montrent des tombeaux qui m'évoquent plus ce que nous cherchons.»

Dean se penche pour regarder l'écran. Oui, c'est bien plus pertinent. Les tombes du cimetière où ils se trouvent ressemblent presque à des maisons de poupée à côté des énormes constructions qu'il aperçoit.

Le châtain acquiesce presque frénétiquement.

C'est même foutrement cohérent et Sam est un génie.

—«Où est ce cimetière?», demande-t-il avec empressement.

—«… À environ quatre kilomètres au nord, entre Bayou Saint-Jean et Fairground. Il faut reprendre l'Impala, on va mettre plus de cinquante minutes pour nous y rendre à pied sinon et la chaleur est insupportable.»

Dean. La vague de canicule touche à sa fin mais le temps est lourd et poisseux d'humidité. Même avec quelques degrés de moins, il sent que son tee-shirt colle à sa peau en sueur. Il n'a pas la moindre envie de marcher cinquante minutes sous un soleil de plomb alors vendu, même si cela signifie perdre sa magnifique et très protégée place de stationnement devant l'entrée du Saint-Louis No 1.

—«Puisque nous sommes là, arrêtons-nous voir la tombe de Marie Laveau avant de partir.»

Sam hoche la tête. Il range son portable, regarde rapidement autour de lui puis se dirige sans la moindre hésitation vers l'est. Le châtain enrage silencieusement. Il y arrivera aussi un jour, il se le promet. Il rejoint rapidement Sam.

Les deux frères redescendent Center Alley jusqu'à l'entrée, bifurquent à l'ouest sur Alley 1-L avant de remonter Basin Parallel sur quelques dizaines de mètres.

Dean roule des yeux. Quel détour alors qu'ils auraient pu couper à travers les tombes du côté de Conti Street. Foutues allées à sens unique.

Dans cette partie du cimetière, les caveaux sont plus modestes, tous construits selon le même modèle. Le châtain reconnaît immédiatement le nom de la célèbre mambo au premier regard.

Le caveau est un peu plus haut et aligne trois petites dalles superposées en façade. La pierre n'est pas particulièrement en bon état mais les ex-votos, les bougies à moitié fondues et les artefacts vaudou s'amoncellent devant elle sur le minuscule parterre délimité par des brisques, formant d'étranges pyramides d'objets hétéroclite. Des admirateurs et des croyants ont également déposé des bouquets de fleurs, des vraies terriblement fanées à cause de la chaleur. Une petite plaque métallique est fixée à sa gauche avec un court texte historique. La liste des membres de la famille Glapion enterrée dans le caveau est égrenée sur une dalle en marbre posée au sol. Le châtain se souvient qu'il s'agit du nom du deuxième époux de Marie, Christophe Louis Dumesnil de Glapion.

Les dalles sont couvertes de croix, gravées plus ou moins profondément. Certaines sont colorées. Sam, son portable à la main, a à nouveau les réponses. Si brillant Sammy et son si gros cerveau dans sa tête si chevelue.

—«Les gens gravent des croix sur le caveau pour que leurs vœux soient exaucés. Il a été restauré en 2014, c'est interdit depuis cette date au risque de recevoir une amende», explique-t-il en consultant son portable.

Dean ricane. Certaines croix gravées devant lui sont très récentes. Il jette un regard alentour.

—«Il n'y a personne ici à part nous. … Je nous vois mal attendre ici toute la journée en espérant croiser Elijah.»

—«Nous ne sommes même pas sensés être là. Le cimetière est uniquement ouvert aux touristes accompagnés par un guide ou aux passants ayant des proches enterrés ici», lui rappelle Sam.

—«Bordel, les gens sont vraiment prêts à visiter n'importe quoi…», grogne Dean en passant une main dans ses cheveux. «… Nous venons de très très loin, nous ne savons pas exactement où se trouve la tombe de notre très chère arrière-arrière-grand-tante Susan…»

Sam hausse un sourcil avant de sourire de connivence. Il range son portable. Marché conclu, c'est leur mensonge du jour. Le jeune homme regarde à son tour les alentours.

—«Tu as raison, il est inutile de rester plus longtemps. J'aimerais juste poser quelques questions au gardien avant de partir. Si Elijah Laporte est un visiteur aussi régulier que nous a dit Ferguson, il le connaît peut-être.»

Une nouvelle fois, les deux frères rebroussent chemin. Ils ont à peine regagné Alley 1-L qu'une voix un peu aiguë les interpelle vigoureusement depuis l'entrée du cimetière. Dean oublie son tee-shirt humide et prépare son plus beau sourire. Il perd toutefois un peu de sa superbe quand il remarque que la silhouette qui se rapproche rapidement d'eux est celle d'un tout jeune homme. L'air un peu ingrat, coiffé de cheveux partiellement décolorés, il porte d'épais gants de jardinage et flotte un peu dans sa combinaison de travail.

—«Qu'est-ce que vous faites ici? Vous êtes seuls? C'est interdit!»

—«Nous sommes venus nous recueillir sur la tombe d'un proche et nous avons voulu faire un peu de tourisme. Nous venons de Pittsburgh», dit Sam d'un air admirablement contrit.

—«Ah ouais? Ça doit être sympa d'habiter là-bas…»

Le jeune homme hausse un sourcil envieux et Dean contient son sourire moqueur. La Nouvelle-Orléans n'est pas exactement une bourgade – elle compte plus de trois cent mille habitants – et le châtain trouve la proximité du lac Pontchartrain plutôt sympa. Pour un jeune homme de tout juste vingt ans, la skyline de Financial District doit probablement être plus attirante que les maisons du XIXe siècle de French District.

Le gardien retire lentement ses gants, dardant sur eux ses yeux très noirs.

—«… C'est quoi le nom de famille?»

—«Dunkley, le caveau est sur Center Alley.»

Dean hoche la tête. Bien joué, Sammy. Il s'en souvient aussi parce que la tombe était très modeste – une sorte de gros coffre avec un toit triangulaire – et en mauvais état. La famille l'a probablement oublié, pas de danger donc.

—«Ouais, je vois. Si vous êtes venus entretenir la tombe ou déposer des fleurs, il y a des robinets et des arrosoirs à votre disposition à l'entrée de chaque allée. J'peux aussi vous prêter quelques outils si vous avez besoin.»

—«Nous n'étions pas certains de la trouver, nous sommes venus les mains vides. Les secrets de famille, vous voyez…», élude Sam en souriant avec tristesse.

—«C'est moche mais ouais, je vois bien. Désolé pour vous.»

Dean bondit sur l'occasion.

—«Quand nous avons fait nos recherches sur le cimetière Saint-Louis No. 1, nous avons vu la photo d'un mausolée très spectaculaire. Nous pensions pouvoir l'admirer aussi en venant ici mais nous ne l'avons pas trouvé.»

—«Montrez pour voir.»

Le châtain prend rapidement son portable et navigue dans sa galerie de téléchargement pour retrouver la photo vue sur Google Images.

Le jeune gardien se rapproche presque brusquement de lui et regarde par-dessus son épaule. Dean inspire légèrement et bloque sa respiration. Il émane de lui une terrible odeur de sueur, âcre et piquante qui lui retourne un peu l'estomac. Foutu métier à exercer pendant une foutue canicule, respect mec.

Quand le gardien se penche encore un peu plus vers lui, Dean est brave et ne s'écarte pas.

Avec l'habilité propre aux jeunes gens, il pose ses doigts sur l'écran – ses ongles sont noirs de crasse – et zoome sur la photo. Il fronce les yeux avant de claquer sa langue contre son palais de satisfaction et de s'éloigner. Dean retrouve une respiration normale. Respect – vraiment – mais il ne pouvait pas respirer avec le nez à côté de lui.

—«C'est pas étonnant que vous l'ayez pas trouvé ici, c'est trop gros pour le Saint-Louis No 1. Les mausolées pareils, ils sont tous à Saint-Louis No 3. C'est là que sont enterrés les richards.» Il renifle légèrement. «Cette espèce de temple néo-antique date de la fin du XIXe siècle, je suis sûr qu'il est là-bas.»

Dean le remercie poliment et le gardien semble un peu heureux. Foutu métier mal considéré aussi. Puisqu'ils sont dans ses bonnes grâces, autant pousser leur chance encore un peu.

—«Mon frère et moi nous avons visité le Vaudou Museum hier. C'était intéressant et nous avons vu un portrait de Marie Laveau. Elle –»

—«Ouais, elle est enterrée sur Alley 2-L dans le caveau de la famille Glapion. Vous pouvez pas manquer la tombe, il y a plein de bric-à-brac devant et des bougies fondue. Tout le monde sait que c'est interdit pourtant, on a mis des panneaux pour expliquer, mais les gens le font quand même. C'est une foutue plaie de nettoyer la cire de bougie sur la brique», le coupe le jeune homme.

—«Un gardien du musée nous a parlé d'un historien qui a écrit sur la famille Laveau et que nous pourrions peut-être croiser ici. Nous aurions bien aimé le rencontrer pour discuter un peu. Pour des citadins comme nous, tout ça est très exotique vous voyez», sourit Sam.

Le gardien roule des yeux et Dean ricane discrètement. D'accord, ils ressemblent à deux touristes de base ingrats mais c'est la meilleure manière de paraître le plus inoffensif possible. Inconsciemment, chacun méprise un peu les gens sur lesquels il pense posséder des connaissances supérieures. Le jeune homme est jeune mais c'est exactement ce que le châtain voit passer brièvement dans ses yeux noirs. Il est facile de flatter l'orgueil. Son vis-à-vis se rengorge un peu, les mains sur les hanches.

—«Je vois qu'une personne qui peut correspondre à cette description, c'est Elijah. Je connais pas son nom de famille mais je pense que c'est lui. Il vient au moins une fois par semaine et il va toujours voir la tombe Glapion», répond-il.

—«Je croyais que l'accès au cimetière était interdit aux visiteurs non accompagnés?», demande Dean l'air de rien.

Le gardien hausse les épaules, un sourire un peu gêné aux lèvres.

—«C'est vrai mais Elijah entretient bien la tombe. Je me plains de la cire qui coule sur la pierre mais vous pouvez pas imaginer tout ce que les gens laissent aussi comme cochonneries», grommelle-t-il avec une pointe d'agacement. «… Il est cool, il vient toujours me dire bonjour et quand il fait chaud comme aujourd'hui, il m'apporte une bouteille d'eau fraîche et des trucs à grignoter aussi alors je laisse faire. … Vous le direz pas, hein?»

Le jeune homme a soudain l'air très jeune et Dean sourit d'un air de connivence. Ils échangent un regard entendu – un de ces regards qui scelle un accord silencieux entre deux hommes dans un western – et son interlocuteur rit légèrement. Il triture machinalement le bout de son gant de jardinage, le châtain remarque qu'il y a un trou au pouce droit et que la couture commence à se défaire.

—«… Si vous voulez, vous pouvez me laisser un numéro de portable. Je vous appelerai si Elijah vient aujourd'hui mais seulement aujourd'hui. Je suis de repos demain et Joël ne sera pas aussi sympa. C'est mon supérieur et il est très à cheval sur le règlement», propose-t-il lentement.

—«Merci beaucoup, ce sera parfait», acquiesce Sam.

Les deux frères notent rapidement leurs numéros sur un morceau de papier arraché aux dernières pages de leur carnet. Le gardien l'enfonce dans la poche pectorale de sa combinaison de travail sans un regard. Un peu inquiet, Dean espère que l'encre survivra à sa transpiration pendant sa journée de travail, il n'est que onze heures trente.

—«Je vous appelle si je le vois. J'm'appelle Jacob», répète le jeune homme en palpant machinalement sa poche.

Dean et Sam le remercient chaleureusement, le complimentent sur la bonne tenue du cimetière – la tombe de Marie Laveau est une exception – et s'en vont, raccompagnés poliment par Jacob jusqu'à la grille. Sur Conti Street, le bruit de leurs pas résonne sur le macadam tandis qu'ils rejoignent l'Impala.

Le châtain jette un regard à sa montre. Onze heures quarante. Il a chaud, il en a assez de ces contre-temps, de toujours faire un pas en avant puis deux en arrière.

Il se jette presque derrière le volant et démarre le moteur d'un tour de clé brutal. L'Impala jaillit presque de sa place de stationnement. Dean redescend Conti Street pour emprunter S Rampart Street, gagner Canal Street et le nord-est de la ville. Le cimetière Saint-Louis No. 3 est à moins de dix minutes en voiture. Il regrette qu'il ne soit pas plus loin pour ruminer encore un peu sa frustration.

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Butler, Pennsylvanie, vendredi 20 octobre


Quand Castiel se réveille, il a le corps lourd et l'esprit un peu groggy.

Il n'a pas mal, il se sent juste… alangui.

Le jeune homme s'étire dans un soupir de plaisir puis roule paresseusement sur le flanc. Il tend une main hors du drap et tourne son réveil pour lire l'heure. Onze heures passées, cela explique la lumière qui entre à flot dans la chambre malgré les rideaux partiellement tirés.

Le brun esquisse une petite moue. Il n'a pas dormi aussi tard depuis longtemps. Ni aussi bien…

Castiel roule à nouveau sur le dos et enfonce voluptueusement sa tête dans son oreiller.

Il effleure distraitement son visage du bout des doigts puis son cou. Il suit un tendon – il ne s'attarde pas sur le fait qu'il est sans doute trop saillant – jusqu'à son torse nu. S'est-il couché à demi-nu hier? Peut-être. Il ne s'en souvient pas.

Le jeune homme retrace inconsciemment le dessin des côtes puis continue sa course jusqu'à son ventre. Un frisson remonte le long de son dos quand il effleure la peau fine de son bas-ventre.

Ses doigts s'égarent à la lisière de son pantalon de nuit, jouent un instant avec. Puis en dessous.

Castiel inspire doucement quand il sent les boucles de son pubis. Il les y frotte doucement, les plonge dans les poils soyeux.

Un autre frisson le parcourt, plus puissant.

C'est donc ça? Cette sensation qui étreint son corps et qui l'a réveillé? Le plaisir. Le désir.

Son pouce effleure à peine la base de son sexe et le brun se cambre légèrement. Son dos se soulève du matelas en un arc sensuel.

Castiel cligne des yeux, un peu interdit.

Il a une érection.

Elle n'est pas la plus flamboyante de ses excitations depuis qu'il est en âge d'en avoir mais ça remue quand même quelque chose dans son ventre; dans son aine et dans ses reins, loin, très loin en lui.

Le brun ferme les yeux, hésite un instant avant de commencer à se caresser. La sensation fait courir des étincelles le long de sa colonne vertébrale. Sa chair est brûlante, elle se réveille lentement et palpite dans sa paume. Si vivante. Castiel a l'impression de retrouver des stimuli familiers, quelque chose de récent peut-être éprouvé la nuit passée. Il ne sait pas.

Le brun siffle doucement de plaisir entre ses dents tandis que son sexe se dresse lentement sur son bas-ventre.

Malgré ses mouvements lents – un peu maladroits aussi car cela fait si longtemps qu'il ne s'est pas touché, trop de fatigue – Castiel voit son excitation poindre sous son pantalon de nuit. Le gland rougeâtre darde sous la couture et cette vision lui donne chaud.

Est-ce que cela fait de lui quelqu'un de narcissique de réagir à la vue de son propre corps?

… Qu'est-ce que Dean penserait de lui s'il le voyait? Debout dans l'embrasure de la porte. Ou assis sur le matelas à côté de lui. Si près de lui que Castiel pourrait enrouler ses doigts autour de son poignet dans un spasme de plaisir. Oh. Oh.

Le brun a chaud, plus chaud.

Son sexe pulse dans sa paume.

Il ferme les yeux plus forts et se mord les lèvres.

Dean.

Son sourire en coin à la commissure de ses lèvres. Et – oh – ses lèvres, si pulpeuses, avec un arc de Cupidon parfait que depuis le début il a envie de sentir sous la pulpe de ses doigts. Et s'il les embrassait une fois, juste pour voir? Un simple contact lèvres contre lèvres, presque quelque chose d'enfantin comme la première fois qu'il a embrassé un garçon en dernière année d'école primaire.

Dean est si beau, probablement le plus bel homme qu'il a jamais fréquenté. Amicalement ou à peu près. Il lui plaît vraiment sinon Castiel n'aurait pas les mains un peu moites quand il entend sa visite, il ne prêterait pas une si grande attention aux habits qu'il porte et il ne rougirait pas comme un adolescent.

Si beau.

Habillé, à moitié dénudé ou complètement nu.

À côté de lui. Contre lui.

Le brun se lèche les lèvres, le désir enfle lentement dans son ventre comme une vague brûlante.

Il est certain que le sexe que Dean est beau aussi, niché dans une toison bouclée et dorée de la même couleur que ses cheveux. Peut-être même a-t-il des taches de rousseur sur le bas-ventre.

Oh Seigneur, Castiel a envie de lui.

C'est mal de fantasmer.

Rêver de faire l'amour avec Hugh Jackmann ou Bradley Cooper ne comptent pas vraiment, c'est juste impossible. Mais Dean… Il connaît Dean, un petit peu. Il sait qu'il aime comme lui les tartes aux cerises, qu'il adore taquiner son cadet et qu'il est très fier de sa voiture. Les deux hommes ne sont pas inconnus et c'est pour cette raison que ce serait très impoli de l'utiliser de cette manière.

Même quand il était à l'université et qu'il partageait sa chambre avec ce garçon en cursus d'histoire pour lequel Castiel aurait fait n'importe quoi, il ne s'était jamais touché en pensant à lui. Ce n'est pas respectueux mais… c'est Dean. Et Dean bouleverse beaucoup de choses en lui, plus que Hugh Jackmann, Bradley Cooper et Ashton Kutcher réunis. Plus qu'Oliver même s'il avait été son compagnon pendant quatre ans.

Castiel ondule voluptueusement de plaisir sur le matelas.

… Ça ne serait qu'un égarement de quelques minutes – et encore s'il se montre vraiment performant – et les choses sont si claires dans son esprit.

Dean assis sur le matelas à côté de lui, une jambe repliée sous ses fesses et un sourire malicieux aux lèvres.

Ses yeux verts le transpercent. Ils ne voient que lui. Ils lui font l'amour.

La moue qui ourle ses lèvres est irrésistible.

«Castiel

Le brun a si chaud.

C'est facile d'imaginer Dean, tellement facile. Aussi facile que de se laisser aller à faire l'amour avec lui.

Son esprit est encore un peu embrouillé par le sommeil mais le brun se souvient qu'il a déjà fait un rêve érotique avec le jeune homme pendant la nuit.

Ce matin, c'est son érection matinale, son corps sensible qui appellent à nouveau leur étreinte.

Il a à nouveau envie de lui et cette seule idée l'emplit d'une assurance qu'il avait un peu oublié posséder. Il est maître de son corps et de ses désirs. C'est bon d'avoir à nouveau le contrôle.

Peu importe le relief un peu trop prononcé de ses côtes ou sa peau trop blanche, Dean l'aime comme il est. Il le lui a dit tandis qu'il ondulait fougueusement contre lui. En lui.

Castiel frissonne.

Il se caresse avec application, savourant le contact de ses doigts sur sa verge brûlante qui palpite dans sa paume. Il a le temps. Il se sent vivant et il veut que ça dure, longtemps. Il veut que Dean reste avec lui dans ses songes.

Le jeune homme rejette les draps, pose ses pieds à plat sur le matelas et écarte légèrement les cuisses pour être à l'aise. C'est tellement bon.

Sa prise est peut-être un peu sèche, son sexe pas assez humide. Il hésite à sortir le lubrifiant qu'il garde dans le tiroir de sa table de chevet pour s'aider.

Le lubrifiant.

Castiel pose un bras sur ses yeux et étouffe un rire gêné contre son biceps un peu trop fin.

Dean a trouvé le vieux coffret à bijoux dans ce même tiroir, il a forcément vu le tube, le paquet de préservatifs et le sextoy que le brun a apporté avec lui depuis New York. S'il n'était pas aussi fatigué, il aurait sans doute réalisé plus tôt. Cette constatation le frappe soudain avec la force d'un train lancé à pleine vitesse et il rit sans pouvoir s'empêcher. Dean a vu ce truc. Le châtain a pourtant été parfait, aucune parole déplacée, aucun sourire entendu ni de rire viril sonnant comme un signe de connivence entre deux hommes. Je sais. Je sais que tu sais. Nous savons tous les deux. Ce n'est pas grave, nous n'avons pas besoin d'en parler. C'est important de s'amuser et d'avoir une vie sexuelle épanouie. C'est cool Cas. Petit clin d'œil métaphorique, peut-être une tape amicale sur son épaule. Castiel ne sait pas si Dean formulerait ça exactement de cette manière. Son assurance tranquille serait sexy mais sa légère gêne et ses oreilles rouges seraient touchantes. Mince, c'est vraiment gênant; aussi gênant que le jour où sa mère avait trouvé ses magazines un peu chauds cachés sous son matelas dans la maison familiale. Ou que Gabriel l'avait surpris à cette soirée étudiante en train d'embrasser assez chaudement cet étudiant suédois transféré pour un semestre, le brun assis sur ses cuisses et la main de Jan Hiddleson déjà plongé dans son pantalon pour lui agripper les fesses.

Le brun grimace. Trop sensible. Il récupère le lubrifiant puis reprend ses caresses.

Il veut jouir, il veut que Dean continue à lui faire l'amour avec ses mains.

Castiel prend lentement son sexe à deux mains – précautionneusement – pour savourer la nouvelle sensation, le glissement sur son érection. Le glissement parfait. Ces caresses font un petit bruit un peu humide, quelque chose de vraiment indécent mais qui vrille délicieusement son ventre.

Le jeune homme cambre les reins contre le matelas.

—«… Dean… Dean…»

Il ferme les yeux plus fort que jamais. Il ne devrait pas aller aussi loin dans ces fantasmes mais il y a ce bruit qui remplit la chambre, ce chuintement mouillé…

Castiel rougit un peu.

Dean parsème son torse de baisers en un chemin parfait jusqu'à son sexe. Il embrasse malicieusement le gland avant de le lécher. Ses lèvres si belles autour de lui. Oh… Ooohh. Sa main caresse tendrement ses testicules tendus avant d'aller effleurer malicieusement la peau si fine de son périnée.

Le brun halète durement.

«Cas… Viens. Jouis pour moi.»

Il dodeline de la tête.

Encore une légère pression de ses doigts autour de son érection, la boule dans son aine grossit, grossit jusqu'à exploser.

Castiel se mord vigoureusement les joues pour ne pas gémir trop fort mais il entend son plaisir et un long frisson voluptueux remonte le long de son dos. Avec son corps maladif, il avait oublié combien il aimait ça. Le sexe. Faire l'amour. Aimer un autre corps et qu'un autre corps l'aime aussi.

Il effleure sa nuque du bout des doigts, repense brièvement à cette marque de morsure qui a tout déclenché.

C'était différent.

Une illusion.

Il lui fait du mal. Il lui chante des mots d'amour mais Il ne l'aime pas. … Il n'est pas Dean non plus.

Le brun laisse retomber ses jambes sur le matelas. Il s'étale, le souffle court et son torse se soulevant follement. Dean est un amant remarquable.

Castiel joue distraitement avec la médaille accrochée autour de son cou et brusquement, il la porte à ses lèvres pour l'embrasser.

Il est heureux. Confiant.

Cette chose qui lui veut du mal, le châtain va la trouver et l'anéantir pour lui et le brun aura terriblement envie d'embrasser Dean pour le remercier.

Le jeune homme essuie sa main souillée dans les draps et balance mollement ses jambes sur le bord du matelas pour se redresser. Il est fort, il ne va pas le décevoir et il va se battre en attendant son retour et celui de Sam. Il hoche la tête et se hisse d'un geste volontaire pour gagner la salle de bain.

Oui, ça va être une bonne journée; c'est ce que Castiel décide et il est encore plein de ces solides résolutions quand il descend dans la cuisine une fois rafraîchi et habillé.

Affamé, il se prépare un brunch copieux.

Le brun jette un regard à ses placards puis au frigo et commence à dresser mentalement une liste de courses. Le toaster bipe à côté de lui et ses tranches de pain sautent joyeusement, parfaitement grillées. Il hausse les épaules. Il s'en occupera plus tard, après avoir mangé ces délicieuses tartines et but un grand café même si cela lui donne parfois des palpitations. Le jeune homme décide d'en faire fi parce qu'aujourd'hui, rien de mauvais ne peut lui arriver.

Il prépare un grand plateau et va s'installer dans le jardin d'hiver. La journée est belle, le brun ouvre la porte vitrée la plus proche et tire un fauteuil en rotin à côté dans une nappe de soleil avant de s'installer avec plaisir. Il mange avec appétit.

Castiel s'essuie la bouche et croise les mains sur son ventre avec contentement. Il s'octroie un moment de calme, son livre en cours de lecture posé sur le guéridon. Juste encore quelques pages, un chapitre puis un deuxième, avant de prendre son portable et un petit bloc-notes comme il y en a tant qui traînent dans la maison. Il commence à rédiger sa liste de courses avec application et mordille le bout de son stylo. Il y a des choses qu'il ne trouvera qu'au grand supermarché Giant Eagle dans la banlieue de Butler, il doit demander à Carol quand son amie compte s'y rendre pour se joindre à elle. Le jeune homme jette un regard à sa montre bracelet, il peut appeler sans craindre de la déranger. Il compose le numéro de la jeune femme. L'appareil sonne si longtemps dans le vide que le brun pense un instant la manquer mais il reconnaît enfin le déclic familier.

—«… Cassie?»

Il fronce les sourcils. La voix de Carol est faible, éteinte. Il sent son ventre se tordre douloureusement et le soleil qui envahissait métaphoriquement la maison depuis le début de la matinée s'assombrit brusquement.

—«Est-ce que tout va bien, Carol?», demande-t-il en se redressant dans son fauteuil.

Seul un silence lui répond, long et inquiétant. Castiel crispe ses doigts sur l'accoudoir.

—«Carol? S'il te plaît…»

—«… Tom est au service pédiatrique du Butler Memorial Hospital. Nous l'avons amené hier dans la soirée.»

—«Quoi? Qu'est-ce que –»

—«Son état ne s'est pas amélioré après être rentré, nous avons préféré l'amener aux urgences. Il était déshydraté mais il va mieux maintenant. Nous pourrons probablement aller le chercher ce soir. … Il a demandé à manger des tartines au beurre de cacahuète quand je suis allé lui rendre visite ce matin alors c'est qu'il va vraiment mieux, n'est-ce pas?»

Son amie rit mais ça résonne presque douloureusement dans le combiné.

Castiel passe une main fébrile dans ses cheveux. … Est-ce Lui qui a fait ça? Est-ce Sa faute?

Une goutte de sueur glacée coule le long de son dos, un frisson qui n'a plus rien de plaisant.

—«Je suis désolée, j'ai oublié de t'en parler mais la nuit a été difficile…»

—«Ce n'est rien Carol.» Il gratte la toile de son pantalon d'un ongle. «Peux-tu me dire quand il sera rentré? Je pourrais peut-être lui rendre visite et lui apporter ce livre sur les monnaies anciennes qu'on regardait ensemble hier.»

Nouveau silence. Plus long encore que le premier. Castiel déglutit difficilement. Le pain grillé et tartiné pèse lourd dans son estomac.

—«… Je pense qu'il serait préférable que tu ne viennes pas. Tom a eu très peur et les médecins ne comprennent pas réellement ce qui lui est arrivé, personne ne comprend… Si tu l'avais vu, il était tellement pâle, il avait les lèvres bleues et il n'arrêtait pas de vomir. Il est encore sous perfusion et il fait des cauchemars. … Il rêve de toi parfois. Je ne pense pas qu'il ait envie de te voir pour le moment, tu comprends?»

—«Bien sûr. Je ne veux pas le mettre mal à l'aise.»

Le brun acquiesce un peu ridiculement dans la pièce vide. Il veut avoir l'air rassurant, confiant, mais il entend que sa voix a une sorte de ratée un peu ridicule. Comme un couinement étranglé. Tom a peur de lui? Ils riaient si bien ensemble hier et le petit garçon le regardait avec admiration tandis qu'il lui apprenait à lire son beau dollar Morgan.

Son amie souffle un remerciement étranglé, elle se confond en excuses mais ça ne l'apaise pas. Tom a peur de lui. Sa belle journée n'est plus qu'un souvenir.

La jeune femme se racle la gorge.

—«Est-ce que tu appelais pour me demander quelque chose?»

—«… Oui mais ce n'est pas très important. Nous ne parlerons plus tard.»

—«Dis-le-moi, nous sommes au téléphone.»

Le brun esquisse un sourire timide.

—«Je souhaiterais me joindre à toi la prochaine fois que tu iras chez Giant Eagle, j'ai des courses à faire.»

—«Tu appelles à point nommé, j'ai prévu de m'y rendre demain. Tu peux être à la maison vers dix-huit heures?»

—«Bien sûr.» Il se mord les joues. «Est-ce que tu veux bien transmettre mes vœux de bon rétablissement à Tom s'il te plaît?»

Carol rit malicieusement.

—«Je suis sûr qu'il t'en sera fort reconnaissant. (…) Tom n'a que onze ans, c'est encore un petit garçon et il est parfois impressionnable. Ne le prends pas personnellement, d'accord?»

—«Je sais. Bonne journée Carol», répond doucement le brun.

—«Bonne journée Cassie. Je t'embrasse.»

Le jeune homme raccroche. Il n'a pas susceptible mais les mots peuvent blesser.

Le brun joue nerveusement avec sa chaîne et sa médaille.

Une brise fraîche souffle par la porte vitrée ouverte, il n'y a plus de soleil dans le jardin d'hiver.

Castiel frissonne désagréablement et ramène lentement son plateau vide dans la cuisine. Il fait consciencieusement sa vaisselle, l'essuie et la range avec soin. Il nettoie ensuite le plan de travail et s'attelle à la rédaction de sa liste de courses, soigneusement ordonnée par rayon.

Le brun regarde l'horloge murale pendue sur le mur en face de lui.

Il pourrait appeler Dean. Il a envie de lui parler. Il a envie de l'entendre pour que sa journée redevienne belle et positive. La culpabilité l'étrangle même s'il n'est en rien responsable de l'hospitalisation de Tom. Pas lui.

Il se frotte distraitement le ventre du plat de la main. Son excellent brunch le rend un peu nauséeux, entendre Dean pourrait conjurer le sort et rendre les choses meilleures. C'est son super pouvoir après tout.

Castiel vérifie une nouvelle fois l'heure, considère que c'est poliment acceptable de prendre l'initiative alors il s'installe dans le salon bleu, les jambes croisées devant lui. Il compose le numéro du châtain et se demande depuis quand exactement il le connaît par cœur alors que sa mémoire des chiffres ne dépassent pas celle de la datation des objets d'art de sa collection et leurs prix.

Juste deux sonneries et Dean décroche.

Le brun souffle de soulagement, il n'a pas conscience d'avoir retenu sa respiration.

—«Cas?»

Le jeune homme déglutit légèrement. Sa voix. Elle semble plus grave qu'hier mais ce doit être un simple effet à travers le combiné. Il serre distraitement ses cuisses l'une contre l'autre. … C'est de cette manière qu'il l'imaginait chuchoter à son oreille avant de mordiller son lobe.

Castiel ferme les yeux tandis qu'il écoute sa respiration à son oreille. Comme si Dean était avec lui, dans son lit et que –

—«Cas? Est-ce que tout va bien?»

Il rouvre les paupières et rougit légèrement.

—«Hello Dean. Je venais juste aux nouvelles.»

—«Oh… Ouais.»

Castiel se raidit légèrement. Pourquoi le châtain semble-t-il gêné? Est-ce qu'il n'appelle pas au bon moment? C'est pourtant l'heure du déjeuner et il sait combien c'est un moment important pour Dean. Il ne devrait pas y avoir de problème, n'est-ce pas?

—«…Est-ce que les choses ne se déroulent passent comme tu veux? Il fait toujours aussi chaud?», tente-t-il prudemment.

—«Les températures ont quelque chose de tropical depuis hier. Il fait moins chaud mais l'air est saturé d'humidité. Les cheveux de Sam gonflent et ils ondulent… C'est assez distrayant à voir.»

Le brun sourit et cale confortablement ses reins contre le dossier du canapé. Il entend Sam grommeler dans le lointain puis les deux frères se chamailler légèrement. C'est exactement ce qu'il avait besoin d'entendre pour se sentir mieux.

—«Est-ce que tu l'entends Cas? Il râle parce que son brushing est foutu. C'est hilarant.»

Castiel est un homme empathique alors même s'il a les cheveux courts et raides depuis toujours, il compatit gentiment avec Sam. Dean rit joyeusement à son oreille, la situation semble le rendre particulièrement hilare et le brun a un peu moins froid. Il note surtout que la voix du jeune homme est décidément plus rauque que d'habitude. Plus grave aussi… Castiel enroule son doigt dans la chaîne de sa médaille.

—«Est-ce que la climatisation de votre chambre a été réparée?»

—«Tu te souviens de ça? Oui, le technicien est passé hier et Sam dort à nouveau comme un gros bébé. En attendant, nous avons passé beaucoup de temps dans la cour intérieure de l'hôtel. Il y a de grandes plantes en pot et dès qu'il y a un peu d'air, tu as l'impression qu'il fait moins chaud. Est-ce que tu veux que Sam t'envoie une photo?»

—«Oui, avec plaisir.»

—«Tu as entendu Sammy? Tu peux faire ça pour Cas?»

—«J'ai entendu. Tu cries dans ton portable comme si vous discutiez grâce à deux boîtes de conserve reliées par une ficelle… Bon sang, quel âge as-tu ?!»

Le brun rit.

Son portable bipe, il l'éloigne pour ouvrir sa messagerie. Un clic supplémentaire et il affiche la photo en plein écran. L'hôtel où sont descendus les deux frères semble être un bel endroit, Castiel reconnaît immédiatement l'architecture caractéristique de la Louisiane avec ses balcons ouvragés et ses façades de couleur. La cour pavée a été meublée avec des éléments plus contemporains, des fauteuils bas ou de confortables banquettes. Comme celle sur laquelle Dean est assis, entouré par deux filles très proches de lui. Le brun déglutit. Oh.

—«Tu l'as reçu? Chouette endroit, pas vrai?»

—«… Oui», croasse un peu le brun.

—«Attends, Sam va t'en envoyer une autre. Il y a une fontaine contre un mur, un truc ancien avec des espèces de dauphins sculptés. Je pense que ça devrait te plaire. Sammy? Tu le fais s'il te plaît?»

Son portable sonne à nouveau après quelques secondes.

Castiel esquisse un petit sourire.

C'est une vidéo. Elle a été bien prise, le cadrage est soigné et le brun ignore si le jeu d'ombres et de lumières est voulu mais il est réussi.

Il plisse légèrement les yeux. Dean a raison, c'est une belle fontaine. Elle date probablement de la fin du XIXe siècle. L'image tremble un peu tandis que Sam filme lentement l'intérieur de la cour en tournant sur lui-même. Elle est agréablement ombragée et le brun entend le glougloutement discret de l'eau qui tombe dans la grande vasque sculptée. L'ensemble a presque un petit air d'Italie en Louisiane. C'est beau, ça lui donne envie quitter à son tour Butler pour quelques jours. Il pourrait aller manger un gumbo avec Dean. Un soir, rendus un peu joyeux par un bon vin bu dans un bar sympa, ils pourraient…

Castiel fronce les sourcils, son ventre se tord désagréablement.

Dean apparaît soudain à l'écran. Il n'est pas seul. Une jeune femme court vêtu le tient par la taille. Ils posent ensemble devant un grand palmier dans un pot en faïence vernissée tandis qu'une autre femme devant eux semble les prendre en photo. Ce sont les femmes qui l'entouraient un peu plus tôt. Ah.

—«Alors?»

—«… Sam m'a envoyé une vidéo», lui répond le brun.

—«Ah bon? Quand est-ce que tu as fait une vidéo de la cour, Sam?»

—«Hier soir. Maman m'a demandé de lui envoyer, tu sais qu'elle veut refaire la terrasse du jardin et elle cherche des idées.»

—«Oh, tu es trop mignon. (Il ricane.) Qu'est-ce que tu en penses Cas?»

—«Je doute que tu ne me demandes mon avis à propos de l'initiative de ton frère alors je dirais que tu as raison, c'est un chouette endroit…»

Dean rit joyeusement mais Castiel esquisse un sourire un peu tordu. Oui, un chouette endroit…

—«Et encore, tu ne l'as pas vu quand la cour est illuminée la nuit. Il y a des guirlandes et des lampions accrochées partout. L'effet est vraiment sympa, on a croisé plein de couples au bar avec Sam.»

Nouveau rire, plus malicieux encore. Le brun songe avec une pointe de tristesse à ce cocktail qu'il imaginait aussi partagé dans un bar avec une décoration semblable.

Il se racle légèrement la gorge.

—«Est-ce que vous avez fait des rencontres?», demande-t-il dans un souffle.

—«Des tas! Beaucoup de gens nous ont aidé pour ton affaire. On attend un appel du gardien du cimetière Saint-Louis No 1 pour rencontrer quelqu'un cet après-midi.»

Castiel gratte son pantalon. Grat grat grat. La toile racle sous son ongle, une sorte de crissement un peu aigu. Dean ne parle pas de ces filles alors tout va bien, n'est-ce pas? Le châtain échange à nouveau quelques mots avec Sam avant de rire à nouveau.

—«Tu ne parlais pas l'affaire, c'est ça?»

Le jeune homme hausse légèrement les épaules dans son salon vide. Il ne veut pas le dire.

—«Tu as vu les deux filles dans la vidéo. C'est une histoire drôle, je vais te raconter. La brune a voulu prendre une photo avec moi, elle m'a affirmé que je ressemble comme deux gouttes d'eux à un journaliste de WWL-TV. C'est la classe, non?»

Ah.

Castiel frotte plus fort sa cuisse de son ongle. Grat grat grat grat grat grat. Il a déjà pris des photos avec des célébrités quand il travaillait à New York, lors de réceptions organisées dans les grands musées de la ville ou aux vernissages des expositions de sa propre galerie. Il y a eu cette fois où il s'était retrouvé nez à nez avec Chris Asher Collins, un de ses fantasmes d'adolescent. Accompagné de son épouse, une femme délicieuse passionnée par l'art japonais, l'ancien acteur portait encore beau. Le brun avait été très heureux de prendre une photo avec lui mais il ne se tenait pas aussi prêt de son béguin de quatorze ans comme cette fille le faisait avec Dean. Il n'est pas un grand séducteur mais il sait reconnaître de la drague pure et dure quand il la voit.

Il hoche lentement la tête.

—«… C'est vrai.»

—«Imagine donc, j'ai un faux jumeau ici qui fait de la télé! Ça me rappelle… Il y a cinq ans, on a aidé une journaliste d'un petit journal local en Alabama qui avait été envoûtée par une collaboratrice jalouse pour lui porter malheur. C'était une sombre histoire de rancœur et de vengeance; bref, on l'a aidé. Avant notre départ, elle a été très intéressée à l'idée de faire un reportage sur Sam et moi dans le premier rôle.»

Sam ricane bruyamment dans le combiné.

—«Elle était surtout très intéressée par le fait de discuter de tout cela avec toi lors d'un dîner en tête-à-tête auquel je n'aurai jamais été convié. Elle aurait probablement commandé une séance photo dans un lieu à moitié abandonné où tu aurais chassé les fantômes torse-nu et sale comme un charbonnier.

—«Et j'aurai été vraiment bon à ça! Ne sois pas jaloux Sammy, tu aurais fait un super acolyte de l'ombre.»

—«Jerk.»

—«Bitch.»

Les deux frères rient en cœur. Castiel n'en a pas très envie et il a un peu froid.

Grat grat grat grat grat grat grat grat grat.

Son geste devient un peu frénétique. Le brun sent sa peau chauffer doucement sur son ongle qui va et vient de plus en plus vite, de plus en plus fort sur sa cuisse.

—«Je suis incroyablement photogénique Sam!»

—«C'est vrai», répète-t-il un peu stupidement.

—«Ah! Tu entends ça? Cas est d'accord!»

Castiel se racle la gorge.

—«Donc tu as pris une photo avec elle?», reprend-il doucement.

—«S'il n'y en avait eu qu'une seule… Elles n'ont pas voulu me lâcher de la soirée! Les filles de La Nouvelle-Orléans sont très entreprenantes et décidées tu sais.»

Non. Contrairement à Dean qui semble assez au fait de la chose, Castiel ne sait pas et il se mord les joues.

Le brun passe la main dans ses cheveux puis crochètent ses doigts sur sa nuque. Il serre, enfonce ses ongles dans sa peau.

Alors c'est ça? La réponse aux questions un peu timides qu'il se pose depuis des jours?

Dean et lui dans un bar ou un restaurant pour aller manger quelque chose? Oui, c'est possible. Mais uniquement comme deux amis, rien de plus. … Rien de plus.

Il déglutit désagréablement. Lui ne regarde pas les femmes, il ne l'a jamais fait et il ne le fera jamais. Le châtain ne le regardera jamais non plus de cette manière. Non pas qu'il se soit imaginé une vie à deux faite d'amour et d'eau fraîche – il ne connaît Dean que depuis quinze jours – mais ça fait quand même un peu mal. Mal tout court. Il faisait encore l'amour avec Dean le matin même, il se sentait beau et désirable. Maintenant, ces rêveries un peu tendres le font juste se sentir misérable et petit, si petit…

—«Cas? Est-ce que tu es toujours là?»

—«Oui. Excuse-moi, j'étais perdu dans mes pensées», répond-il se frottant rapidement les yeux.

Dean rit. Ça ne réchauffe plus grand-chose dans sa poitrine. Castiel se recroqueville même un peu sur lui-même. Si petit, petit, petit…

—«… Elles sont belles mais les mecs aussi. La Nouvelle-Orléans est vraiment une ville sympa, je pense qu'elle te plairait beaucoup.»

Le brun suppose que l'allusion aux hommes est faite à son intention, Dean sait qu'il est gay. Bon sang ce qu'il peut s'en moquer. Ça fait juste mal. Il enfonce plus fort ses ongles dans sa nuque. Il sent à peine la douleur tandis qu'il martyrise sa chair. Dean lui plaisait tellement. Tellement.

—«Cas?»

—«Je suis là, je t'ai entendu», répond le brun d'un ton sec. «Je connais déjà La Nouvelle-Orléans, j'y suis allé pendant quelques jours avec Oliver il y a deux ans.»

—«Qui donc?»

—«Oliver, mon compagnon quand j'habitais à New York. On a logé pendant quelques jours dans un superbe hôtel de French District.»

—«… Vous logiez à la Maison Metier?»

—«Oui, c'est ça.»

Castiel babille. Le mensonge est affreux – il ne sait même pas à quoi ressemble la Maison Metier – mais Dean ne peut pas le savoir. Le brun n'a jamais mis les pieds en Louisiane non plus, Gabriel et lui s'étaient répartis la chasse aux antiquités et la gestion de leur portefeuille de clients par État. Que cherche-t-il à faire croire à Dean concernant sa relation avec Oliver? De toute manière, le jeune homme ne le regarde pas comme ça alors quelle importance. C'est juste pathétique.

—«C'est un hôtel très classieux Cas, c'était vraiment sérieux entre vous.»

—«Nous avons été ensemble pendant quatre ans. Oliver a parlé mariage à un moment.»

—«… Woh, c'est impressionnant.»

Dean rit d'un ton un peu grinçant et crispé. Castiel l'entend mais il n'y prête pas attention. Il veut juste raccrocher et passer à autre chose. Merde, tellement misérable.

Le châtain échange quelques mots avec Sam, son ton aussi est un peu tranchant, mais quelle importance. Castiel doute que ce soit son histoire avec son ex qui puisse l'agacer. Dean n'a aucune raison de l'être après tout, il ressemble à un journaliste télé et il a deux jeunes femmes à ses bras.

—«… Est-ce que je peux te rappeler ce soir pour te dire ce qu'à donner notre journée?»

—«Si tu veux. Si je suis occupé et que je ne décroche pas, tu peux laisser un message.»

—«… D'accord.»

C'est moche et la douleur le rend méchant. Castiel a honte. Si Gabriel l'entendait, il lui dirait qu'il est ridicule et puéril; des termes que son meilleur ami n'aurait jamais utilisé pour le décrire. La satisfaction de prendre Dean de court et de lui parler d'un autre homme – d'un homme qui a été important pour lui – est toutefois infime. Le brun ne se sent pas mieux, juste médiocre mais franchement pitoyable.

—«Bonne journée Cas. Prends soin de toi.»

—«Vous aussi Dean.»

Cette fois, c'est vraiment sa dernière revanche sur les amours louisianais du châtain. Aucun mot juste pour lui comme il le fait d'habitude – il apprécie Sam mais Dean est… Dean – il se contente d'un salut vague englobant les deux frères.

Dean n'ajoute rien.

Castiel non plus.

—«Tu es un idiot Dean.»

—«Tais-toi.»

—«Comment tu peux être aussi maladroit alors que Castiel te –»

—«La ferme Sam. Franchement, ferme-la!»

Les deux frères se chamaillent une fraction de seconde avant que la communication ne soit brutalement interrompue.

Castiel repose lentement son portable sur la table basse devant lui, tire nerveusement sur ses manches avant de soupirer. Il s'appuie à deux mains sur le canapé pour se hisser puis monte l'escalier en traînant un peu des pieds.

Le brun prend à gauche sur le palier, dépasse les chambres d'amis pour gagner son bureau. Il s'installe sans un mot derrière son ordinateur de travail qu'il allume, toujours en silence.

Le fond d'écran de son bureau s'affiche, une photo d'un très beau tableau qu'il a découvert dans un immeuble du quartier de Brooklyn à New York, sollicité par les propriétaires curieux qui débarrassaient leur cave. Il esquisse un sourire aigre et commence à consulter sa messagerie professionnelle. Le travail. Le travail est une bonne chose pour se distraire; c'est une chose utile pour se changer les idées parce qu'il aime son métier, il aime le beau et l'histoire. Pour oublier quand il ne va pas bien.

Il n'a toujours pas de réponse de son client concernant la sculpture de Barney Filding dans le salon de musique que Dean trouve si kitsch. Il hausse les épaules, cale ses reins contre le dossier de son fauteuil et se met au travail.

Ça lui a toujours réussi jusqu'à présent.

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La Nouvelle-Orléans, Louisiane, vendredi 20 octobre


Les bras croisés sur son torse, Dean se mord les joues. Il ne doit pas dire quelque chose trop haut ou trop… Dean. Il n'est pas seul dans le cimetière, des visiteurs sont en train de se recueillir autour de lui plus ou moins discrètement. Alors il rumine en silence sa discussion avec Castiel.

Le châtain serre si fort les dents que sa mâchoire commence à être douloureuse.

Finalement, il s'en fout.

Dean contemple une nouvelle fois les énormes compositions de fleurs artificielles, disposées dans de gros vases un peu kitsch d'un style vaguement ancien. Il roule des yeux, passe une main dans sa nuque mais vraiment, c'est juste… trop. Et merde, cette discussion avec Castiel… Il se sent mal.

—«C'est tellement foutrement laid et prétentieux», grogne-t-il bruyamment.

Sam lui jette un regard noir. Un couple qui passe derrière eux ralentit imperceptiblement le pas, observe à son tour le mausolée. Dean les entend rire discrètement et il adresse un sourire entendu à son frère.

—«Regarde-les Sammy, les vases ont même des décors dorés! Et celui-ci ressemble à la potiche qui était sur la cheminée de Rupert, c'est forcément lui qui les a forcément déposés ici», insiste-t-il en montrant les marches du mausolée d'un geste.

—«Tu trouves aussi que les vases en porcelaine de la maison de Castiel sont laids…», dit nonchalamment son frère.

—«Je n'ai jamais dit ça!»

C'est faux. … C'est un peu vrai mais il est certain qu'il pourrait vraiment leur trouver des qualités si le brun lui en parle avec la même passion qu'il a mise à les aider à étudier sa collection.

Sam sourit d'un air entendu.

—«Si cela peut te permettre de reconnaître que le goût de Castiel est exquis, je trouve aussi que ces vases sont d'assez laides copies.»

Dean songe brièvement à ce client avec lequel le brun négociait encore le prix de cette statue de femme nue, très kitsch aussi. A-t-il réussi à en obtenir ce qu'il espérait? Il aurait dû le lui demander. Peut-être que les choses ne se passent comme Castiel le désire et que c'est la raison pour laquelle le brun lui a parlé de la sorte.

Il fait un pas en arrière pour contempler un peu mieux le mausolée.

Rupert de Vernantes a mauvais goût mais on ne peut lui reprocher de laisse les sépultures de sa famille à l'abandon. Les marches sont balayées, le gravier devant a été ratissé, les mauvaises herbes ont été arrachées. Bon sang, comment même a-t-il fait pour nettoyer le fronton, orné de sculptures d'une éclatante blancheur malgré leur quinze mètres de haut?

Dean trouve son goût pourri mais, pris dans son ensemble, le mausolée des de Vernantes à plutôt fière allure. Il est même assez proche du somptueux, il impose le respect et les figures perchées sur la corniche semblent lâcher métaphoriquement des billets de banque dans le vide. L'architecte a signé son œuvre sur la première contremarche du mausolée, accompagnée de la date de construction et d'une citation latine sur le temps qui passe. Memento mori encore; orgueil toujours; tout ça tout ça. C'est un foutu temple à la mémoire de la famille.

Dean jette un regard alentour.

–«Sam? Fais le guet tu veux, j'aimerais faire le tour de ce truc.»

Son cadet s'éloigne de quelques pas pour avoir une vue optimale sur les allées adjacentes et repérer un éventuel visiteur.

Dean saute habilement par-dessus le portillon en fer forgé et se glisse sur le côté du mausolée.

De gros bosquets forment un écrin paysagé et mélancolique au monument. Le châtain trouvait l'effet assez plaisant depuis l'allée mais de près, de longues épines s'hérissent le long des branches épaisses aux feuilles dentelées. Merde, elles piquent fort malgré le cuir de son blouson.

Dean serre les dents, tente d'écraser les branches les plus basses sous ses pieds et enroule ses mains dans ses manches pour écarter les autres.

Il avance prudemment, gêné dans ses mouvements et les dents serrées sous la morsure des épines qui traversent la toile de son jean. Bordel, soit Rupert entretient aussi les plantations mais elles repoussent incroyablement; soit il n'y met pas le même enthousiasme que pour orner le mausolée de fleurs moches dans des vases moches et nettoyer le fronton à la brosse à dent.

Le châtain se glisse plus près du mausolée, il étudie avec attention les colonnes jusqu'aux corniches sous la coupole avant de faire lentement le tour.

Il jette encore un regard autour de lui avant de monter discrètement sous la colonnade. Il palpe soigneusement les murs, observe longuement la double porte en bronze de style antique. Elle est énorme. Incroyablement lourde. Aucune fragilité dans la structure.

Dean pince les lèvres.

Le mausolée des de Vernantes est une forteresse inviolable en forme de temple gréco-romain.

Il descend le perron puis saute à nouveau par-dessus la grille ouvragée en fer délimitant la parcelle. Sam surveille une dernière fois les environs – parfaitement vides – avant de s'approcher de lui.

—«Alors?»

—«Je ne vois aucune faiblesse dans la maçonnerie, tout est en parfait état. Il n'y a pas de trace de réparations non plus et aucun signe de détérioration. Il n'y a pas de crypte avec de fenêtres donc le seul point d'entrée est la porte mais elle est en bronze. Vu sa taille, elle doit peser plusieurs centaines de kilos. Personne ne peut ouvrir ça avec un pied de biche.»

—«Est-ce que quelqu'un pourrait rentrer par la coupole? Certaines constructions antiques avaient des fenêtres rondes au sommet. C'est le cas du Panthéon à Rome et l'architecture du mausolée y ressemble un peu…»

Dean fronce les sourcils. Il sort son portable, navigue un instant sur Google Maps avant de secouer la tête.

—«La vue satellite montre que la coupole est fermée. Personne n'a pu entrer dans ce mausolée par effraction.»

Il range l'appareil dans sa veste et frotte ses mains l'une contre l'autre de contentement. Ok, ils sont toujours dans la course. La chevalière n'a pas pu être volé dans le tombeau par une tierce personne. Bien. Très bien. Philippe Laveau a donc très probablement présenté la bonne bague à son procès contre les de Vernantes. Reste à savoir comment il a pu s'en emparer mais pour le moment, Dean savoure.

—«Joseph de Vernantes est forcément enterré à l'intérieur. Est-ce que tu as vu son nom à l'entrée?»

Le châtain fronce les sourcils. Merde, il n'a pas fait attention. Un regard alentour et il repasse la clôture, monte le perron pour lire la plaque en marbre posée sur le seuil.

JOSEPH DE VERNANTES – 1837-1912.

—«Il est là. Avec sa femme Esther et son frère Henry, celui qui représentait la famille pendant les procès intentés par Philippe.» Il palpe le marbre. «La dalle est intacte, je pense que c'est celle d'origine. La porte n'a jamais été forcée.»

Sam fait soudain un geste un peu brusque dans sa direction et Dean se glisse dans l'ombre d'une colonne. Un groupe de touristes remonte l'allée; son frère prend l'air inspiré d'un homme en pleine contemplation esthétique et artistique devant le mausolée.

Le châtain les suit discrètement du regard puis sort de sa cachette avant de s'éloigner dans le cimetière, Sam sur ses talons. Inutiles de s'attarder, ils n'apprendront rien de plus ici. La sépulture des de Vernantes n'a pas pu être profanée, point barre. Les affaires reprennent.

Tandis qu'ils passent devant la maison du gardien, son cadet préfère tout de même l'interroger avec discrétion. Quand il lui parle d'un air naïf de pillages de tombes, l'homme fronce si fort les sourcils que Dean craint un instant qu'il puisse les penser en repérage pour un éventuel cambriolage morbide. Le sourire et le regard de chiot de son frère sont heureusement suffisants pour charmer même un cinquantenaire un peu acariâtre, très fier de son poste et de garder les clés du Saint-Louis Cemetery No 3. Non, à sa connaissance cela s'est jamais produit et certainement pas dans le mausolée des de Vernantes parce que la porte pèse réellement plusieurs centaines de kilos.

Dean hausse un sourcil satisfait. Analyse correcte. L'affaire est vraiment classée.

Les deux frères ouvrent les portières de l'Impala pour chasser la chaleur torride qui semble irradier des sièges en cuir et se réfugient à quelques mètres sous l'ombre bienfaisante d'un grand cyprès.

—«Et si nous allions déjeuner? On pourrait s'acheter un sandwich dans le coin et aller manger au City Park», suggère Dean, un pied appuyé contre le mur. «Je n'ai pas très envie de retourner à French District.»

—«Tu as raison, nous sommes à côté du parc. Laissons l'Impala ici, le soleil va commencer à tourner et elle devrait être à l'ombre à notre retour», acquiesce son cadet.

Abandonner Baby ne fait pas partie de ses plans mais quinze plus tard, Dean reconnaît qu'il l'a un peu oublié. Il lui préfère un magnifique et énorme sandwich au bœuf rôti et épicé qu'il lorgne presque indécemment dans la devanture d'un restaurant sur City Park Avenue.

Le châtain surveille d'un œil luisant la file d'attente de clients qui progresse devant lui – l'enseigne proclame qu'elle fait les meilleurs po'boys de La Nouvelle-Orléans – quand son portable sonne. Il décroche sans regarder le numéro d'appel, il a repéré un resquilleur en short sur sa gauche qu'il compte recevoir avec les honneurs s'il ose s'approcher un peu trop. C'est presque à son tour, il ne reste qu'un seul sandwich au bœuf et il est pour lui. Celui-ci ne le sait pas encore mais il l'a attendu toute sa vie dans cette vitrine.

—«Oui?»

—«Monsieur Winchester? C'est Jacob, le gardien du Saint-Louis No 1. J'vous appelle pour vous dire qu'Elijah vient d'arriver au cimetière. Vous devez vous dépêcher si vous ne voulez pas le manquer. Il m'a dit qu'il ne faisait que passer.»

—«Merci. On sera là dans dix minutes.»

Sam s'apprête à entrer dans la boutique mais le châtain le retient par le col de sa veste avant de les faire sortir tous les deux de la file. Le resquilleur s'empresse de prendre leur place, l'air affairé sur son portable. L'air de rien. Dean serre les dents. Connard. Il raccroche et tire Sam un peu plus fort derrière lui.

—«Dean! On faisait la queue depuis trente minutes et j'étais certain de pouvoir acheter po'boy végétarien!»

—«Tu t'en remettras. Jacob vient de me prévenir qu'Elijah est au cimetière et que nous n'avons pas beaucoup de temps pour le croiser.» Il jette un regard par-dessus son épaule au magasin, voit le mec en short sortir avec un sandwich et il est persuadé que c'est le sien. «Merde, c'est vraiment trop con. Ces sandwiches avaient l'air délicieux…»

Malgré la chaleur – l'enseigne d'une pharmacie affiche trente-trois degrés à l'ombre – les deux frères pressent le pas pour regagner l'Impala garée à côté du cimetière Saint-Louis No. 3. Dean maudit son cadet de l'avoir convaincu de laisser Baby derrière eux le temps du déjeuner. La chaleur des sièges en cuir aurait été infernale mais ils auraient pu rouler fenêtres ouvertes et arrivés l'air un peu plus décent.

Quand Sam et lui passent l'entrée du cimetière Saint-Louis No. 1, leurs tee-shirts collent à leurs dos trempés de sueur.

—«Salut. Elijah est à la tombe Glapion depuis moins de dix minutes, j'ai discuté un peu avec lui pour le retenir», dit Jacob en leur montrant l'allée.

—«Merci», souffle le châtain en essuyant son front humide.

—«… Vous vous mettez quand même dans un sacré état pour ce truc.» Le gardien rentre dans la petite maison à droite du portail avant de revenir sur ses pas. «Ah, au fait, il est interdit de boire aux robinets, l'eau n'est pas potable.»

Dean jure bruyamment et s'engouffre avec Sam dans Alley 1-L. Il marche vite et avec un étonnant instinct. Tout droit puis bifurquer sur la droite jusqu'à Basin Parallel.

Le châtain débouche dans l'allée en sueur et il bénit son tee-shirt AC/DC noir qui lui évite l'humiliation d'auréoles de transpiration sous ses aisselles. À côté de lui, son frère a l'air d'un chiot mouillé. Ses longues mèches claires collent à son front.

Un homme se tient très droit devant le tombeau de la famille Glapion. Il a la peau noire, semble de stature plutôt menue mais sous la chemisette à manches courtes, Dean devine des muscles secs et nerveux. Elijah a le crâne rasé et un petit bouc poivre et sel, une paire de soleil de marque crânement remontée sur son front.

Sam esquisse un geste dans sa direction et le châtain le retient. L'homme a les mains nouées devant lui, la tête baissée et les yeux fermés. Il semble articuler des paroles silencieuses, il prie alors les deux frères restent respectueusement à l'écart.

Après de longues minutes pendant lesquelles Dean ronge difficilement son frein, Elijah rouvre les yeux et s'avance vers le caveau pour le marquer d'une petite croix parmi toutes les autres. Le châtain se sent un peu mal à l'aise à l'idée de lui parler alors qu'il semble être encore en plein rituel mais la chevalière pèse lourd dans la poche de son jean. Et merde, ce n'est pas impoli, il a des questions et cet homme a probablement les réponses pour aider Castiel. Tout est une question de manière et il sait se montrer charmant quand la situation l'exige. Il fait juste parfois le con quand il est question de son cœur et de Castiel. Bref.

—«Mr. Elijah Laporte?»

L'homme tourne la tête vers lui, l'observe avant de froncer les sourcils. Dean sourit, c'est le moment d'être particulièrement aimable.

—«Mon frère et moi souhaitions vous rencontrer. Nous avons des questions à vous poser à propos de la famille Laveau», reprend-il rapidement.

—«J'ai écrit plusieurs livres sur le sujet et j'organise des visites guidées une fois par semaine. La prochaine est dans trois jours si vous voulez vous inscrire. Je suis navré mais je suis attendu. Bonne journée.»

Sa voix est agréable, profonde et calme, mais la réponse est cinglante. Elijah les salue d'un léger signe de tête avant de baisser ses lunettes de soleil sur son nez. Il passe devant eux. Dean le rattrape par l'avant-bras. Il avait raison, la peau est de bronze et les muscles en dessous sont d'airain. L'homme lui jette un regard sombre et il s'empresse de lever entre eux en signe d'apaisement.

—«Je suis désolé d'insister mais nous n'avons pas trois jours devant nous. C'est vraiment urgent.»

Elijah esquisse un sourire. Ses dents sont blanches comme de l'ivoire.

—«Tous ces gens sont morts, quelle urgence pouvez-vous bien avoir?», demande-t-il d'un ton moqueur.

Ah, c'est amusant parce que c'est justement le sujet. L'homme remonte ses lunettes sur son nez de son index.

—«Je n'aime pas me vanter mais mes livres font références sur le sujet et ils ont été distingués par la HNOC. Vous les trouverez tous en vente à la Calliope Library sur Earhart Boulevard, la propriétaire a une sélection de qualité consacrée à l'histoire locale et au vaudou. Je ne peux rien faire de plus pour vous.»

Elijah tourne les talons et s'éloigne sur Basin Parallel. Sam jette à son frère un regard désemparé, incertain de la distance de la frontière où ils peuvent aller et ce qu'ils peuvent dire. Dean ne s'embarrasse pas de ce genre de considération. Plus maintenant. Il fronce les sourcils et rattrape une nouvelle fois Elijah sur Alley 1-L.

—«Vous venez ici pour demander à Marie Laveau de vous donner les réponses à vos questions n'est-ce pas? Je vous ai vu, vous avez fait ce signe de croix sur le caveau. Vous croyez à tout ça», dit-il en désignant la tombe derrière lui.

L'homme se retourne brusquement vers lui et le fusille du regard.

—«Ne soyez pas insultant. Le vaudou est une religion qui a cours ici depuis plus de deux cent ans, elle n'a rien d'un divertissement pour touriste ou d'un sujet de film à sensation», siffle-t-il.

—«Je sais! Je sais tout ça! Je viens pour –», s'exclame bruyamment Dean avant d'ébouriffer nerveusement ses cheveux. «J'ai besoin de vous pour aider un homme qui est en danger.»

Elijah hausse un sourcil et retire lentement ses lunettes. Le châtain y voit un encouragement.

—«C'est justement parce qu'ils sont morts que nous nous intéressons à eux», reprend-il plus calmement. «… Nous cherchons Philippe Laveau ou Delveau. Est-ce que vous pensez qu'il est possible qu'il soit encore parmi nous?»

Dean lui jette un regard éloquent. Oui, parmi nous comme parmi nous. Au diable formalités et les précautions, son interlocuteur pense qu'une prêtresse vaudoue morte il y a plus de cent quarante ans peut l'aider. Les pincettes devraient être utiles.

Elijah ne cille pas. À quelques pas de lui, il joue distraitement avec une des branches de ses lunettes de soleil mais il ne part plus.

Sam donne un léger coup de coude à son frère. Le châtain s'empresse de sortir le sachet en velours puis la chevalière qu'il tend à leur interlocuteur.

—«Nous venons pour lui parce qu' Il veut notre ami. Vous comprenez? Il le veut pour lui seul et si nous ne faisons rien, Il va y parvenir… S'il vous plaît.»

L'or brille sous le soleil brûlant.

—«S'il vous plaît…», répète Dean.

Elijah range ses lunettes dans l'encolure de sa chemisette et s'approche. Il plisse les yeux, observe avec attention la chevalière. Une ombre passe dans ses yeux noirs.

—«… C'est un nom que personne n'évoque par ici, les gens ignorent qui il est.»

—«Philippe Laveau?»

—«Philippe Laveau, Delveau, de Laveau; il a eu beaucoup de noms», énumère-t-il. « Delveau est une erreur de transcription faite par le greffier du tribunal civil lors de l'enregistrement de son deuxième procès contre les de Vernantes. À cette époque, il signait Philippe de Laveau après s'être accaparé la particule de leur nom pour montre sa prétention à un titre de noblesse. S'arroger le droit de porter le nom des de Vernantes sans être reconnu par la famille l'aurait conduit en prison. Son nom de naissance est bien Philippe Laveau mais il a été enterré sous le nom de Delveau à cause de la même méprise.»

—«Est-ce que vous êtes sûr de vous?»

—«Si vous avez trouvé son nom mal orthographié, cela signifie que vous avez consulté les archives des tribunaux civils et que vous avez recoupé l'information avec l'état-civil de La Nouvelle-Orléans. Je suis certain de ce que je dis et je connais cette chevalière. C'est celle de son père naturel, Joseph de Vernantes.»

Dean hoche frénétiquement la tête. Il tend la bague vers lui en une invitation mais, après une hésitaiton, Elijah refuse d'un signe de tête.

—«… Je préfère ne pas y toucher. Cet homme n'était pas une bonne personne et les objets ont une mémoire.»

Oh Seigneur, oui – Oui! – le châtain a attendu si longtemps d'entendre ces mots.

Il range avec soin la chevalière dans la bourse en velours et l'enfouie dans la poche de son jean. Elijah l'observe en silence, lissant son bouc poivre et sel du bout des doigts.

—«… Votre ami est-il réellement mal en point?»

—«Il a la santé d'un octogénaire alors qu'il a à peine plus de quarante ans. Il était très bien portant, son état s'est dégradé en à peine quatre mois.»

—«Est-ce qu'il continue à perdre de la vigueur?»

Dean acquiesce d'un air sombre, son vis-à-vis aussi.

Elijah sort son portable de la poche de sa chemisette – un modèle high tech hors de prix – et pianote rapidement dessus.

—«Je n'ai plus d'obligation finalement. Avez-vous déjà déjeuné? Je vous invite chez moi. Je ne ferai que des sandwiches mais je pense que nous devons parler…»

—«Merci», souffle le châtain et il a parfaitement conscience à quel point cela sonne désespéré de soulagement.

—«Est-ce que cela signifie que vous nous croyez?», ne peut s'empêcher de demander Sam.

Son frère le fusille du regard mais son cadet l'ignore. Elijah esquisse un sourire.

—«Le vaudou est fondé sur les interactions avec les esprits et les morts alors disons que je ne trouve pas ce que vous me dites complètement absurde. Et votre frère ne joue pas son inquiétude pour son ami

Dean baisse les yeux d'un air gêné sur ses chaussures. Ouais, ça sonne exactement comme c'est censé sonner.

À l'entrée du cimetière, Elijah salue Jacob et remet ses lunettes de soleil sur son nez.

—«Est-ce que vous êtes venus ici en voiture?»

—«Je suis garé sur Conti Street.»

—«Je conduis une vieille Subaru bleue, je vais vous attendre au bout de la rue et vous n'aurez qu'à me suivre. Si jamais nous nous perdons, j'habite au 21th Teton Street dans le quartier d'Estelle.»

Le châtain acquiesce avec fougue.

Sur le seuil de la maison du gardien, Jacob observe le trio s'éloigner. Quand il disparaît, il hausse simplement les épaules. Cela ne le regarde plus et ces mecs de la ville sont décidément trop bizarres.

Le jeune homme enfile ses gants de jardinage puis recommence à s'attaquer au lierre trop touffu dont les branches se faufilent entre les pierres du mur de clôture du cimetière et font tomber l'enduit.

Jacob déteste le lierre.