Mes petits chats,
Ce soir, je vous propose de poursuivre l'enquête de Dean et Sam à La Nouvelle-Orléans. Cette partie est la suite directe de la partie publiée il y a quinze jours, aussi je vous conseille de vous la remettre en mémoire car certains dialogues et certaines situations y font directement références. Un personnage important fait également son apparition, amené à se développer dans les parties suivantes car l'affaire est encore loin d'être achevée :)
Je vous laisse immédiatement en leur compagnie à tous, j'espère que cette nouvelle partie vous plaira car j'aime toujours autant corriger cette histoire.
Pour les curieux, quelques notes complémentaires ci-dessous et à tous, je vous souhaite une très bonne lecture (et une bonne rentrée des classes/au travail/sur Terre, bref à votre convenance :))
Bien à vous,
ChatonLakmé
Je fais ici un erratum. Le quartier d'Estelle mentionné dans la partie précédente est en réalité une commune limitrophe située au sud-ouest de La Nouvelle-Orléans.
Bâton-Rouge est la capitale de l'État de Louisiane, située au nord-ouest de La Nouvelle-Orléans.
Erratum numéro 2. Mes relectures des parties précédentes ont toujours été faites un peu sur le fil du rasoir et j'ai commis un impair. La mambo désigne bien la prêtresse vaudou mais il s'agit de la version francisée du terme. J'ai préféré retenir la version créole, orthographiée «manbo». Le hougan (ou houngan) désigne un prêtre vaudou. Le bokor est un sourcier faisant usage du vaudou pour son propre compte ou celui d'un tiers. Sa pratique se teinte alors de magie noire. Dans la culture populaire, les bokors sont les praticiens capables de créer les zombies.
Comme précisé dans la partie précédente, les éléments biographiques de Marie Laveau et de sa famille mentionnés ci-dessous sont exactes. Laurent Ursain Guesnon (1780-1842) était un ancien esclave créole affranchi devenu entrepreneur et constructeur. Rosette Rochon (1767-1863) était la fille d'une esclave affranchie et d'un riche planteur blanc. Elle a fait fortune en investissant dans des magasins d'alimentation, l'élevage, l'immobilier ou encore le commerce d'esclave. Avec L. U. Guerson, elle faisait partie des relations d'affaires de Marie Laveau.
Dans la mythologie grecque, Éros et Thanatos sont respectivement le dieu de l'amour et de la mort. Depuis le développement de la psychanalyse par Sigmund Freud, ces deux figures sont souvent associées pour exprimer la complémentarité entre l'instinct de vie (instincts sexuels, désirs primitifs tels que la faim ou la soif, autoconservation) et l'instinct de mort. Selon Freud, tout être humain se caractérise dès son enfance par ce tiraillement.
Central Business District désigne le quartier d'affaires de La Nouvelle-Orléans, situé au sud-est de la ville dans un méandre du Mississipi. Il concentre les buildings, les centres d'affaires, les salles de spectacle, les hôtels de luxe et les boutiques haut de gamme.
Ronald Lauder (né en 1944) est un milliardaire américain. Héritier de la riche famille Lauder (la fondatrice, Estée Lauder, a constitué un empire des cosmétiques dans la seconde moitié du XXe siècle), il a fait fortune dans le monde des médias. Il est un grand collectionneur d'art, notamment d'armes anciennes depuis 1976. En 2020, il a promis de faire don de l'entièreté de son exceptionnelle collection au Metropolitan Museum de New York et de lui apporter un important soutien financier.
L'affaire Philippe Delveau
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Seizième partie
La Nouvelle-Orléans, Louisiane, vendredi 20 octobre
—«Je conduis une vieille Subaru bleue, je vais vous attendre au bout de la rue et vous n'aurez qu'à me suivre. Si jamais nous nous perdons, j'habite au 21th Teton Street à Estelle.»
C'est ce qu'Elijah leur a dit devant le cimetière saint-Louis No. 1 avant de prendre le volant; juste pour aider les frères Winchester si les deux voitures se perdaient de vue sur la route
La précision est inutile.
Pendant la totalité du trajet jusqu'à la commune limitrophe d'Estelle, Dean colle tellement au pare-chocs arrière de sa Subaru bleue qu'à chaque freinage, Sam se crispe et grogne qu'il va lui rentrer dedans.
Après vingt-cinq minutes, il se gare finalement devant une maison de plain-pied d'apparence modeste. La façade est couverte d'un appareillage de fausses briques, les huisseries des fenêtres sont blanches et sous le porche couvert, un rocking-chair semble attendre son propriétaire.
Elijah se gare à gauche sur l'allée du garage tandis que Dean arrête l'Impala le long du trottoir. Leur hôte descend de voiture, monte les marches du perron et entre dans la maison, laissant la porte ouverte derrière lui en une invitation silencieuse.
—«Celui qui se sent le plus à l'aise en cuisine vient m'aider, l'autre n'a qu'à mettre la table sur la terrasse arrière dans le jardin. Nous aurons moins chaud.»
—«Je croyais qu'on mangeait des sandwiches», répond Dean en regardant autour de lui avec curiosité.
—«C'est vrai mais même si je déteste cuisiner, je sais recevoir. Vous mangerez vos sandwiches dans de la véritable vaisselle.»
Elijah esquisse un sourire amusé et le châtain lui emboîte le pas en direction de la petite cuisine, couverte de formica.
Il est étrange de faire des sandwiches au poulet froid et mariné dans la maison d'un parfait inconnu en compagnie dudit inconnu mais Dean l'aide avec une célérité parfaite. Il n'avait pas conscience de combien il était affamé.
Leur binôme est d'une redoutable efficacité; en moins de quinze minutes, les trois hommes s'attablent à l'arrière de la maison, sous une pergola couverte d'une somptueuse glycine américaine à fleurs bleues. Le parfum des fleurs est un peu capiteux et se mêle mal à celle de leurs sandwiches. Dean fait contre mauvaise fortune bon cœur, il meurt de faim.
Ils déjeunent sans dire un mot. Le châtain mange vite. On lui a appris à ne pas parler la bouche pleine et il craint que l'odeur des fleurs ne lui coupe l'appétit.
Dean avale deux sandwiches l'un après l'autre, boit une bière fraîche puis grignote des chips de banane plantain – une spécialité culinaire de Louisiane – en attendant son frère qui mange un peu plus lentement et proprement.
Elijah a à peine touché à son repas.
Accoudé au bras de sa chaise, il tient son menton dans sa paume et semble plongé en pleine réflexion. En guise de dessert, leur hôte apporte une moitié de tarte aux noix de pécan en s'excusant de n'avoir que ça à leur offrir. Quand il ajoute une bombe de chantilly – même industrielle – le châtain a l'impression que c'est une des plus belles journées de sa vie.
Il est en train de se lécher les doigts avec application quand Elijah s'éclipse sans un mot avant de revenir, chargé de plusieurs ouvrages reliés et d'épais classeurs soigneusement étiquetés.
Ils ont terminé de déjeuner. Dean se lève et aide Sam à terminer de débarrasser. Il voit le dernier morceau de tarte retourner dans le frigo avec une pointe de regret; elle doit être très triste dans le plat de service sans ses copines.
Les deux frères se rassoit devant deux tasses de café. Elijah a refusé mais il leur a indiqué un paquet de biscuits secs dans un des placards de la cuisine. Il trône sur la table à côté de Dean comme un totem.
—«Montrez-moi à nouveau la chevalière.»
Le châtain sort la bague et la pose avec soin au centre de la table sur le petit sachet en velours. Elijah prend entre deux doigts une feuille de sauge sèche tombée à côté et l'observe avec curiosité.
—«Est-ce pour la purifier?»
—«Oui. Nous avons aussi mis du sel dans le sac», ajoute Sam.
L'homme acquiesce lentement. Il choisit un livre dans la pile avant de l'ouvrir devant lui.
—«Philippe est le fils adultérin de Joseph de Vernantes et de Jeanne Laveau», commence-t-il lentement. «Comme sa mère Marie, elle travaillait comme coiffeuse pour les riches familles créoles de La Nouvelle-Orléans ce qui lui permettait d'entrer dans toutes les belles demeures de Garden District. Vous avez lu son acte de naissance, n'est-ce pas? Le père a bien entendu refusé de reconnaître l'enfant, Philippe a été adopté par le mari de sa mère après leur mariage en 1881. Il a grandi dans le quartier de Tremé, entouré par les femmes de la famille Laveau. Marie était sa grand-mère.»
—«Pourquoi Philippe a-t-il décidé d'affronter les de Vernantes après tant d'années?», demande Sam, son carnet ouvert sur la table.
Elijah hausse légèrement les épaules. Il tire un classeur à lui.
—«J'ignore la manière dont il a appris sa véritable ascendance mais les rares lettres que j'ai trouvés écrites de sa main montrent un homme d'une grande arrogance, doté d'un énorme désir de revanche sociale. J'ai acheté ces archives en vente publique au cours des quinze dernières années. Le nom de Laveau n'intéressent réellement que les amateurs éclairés et Philippe est un inconnu dans l'arbre généalogique de la famille. J'ai pu acheter des lots entiers pour une bouchée de pain.»
L'homme leur tend le classeur, rempli de papiers anciens conservés dans des pochettes en plastique. Dean esquisse un sourire narquois. Les lettres portent en en-tête un blason maladroitement dessiné, celui des de Vernantes mêlés au monogramme de Philippe de Laveau.
—«Philippe avait le droit de faire ça?», s'étonne-t-il.
—«Il a commandé ce papier à une imprimerie de Bâton-Rouge, à une centaine de kilomètres de La Nouvelle-Orléans. Le filigrane se trouve en bas à droite des pages.»
Le châtain hoche la tête. C'est malin. Il parcourt rapidement l'écriture fine et serrée, parfois ponctuée d'étranges volutes ressemblant à des essais calligraphiques. Certains sont beaux mais le style de l'ensemble est maladroit; il lit également quelques fautes d'orthographe. Ces lacunes n'empêchent toutefois pas Philippe d'étaler ses prétentions avec une grande assurance auprès d'un ami de Bâton-Rouge. Les lettres du classeur détaillent notamment l'avancée de son procès contre sa famille paternelle et ses espérances. Dean est surpris par son assurance; les enregistrements des greffiers rattachés au tribunal civil montrent une histoire bien différente.
«(…) Félicite-moi cher ami, dans quelques semaines j'obtiendrai enfin ce que je mérite. Je serai riche! Je porterai son nom et j'aurai aussi des mouchoirs brodés à mes initiales, des attelages et une belle maison sur Coliseum Street.»
Les lettres suivantes datent de décembre 1915 et du début de l'année 1916. Elles sont postérieures à sa défaite au tribunal civil de La Nouvelle-Orléans et antérieures à ses dernières tentatives pour relancer ses démarches judiciaires. Le ton est très différent; il est plein de rancœur et de mauvaiseté. Le châtain a l'impression de sentir sa noirceur transpirer du papier.
Elijah feuillette encore quelques pages avant de pointer une autre lettre d'un doigt.
—«Il cite la chevalière de son père dans celle-ci mais il ne précise pas la manière dont il l'a obtenu», indique-t-il.
« (…) Ils seront obligés de me reconnaître! Je suis du même sang, du même nom qu'eux! J'ai le droit d'hériter de mon père! Je me suis emparé de sa chevalière, elle sera ma meilleure preuve devant le tribunal. Je jure sur le nom de ma mère que j'y parviendrai et je les humilierai devant toute La Nouvelle-Orléans.! Ils regretteront amèrement de m'avoir méprisé comme ils l'ont fait. Les de Vernantes devraient savoir ce dont je suis capable. Après tout, je porte le même nom qu'Elle.»
Dean fronce les sourcils.
—«Elle? Est-ce qu'il parle de sa grande-mère, Marie Laveau?»
Elijah frotte distraitement son bouc entre deux doigts.
—«Il peut évoquer sa grand-mère ou sa tante, ce sont deux possibilités. Marie Laveau épouse Glapion a eu quinze enfants dont plusieurs filles. L'une portait le même prénom. Elle était aussi une manbo très réputée et la confusion est fréquente. Comme Philippe a écrit le mot avec une majuscule, je pense qu'il désigne plutôt la matriarche.»
Le châtain passe une main dans sa nuque avant de retirer le carnet des mains de Sam. Il le feuillette rapidement pour retrouver leurs notes sur le vaudou, rédigées dans leur chambre après leur visite du Vaudoo Museum.
—«Est-ce qu'il aurait pu être lui-même un hougan? Ou un bokor?», tente-t-il.
Il espère de tout cœur ne pas se tromper et apparaître comme un parfait néophyte aux yeux de leur hôte. Celui-ci esquisse un sourire avant de secouer la tête.
—«Les représentants du culte vaudou sont des initiés qui reçoivent le plus souvent une sorte de révélation. Je ne pense pas que ce soit le cas de Philippe, il aurait été trop fier de ce statut pour ne pas l'écrire dans sa correspondance. … À moins que cela l'ait rattaché encore un peu plus à la famille de sa mère et l'ait éloigné de celle des de Vernantes. Les familles riches et blanches de La Nouvelle-Orléans était chrétiennes, il aurait pu taire soigneusement qu'il était de notre religion. … À quoi pensez-vous?», demande Elijah en dardant ses prunelles sombres sur lui.
—«Il y a des symboles gravés sur l'anneau. Je sais que vous ne voulez pas toucher la bague mais regardez plus attentivement. C'est juste là, en tout petit à l'intérieur.»
Dean lui tend la chevalière. L'homme plisse les yeux pour l'observer avec une attention renouvelée mais à son expression dubitative, le châtain comprend qu'il ne voit pas grand-chose.
Sam pousse vers lui leur carnet dans lequel Jean Maillet le jeune antiquaire de a griffonné les deux petits dessins un peu effacés.
Elijah hausse un sourcil.
—«Ce sont des vévés mais ils sont différents de ceux que je connais.»
—«Est-ce qu'un hougan aurait pu les modifier pour – je ne sais pas – imprimer son style à sa pratique par exemple?»
—«Qu'est-ce que tu racontes?», demande Sam avec incrédulité.
—«Les pasteurs de certaines églises évangéliques proposent des attractions folles pour attirer plus de fidèles. Ils en font leur marque de fabrique et obtiennent des articles dans USA Today ou des reportages sur Fox News. Je ne trouve pas que ce que je dis soit complètement absurde», se renfrogne Dean.
Elijah s'esclaffe légèrement, dévoilant ses dents très blanches.
—«Les hougans et les manbos sont rarement référencés sur Google et ils n'ont pas besoin de séduire pour récolter des avis. Je ne suis pas prêtre – je n'ai pas été initié – mais ces vévés ne sont pas normaux. Si Philippe les a tracés à dessein, ses intentions étaient probablement très noires. Il ne faut pas jouer avec ces symboles, ils permettent de communiquer avec les Iwas», dit-il d'un air sombre.
Sam jette un regard entendu à son aîné qui roule des yeux. Dean lui donne un coup de coude et pousse le classeur avec la correspondance de Philippe dans sa direction.
—«Que savez-vous sur sa vie après les procès?», l'interroge le blond avec intérêt.
—«Sa dernière demande de révision du testament de Joseph de Vernantes a été rejetée en octobre 1915. Il semble que Philippe n'a jamais quitté La Nouvelle-Orléans, il s'est établi et a monté différentes affaires. J'ai trouvé son nom dans les registres du commerce à plusieurs adresses successives à Tremé et dans les quartiers alentours», détaille Elijah.
—«A-t-il réussi professionnellement?»
—«Pas vraiment. Il ne semble ne pas avoir hérité du sens du négoce de sa grand-mère et l'argent semblait lui brûler les doigts. Il a été emprisonné plusieurs fois pour dettes entre 1913 et 1916. Sa famille avait de belles relations parmi les personnalités locales et Philippe a bénéficié de ce réseau. Dans les registres, son nom était cité à côté de celui des familles de l'entrepreneur Laurent Ursain Guesnon et de la femme d'affaires Rosette Rochon . Avec d'autres, ils ont investi dans les affaires de Philippe ou lui ont prêté de l'argent à un très faible taux d'intérêt. Toutes ses entreprises ont périclité et ont fait faillite. À ma connaissance, il ne s'est pas marié et n'a pas eu de descendance. Philippe est mort en 1916 de manière violente. Les archives de la police de La Nouvelle-Orléans contenaient très peu d'informations, elles mentionnaient seulement une blessure au couteau. Il avait trente-sept ans.»
Dean s'accoude à la table et croise les mains devant sa bouche.
—«Où a-t-il été enterré?»
—«Je ne sais pas, je perds sa trace après sa mort. J'ai étudié l'état-civil, les registres des inhumations et jusqu'aux archives des entreprises funéraires installées autour de Tremé, je ne l'ai pas retrouvé. La Nouvelle-Orléans est régulièrement touchée par des ouragans, les tempêtes ont parfois inondé les cimetières ou noyé les archives. Je pense que personne n'aura jamais la réponse à ces questions», répond Elijah en haussant les épaules.
Sam prend à nouveau frénétiquement des notes tandis que le châtain acquiesce avec raideur.
Les sourcils froncés, il réfléchit et tente de relier ce qu'ils viennent d'apprendre à Castiel.
L'absence de sépulture est un problème mais c'est ça.
C'est forcément ça.
Les liens avec le vaudou sont trop évidents et la chevalière était à Lui. Arrogant, ambitieux. Mauvais quand on le contrarie. Revanchard et menaçant envers les gens qu'il considère comme ses ennemis. Philippe est l'homme qu'il cherche, Dean en mettrait ses deux mains à couper. Ou au moins une – la gauche – il a besoin de la droite pour conduire l'Impala et manger des tartes.
Il relève la tête.
—«Est-ce que vous avez trouvé son portrait? Une photographie peut-être?», tente-t-il.
Leur hôte secoue la tête. Bof, de toute manière ils n'ont pas besoin de savoir à quoi Il ressemble pour lui botter correctement le cul.
Elijah empile soigneusement les livres et les classeurs devant lui avant de s'appuyer lourdement contre le dossier de sa chaise.
—«Si je peux me permettre, est-ce que vous pouvez m'expliquer comment vous êtes entrés en possession de cette bague? Et quels faits vont ont amené à penser que Philippe était l'esprit qui blesse votre ami?», demande-t-il après un silence.
Dean échange un regard avec son frère. Cette fois, c'est Sam qui raconte. Il reprend leur carnet de bord depuis le début et synthétise leurs recherches historiques sans trop en dévoiler sur Castiel, le châtain y veille jalousement.
Elijah l'écoute sans rien ajouter mais son regard s'assombrit de plus en plus tandis qu'un pli soucieux barre son front.
—«… Il y avait les mêmes vévés sur le lit? Et ils étaient répétés sur la chevalière… Normalement, ces symboles et les Iwas auxquels ils sont liés ne sont pas malfaisants. Quelque chose m'échappe dans votre affaire», admet-il.
—«Je pense que Sam et moi sommes arrivés au bout de la compréhension que nous pouvions avoir seuls de ce cas, il nous manque une clé de lecture…», renchérit le châtain.
—«Il y a encore la chanson, Fascination de Maurice de Féraudy. Elle a été composée en 1905», rappelle Sam.
- «La date concorde avec la période à laquelle Philippe a vécu. Il avait vingt-sept ans, c'est un bel âge.»
Dean s'en moque. Il ne veut pas penser au fait que c'est peut-être à cette époque que Philippe était le plus charmant ou le plus en phase avec sa sensualité. Il veut juste lui botter le cul et proprement.
Son frère explique rapidement l'histoire puis fait écouter un extrait à Elijah qui plisse légèrement les yeux.
—«Mon français est un peu rouillé mais c'est une chanson d'amour…»
—«Ouais, on sait», grommelle le châtain avec une pointe d'agacement.
L'homme esquisse un sourire et fait rejouer l'enregistrement plusieurs fois. Dean a l'impression d'entendre à nouveau la voix grave et rauque de Castiel la fredonner à côté de lui dans le salon. Imaginer qu'Il la lui a chuchoté à l'oreille comme un tendre amant tord son ventre de colère.
Les yeux fermés, leur hôte hoche la tête, son front barré d'un pli de plus en plus soucieux.
—«Cette chanson parle d'un amour presque inquiétant, quelque chose de plus puissant que la volonté de celui qui aime. Elle semble reprendre le thème ancestral d'Éros et Thanatos, les personnifications de l'amour-désir et de la mort que l'on associe souvent… Excusez-moi, je reviens.»
Elijah se lève, abandonnant les deux frères sur la terrasse.
Dean se venge de Lui en mangeant la moitié du paquet de gâteaux secs.
Leur hôte revient une minute plus tard tenant dans une main un vieux répertoire téléphonique aux pages hérissées de petits signets. Très vieille école. Le châtain hausse un sourcil et jette un œil au smartphone dernier cri posé sur la table. Cet homme est surprenant.
—«Je ne peux rien faire de plus pour vous. Je comprends que votre ami est en danger mais je ne suis pas en mesure de vous aider à lutter contre Lui.»
—«Vous priez sur la tombe de Marie Laveau, vous croyez au vaudou. Vous pourriez peut-être nous mettre en contact avec une manbo ou un hougan?», tente Dean avec espoir.
Elijah secoue la tête et le châtain sent sa poitrine se pincer désagréablement. Il mange deux biscuits l'un après l'autre avec la régularité d'un métronome. Comment Sam et lui sont-ils censés continuer à présent s'ils sont seuls?
Leur hôte lui jette un regard et lève les yeux au ciel.
—«N'ayez pas l'air aussi dépité, je vais faire encore mieux.»
Arrêté à une page du répertoire téléphonique, il griffonne quelques mots sur un morceau de papier avant de le tendre à Dean. Le châtain le lit avec soin, tout comme Sam par-dessus son épaule. Il pince les lèvres pour étouffer sa soudaine envie de rire. Cette affaire va le rendre dingue.
—«Je ne peux rien faire de plus mais Destiny pourra probablement vous aider.»
—«Cette dame habite dans les beaux quartiers de La Nouvelle-Orléans», note distraitement Sam.
—«Destiny vit très confortablement mais pas grâce à son don. Elle est une grande manbo, les croyants partagent son nom entre gens de la communauté. Destiny refusera de vous recevoir si vous ne précisez pas que je vous envoie à elle, elle se méfie des inconnus», reprend leur hôte en refermant le petit calepin. «Je vous conseille également de réviser vos bases sur le vaudou avant d'aller la voir. Destiny déteste perdre son temps et elle n'a aucune compassion envers les touristes qui ignorent tout de notre religion.»
Dean acquiesce sagement; il empruntera le livre acheté par Sam au Vaudoo Museum pour se cultiver un peu plus quand ils seront rentrés à leur hôtel.
Il frotte distraitement son pouce sur le papier.
—«Pensez-vous qu'on puisse prendre rendez-vous avec elle dès cet après-midi?»
—«C'est possible. Destiny travaille à Central Business District mais je ne sais pas quels sont ses horaires, peut-être rentre-t-elle chez elle pour déjeuner. Vous pouvez toujours essayer», répond Elijah en haussant les épaules.
—«Il vaut mieux l'appeler maintenant, nous pourrions la déranger après quatorze heures», dit Sam en regardant son frère.
Dean esquisse un geste pour récupérer son portable mais Elijah secoue la tête.
—«Je vous ai donné son adresse pour une bonne raison. Vous devez la rencontrer en personne. Destiny sent les choses, elle se fera son opinion à votre sujet à ce moment-là.»
—«Et si nous ne lui plaisons pas?»
Le châtain jette un regard entendu à leur hôte qui rit légèrement. Il lève les mains devant lui.
—«Ne le prenez pas mal mais je n'interviendrai pas en votre faveur. Je ne peux pas interférer entre elle et vous, cela ne vous serait d'aucune utilité et Destiny m'en garderait rancune. Vous devez vous débrouiller seuls.»
Le châtain pince les lèvres. Mince. Ça aurait quand même facilité les choses, Sam et lui ont pu apprécier plus d'une fois les bienfaits d'un bon réseau professionnel depuis leur arrivée à La Nouvelle-Orléans.
Les doigts refermés sur son bouc, Elijah lui adresse un sourire bienveillant.
—«Le seul conseil que je peux vous donner est de vous montrer sincère avec elle. Ne lui cachez rien, ne lui mentez pas non plus. Destiny entre en contact avec les Iwas et ces derniers lui parlent, elle connaît la puissance des esprits et elle est familière de la vie et de la mort. N'hésitez pas à revenir me voir si vous avez encore des questions et emportez ça avec vous. C'est un exemplaire de mon dernier livre sur la famille Laveau, il vous sera peut-être utile», ajoute-t-il en poussant un livre à la couverture verte et noire vers eux.
Sam s'en empare immédiatement avec reconnaissance.
Dean le remercie d'un air un peu plus raide. Il apprécie mais il se demande comment il va pouvoir lire deux volumes aussi épais d'ici le lendemain pour faire bonne figure devant Destiny. Si la manbo accepte de les recevoir après leur première rencontre. Le châtain n'aime pas ça, cette équation à une inconnue de la taille de la Louisiane.
Elijah se lève, donnant le signal du départ.
Sam le suit, déjà en train de feuilleter le livre avec attention; Dean s'autorise à terminer rapidement le paquet de biscuits. Il mange toujours un peu trop quand il est nerveux. Ou agacé. Ou les deux, ajoutés à tout un maelstrom d'émotions bourdonnant par-dessus.
Sur le pas de la porte, les trois hommes se serrent la main.
—«J'ai répertorié toutes les sources que j'ai utilisés à la fin de l'ouvrage. Je vais aussi chercher d'autres mentions de Philippe dans mes archives. Je ne me suis pas intéressé à lui depuis des années, quelque chose a pu m'échapper.»
—«Je vous remercie.»
Dean échange avec lui une vigoureuse poignée de mains.
Alors qu'il desserre ses doigts, Elijah emprisonne les siens d'une poigne de fer. Le châtain doute. Est-ce que leur hôte voulait aussi manger des gâteaux secs? Il ne lui a rien laissé. Paquet proprement nettoyé à la Winchester.
—«Je vous donne encore un conseil concernant votre rencontre avec Destiny. Soyez honnêtes, patients et montrez-vous humble», dit-il lentement.
—«Nous devons être humbles tout en lui faisant comprendre que nous savons parfaitement ce dont elle va nous parler?»
—«Je n'ai jamais dit que cela serait facile. Bonne journée», sourit Elijah.
Dean fronce les sourcils et regagne l'Impala sans se retourner. Il s'assoit derrière le volant, fait déjà ronronner le moteur alors que son frère est en train de s'installer à ses côtés.
Le châtain est prêt à dire tout ce que Destiny à besoin de savoir si cela les aide et il n'est pas un homme arrogant.
Cultiver sa patience est une autre paire de manche. Il y a tellement de choses qu'il pourrait répondre à cela qu'il préfère prendre un chewing-gum dans la boîte à gant. Goût cerise, il est vieux et dur. Pas très bon. Merde.
Le jeune homme lance l'Impala dans la circulation en direction de Barataria Boulevard.
Son frère a posé le livre d'Elijah sur ses genoux, il est en train de mettre le GPS de Google Maps en marche. Dean enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Ouais, ça pourrait être bien. Tout à sa frustration, il est en train de remonter Ames Boulevard Street sans se soucier de l'endroit où cela les mènera; peut-être à l'opposé de la maison de Destiny.
Destiny.
Le châtain esquisse un sourire moqueur. C'est quand même extraordinaire, presque trop beau. C'est prédestiné.
—«Tu es sur le bon chemin. Continue sur Ames Boulevard. D'ici trois kilomètres, tu prendras à droite sur Barataria Boulevard pour rejoindre le centre-ville de La Nouvelle-Orléans», indique Sam.
Son frère s'accoude à la portière et admire distraitement les alentours, son portable toujours à la main. La voix un peu désincarnée de l'application continue à les guider sur le bon itinéraire, hachant les noms français des rues d'une manière comique. C'est ridicule et le châtain s'esclaffe.
—«Serrez à droite. À trois cents mètres, tournez à droite sur la route 90 en direction de Central Business District.»
Le jeune homme arrête l'Impala à un feu rouge sur un large carrefour avant de mettre son clignotant.
—«Tu veux bien me relire tes notes sur le vaudou?», demande-t-il en relançant la voiture dans la circulation.
—«Je doute qu'on parvienne à tromper une manbo confirmée sur nos connaissances… Hier encore, tu as écrit IWA avec une faute d'orthographe.»
Dean jette un regard noir à son cadet qui ricane en coin.
—«Tu penses que tu arriveras à faire mieux semblant que moi devant Destiny?», siffle-t-il.
—«Au moins, j'ai lu le livre que j'ai acheté au Vaudoo Museum. Je pense que Destiny appréciera», répond Sam d'un ton pince-sans-rire.
—«Destiny…», répète lentement Dean.
—«Ouais, Destiny…»
Les deux frères échangent un regard avant d'éclater de rire. C'est la nervosité. Le soulagement. Et encore tout ce foutu maelstrom d'émotions.
.
Castiel est en train de terminer de compléter le certificat de garantie de la sculpture en marbre de Barney Filding – Mr. Tenenbaum vient de l'acheter à l'instant en négociant le prix d'environ 10 % – quand son ventre gronde bruyamment.
Le brun le frotte distraitement du plat de la main, signe l'exemplaire avec le cachet de sa société puis reprend l'étude du dossier numérique que Jessica lui a envoyé le jour précédent.
En une vingtaine de pages, abondé d'au moins autant de planches photos et de schémas, il synthétise le prochain projet d'exposition du Maridon Museum sur l'influence de l'Orient dans les arts décoratifs américains. La jeune femme lui a déjà demandé de manière officieuse s'il acceptait d'y participer en tant que prêteur privé. Si le brun donne son accord après examen du projet, ils formaliseront les choses par la signature d'un contrat de prêt.
Castiel apprécie le Maridon et le propos insolite de l'exposition lui plaît.
D'une main, il fait défiler les pages sur l'écran. De l'autre, il note dans un carnet de travail certaines œuvres de sa collection qui pourraient convenir. Il soumettra ensuite sa proposition à Jessica qui la présentera au conservateur mais il pense faire des propositions pertinentes. Sa galerie à New York était réputée, Gabriel et lui prêtaient régulièrement des œuvres à de prestigieux musées dans le cadre d'expositions temporaires. Son meilleur ami adorait les petits-fours qui étaient servis lors des vernissages, Castiel préférait cultiver de futures relations de travail.
Son ventre gronde une nouvelle fois.
Le brun jette un œil à l'horloge de son ordinateur, hésite un instant avant de se lever et de descendre au rez-de-chaussée. Il n'a pas vraiment faim mais son corps semble être d'un autre avis. Il se prépare une collation rapide, contemple longuement son assiette de club sandwiches avant de la couvrir de film alimentaire et de la ranger dans le frigo.
Non, vraiment, il n'a pas envie de manger quoi que ce soit.
Sa conversation avec Dean lui reste en travers de la gorge et c'est ridicule parce que les deux hommes ne sont rien l'un pour l'autre; bon sang, ils se connaissent depuis presque un mois.
Castiel a pourtant l'impression de vivre un peu un chagrin d'amour.
Cela le ramène un peu à quinze ans, quand Jemery Eames – son premier vrai béguin qui travaillait dans la supérette de son quartier – avait accueilli devant lui sa petite-amie en l'embrassant. Il s'était senti bien petit dans son bermuda en jean et son débardeur un peu échancré comme ceux des joueurs de la NBA. Le brun avait crispé ses doigts sur son billet de cinq dollars pour acheter une cannette de Red Bull. Il n'aimait même pas ça, c'était juste la boisson préférée de ce garçon qui semblait le prendre en intraveineuse.
Quand Castiel avait choisi la même chose que lui la première fois, les joues un peu chaudes, il lui avait offert un sourire si rayonnant que le brun avait cru s'enflammer.
Peu importe qu'il n'ait jamais trouvé pas ça bon du tout et qu'il ait dépensé une fortune pendant cet été, c'était un truc entre son béguin et lui – leur truc. Castiel y avait cru en tout cas.
Il fronce les sourcils et referme un peu brutalement la porte du frigo. Les bouteilles en verre tintent dangereusement à l'intérieur.
Il se sent ridicule.
Le brun se contente d'un thé et d'un paquet de biscuits qu'il laisse négligemment traîner sur l'îlot central. Il rangera plus tard.
Castiel retourne s'installer dans le canapé du salon bleu et appuie ses talons sur la table basse. Il s'en moque aussi.
Il ressasse juste encore et encore et encore.
Plus il ressasse et plus il se sent mal, frustré et pitoyable.
Le brun se venge sur les biscuits au chocolat, semant des miettes sur ses genoux.
Mince alors.
Juste mince, pour ne pas se montrer grossier.
Pathétique.
Dean à La Nouvelle-Orléans.
Misérable.
Dean avec des filles au bar de son hôtel.
Triste.
Dean avec une fille qui l'enlace et qui peut-être le conduit dans sa chambre, comme son rêve de Mardi Gras il y a plusieurs nuits.
Castiel enfonce légèrement sa tête entre ses épaules.
Dean qui – dans le même rêve – ne le voyait pas, qui souriait juste à Elle avec cet air canaille. Un air plein de promesse parce que Dean est forcément un amant remarquable, attentif et sensuel. Il était comme ça dans ses fantasmes la nuit passée et le matin-même.
Le brun passe une main sur son visage, tressaute nerveusement d'un pied contre la table basse.
Il doit remonter travailler. Penser à l'art, à l'histoire, à la beauté. Celle un peu froide des sculptures ou plus voluptueuses des peintures mais forcément très différente de celle de Dean.
Dean est…
Castiel s'agace.
Il se lève brusquement, ramasse avec soin les miettes tombées sur le tapis.
Alors qu'il se relève, il remarque un livre sur le plateau inférieur. Le brun le feuillette. C'est l'ouvrage de numismatique qu'il avait commencé à montrer à Tom pour identifier son dollar Morgan en argent.
Le jeune homme jette un regard à travers le bow-window à sa gauche.
Le SUV de Carol n'est plus devant le garage.
Il y a une heure, son amie lui envoyé un court message pour lui dire que le petit garçon allait suffisamment mieux pour rentrer à la maison. Les Moore sont tous allés le chercher.
Castiel hésite mais décide de se montrer un peu audacieux.
Il met le livre dans un solide sac en papier craft. Il ajoute une boîte de ces petits gâteaux au beurre qu'il commande par correspondance, importés de France et hors de prix. La boîte est décorée de chiens dans un style vintage, Tom l'aimera autant qu'il adore les petits biscuits à l'intérieur.
Le brun griffonne quelques mots sur une belle carte de vœux, une restant du stock de sa galerie new-yorkaise et qu'il envoyait à ses clients les plus fidèles au Nouvel An. Il a choisi l'image d'un caparaçon de cheval datant du XVIe siècle porté par un mannequin – une folie que Gabriel et lui avaient été follement heureux et soulagés de vendre au collectionneur privé Ronald Lauder. Il sait qu'elle plaira aussi au petit garçon.
Castiel récupère ses clés.
Alors qu'il passe le seuil, il a l'impression de sentir quelque chose le retenir en arrière. Lui, Ses doigts enfoncés dans son épaule. Il serre les dents, se dégage d'un geste brusque et s'empresse de traverser la rue.
Castiel ne croisera pas la famille, il veut juste montrer au petit garçon qu'il se préoccupe de lui et lui présenter ses vœux de bon rétablissement. Pour cela, il n'a même pas besoin de le voir réellement. Il remonte l'allée en gravillon et accroche avec soin son paquet à la poignée de la porte.
Le brun hoche la tête, satisfait.
Il s'apprête à redescendre les marches du perron quand il voit la voiture de Carol apparaître à quelques dizaines de mètres. Mince. Impossible de rentrer chez lui l'air de rien en ignorant la famille, ce serait très impoli.
Castiel tire nerveusement sur sa manche quand le SUV entre dans l'allée du garage.
Everett sort du côté passager, le salue d'un sourire amical avant d'ouvrir la portière arrière. Même à une dizaine de mètres, le brun voit Tom grimper dans les bras de son père et s'y accrocher comme un koala à son arbre, son visage dans son cou. Il sent sa gorge se serrer. Le petit garçon est resté en observation pendant moins de quarante-huit heures mais il a perdu du poids. Le col de son tee-shirt baille un peu trop autour de son cou. Son pantalon glisse sur ses hanches et dévoile la moitié de son slip Spider-man quand qu'il se pelotonne plus fort contre Everett.
La culpabilité qui tord son ventre lui donne la nausée.
Finley saute de la banquette arrière, suivie par Julia. La petite fille lui adresse un sourire rayonnant et se précipite vers lui. Le beagle se montre prudent, méfiant. Il garde la queue basse entre ses pattes arrières et avance en crabe dans sa direction. Castiel tente de ne pas y prêter trop attention, Finley n'est un chien. Un chien adorable – même s'il lui grogne régulièrement après depuis quelques semaines – mais un chien.
—«Cassie! C'est pour moi?», roucoule Julia en se jetant dans ses jambes.
La petite fille tend la main vers le sac en papier, le brun la retient doucement.
—«C'est un cadeau pour ton frère. Il a été malade mais il partagera sans doute les gâteaux avec toi.»
—«Tu as mis quelque chose de plus lourd que des gâteaux dedans», insiste-t-elle en se tortillant contre lui.
—«C'est un livre sur les monnaies anciennes.»
—«Ça a l'air très ennuyeux. Je lui laisse et je prends les biscuits.»
Castiel sourit et la chatouille dans le cou du bout des doigts.
Everett gagne à son tour le perron tandis que derrière lui, Carol sort une petite valise du coffre du SUV. Elle est si petite, si effrayante malgré ses autocollants très colorés de super-héros. Elle était le petit sac d'hospitalisation de Tom. Mince. Mince.
Quand son amie lève les yeux vers lui, le brun lui adresse un sourire tordu.
Everett s'approche de la porte d'entrée et cherche ses clés dans la poche de son jean, Castiel s'écarte brusquement de crainte de gêner. Il n'aurait pas dû venir.
—«Je suis désolé, je ne pensais pas que je vous croiserai. Je suis juste venu déposer un petit cadeau pour Tom pour son retour», souffle-t-il.
—«Merci Castiel.» Everett sourit et remonte son fils dans ses bras. «Ne m'en veut pas mais je ne vais pas m'attarder. Tom est fatigué, je vais l'emmener dans sa chambre.»
—«Bien sûr.»
De près, le col du tee-shirt baille plus que jamais autour du cou du petit garçon. Tom a enfoui son visage dans le cou de son père, Castiel a l'impression qu'il se recroqueville un peu sur lui-même quand il entend sa voix. Qu'il ferme les yeux pour ne pas le voir.
Il déglutit douloureusement, il n'ose pas le saluer ni même lui adresser la parole. Le brun se contente d'un petit salut de la main en espérant que Tom l'aperçoive. Dieu, le garçon a seulement onze ans et Castiel vient de négocier une œuvre d'art à plus de vingt-cinq mille dollars. Il peut le faire!
—«Bonjour Tom, je suis content de voir que tu vas mieux», dit-il doucement.
Le petit garçon opine très discrètement contre son père. Julia ouvre le sac en papier pour regarder à l'intérieur et glousse joyeusement.
—«Tom, Cassie t'a amené un gros livre ennuyeux et des gâteaux dans une jolie boîte!», s'exclame-t-elle avec joie.
—«C'est l'ouvrage sur les monnaies anciennes qu'on a commencé à regarder ensemble quand tu es venu à la maison. Tu te souviens? On a identifié ta pièce en argent.»
Les fines épaules de Tom se contractent brusquement, presque douloureusement. Castiel croit entendre un sanglot étranglé et cela le déconcerte complètement. Pourquoi? Il n'a rien fait de mal. Il a parlé d'une voix douce et posée, il se tient même un peu loin du petit garçon.
Carol les rejoint, la petite valise à la main et le brun lui jette un regard défait. Son amie esquisse un sourire fatigué avant de caresser tendrement les cheveux bruns de son fils.
—«Bonjour Cassie. C'est une très gentille attention de ta part, n'est-ce pas Tom?», demande-t-elle en chatouillant sa nuque dans le col du tee-shirt.
Le petit garçon reste raide sous sa main. Le couple échange un regard, Everett frotte doucement son nez contre sa joue dans un geste malicieux.
—«Est-ce que tu vas bien Tommy?»
—«… Je suis fatigué. Je veux aller dans ma chambre.»
—«Bien sûr mon ange. Tu veux bien dire au revoir à Cassie et le remercier?»
Tom se serre si fort contre son père qu'il semble vouloir fusionner avec lui. Disparaître, ne plus voir le brun. Que Castiel ne puisse plus le voir non plus.
Le jeune homme cherche machinalement sa chaîne autour de son cou. Il tire nerveusement dessus avant de serrer ses doigts sur la médaille.
—«S'il te plaît mon ange.»
—«… Je ne veux pas. Je veux rentrer.»
Cette fois, Castiel entend les sanglots dans sa voix. Sa peur aussi. Seigneur, la culpabilité creuse un gouffre dans son ventre.
—«Ce n'est pas grave Carol, ne le force pas s'il ne veut pas. Je vais partir», croasse-t-il.
Tom hoche frénétiquement la tête. Il tire fort sur le revers de la veste de son père pour lui demander silencieusement d'entrer dans la maison. Carol fronce les sourcils de désapprobation mais elle passe devant eux et ouvre la porte. Elle prend le sac en papier des mains de Julia et jette un regard à l'intérieur.
—«Tu leur offres une boîte entière? Tu es fou, tu les achètes une fortune…», proteste-t-elle.
—«Ce n'est pas grand-chose. Tom les adore et je veux juste lui faire plaisir», répond Castiel d'une petite voix.
Il se demande si le petit garçon acceptera d'y planter seulement les dents.
—«Moi aussi j'adore ça.! Tom n'en voudra pas de toute façon alors je vais les manger. C'est mal de gâcher la nourriture, Mrs. Robinson a nous a appris ça à l'école. Tu sais que chaque année, une famille jette mille tonnes de nourriture? Ce n'est pas bien», explique doctement Julia.
Castiel est certain que le nombre est tout à fait exagéré mais il hoche la tête. Au moins, la leçon a été bien apprise.
Julia tire sur la manche de sa mère, louchant sur le contenu du sac en papier.
—«Je peux en manger un maintenant Maman?»
—«Je ne veux pas! Ils sont pour moi, je vais les manger», dit Tom en jetant un regard noir à sa sœur par-dessus l'épaule d'Everett.
Castiel rit discrètement – il est heureux – et le petit garçon le regarde.
Le brun croise son regard.
C'est un hasard, un accident malencontreux.
Castiel veut s'excuser d'un sourire mais il n'en a pas le temps.
La réaction de Tom le glace.
Le petit garçon cligne des yeux puis hoquette durement. Il crispe si fort ses doigts sur les épaules de son père que ses jointures blanchissent maladivement.
Le brun cesse aussi de sourire.
Le petit visage rond de Tom s'est allongé sous l'effet de la brutale perte de poids mais il blêmit brusquement et ses joues déjà creuses se remplissent d'ombres inquiétantes. Ses yeux sont un peu enfoncés dans les orbites, cernés de bleu.
Tom lui ressemble quand il est dans ses mauvais jours et Castiel se sent vaciller.
Sa maladie a commencé comme ça avant qu'il ne développe tous les autres symptômes; la fatigue chronique, le manque d'appétit, le sommeil troublé, les palpitations cardiaques et tant d'autres choses encore.
Le brun déglutit encore et encore mais sa gorge et sa bouche restent sèches, sa langue lourde et cartonneuse dans sa bouche.
Tom lui ressemble dans toute son horrible maladie.
Puis soudain, il y a encore autre chose.
Une ombre passe dans les yeux du petit garçon, quelque chose qui ressemble à une peur panique.
Castiel veut lui sourire d'un air rassurant mais – un nouveau regard échangé – Tom éclate brutalement en sanglots convulsifs.
Il se débat dans les bras d'Everett qui tente de le calmer, hoquette durement et s'étouffe en tant de dire qu'il veut rentrer chez eux. En sécurité.
Les épaules du brun s'effondrent, le gouffre en lui se creuse encore et encore et encore.
Son père tente de l'apaiser, sans succès.
Le petit garçon gigote et se redresse brusquement dans ses bras, tout son corps douloureusement contracté. Il agite frénétiquement la tête, pleure et crie qu'il veut rentrer. Des larmes lourdes et brûlantes roulent sur ses joues, ses hoquets étranglent sa respiration hachée.
Tom tourne la tête vers de la maison de Castiel.
Il hurle et se cambre dans les bras de son père pour descendre et fuir. Le fuir.
Sa peur devient terreur et parce que le brun est malade, il reconnaît les signes avant-coureurs d'une crise de panique.
Serrée contre Carol, Julia pleure aussi à chaudes larmes, apeurée par les cris de son aîné. Autour d'eux, Finley aboie à la mort.
Castiel baisse les yeux et le beagle, si gentil et amusant, lui grogne dessus en découvrant les babines.
Carol jure bruyamment. Elle ouvre brusquement la porte d'entrée et pousse Julia en avant avec empressement. Everett est déjà entré à l'intérieur. Les cris et les sanglots de Tom résonnent dans la maison et dans la moindre fibre du corps de Castiel.
—«Rentre ma chérie et prends Fin' avec toi. Tu veux bien amener ça pour moi dans la cuisine s'il te plaît?»
La petite fille attrape le sac en papier et s'enfuie dans la maison sans un regard en arrière pour le brun, son si bon et doux ami pourtant.
Carol abandonne la valise sur le seuil et se précipite vers son mari.
Tom est assis sur la première marche de l'escalier, les dents serrées. Sur son maigre cou, les tendons dessinent des élastiques prêts à se rompre dans un claquement atroce.
La blonde prend son visage en coupe et cajole tendrement ses joues.
—«Calme-toi mon ange. S'il te plaît, respire lentement et calme-toi. Tu es sécurité», chuchote-t-elle.
Tom secoue frénétiquement la tête. Les traits de son visage sont contractés, ses yeux bouffis par les larmes et sa peau rougie lui donnent l'allure grotesque d'un masque tragique.
—«Je – Non. N… Non, il est là!», hoquette-t-il bruyamment.
Le petit garçon le désigne d'un geste vague. Castiel se sent pâlir, tout son sang refluer loin, très loin de ses organes vitaux. Juste le froid et la mort.
Carole fronce les sourcils.
—«S'il te plaît Tommy, ne dis pas ça. Castiel est notre ami.»
—«Non. Non! Il m'a fait du mal, il m'a rendu malade! Je ne veux pas! Je veux pas!»
Tom s'agite encore, le souffle court et haché. Ses cris semblent résonner dans tout Belmont Road.
Castiel est effondré.
Les regards que jette le petit garçon dans sa direction sont terrifiés. Ses paroles s'emballent, il étouffe encore dans ses sanglots et soudain, pousse un son aigu et glaçant.
—«Il est là! Il est là! Il est là! Je le vois!», hurle Tom d'une voix de plus en plus hystérique.
C'est trop. Tout est trop.
Castiel se sent mal aussi, il s'appuie d'une main sur le chambranle de la porte, un pied sur le seuil. Son visage est trempé de sueur, cela le dégoûte. Il se dégoûte.
Dans un état second, il aperçoit Everett qui emporte Tom à l'étage. Et ces cris, seigneur ces cris…
Carol récupère la valise dans l'entrée, le brun constate qu'elle pleure aussi.
—«Je –»
—«Rentre chez toi Castiel. S'il te plaît.»
—«Je peux peut-être t'aider…», propose-t-il maladroitement.
La blonde secoue la tête. Elle ordonne à Julia de sortir Finley dans le jardin arrière, ses aboiements la rendent folle. Castiel sourit à la petite fille mais celle-ci cligne des yeux, fait un pas en arrière et s'enfuit dans la maison, le beagle sur les talons.
Il reste seul sur le seuil, invité indésirable et dangereux.
—«Je pourrais –»
—«Non Castiel, tu ne peux rien faire. Rentre chez toi, ce n'est pas le moment.»
Le brun acquiesce lentement, un peu abasourdi. Son amie ne l'appelle jamais par son prénom complet, elle ne lui a jamais parlé non plus de cette manière; avec ce ton sec et cinglant.
Castiel se sent plus misérable que jamais, soudain ramené à ses années d'école primaire et aux disputes d'enfant qui le laissaient parfois seul dans la cour de récréation et aux déjeuners. C'est cette même sensation d'abandon et de rejet et ça tord son ventre jusqu'à la nausée.
L'escalier tremble et Everett apparaît soudain. Son polo est souillé de vomissures et une fine sueur perle à la racine de ses cheveux sur son front. Il le retire brusquement dans l'entrée, une grimace de dégoût au visage.
—«Qu'est-ce que –?»
—«Tom a besoin de toi, il t'appelle.»
—«… Il t'a vomi dessus?», demande Carol d'un ton incrédule.
—«C'est à cause du stress. Il est en train de faire une crise de panique.»
—«Est-ce que tu peux surveiller Julia? Elle est dans la cuisine.»
—«Tom demande après nous deux. Il parle de choses sans queue ni tête, de cauchemars qu'il a fait et d'une grande ombre qui le menace de lui faire du mal. Il dit qu'il ne veut pas mourir. Je n'y comprends rien et je ne parviens pas à le calmer», grogne Everett en passant une main dans ses cheveux.
—«… Il – Il faut qu'il respire dans un sac en papier. L'air saturé en oxygène devrait l'aider à se calmer», balbutie Castiel.
Carol tourne brusquement la tête vers lui. Son regard lui coupe toute envie d'ajouter le moindre mot. Il est glacial.
—«Nous nous en sortirons sans ton aide. Va-t'en Castiel», siffle-t-elle.
Oh. Ça fait mal, tellement mal.
Le brun opine lentement mais la jeune femme a déjà claqué la porte devant lui.
Il descend les marches du perron, jette un dernier regard à la maison. Il aperçoit Julia qui l'espionne derrière le rideau du salon. La petite fille s'enfuit une nouvelle fois quand leurs regards se croisent.
Depuis le jardin, il entend Finley qui continue d'aboyer. Un bruit sourd et répété lui indique le chien se jette contre la clôture, probablement pour essayer de sauter. Le beagle est un gentil chien mais à cet instant, Castiel sait qu'il pourrait l'attaquer.
Il s'éloigne, les épaules basses et le cœur brisé.
Le brun traverse Belmont Road Street, poursuivi par les cris et les sanglots de Tom qui ne cessent de résonner à ses oreilles.
Il entre chez lui, ferme avec soin. Belmont Road est un quartier tranquille, plutôt haut de gamme sans délinquance ni criminalité. Alors qu'il pose les clés dans le vide-poche de l'entrée, Castiel a les larmes aux yeux. Il s'enferme pour protéger les autres, pour Le contenir.
Le brun monte lentement l'escalier et va s'allonger sur son lit.
Il frotte sa paume contre sa poitrine.
Son sang bat bruyamment à ses tempes, il sent les pulsations mauvaises et erratiques de son cœur.
Castiel tente de se calmer.
Il jette un regard las en direction de la salle de bain, au flacon de bêtabloquants qu'il devine posé à côté de sa brosse à dents mais roule lentement sur le flanc opposé pour les ignorer. Il n'aime pas les prendre, il redoute les effets secondaires des médicaments censés aider sa tachycardie. Castiel se souvient encore de sa très longue sieste la dernière fois qu'il en a avalé, bouleversé par la séance de spiritisme menée par Dean et Sam. C'est le châtain qui lui avait donné les pilules avec un verre d'eau, debout et raide à côté du lit pour vérifier qu'il les avalait bien. Castiel avait trouvé ça mignon. L'adrénaline courrait encore follement dans ses veines et rendait son cœur un peu trop fou devant le sourire inquiet de Dean.
Un battement qui saute.
Dean et les filles.
Encore un autre battement.
Dean qui boit un verre avec des filles.
Qui prend des photos avec des filles.
Qui les trouve belles et entreprenantes.
Une succession de battements affolés qui cogne contre sa cage thoracique.
Le brun grogne de douleur, sa respiration entravée.
Il doit passer à autre chose. Enfermé dans sa maison, il n'est un danger pour personne. Et ce n'est pas grave, il y a bien d'autres poissons dans l'océan.
Quand Castiel ira mieux – qu'il sera à nouveau beau et désirable – il mettra sa belle chemise bleue et il sortira. Il oubliera Dean qui aura quitté Butler pour aider une autre personne ou se sera lancé dans sa propre chronique dans ce petit journal local d'Alabama parce qu'il aura dîné en tête-à-tête avec sa journaliste. Il n'y a qu'un pas ensuite entre le journalisme et la télé. Le châtain est terriblement télégénique. Si un talk-show voit le jour, Castiel pourra le regarder comme un plaisir coupable. Il étudiera toute la séduction de Dean portant un costume trois pièces de l'air seulement détaché d'un connaisseur en beautés masculines. Il pourra même en rire plus tard, quand il fréquentera un autre homme avec lequel il pourra regarder ce programme.
… Cet homme sera peut-être moins séduisant et il ne provoquera pas un tel raz-de-marée de quelque chose dans son ventre mais il retombera amoureux.
Le brun ferme les yeux et esquisse un rictus douloureux.
Il est si fatigué. Et il a si mal.
Castiel tâtonne dans les draps pour trouver son portable. Il l'éteint et l'abandonne à côté de son oreiller. Si Dean appelle ce soir comme il le lui a promis, il lui laissera un message. Le brun ne veut pas répondre, il ne veut rien dire.
Il ferme les yeux et se recroqueville un peu sur lui-même, son cœur toujours affolé dans sa poitrine trop serrée.
Sa main effleure délicatement sa nuque et il frissonne.
Il l'embrasse, Son autre main coule sur sa hanche pour s'y crocheter soigneusement.
Castiel Le sent se lover contre lui. Son corps aligné contre le sien. Son bassin contre ses fesses.
«Pauvre cœur. Mon pauvre amour, si seul et si rejeté.»
Il embrasse tendrement son cou et la peau fine derrière son oreille gauche.
C'est tendre, vraiment tendre.
Castiel a envie de pleurer.
.
—«… Je ne pensais pas qu'une prêtresse vaudou gagnait si bien sa vie, je ne savais même pas que c'était un métier», siffle Dean avec admiration.
Le châtain lève les yeux haut, très haut sur la haute façade couverte de petites briques. L'immeuble pourrait avoir un faux air de bâtiments new-yorkais du Bronx s'il n'y avait ce portier devant, debout à côté de la double porte vitrée. Depuis le trottoir, Dean peut voir qu'elle ouvre sur un hall qui doit faire trois fois la taille de son appartement à Kansas City. Non, peut-être quatre fois; et il n'a pas de colonnes en marbre chez lui. Pas de tapis rouge non plus devant son entrée, balisée par des plots dorés et un cordon de velours écarlate.
L'homme porte une casaque à boutons dorés et une casquette à la visière vernie. Bordel.
—«… Tu penses que Destiny déclare ses revenus de quelle manière? Est-ce que tu peux inscrire prêtresse vaudou dans l'onglet profession?», reprend-il d'un ton badin.
—«Ne sois pas envieux, cela ne te va pas…», sourit Sam.
Le jeune homme renifle d'un air légèrement dédaigneux.
Il n'est pas envieux – la seule idée du montant des charges annuelles de copropriété lui donne déjà des sueurs froides – il est juste un peu –
Le ronronnement grave d'un puissant moteur résonne dans son dos et Dean sent un frisson presque voluptueux descendre dans ses reins. Oh merde, c'est bon.
Il jette un regard discret par-dessus son épaule. Double merde.
Une Cadillac à la carrosserie luisante se gare souplement le long du trottoir, une sportive somptueuse à plus de cent mille dollars hors options. Et elle en a forcément.
Le châtain apprécie les voitures anciennes mais il est ouvert d'esprit et – merde – cette Cadillac est vraiment belle. S'il osait, il demanderait bien au chauffeur la marque de polish qu'il utilise pour lustrer sa carrosserie. Baby serait magnifique et Dean serait vraiment heureux de pouvoir voir son reflet sur son capot comme dans un miroir. Ouais, un grand miroir au lourd cadre doré, quelque chose de très riche, comme il l'imagine dans chacun des appartements de cette résidence de luxe sur Magazine Street.
Dean n'est pas envieux mais ça donne quand même un peu envie.
Il n'a pas à se plaindre de son niveau de vie, il est devenu propriétaire à un taux avantageux et son appartement à Kansas City est un bon placement immobilier mais vivre ici… Le châtain est certain que chaque appartement a un accès privatif par ascenseur. Il y a aussi probablement une salle de cinéma privé quelque part à côté de la piscine intérieure. Merde, ce serait quand même la grande classe. Faire l'amour dans l'eau – piscine de luxe ou océan dans un endroit paradisiaque peu importe, il n'est pas sectaire – est un de ses fantasmes. Ce serait bon, un peu sexy. Il se demande distrairaient si Castiel nage bien.
La Cadillac klaxonne derrière lui, Dean contient son léger soupir de plaisir un peu obscène. Même le son est sexy.
Il lorgne à nouveau sur la voiture et aperçoit du mouvement derrière les vitres fumées. Le conducteur ouvre sa portière, le châtain est prêt à rire en imaginant son uniforme et sa casquette. Cela ne se passe exactement comme il le pensait. Un jeune homme sort souplement de la voiture et s'accoude au toit avant de klaxonner à nouveau avec une pointe d'impatience.
Cette fois, Dean déglutit. Un peu.
Le conducteur est du genre… très haut de gamme aussi.
Son costume parfaitement coupé met en valeur son corps athlétique. Il a la peau sombre, porte les cheveux très courts – presque à ras – et une très fine barbe soigneusement entretenue couvre ses joues. Les traits de son visage sont solides, harmonieux avec une mâchoire forte mais ses yeux sont étonnamment clairs. Un mannequin genre vraiment canon, un de ces types gaulés comme un dieu grec que les campagnes de publicité de Calvin Klein affichent dans les rues en 160x240. Le genre qui provoque des accidents de circulation parce qu'il est distrayant à regarder.
Le châtain baisse machinalement les yeux sur la main qu'il a posée sur le toit de la Cadillac. Une alliance en or brille à son annulaire gauche. Ouais, bien sûr. Non pas que ça ait réellement de l'importance. Après tout, tous les acteurs les plus canons d'Hollywood sont mariés et Dean trouve que c'est une très bonne chose. Il peut se montrer – un peu – envieux mais pas prétentieux à ce point, merci bien.
Sam se racle légèrement la gorge à côté de lui. Le châtain détourne brusquement les yeux.
—«Je ne suis pas envieux. Il a juste une très belle voiture. Je suis sûre qu'elle vaut la moitié de mon crédit immobilier», répète-t-il en lui jetant un regard noir.
Son frère sourit d'un air malicieux et Dean étouffe une toux discrète et tout à fait opportune dans le col de sa veste. Ouais, la bagnole est canon, le mec est canon, l'ensemble lui fait l'effet d'une bombe légèrement chargée en plutonium. Il le sait. Sam le sait. Bien, ils peuvent passer à autre chose maintenant.
Le conducteur klaxonne une nouvelle fois avec impatience. Un peu stupidement, Dean trouve que l'agacement lui va bien. Il serre les dents, ça fait des choses très attirantes à la ligne de sa mâchoire et de –
Soudain, l'inconnu a un mouvement d'humeur. Le châtain sursaute légèrement et se tourne vers son cadet, sa nuque chauffant un peu. Se faire surprendre en pleine contemplation serait assez honteux.
—«Pour l'amour de Dieu, dépêche-toi!», s'exclame-t-il.
Dean regarde vers l'entrée de l'immeuble. Il est brièvement distrait par les galons de l'uniforme du portier avant de remarquer qu'il tient la porte ouverte à une jeune femme. Bon sang, est-ce qu'il vient vraiment d'incliner la tête pour la saluer? Le châtain a envie de rire.
—«Bonjour journée Mrs. Williams.»
—«Bonne journée Peter!» La jeune femme foule le tapis rouge sur quelques pas avant de s'arrêter et de se tourner vers le portier. «Ah! Le pressing doit rapporter dans l'après-midi ma robe en soie crème pour demain soir. Pourrez-vous la récupérer pour moi s'il vous plaît? Je veux qu'elle soit remise en main propre.»
La jeune femme sort de son portefeuille deux billets de cinquante dollars qu'elle lui tend, elle le remercie d'un signe de tête et traverse le trottoir. Son aisance à se déplacer sur des talons aiguilles de douze centimètres fait un peu halluciner Dean. Il l'a pourtant bien vu courir sur le tapis rouge à l'instant, n'est-ce-pas?
Cette fille est belle aussi. Sa peau est couleur café au lait, elle porte de fines tresses soigneusement nattées sur son crâne et ramenées en tresse sur son épaule droite. Quand elle passe devant lui, le châtain remarque que son sac à main en cuir est la création d'un maroquinier de luxe tendance; il aperçoit le logo à chaque pas entre les pans de sa robe de créateur.
Une gravure de mode, elle aussi.
La vie des gens riches a l'air intéressante.
La jeune femme marche jusqu'à la Cadillac et Dean hoche légèrement la tête. Oui, bien sûr. Le mannequin sous-vêtements avec la fille gravure de mode. C'est normal. L'inconnu appuyé contre la voiture sourit à la jeune femme et – que Dieu lui vienne en aide – le châtain le trouve encore plus séduisant.
—«Destiny, peux-tu presser un peu le pas chérie? Je dois être rentré au cabinet pour quatorze heures trente», dit-il.
—«Tu es agacé?»
—«Non, juste en retard et je n'ai pas encore déjeuné»
La jeune femme rit joliment et hoche la tête. La lourde natte bouge légèrement sur son épaule, dévoilant d'énormes créoles en or. Elle lui sourit d'un air malicieux.
—«Je voulais t'offrir à déjeuner à côté de ton bureau pour me faire pardonner de t'avoir obligé à faire ce détour pour venir me chercher mais tu sembles vraiment très pressé, Josh.»
—«Tu sais que j'ai toujours du temps pour déjeuner avec toi mais fais attention, je vais commander le menu entier. J'ai vraiment dû faire un long détour», marmotte le jeune homme.
Sa compagne éclate de rire.
Dean a écouté l'échange avec une parfaite indiscrétion mais ce n'est pas comme s'il le voulait vraiment. Il n'a entendu que son prénom. Destiny.
Il regarde une nouvelle fois l'immeuble. L'adresse est la bonne, Sam et lui ont garé l'Impala plus loin sur Capdeville Street et ils viennent à peine d'arriver. Quelle chance y a-t-il pour qu'un homonyme habite au même endroit? Son frère lui répondrait probablement après un rapide calcul de probabilités – il en serait capable – mais Dean s'en fout comme de son premier boxer de grand.
La jeune femme ouvre la portière du côté passager. Elle est en train de poser son sac à main sous le siège quand le châtain s'avance vers elle. Il sent son parfum, quelque chose d'un peu doux, de poudré et de cotonneux qui lui évoque un boudoir tendu de soie rose et – allez savoir pourquoi – une houppette en plumes de cygne comme dans un vieux film.
—«Mrs. Destiny?»
La jeune femme se fige, une main sur la portière.
De l'autre côté de la voiture, son mari se redresse et plisse ses étonnants yeux vert d'eau, l'air vaguement suspicieux. Dean l'ignore. Il préfère les yeux bleus de toute manière. Depuis quelque temps, c'est une couleur qui provoquent des tas de sensations agréables en lui quand il les croise.
Ce souvenir le rassérène un peu et il sourit cordialement. Destiny reste sur la défensive.
—«Destiny Williams, n'est-ce pas? Nous venons de la part d'Elijah.»
Un éclair passe brièvement dans ses yeux mais la jeune femme ne cille pas; étonnante statue à la peau dorée habillée de soie pastel.
Son mari fronce les sourcils.
—«Des'?»
Elle ne répond pas. Son regard est plongé dans le sien et il est… intense. Ses prunelles noires ressemblent à deux lacs sans fond, bordées de très longs cils qui ombrent délicatement ses joues. Sa peau est lisse, elle semble douce et rebondie, d'un délicat velouté. En bonne santé.
Pas comme Castiel, si pâle et dont la peau trop fine laisse voir le fin réseau des veines en dessous.
Le châtain s'affermit.
Le quartier est de bon ton, le portier ne va pas tenter de le déloger ce morceau de trottoir par la force, n'est-ce pas? De toute manière, il serait gêné par son uniforme et Dean s'est endurci avec la pratique de l'entraînement physique. Courir après un loup-garou dans les bois pour lui couper la tête nécessite une certaine endurance.
—«Vous êtes bien Destiny?», répète-t-il. «Mon frère et moi ne voulons pas vous déranger mais nous avons besoin de vous.»
Le châtain lui jette un regard entendu. De l'aide comme de l'aide venue de l'au-delà; oui, oui, tout à fait.
Destiny se crispe légèrement.
De l'autre côté de la voiture, son mari fronce un peu plus les sourcils. Il claque vigoureusement sa portière et se met ostensiblement entre eux. Le châtain lève les mains en signe d'apaisement. C'est peut-être un effet de la coupe parfaite de son costume trois pièces mais ce Josh a les épaules vraiment très larges. Et il a de grandes mains. De belles mains, bien entretenues. Bref. … Il a déjà remarqué que Castiel se ronge un peu les ongles, il trouve ça absurdement mignon. Re-bref.
—«Rentre dans la voiture, Des. Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous voulez mais ne vous approchez pas de ma femme», gronde-t-il d'un air menaçant.
—«Nous avons juste besoin de lui parler, nous cherchons des réponses», ajoute Dean avec assurance.
Il accentue à dessein le dernier mot; des réponses, des vraies avec l'aide de l'au-delà encore une fois.
Le couple échange un regard. Destiny joue nerveusement avec la large manchette autour de son poignet droit, Dean songe distraitement qu'elle est probablement en or vingt-quatre carats.
—«Je ne peux pas vous recevoir», répond-elle finalement.
—«Mais vous aidez bien Elijah, non? Nous venons de sa part, c'est lui qui nous a donné votre nom et votre adresse», s'obstine le châtain.
La jeune femme fronce les sourcils.
—«Je ne tiens pas une sorte de club privé pour lequel il faut être parrainé pour entrer et Elijah le sait très bien. Je suis navrée mais vous faites erreur. Je ne peux rien pour vous.»
Dean grince des dents et serre douloureusement les poings. Il sent que Sam pose doucement une mais sur son épaule et la presse gentiment pour l'apaiser. Ça ne fonctionne pas vraiment.
—«Nous pouvons rencontrer quelqu'un d'autre», lui souffle-t-il discrètement.
—«C'est elle qu'Elijah nous a recommandé.»
—«Il nous a dit qu'elle était une excellente manbo mais elle n'est peut-être pas la seule qu'il va voir. Elijah a environ quinze ans de plus qu'elle, il a forcément rencontré d'autres personnes avant. Nous pouvons retourner le voir et lui demander quels sont ses autres contacts.»
Dean serre les dents et rejette sa main d'un brusque coup d'épaule. Bordel non, ils sont là et il est hors de question de perdre encore du temps. Le châtain fait brusquement un pas vers le couple; Josh tend une main devant lui pour le tenir à distance.
—«Destiny, monte dans la voiture et appelle la police. Dis qu'un forcené est en train de nous agresser.»
—«Oh je vous en prie! Je dis des choses très sensées!», proteste Dean en roulant des yeux.
Sam se racla discrètement la gorge derrière lui et son aîné le fusille du regard. Agacé, il plonge une main dans sa veste pour fouiller dans la poche intérieure.
Son vis-à-vis se raidit immédiatement, Dean pense même le voir esquisser un geste de mise en garde en boxe, poings serrés et muscles contractés. Que Josh-mannequin-pour-slips aille se faire foutre; le châtain est prêt à tout pour aider Castiel. Il ne s'est peut-être jamais entraîné dans une luxueuse salle de sport mais il a regardé des vidéos de self-défense sur Youtube et il pense ne pas se débrouiller si mal que cela.
Dean sort brusquement le sachet en velours et fait glisser la chevalière dans la paume. Il la brandit devant lui, les rayons du soleil jouent sur l'or poli et la sardoine gravée. Le jeune homme voit Destiny crisper presque douloureusement ses doigts sur le haut de la portière. Ses ongles longs laqués d'un joli rose nude crissent sur la peinture.
—«Nous avons besoin de réponses à propos de cette bague. Elle est gravée de vévés vaudous sur l'anneau et personne n'a été en mesure de nous dire ce qu'ils signifiaient.»
—«… C'est sans doute une babiole pour touristes, il y en a plein les boutiques de souvenirs de French District. On vous a arnaqué», souffle la jeune femme.
Dean secoue vigoureusement la tête.
—«Elle a plus de cent trente ans et elle est gravée aux armes de la famille de Vernantes qui a vécu ici, à La Nouvelle-Orléans. … Elle a appartenu à Philippe Laveau dit de Laveau ou Delveau. De la famille de Marie Laveau.»
Le châtain lui jette un regard entendu et Destiny écarquille les yeux de surprise. Son visage est resté impassible depuis le début de leur conversation mais pour la première fois, elle ne parvient pas à garder son beau calme vaguement indifférent. Elle pâlit même un peu.
La jeune femme pose une main sur l'épaule de son mari pour l'apaiser, elle secoue légèrement la tête quand il l'interroge d'un regard.
—«Vous connaissez forcément Marie Laveau. S'il vous plaît…», renchérit Dean.
Destiny se mord légèrement les joues et acquiesce.
—«Je la connais. Elle était notre mère à tous, aux manbos et aux hougans mais je ne suis qu'une modeste prêtresse, je ne peux pas interférer avec elle», admet-elle.
—«Elijah va prier tous les jours sur sa tombe à Saint-Louis No. 1. Il fait un signe de croix sur le caveau pour lui demander d'exaucer ses vœux, il croit en elle.»
—«Ce geste tient du folklore et il le sait. Je ne peux pas faire ça, je suis désolée.»
Destiny hésite avant de lui tendre une main en signe de paix, un sourire un peu gêné aux lèvres.
Dean se considère comme un homme honnête et droit mais il sait aussi être fourbe quand les circonstances l'exigent. Pour Castiel, il ferait beaucoup de choses.
Le châtain accepte la poignée de mains, il serre ses doigts autour des siens. La chevalière est habilement coincée entre leurs paumes pour qu'elle la touche. Ouais, c'est moche mais c'est pour Castiel. S'il a bien appris quelque chose au Vaudou Museum c'est que l'invocation des Iwas dépend de rituels et pas de la puissance de la personne qui opère. Il refuse d'accepter cette dérobade de la part de Destiny, même si la jeune femme est très belle et son sourire des plus charmants.
Quand la bague touche sa peau, Dean voit ses pupilles sombres se dilater légèrement. Il pose immédiatement son autre main sur la sienne pour les presser ensemble autour de ses doigts et lui faire toucher plus longtemps le bijou. Ça ne doit pas avoir l'air si désespéré mais bon sang, il en a assez. Il veut juste savoir enfin ce qu'il a besoin de savoir et rentrer à Butler. Sam et lui sont partis il y a une semaine, c'est une foutue éternité.
—«Nous logeons au New Bourbon Hotel dans French District. Nous y attendrons votre réponse pendant vingt-quatre heures, qu'elle soit positive ou négative. Je vais prévenir l'accueil que vous êtes susceptible de nous joindre», sourit-il.
La jeune femme retire sa main d'un geste brusque. Dean retient prudemment la chevalière et la range à nouveau dans le sachet en velours. Les prunelles sombres de Destiny lancent des éclairs tandis qu'elle le regarde faire. Oui, c'est vraiment moche; il espère qu'elle le pardonnera à leur prochaine rencontre.
Le châtain fait un pas en arrière, la jeune femme s'assoit dans la berline sans un regard pour lui. Son mari se penche dans l'embrasure de la portière.
—«Est-ce que tu vas bien?»
—«Oui. Allons-y Josh, tu vas être en retard.»
Sa voix est distante, presque un peu absente. Son mari fusille Dean du regard avant de s'installer à son tour derrière le volant. Malgré les vitres fumées, le châtain les voit discuter avec animation.
Il observe la belle Cadillac descendre Magazine Street jusqu'à ce qu'elle tourne sur Girod Street. Sam lui donne un léger coup d'épaule.
—«… Bien joué Dean. Soit elle nous appelle, soit elle nous ignore, soit nous trouvons la police à la porte de notre chambre dès que nous rentrerons au New Bourbon Hotel», ricane-t-il.
—«Elle va nous appeler. J'ai mis la bague dans sa main quand je l'ai serré. Je suis sûr qu'il s'est passé quelque chose», répond-il en rangeant le sachet dans sa veste.
—«Tu veux dire que tu as senti que son mari était sur le point de te frapper?»
Dean roule des yeux et lui donne un vigoureux coup de coude dans les côtes. Sam grogne et frotte sa chair douloureuse de la paume.
—«Et maintenant?»
Le châtain soupire. Il enfonce ses mains dans ses poches et baisse les yeux sur ses pieds. Le trottoir est remarquablement propre, même pas un petit quelque chose pour taper dedans et évacuer sa frustration. Est-ce qu'il le portier soit également tenu de passer le balai devant l'immeuble? Dean s'interroge puis soupire.
—«Je n'arrive pas à croire que je vais dire ça mais on attend Sammy. Et on attend loin d'ici, j'ai l'impression que Peter va nous chasser à coups de balai.»
Son frère lui emboîte le pas d'un air de parfaite incompréhension.
.
Castiel rouvre lentement les yeux. Il roule sur le matelas, frotte son visage à deux mains.
Entre ses doigts, le brun jette un regard à la pendule sur sa table de chevet. Il a dormi pendant près de six heures, il ne se sent pas reposé pour autant.
Vingt heures, l'heure du dîner.
En général, Dean l'appelle avant de s'attabler. Il babille toujours un peu sur le restaurant que Sam et lui vont essayer et Castiel sourit tendrement en entendant la gourmandise dans sa voix déformée dans le combiné.
Le châtain ne le fera probablement pas cette fois.
Il se montrera seulement professionnel parce que Castiel a été nul et jaloux lors de leur dernier échange. Il a entendu combien le châtain était décontenancé par sa réaction.
Le brun esquisse un rictus dans sa paume. Lui non plus n'aurait pas envie de parler longtemps – sans parler d'être courtois – avec telle une personne.
Il tourne la tête.
Son portable éteint est toujours à côté de son oreiller et Castiel se mord les joues. Mais si Dean appelait… Dean peut être tellement… Dean est…
Castiel tente d'allumer l'appareil mais l'écran s'illumine et s'éteint plusieurs fois d'affilée comme s'il manquait de batterie. Le brun sait que c'est impossible, il garde toujours son portable chargé pour le travail. Agacé, il attrape le câble de chargement et le branche à la prise de sa lampe de chevet.
Il regarde avec attention l'écran d'accueil qui s'affiche enfin.
Rien.
Bien sûr qu'il n'y a rien. Qui a envie de parler avec quelqu'un qui s'est montré sec et méprisant?
Soudain, son portable sonne et vibre doucement dans sa main. L'icône du journal d'appel marque un appel manqué.
19h26. Un appel manqué de Dean.
Ce correspondant a laissé un message sur votre boîte vocale.
Les deux notifications arrivent presque en même temps, l'appareil sonne joyeusement. Oh. Castiel se mord les joues. Est-ce que Dean aurait pu l'appeler pour l'abreuver d'injures après avoir compris que le brun l'avait presque congédié? Est-ce que… Est-ce qu'il pourrait lui dire qu'il n'a pas à supporter ça et qu'il rompt leur contrat?
Le brun écarquille les yeux. Oh non. Non! Il compose le numéro de sa boîte vocale d'un geste fébrile et porte l'appareil à son oreille.
Vous avez un nouveau message. Reçu le 20 octobre à 19h26.
—«… Allô Cas? C'est Dean. Je voulais juste te dire que Sam et moi on progresse. On progresse vraiment. On a rencontré une fille qui devrait pouvoir nous aider, c'est le biographe de Marie Laveau qui nous a donné son nom. Elle est manbo – tu sais, une prêtresse vaudoue (Rire gêné). Je sais, ça a l'air dingue mais on y croit vraiment.»
Castiel crispe ses doigts sur son pantalon. Dean est… toujours Dean; le même que celui qui lui parle de toutes les tartes de l'univers parce que «Cas. Bien manger est un droit inscrit dans la Constitution des États-Unis d'Amérique». C'est complètement faux mais c'était une manière très mignonne d'envisager les lois intangibles de leur pays.
Le brun ne comprend plus rien. Il ferme les yeux pour mieux l'écouter.
—«(Silence). Je m'attendais pas à ce que tu répondes pas mais je voulais quand même te laisser un message. J'espère que tu vas bien, c'était un peu bizarre la dernière fois. … J'ai discuté avec Sam et… bref, je suis désolé si j'ai dit ou fait quelque chose qui t'a mis en colère. Si c'est ce truc avec ces filles à l'hôtel, ce n'était rien tu sais. Ce n'est pas comme si elles étaient importantes.»
Le soupir de Dean lui chatouille agréablement l'oreille. Castiel a l'impression de le voir passer une main gênée dans ses cheveux. Il sait qu'il l'a probablement fait. Il sourit.
—«… Je travaille pour toi et je peux t'assurer que le temps commence à paraître long ici. Tu comprends? … Tu es important. Pour le travail.»
—«Dean? Est-ce qu'on peut aller manger? … Excuse-moi, tu es en train d'appeler Castiel? Tu t'excuses d'avoir été un parfait imbécile?»
—«La ferme Sam! Va te faire – (Raclement de gorge) Cas, je dois y aller mais je te rappelle dès que j'en sais plus d'accord? Je sais que Destiny va nous appeler pour ton affaire, je le sens. Alors si tu vas mieux, tu pourras décrocher cette fois s'il te plaît? Si tu veux bien.»
—«Continue Dean, tu t'en sors bien.»
—«Bordel Sammy, dégage de là!»
Seul dans sa chambre, Castiel éclate soudain de rire sans pouvoir s'en empêcher. C'est un peu crispé, un peu hystérique mais c'est parce que c'est vraiment Dean. Cette franchise un peu brusque, ce caractère bourru pour cacher soigneusement une sensibilité qui plaît beaucoup au brun. Cette voix rauque qui dit des choses qui le font sourire et rire. Et Dean l'appelle toujours par son surnom à eux. Quand il se disputait avec ses amis de primaire, plus personne ne l'appelait par son surnom. Tout à l'heure, Carol ne l'a pas fait non plus.
—«Je dois te laisser, on a réservé dans un restaurant de crabes et d'écrevisses pas loin de notre hôtel. Si tu veux aller voir sur le net, il s'appelle le Cajun Seafood. La carte a l'air d'être à tomber!»
Le brun glousse. Il glousse vraiment. Cet homme est extraordinaire, il a le pouvoir magique de rendre les choses si faciles. Castiel frotte sa paume sur sa cuisse et se love un peu plus confortablement contre ses oreillers.
—«… Je voulais aussi te dire… C'est cool pour ton ex et toi. Enfin, pas qu'il soit ton ex mais je veux dire qu'il n'y a pas de soucis. C'est bien que ça a été sérieux entre vous au point d'aller dans un hôtel à quatre cent dollars la nuit, c'est vraiment… sympa. Si je t'ai donné l'impression que ça me posait un problème, je suis désolé. Ce n'est pas ce que je voulais. C'est pas un problème… (Il chuchote) Pas du tout même. (…) Sam s'impatiente derrière la porte, je vais le rejoindre. Bonne soirée et tu peux appeler quand tu veux, on va probablement travailler tard… Appelle si tu en as envie, je décrocherai. Bonne soirée Cas.»
Fin du nouveau message. Pour réécouter ce message, tapez – Bip. Message archivé.
Castiel ne sait pas pourquoi il fait ça. Il rougit et sent ses pommettes trop aiguës picoter de chaleur.
Le brun se lèche distraitement les lèvres. À qui va-t-il faire croire que Dean n'est pas un petit béguin, son premier depuis des mois? Il craque réellement, durement pour le châtain. Et ces filles ne sont pas importantes. Et «pas du tout même». Qu'est-il censé comprendre? Quelque chose ou rien du tout?
Castiel ébouriffe ses cheveux, hésite puis commence à rédiger frénétiquement un message. Le brun se sent un peu nerveux, comme la fois où il avait tenté de faire comprendre à Jeremy Eames donc qu'il lui plaisait bien. Pas son meilleur fait d'armes, il espère s'être bonifié avec les années.
À Dean. Envoyé à 20h03.
Bonsoir Dean. Excuse-moi de t'avoir manqué, je dormais. Merci pour ton message. Tu n'as pas à t'excuser. Tout était de ma faute, je n'étais pas dans un bon jour. Est-ce que tu peux me pardonner?
À Dean. Envoyé à 20h03.
Est-ce que les écrevisses sont bonnes?
Le brun se lève et va dans la salle de bain pour boire un verre d'eau. Il hésite à prendre un demi-comprimé de somnifère ou un anxiolytique. Ou les deux ensemble même s'il ne doit pas.
Son portable bipe à nouveau. Castiel se jette presque dessus.
De Dean. Reçu à 20h05.
(Pièce jointe: photo_porn_food)
C'est pornographique Cas. Ce truc est le meilleur plat que j'ai mangé jusqu'à présent et je commence à être un spécialiste. Sam me charge de te dire que la salade fraîche au crabe est délicieuse aussi. Il est tellement ennuyeux… Repose-toi, on s'appelle demain.
De Dean. Reçu à 20h06.
Pas besoin de pardon, on a tous des sales moments. Sam en beaucoup plus souvent depuis qu'il ne parvient plus à se coiffer à cause de l'humidité. Je ris tellement que j'ai mal aux abdos. Bonne soirée Cas.
… Les abdominaux de Dean.
Castiel repose presque religieusement le portable sur sa table de chevet. Il pense distraitement à son plat encore emballé de cellophane dans le frigo. Il a un peu faim à présent, même si son ventre est encore tordu par un mélange de culpabilité, de tristesse et de gêne. C'est le super-pouvoir de Dean.
Il sourit quand il sort l'assiette et la découvre avec soin sur l'îlot de la cuisine. Le pain est devenu mou à cause de la condensation sous le film alimentaire et de la sauce. Le brun défait ses sandwiches, fait griller le pain pour le rafraîchir. Avisant un reste de bacon dans le frigo, il sort une poêle pour le faire frire. Cela lui fait envie, son dîner sur le pouce a l'air moins triste.
Castiel grimpe sur une des hautes chaises en bois et s'attable pour pique-niquer. Il resserre les pans de son gilet sur lui, il a un peu froid quand même.
Après quelques minutes, il quitte la pièce pour remonter dans sa chambre et manger dans la protection du cercle de sel. Il ne dit pas un mot.
L'odeur de pourriture dans la cuisine est insupportable.
Il est en colère parce que Castiel est heureux.
