Mes petits chats,

Après un travail acharné et tardif, je publie ce soir la suite des aventures surnaturelles de Dean, Sam et Castiel.

Je ne m'étendrais pas en petit discours car je suis très fatiguée. Je me contenterai juste de vous écrire que j'ai eu des problèmes lors de la publication, il est donc possible que vous trouviez des coquilles pendant votre lecture. N'hésitez pas à m'en faire part, cela me sera d'une grande aide :)

Quelques notes ci-dessous pour les curieux et à tous, je vous souhaite une bonne lecture ;)

Bien à vous,

ChatonLakmé


Les spaghetti alle vongole sont une recette napolitaine de pâtes à base de spaghetti, de palourdes et de persillade.

Fondée en 1868, Berkeley est une université publique américaine située en Californie, classée parmi les plus prestigieuses et les plus sélectives du monde.

L'hyperosmie désigne l'exacerbation de l'odorat. Elle se manifeste parfois chez les femmes enceintes et dans le cas de certaines pathologies chroniques.

Vrischikasana désigne la posture du scorpion en yoga. Je vous laisse chercher une image sur le net pour comprendre, je ne vois pas comment vous la décrire…

Mulâtresse ou mulâtre (au masculin) est un terme péjoratif désignant au XIXe et au XXe siècle une personne né d'un père blanc et d'une mère noire ou le contraire.

Panhard & Levassor est un constructeur automobile français de très grand luxe (et le plus ancien), crée en 1861 et dont l'activité s'est arrêté en 1967 après sa reprise son concurrent Citroën. Racheté en 2012 par Renault Trucks Defense, elle est revenue de ses cendres sous le nom de « Panhard Defense ».

Les éléments concernant le vaudou mentionnés ci-dessous (et tous ceux des parties à venir) sont principalement issus de l'ouvrage Le vaudou haïtien, une étude ethnologique rédigée par Alfred Métraux (Gallimard, 2003). Même si mon histoire reste un récit de fiction, les événements décrits ont été parfaitement documentées et restent plausibles. N'hésitez pas à me faire part de tout ce qui vous semble peu clair pour que je fasse les corrections nécessaires dans les pages à venir. Pour rappel, les Iwas sont donc les esprits (souvent associés à un saint chrétien) auxquels les croyants demandent les réponses à leurs questions. Ils ont chacun des attributs et des spécificités : Baron Samedi est par exemple une incarnation du Iwa Baron, le Iwa de la mort et un des Guédés du vaudou (un esprit de la mort). Très présent dans la culture populaire, il est souvent représenté sous l'apparence d'un homme vêtu d'un habit de soirée, coiffé d'un haut de forme. Baron Samedi est considéré comme le maître de la mort et de la résurrection. Damballa (ou Dambalah ou encore Damballah) est le Iwa de la fécondité, de la bonté et de la connaissance, symbolisé par une couleuvre ou un boa. Le houmfò (ou oufo) désigne le temple où se pratique la religion vaudou. L'espace sacré est matérialisé par un péristyle (ensemble de colonnes) au centre duquel se trouve le poteau-mitan, un mât couvert des attributs des Iwas qui symbolise la communication entre le monde des esprits et celui des hommes. La manbo ou le houngan dessinent les vévés – les symboles des Iwas destinés à les invoquer – à son pied et y déposent les offrandes sur un socle.


L'affaire Philippe Delveau

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Dix-septième partie


La Nouvelle-Orléans, Louisiane, samedi 21 octobre


Attablée dans ce restaurant tendance sur California Street, Destiny est distraite. Elle triture du bout de sa fourchette son assiette de spaghetti alle vongole, joue avec la chair d'une palourde avant de poser doucement son couvert. Le plat de pâtes qui lui faisait tant envie quand elle a passé commande l'écœure un peu à présent, transformé en un amas vaguement informe.

La jeune femme tire distraitement sur une fine tresse échappée du chignon flou noué au sommet de son crâne.

Destiny sent sur elle le regard désapprobateur du serveur qui passe à côté d'elle. Elle hausse les épaules. Elle a d'autres choses en tête que d'être belle et digne sur sa chaise capitonnée, face à ses spaghetti à cinquante dollars sans le pourboire.

La jeune femme soupire légèrement et appuie son menton dans sa paume, son coude sur la table. Oui, son coude sur la table. Parfaitement Mr. le serveur indigné. Elle entreprend de rouler une miette de pain abandonnée à côté de son verre en une petite boule parfaite.

Il y a quelque chose autour d'elle – en elle – qui la trouble.

Destiny ne parvient pas à mettre de mots dessus, elle sait juste que cela la fait froncer régulièrement les sourcils, qu'elle a peu mangé le soir précédent – l'appétit coupé – et que sa séance matinale hebdomadaire de yoga dans ce club branché de Union Square ne lui a pas du tout permis de se détendre.

Elle ne trouve pas non plus vraiment de plaisir devant ce plat d'habitude délicieux chez Cesario's ni à écouter les petits potins que lui racontent ses amies et qu'elle savoure en temps normal comme un plaisir un peu coupable. La jeune femme a à peine haussé un sourcil quand Michelle lui a appris que son supérieur avait commencé à fréquenter sa nouvelle secrétaire alors qu'ils sont les deux mariés. En temps normal, Destiny aurait senti ce petit frisson agréable dans son ventre, cette légère torsion provoquée par l'excitation – toujours un peu coupable. Mais là, rien.

La jeune femme a l'impression d'avoir passé la journée comme plongée dans une sorte de brouillard, un peu vague, un peu poisseux. Le genre de brume qui monte du lac Pontchartrain et qui noie La Nouvelle-Orléans en automne. Quand ce brouillard à chaque mauvaise saison, Destiny a juste envie de rester au lit, lovée dans la chaleur de son mari.

Elle s'est également surprise à fredonner plusieurs fois une chanson en français dont les paroles lui échappent. Des accords de clarinette et de harpe ont résonné à ses oreilles et il ne s'agit pas le genre de musique qu'elle aime. Joshua non plus, ils ont ouvert le bal de leur mariage sur I Will Always Love You de Withney Houston, tendrement enlacés avant d'enflammer la piste de danse avec leurs familles. Définitivement pas quelque chose dont la sonorité lui évoque le début du siècle et une salle de bal en Europe.

Destiny roule encore et encore la miette de pain sous son doigt avant de l'écraser brusquement devant elle. C'est une sorte de pulsion un peu violente.

Elle essuie soigneusement ses mains sur sa serviette, les lèvres pincées. Cela ne lui ressemble pas ; pas en dehors de son bureau à Financial District en tout cas, quand elle doit affronter en réunion des clients un peu méprisants envers son sexe ou au contraire trop admiratifs pour son tour de poitrine. Ces cochons. C'est un des traits de caractère qui l'a faite tomber éperdument amoureuse de Joshua quand elle l'a rencontré sur les bancs de Berkeley. Son mari éprouve un grand respect envers les femmes, entouré toute sa vie par une cohorte de sœurs, de tantes et de cousines. Destiny adore Clara Barney, sa belle-mère, une femme forte qui a toujours tenu sa famille nombreuse comme une cheffe d'orchestre.

La jeune femme sourit doucement.

Joshua était si charmant quand il l'avait invité pour la première fois à sortir. C'était pour une séance de cinéma en plein air, organisée par le club de cinéma de Berkeley sur le thème. Destiny n'aimait pas vraiment les films de science-fiction de Steven Spielberg mais elle avait trouvé ça mignon. Le dernier garçon qui voulait passer du temps avec elle avait insisté pour qu'elle vienne à une fête de sa fraternité sur le thème était Campus en folie. Il avait ajouté avec une œillade outrée qu'elle avait toutes ses chances de gagner le concours de tee-shirts mouillés. Cochon cochon.

Elle sourit encore dans sa paume.

Dix ans et un mariage plus tard, elle aime toujours autant son mari et celui-ci le lui rend bien. Ils ont même fait délicieusement l'amour le matin même avant que Destiny ne quitte leur appartement pour sa séance de yoga. Ça avait tout pour être parfait alors pourquoi se sent-elle aussi… mal à l'aise ? Pourquoi ressent-elle ces sensations fugaces et pourquoi a-t-elle de courtes absences ? La jeune femme se souvient avoir envoyé des messages professionnels encore tard dans la soirée. Elle ne se rappelle plus à quel sujet ni le nom de leurs destinataires.

Destiny tire à nouveau sur la fine tresse qui tombe sur son front.

Elle tire si fort que son cuir chevelu brûle un peu.

— « Des' ? Est-ce que tout va bien ? »

— « Arrête Michelle, tu ne vois pas qu'elle a des soucis ? Elle n'arrête pas de froncer les sourcils et elle ne mange pas ses spaghetti alle vongole alors que c'est un de ses plats préférés. »

Michelle et Lia – ses amies depuis Berkeley avec lesquelles elle va au yoga chaque samedi matin avant de se retrouver le soir pour un dîner entre filles – la dévisagent en souriant malicieusement. Destiny roule des yeux puis baisse la tête vers son assiette. Elle hésite avant de la repousser définitivement d'une main. Elle ne peut pas manger son plat maintenant qu'il ressemble à ça, toujours ce même amas informe et d'une couleur indéfinissable.

— « Je suis là et j'entends tout ce que vous dites, vous savez », grogne-t-elle légèrement.

— « Elle est parmi nous ! Et elle parle ! », s'exclame Michelle en levant les mains devant elle d'un air comique, un rire aux lèvres.

Lia s'esclaffe à son tour. Destiny sourit doucement et prend un autre morceau de pain dans la corbeille. Ses amies poussent leurs assiettes à peine entamées dans sa direction.

— « Mange un peu ma belle et dis-nous ce qu'il ne va pas. Annie nous a fait transpirer comme en pleine canicule, tu dois te réhydrater et manger sainement pour refaire le plein d'oligo-éléments. »

— « Tu manges une pizza au bœuf avec supplément pepperoni… »

— « C'est excellent pour faire remonter ma glycémie. Alors, pourquoi es-tu aussi distraite ? »

— « … Je vais bien. »

— « À d'autres Des', il y a beaucoup de choses qui tournent dans ta jolie tête bien faite. Est-ce que tu as des problèmes avec Josh ? », demande Lia.

— « C'est impossible, ils sont le couple phare de notre promotion de Berkeley. C'est comme les Brangelina ou les Bennifer. Ce que tu dis est ridicule. »

— « Je te rappelle que ces deux couples de superstars sont en instance de divorce… »

— « Je suis toujours là et je vous entends toujours », rit Destiny en piochant du bout de sa fourchette dans les assiettes de ses amies.

Michelle la pousse encore un peu plus vers elle pour qu'elle se serve plus copieusement tandis que Lia interpelle vigoureusement leur serveur pour demander une autre corbeille de pains. La manière dont il regarde leur table en débandade est superbe de dédain. Destiny décide qu'elle ne sortira aucun dollar supplémentaire pour son pourboire. Les trois amies ne sont pas sur 5th Avenue à Manhattan mais dans un établissement familial – même branché – de California Street. Ce garçon devrait revoir ses prétentions à la baisse.

La jeune femme crispe ses doigts sur le manche de son couteau.

Une brusque bouffée de colère enfle en elle tandis qu'elle observe le serveur aller et venir entre les tables. Elle tire le couvert à elle, enroule ses doigts dessus tandis qu'elle le glisse sur ses genoux. Dissimulé sous sa serviette, comme une arme. S'il passe plus près d'elle et qu'il lui jette encore ce regard, elle –

— « Tu es un peu étrange ce soir, Des'… Est-ce qu'il s'est passé quelque chose ? Nous sommes amies depuis plus de dix ans, tu sais que tu peux tout nous dire. »

La jeune femme cligne des yeux. L'étreinte serrée de ses doigts se décrispe un peu. Elle repose le couteau sur la table et l'éloigne brusquement d'elle. Voir les assiettes de Lia et Michelle lui donnent la nausée à présent, elle boit une longue gorgée de son verre de vin mais son goût est acre sur sa langue, assez mauvais. Elle se rince la bouche avec son verre d'eau aussi discrètement que possible avant de s'essuyer les lèvres.

En face d'elle, Lia plisse les yeux.

— « … Est-ce que tu es enceinte ? Seigneur, c'est ça ! Tu es enceinte ?! », s'exclame-t-elle bruyamment.

Destiny pose une main sur la sienne et la tapote gentiment pour l'apaiser.

— « Je ne suis pas enceinte et il ne s'est rien passé de particulier. C'est un jour sans, voilà tout. Cela arrive à tout le monde », répond-elle en haussant légèrement les épaules.

La jeune femme lèche distraitement ses lèvres avant de froncer le nez. Elle a l'impression que le goût trop acide du mauvais vin envahit toujours sa bouche alors elle boit à nouveau une longue gorgée d'eau.

Destiny renifle discrètement.

Non, l'odeur qui lui soulève le cœur n'est pas celle-ci.

Elle porte discrètement une main à son nez pour le boucher et regarde rapidement autour d'elle. Cesario's est un établissement non-fumeur alors pourquoi a-t-elle ce parfum âcre de tabac dans le nez ?

La jeune femme déglutit, avale lentement sa salive.

C'est trop puissant pour être une cigarette, ça lui rappelle plutôt ces petits cigarillos que fumait son grand-oncle Jacques. Son salon en était toujours empesté. Petite fille, Destiny trouvait l'odeur était un peu douceâtre, vaguement sucrée. Il l'intriguait, ce petit rouleau sombre qui se consumait en une fumée délicatement bleutée entre ses longs doigts noueux.

Elle fronce les sourcils et renifle à nouveau.

Non, pas un cigarillo. C'est trop fort, trop âpre.

Et cette mélodie à la clarinette qui continue à résonner en arrière-fonds…

Destiny claque sa langue contre son palais d'agacement. Elle a envie d'interpeller leur serveur pour lui faire une réflexion mais personne ne cille autour d'elle ; pas même Lia chez qui la fumée de cigarette provoque pourtant des crises d'asthme.

— « Des' ? Tu es encore partie loin de nous ma belle… », sourit malicieusement Michelle.

Destiny hausse les épaules et sourit mais cela doit ressembler à une vague grimace.

Le serveur passe à côté de leur table avec les desserts de clients voisins. La jeune femme le suit distraitement du regard. Elle pourrait peut-être commander directement quelque chose de sucré plutôt que s'acharner à grignoter les plats de ses amies. Les cannolis siciliens semblent plutôt prometteurs. Michelle claque vigoureusement des doigts devant elle pour attirer son attention. Destiny sursaute légèrement de surprise.

— « … C'est un long jour sans pour toi », dit-elle en lui jetant un regard entendu. « Parle-nous Des'. Chantelle est douée pour écouter et moi pour donner des conseils. Tu n'auras pas de meilleure occasion de vider ton sac. »

La jeune femme rit doucement et appuie son menton dans sa paume.

Elle repense à ces deux inconnus, debout devant son immeuble hier à l'heure du déjeuner. Deux beaux mecs dans un style différent ; l'un avec un air de gentil étudiant, l'autre avec une allure de baroudeur un peu mauvais garçon. Celui qui l'a interpellé a de très beaux yeux verts et il est plutôt très charmant, plutôt très sexy. La manière dont il a regardé la Cadillac de Joshua était distrayante aussi.

Destiny pince les lèvres.

Beau mec mais il lui a pourtant joué un bien sale tour en mettant cette chevalière dans sa paume pendant leur poignée de mains.

Elle frotte distraitement sa main sur sa cuisse, un geste devenu habituel depuis qu'elle est arrivée au cabinet d'avocats Barney & Barney ; comme le nom de sa belle-mère mais sans le moindre rapport. Ils avaient tous beaucoup ri à cette époque tout en l'embrassant pour la féliciter chaudement. La jeune femme sent comme une salissure sur sa peau et elle sait que c'est à cause de ce bijou en or qu'elle ne voulait pas toucher. Il était pourtant tiède, agréablement réchauffé par les doigts du châtain mais elle ne voulait pas. Petit roublard sexy avec ses yeux verts. Rien que pour ce tour pendable, Destiny a envie d'appeler au New Bourbon Hotel pour lui dire sa façon de penser à la manière d'une fille du Sud. Elle ne veut pas aider ces deux frères mais elle ne parvient pas non plus à les contacter pour le leur annoncer. Quelque chose la retient, elle ne sait pas quoi, elle –

La jeune femme entend un raclement de chaise à côté d'elle et elle lève les yeux. Lia et Michelle se sont rapprochées d'elle, l'entourant comme un cocon protecteur qui invite à la confidence. La seconde se penche doucement vers elle.

— « Est-ce que c'est en rapport avec… tu sais… ton don ? Tu as eu une séance difficile dernièrement ? », demande-t-elle discrètement.

Destiny hésite. Elle baisse les yeux sur leur table à la débandade, sur son couteau dont elle s'est emparée un peu plus comme d'une arme pour frapper le serveur. C'est ce qu'elle voulait faire ; soudain, elle ne supportait plus son air suffisant et elle voulait –

La jeune femme se mord les joues, la gorge serrée.

Elle commence à distinguer des paroles par-dessus la mélodie qui résonne dans la salle de restaurant. Quelque chose en… français ? Autour d'elle, l'odeur de tabac devient plus forte et cette puanteur de cigare lui retourne l'estomac. Destiny porte sa main à sa bouche, le cœur au bord des lèvres. Il faut qu'elle identifie le client indélicat pour demander à la direction de lui faire éteindre son foutu mégot écœurant.

— « Vous ne sentez pas ? », demande-t-elle d'une voix rauque.

— « Sentir quoi ma belle ? »

— « Cette odeur de… tabac, comme celle d'un cigare. C'est tellement fort que ça me retourne l'estomac. »

— « C'est un établissement non-fumeur Des'. »

— « Je sais », réplique-t-elle d'un ton un peu cinglant.

— « … L'hyperosmie et les sautes d'humeur sont des symptômes de la grossesse », renchérit nonchalamment Lia.

— « Oh arrête, tu veux ! », rit Destiny en se levant. « J'ai peut-être besoin de sucre finalement, commandez pour moi le dessert que vous voulez pendant que je vais me rafraîchir. Et non Li', je ne vais pas discrètement aller vomir parce que j'ai des nausées matinales. Annie nous a fait faire vrischikasana ce matin, aucune femme enceinte ne pourrait faire ça. »

Ses amies éclatent de rire dans le restaurant et leur hilarité l'accompagne sur la vingtaine de mètres qui la séparent des toilettes de l'établissement.

Destiny s'enferme dans la cabine réservée aux femmes et se laisse tomber sur le couvercle baissé.

Elle baisse les yeux sur ses mains. Elles tremblent un peu, ses paumes sont moites. Toujours cette sensation de saleté.

La jeune femme appuie sur le flacon de désinfectant pour cuvette ; tout est mieux que de continuer à sentir cette chose sur sa peau. Le contenant est vide, elle rouspète et sort de la cabine pour se laver soigneusement les mains. Elle frotte vigoureusement mais la sensation reste pourtant comme une flétrissure. C'est particulièrement perceptible dans sa paume droite, celle qui a touché la bague en or.

— « Enfoiré sexy aux yeux verts… », jure-t-elle entre ses dents serrées.

Destiny écarte la large encolure de sa robe en soie pour dégager son cou.

Dans le col de son tee-shirt, elle cherche frénétiquement sa chaîne du bout des doigts. La jeune femme sent les maillons en or sous ses doigts, elle attrape le pendentif en forme de petite croix aux branches délicatement ouvragées et le serre très fort.

Appuyée d'une main contre le meuble, les yeux fermés, elle inspire profondément pour calmer les battements un peu fous de son cœur. Destiny récite en silence une courte prière à saint Joseph pour tenter d'apaiser son malaise, ce feu un peu maladif qui irradie lentement de sa main à son corps entier. La jeune femme sait qu'elle n'est pas réellement malade, elle doit juste retrouver suffisamment d'apaisement pour achever ce brunch sans inquiéter ses amies. Juste un peu de calme, de quoi faire illusion avant de rentrer chez elle. Elle prendra une douche pour se sentir moins sale avant de rejoindre Joshua au lit pour un moment de tendresse. Il la serrera très fort contre lui, l'embrassera de cette manière paresseuse mais délicieusement voluptueuse avant de se rendormir du lourd sommeil des bienheureux.

Destiny récite une nouvelle fois la prière avec application, concentrée sur ses paroles et sa respiration. Calme, appliquée.

Elle esquisse un sourire. Oui, c'est mieux.

La jeune femme rouvre les yeux, se lave à nouveau les mains et trace un discret signe de croix sur sa peau humide. C'est beaucoup mieux.

Destiny ouvre la porte des sanitaires et sort d'un pas conquérant mais elle se fige sur le seuil, les doigts si crispés sur la poignée que ses jointures blanchissent.

La salle de restaurant tendance aux grandes fenêtres a disparu.

Le mobilier industriel et les grandes plantes vertes en pot ont été remplacés par des tables et des chaises en bois, agrémentés de confortables banquettes capitonnées en velours rouge dans des alcôves.

La pièce est aveugle, sans lumière naturelle.

L'ambiance est enfumée, l'odeur de tabac est si puissante que Destiny tousse sans pouvoir s'en empêcher. Malgré la fine brume bleutée qui flotte dans la pièce, les cuivres du comptoir et des appliques murales luisent doucement d'une douce teinte mordorée.

La jeune femme regarde autour d'elle d'un air interdit.

La clientèle est exclusivement masculine.

Au loin, montées sur une petite estrade, elle remarque trois hommes. Étranges créatures grimées en femme, des travestis aux yeux soulignés de khôl et aux joues barbouillées de rouge. Ces fleurs de nuit dansent de manière lascive, habillées de robes très échancrées, le cou enveloppé de perles. Leurs voix sont des roucoulements, des miaulements veloutés et pleins de chaleur.

Destiny cligne des paupières.

L'ambiance n'est pas celle d'un club de gentlemen, les regards que les clients se lancent ne laissent aucune place au doute. L'endroit est interlope, il sent le stupre, l'alcool. Les rendez-vous discrets et le sexe interdit.

Au loin, un disque tourne sur un gramophone qui crache un son un peu grésillant.

Je t'ai rencontré simplement

Et tu n'as rien fait pour chercher à me plaire.

Je t'aime pourtant d'un amour ardent

Que rien ne pourra défaire.

C'est la mélodie que la jeune femme fredonne depuis le début de la journée et les trois travestis la roucoulent avec des mines énamourées. Destiny ne parle pas français, pourtant elle comprend les paroles. Cette chanson d'amour la met mal à l'aise ; elle a quelque chose d'absolu, de possessif.

À moins qu'il ne s'agisse des visages trop fardés des travestis qui, descendant de la scène, vont et viennent entre les tables. Démarche chaloupée, mains caressantes, baisers faciles. De près, la jeune femme remarque leurs traits figés par les cosmétiques, leurs paupières lourdes, leurs sourires las et faux.

Un brun aux traits encore délicats est empoigné par un client qui l'attire brusquement sur ses genoux. Destiny aperçoit un billet glissé dans son porte-jarretelle avant que l'homme ne commence à lui pétrir l'entrejambe. Le brun grimace de douleur mais continue à roucouler, souple et sensuel.

L'odeur est aussi celle des corps qui se vendent, de ces choses faites sans plaisir qu'elle devine derrière le lourd rideau de velours rouge qui occulte tout le fond de la salle tandis que le patron complaisant ferme les yeux.

La jeune femme essuie son front humide de sueur d'un revers de main.

La foule bouge autour d'elle comme dans un ralenti cinématographique puis soudain, entre un couple enlacé sur une chaise et un autre travesti, elle L'aperçoit.

Il est assis sur au comptoir sur un tabouret, ses longues jambes élégamment croisées devant lui. Il porte un costume sombre, son haut de forme est posé à côté d'un verre d'un alcool ambré qu'Il porte à ses lèvres d'un geste languide.

Destiny cherche à tâtons la poignée de la porte des toilettes pour s'agripper à quelque chose mais elle ne la trouve plus.

Elle se colle contre le mur. Son ventre se tord d'appréhension. De peur.

Il tourne la tête vers elle, client de cet endroit interlope.

Il porte un masque de tête de mort sur la moitié supérieure de son visage. Baron Samedi, le Iwa de la mort. Et Il la regarde.

La jeune femme déglutit douloureusement, une sueur glacée couvre ses tempes et ses épaules.

Malgré le gramophone et l'ambiance de cave de la salle, elle entend la rumeur sourde de la rue au-dessus de sa tête, très loin, celle des fanfares et des cris de joie d'une foule considérable. C'est Mardi Gras à La Nouvelle-Orléans. C'est la fête et la joie pourtant devant Lui, elle panique dans une réaction instinctive de préservation.

Destiny a déjà connu cette sensation, une fois. Elle jouait dans le minuscule jardin familial dans le quartier de Noe Valley ; un serpent brun avait soudain glissé hors d'un massif. Elle n'oubliera jamais ce qu'elle a ressenti quand le reptile avait tourné sa petite tête triangulaire dans sa direction. Le soleil se reflétait comme de la pierre polie sur ses yeux couleur d'obsidienne.

Il a les mêmes. Des prunelles sans fond. Noires comme l'Enfer.

La jeune femme s'oblige à respirer lentement, profondément.

Il continue à la regarder fixement. Elle a envie de crier.

Après de longues secondes, Sa bouche s'ourle d'un imperceptible sourire.

La jeune femme regarde autour d'elle. Son attention est portée sur quelqu'un d'autre, un homme assis à une petite table plus loin et qu'un des travestis tente d'aguicher par des mines pathétiques. Les deux hommes échangent un regard plus long que les autres et se comprennent. Leurs yeux, leurs légers sourires parlent tellement de sexe que Destiny est presque gênée de se retrouver ainsi entre eux.

Le client se lève lentement et traverse la pièce pour Le rejoindre. Il tient un exemplaire du San Francisco Chronicle sous son bras, la jeune femme lit la date du 6 mars 1910 dans le bandeau sous le titre.

Baron Samedi décroise les jambes et les garde légèrement écartées devant lui. L'invitation est des plus explicites. L'autre s'accoude au comptoir à ses côtés, il se penche vers Lui pour échanger quelques mots.

Il retire lentement son masque et le pose devant lui.

Il est beau, vraiment beau. Ses traits sont fins, sa bouche est pulpeuse, son regard est lascif.

Sous l'éclairage diffus des lanternes japonaises qui décorent la pièce, son visage prend toutefois un air particulièrement cruel. Il est dangereux – viscéralement dangereux – Destiny le sent dans la moindre des fibres de son corps et une fois encore, elle n'éprouve qu'une envie. Celle de fuir.

Je serai toujours ton amant

Et je crois en toi comme au bonheur suprême

Je pars parfois mais je reviens quand même

C'est plus fort que moi

Je t'aime.

— « Excusez-moi ? »

Elle le sent à la manière dont Il séduit l'homme venu l'aborder au bar. Serrant étroitement ses rets autour de sa proie d'un sourire, d'un effleurement de son pied sur son tibia, d'un regard. Il est un prédateur. Un grand prédateur. Il est…

— « Excusez-moi ? J'aimerais passer s'il vous plaît. »

Destiny sursaute et cligne des yeux.

La salle enfumée disparaît aussi subitement qu'elle est apparue devant ses yeux. Face à elle, une femme aux courts cheveux poivre et sel la regarde avec une pointe d'inquiétude, son sac à main serré contre elle.

Destiny s'excuse d'un sourire maladroit et s'écarte rapidement. Elle regagne avec empressement sa table. Ses mains tremblent et elle essuie fébrilement ses paumes sur ses cuisses. Sa peau picote, s'irrite, brûle.

Lia et Michelle sont en train de faire honneur à deux à une grande assiette de profiteroles. Une cuillère propre a été posée à son attention à côté de son assiette. Ses spaghetti alle vongole a été ramené en cuisine et pour la première fois, elle apprécie leur serveur. La jeune femme est certaine que la vue des fruits de mer l'aurait faite vomir. Michelle désigne sa cuillère d'un signe de tête puis les choux couverts de chocolat fondu. Destiny adore aussi les profiteroles mais quand elle observe le chocolat et la glace à la vanille qui coulent et se mélangent, une atroce nausée remonte dans sa gorge. E

Elle pince les lèvres, si fort qu'elles ne sont plus qu'une ligne pâle sur son visage. Lia hausse un sourcil.

— « Tu es toute pâle Des'. Mange quelque chose, tu sembles sur le point de tomber. »

La jeune femme refuse d'un signe de tête. Elle récupère son sac à main sous sa chaise et sort son portefeuille.

— « Vous avez raison. Je ne me sens pas très bien, je vais rentrer. L'addition est pour moi », balbutie-t-elle d'une voix un peu faible.

— « Tu veux qu'on te ramène ? Tu es vraiment pâle à faire peur. »

— « C'est inutile, je vais rentrer en taxi. Bonne journée les filles. »

Destiny entend à peine leurs réponses, elle traverse déjà la salle de restaurant.

Sur le trottoir, elle inspire profondément, les doigts crispés sur sa croix en or jusqu'à ce qu'un taxi s'arrête devant elle.

Quand elle entre dans son immeuble, la jeune femme salue Paul et s'engouffre dans l'ascenseur jusqu'au sixième étage et l'accès privé à l'appartement. Destiny entre et verrouille soigneusement la porte derrière elle, utilisant jusqu'à la chaînette en acier ; précaution stupide parce que personne ne peut s'introduire ici sans la carte qui active l'ascenseur et celle qui déverrouille l'accès privé.

Destiny le fait quand même, elle en a besoin.

Joshua a laissé le lampadaire design allumé dans le salon, le baignant d'une douce lumière dorée et tamisée. Il flotte dans l'air une douce odeur de viande grillée qui lui donne l'eau à la bouche. La jeune femme marche jusqu'à leur chambre à coucher. La porte est entrouverte, la lumière est encore allumée. Destiny sourit tendrement. Joshua s'est endormi en l'attendant, tourné de son côté du lit et le visage dans son oreiller. Elle retire ses hauts escarpins du bout de ses orteils, pose son sac à main sur la commode et éteint discrètement la lampe de chevet.

Ses doigts se perdent brièvement sur les muscles noueux du dos de son mari, la peau lisse frissonne imperceptiblement sous son toucher.

La jeune femme se mord les joues. Elle a envie de le rejoindre, de se coller contre lui et de sentir le parfum de sa peau et sa chaleur mais elle ne peut pas encore, elle a quelque chose à faire.

Destiny se glisse silencieusement hors de la chambre, dépasse la cuisine et entre dans le bureau. Joshua préfère travailler dans le salon ou sur la terrasse quand il est à la maison alors la jeune femme a envahi le moindre mètre carré de la petite pièce pour s'y sentir à son aise. Il y a des posters de collection encadrés accrochés sur les murs, une grande plante verte en pot dans un angle, quelques bricoles oubliées de ses passions passées, aussi brutales que fugaces. Une toile vierge et une boîte de gouaches, des pelotes de laine, un cadre à broder, un manuel pour apprendre la langue des signes.

Une grande armoire ancienne soigneusement fermée à clé – un précieux meuble de famille – trône le long du mur à droite de la porte.

La jeune femme effleure respectueusement les motifs sculptés avant de l'ouvrir.

Elle représente son houmfò, son sanctuaire vaudou. Ce n'est pas une hutte avec péristyle comme le veut la tradition haïtienne – l'aménagement aurait été difficile – mais Destiny a consacré cette armoire familiale comme si c'était le cas. Depuis sept ans qu'elle a été initiée, les Iwas n'ont jamais refusé de lui répondre alors ils doivent s'y sentir bien.

La jeune femme s'agenouille respectueusement devant.

Au milieu est érigé le poteau-mitan décoré de peintures, le « chemin des esprits » par lequel les Iwas rejoignent les hommes.

Destiny tend la main pour s'emparer de la bouteille d'eau qu'elle garde toujours dans l'armoire. Elle exécute avec soin les trois libations rituelles sur le poteau-mitan pour inviter les Iwas à se manifester. La jeune femme ne voulait pas répondre à la sollicitation du château aux yeux verts, elle ne voulait rien avoir à faire avec lui. Destiny doit avouer que le nom de la famille Laveau l'a intrigué mais il peut aussi s'agir d'un mensonge ou d'une méprise. Et cette histoire d'ami en danger, est presque trop romanesque pour être réelle.

Elle fixe le poteau-mitan.

Pourtant, il y avait cette lueur dans son regard, le pli nerveux de sa bouche…

Puis cette scène dans le restaurant, avec Lui.

Même si elle ne veut pas y penser, Destiny sait qu'Il est le propriétaire de la chevalière. Et Il est mauvais. La jeune femme prononce à voix basse l'invocation à Damballa, le Iwa-serpent de la connaissance et du savoir. Elle a besoin d'être guidée. Elle ferme un instant les yeux et reste respectueusement devant le sanctuaire. Elle reste jusqu'à avoir des fourmillements presque douloureux dans les jambes et les pieds complètement engourdis.

— « S'il te plaît, j'ai besoin de réponses », chuchote-t-elle.

Destiny se relève maladroitement, laisse l'armoire ouverte et marche en titubant jusqu'à la cuisine. Affamée, elle prend dans le frigo le reste de salade de légumes rangé par Joshua et le dévore encore froid sur le plan de travail. La jeune femme se frotte les yeux de fatigue. Elle abandonne la vaisselle sale dans l'évier et elle sait qu'elle devra se faire pardonner d'un très long et langoureux baiser demain matin quand son mari le verra.

Destiny éteint avec soin la lumière d'appoint du salon puis, après un rapide passage dans la salle de bain, elle se glisse enfin dans les draps tièdes. Joshua grommelle et tâtonne sur le matelas avant de l'attirer à lui.

— « Bonne soirée ? », lui demande-t-il d'une voix rauque et un peu cassée.

C'est comme une caresse sur sa peau. La jeune femme frissonne légèrement de désir sans pouvoir s'en empêcher. Elle se presse contre lui et secoue la tête dans son cou.

— « Rien de particulier, je te raconterai demain », lui répond-elle doucement.

Joshua embrasse paresseusement son épaule dénudée par les fines bretelles de sa nuisette et replonge dans le sommeil. Destiny roule sur le flanc et le contemple encore quelques minutes. Elle redessine du regard l'arête solide de sa mâchoire, le modelé pulpeux de sa bouche, glisse une main sur son flanc avant d'y crocheter ses doigts. Solide, chaud, réel. Elle ferme les yeux.

Damballa, dis-moi qui Il est.


Dean se frotte les yeux puis le visage à deux mains.

Il frotte, frotte.

Dans le lit voisin, Sam ronfle doucement, une sorte de petit sifflement discret. Ce n'est pas ça qui le tient éveillé, le châtain ne parvient juste pas à trouver le sommeil depuis qu'ils sont rentrés du restaurant de French District où ils sont allés dîner.

Étudier les variations dans le rythme de respiration de son frère et tous les petits bruits qu'il fait pendant son sommeil est une distraction qui l'empêche de trop penser.

Dean tend la main pour prendre son portable sur sa table de nuit. Il vérifie l'heure puis le repose, une main posée sur son estomac.

Il écoute Sam mais il réfléchit quand même. Il n'arrête pas de réfléchir.

Le jeune homme étouffe un grognement entre ses dents serrées.

Il doit dormir. Il est trois heures du matin, Destiny n'appellera plus maintenant. Elle doit dormir dans son bel appartement su Magazine Street, lovée contre sa gravure de mode de mari et sans penser le moins du monde à lui. Ni à Castiel. Si elle savait à quoi ressemblait le brun, peut-être la jeune femme serait plus attentive. Castiel est au moins aussi séduisant que Josh ; peut-être même plus encore.

Le châtain joue distraitement avec son portable.

Est-ce que Castiel dormait comme ça avec son ex petit-ami quand ils ont logé à la Maison Metier ? Est-il du genre à se lover – Dean aime ça – ou à rester soigneusement de son côté du matelas – Dean aime moins ça ?

Le châtain a regardé le site internet de l'hôtel, juste par curiosité. Les lits des suites haut de gamme sont vraiment gigantesques. Même sur photos, les matelas semblent indécemment moelleux, inventés tout exprès pour y faire des choses très plaisantes.

Il a aussi vu une chambre premium dont la salle de bain est dans le même espace, située non loin du lit. C'est en quelque sorte un peu sexy. Un peu chaud. Dean aime bien aussi.

La baignoire est montée sur des pieds en forme de pattes de lion. L'espace semble étroit mais le châtain sait déjà comment il s'y serait pris, il est un homme débrouillard – et souple quand la situation l'exige. Lui assis, le dos contre le rebord incurvé. L'autre monté sur ses cuisses, ses jambes légèrement serrées autour des siennes pour le stabiliser, ses bras enlaçant sa nuque, sa bouche pressée contre la sienne. Sans doute la meilleure position pour onduler l'un contre l'autre sans effort, aidés par l'eau et ses mains posées sur ses hanches. Leurs torses frottant, leurs sexes se caressant.

… Est-ce comme ça que Castiel a fait l'amour avec son ex dans cette baignoire ?

Il renifle. Le châtain ne sait pas comment ils s'y sont pris – il n'a pas vraiment envie d'y penser – mais lui aurait fait comme ça. Dans cette position, il serait facile de dévorer le brun de baisers sur le visage, les épaules et dans le cou. Cela semble tout indiqué pour le sentir frissonner de plaisir. C'est parfait pour l'accompagner tandis qu'il le prendrait toujours plus profondément, plus langoureusement en lui.

Dean savourerait. Faire l'amour dans une baignoire, avec Castiel tout en peau rose et humide, est quelque chose de vraiment sexy. Ça serait vraiment bon, c'est toujours meilleur quand on éprouve des sentiments pour –

Le jeune homme ébouriffe ses cheveux avec agacement. Ce n'est pas comme si ça avait de l'importance, le brun et lui ne sont pas comme ça.

Le châtain se redresse dans son lit, appuie son dos contre les oreillers.

Des jours et des nuits passés dans une chambre luxueuse avec une baignoire luxueuse, une moquette luxueuse et un room-service luxueux. Pendant une lune de miel, ça doit être la définition même du Paradis. L'ex – il ne se souvient pas de son prénom – parlait mariage à Castiel.

Dean pince les lèvres.

C'était peut-être ça après tout, une sorte de répétition. S'il n'y avait pas eu le décès brutal de Gabriel, le départ de Castiel pour Butler, tout aurait pu être très différent. Le brun aurait épousé ce mec capable de lui offrir plusieurs nuits dans un palace et dont il s'obstine à oublier le nom. Dean n'aurait jamais rencontré Castiel.

Il se pince l'arête du nez. Le manque de sommeil trouble son esprit et le rend stupide.

Son portable vibre dans sa main. Dean regarde fébrilement l'écran avant de se souvenir qu'il a donné le numéro de l'accueil de New Bourbon Hotel à Destiny. Crétin.


De Elijah. Reçu à 3h12.

Je suis allé me recueillir sur la tombe de Marie Laveau ce soir. J'espère qu'Elle vous aidera.


Le châtain hausse un sourcil.


À Elijah. Envoyé à 3h13.

Je croyais que le cimetière fermait en fin d'après-midi. Et vous ne dormez pas ?


De Elijah. Reçu à 3h13.

Votre affaire est urgente. Et vous ne dormez pas non plus.


À Elijah. Envoyé à 3h14.

Nous avons rencontré Destiny en début d'après-midi. Ça ne s'est pas bien passé.


Il relit ses mots. Ouais, ça fait du bien de les écrire et ça ne sonne pas trop désespéré.


De Elijah. Reçu à 3h15.

Vous voulez dire que vous n'avez pas encore de réponse ? Le vaudou n'est pas Google.


Dean étouffe un ricanement amer.

Il jette un regard à son frère. Sam continue à dormir comme un bienheureux. Son ronflement a légèrement changé de modulation, le sifflement est un peu plus rauque et entrecoupé d'un discret reniflement. Ça commence à devenir dégoûtant. Il s'assoit sur le matelas, les jambes croisées devant lui.


De Elijah. Reçu à 3h16.

Je vous ai dit que vous deviez être patient. Et humble. Je connais Destiny. Elle peut être d'un abord un peu froid mais elle est une manbo très puissante. Les Iwas lui répondent.


Le châtain hausse un sourcil. Il préfère taire le sale petit tour qu'il a joué à la jeune femme, Elijah trouverait sans doute que ce n'est ni patient ni humble.


De Elijah. Reçu à 3h16.

Est-ce que vous avez pu lui expliquer ce qui vous a amené à La Nouvelle-Orléans ? Lui montrer la chevalière ?


Ah. Le jeune homme sourit avec satisfaction. Elijah n'apprécierait vraiment pas mais c'est plus ou moins ce qu'il a fait. … En quelque sorte. D'un certain point de vue.


À Elijah. Envoyé à 3h17.

Oui. Rapidement.


Voilà. Pas réellement un mensonge, seulement une simple omission. Si quelqu'un doit lui voler dans les plumes pour ça, il l'acceptera et fera pénitence en mangeant une tarte de mois dans sa semaine. Ce sera suffisamment difficile comme ça.


De Elijah. Reçu à 3h17.

Si vous étiez aussi inquiet que quand vous m'avez abordé à Saint-Louis No 1, Destiny reviendra vers vous. Le vaudou implique de la confiance. N'oubliez pas ça.


Dean repose son portable sur sa table de chevet et se rallonge.

Les mains croisées derrière sa nuque, il observe le plafond.

La chambre est très faiblement éclairée par le témoin lumineux de veille de la télévision, il dessine vaguement les contours des meubles et des objets.

Le jeune homme se concentre sur la respiration de Sam. Le petit sifflement-reniflement le fait sourire, il le berce aussi.

Il ferme les yeux, cale ses inspirations sur la sienne. Sans nouvelles de Destiny, son frère et lui ont prévu de quitter La Nouvelle-Orléans dans environ cinq heures. Dean songe que l'Impala pourrait les conduire une dernière fois tout à fait innocemment dans le quartier de la jeune femme, devant son immeuble. Ils pourraient l'apercevoir – par le plus grand des hasards encore une fois – sur le trottoir.

Le châtain se mord les joues. Il croise mentalement les doigts pour que Destiny ne soit pas rancunière.

Il finit par fermer les yeux passés quatre heures du matin. Il dort mais il dort très mal.


Destiny cligne lentement des yeux.

Sous ses fesses, le simple banc en bois est très dur et le dossier, trop raide pour s'y appuyer confortablement.

La salle est vaste, simplement meublée si ce n'est l'estrade un peu prétentieuse qui occupe son fond. Dans un grand fauteuil capitonné de velours vert, un homme en robe noir et à col blanc siège, le regard sévère et l'air un peu arrogant.

La jeune femme se retourne discrètement.

Une galerie s'élève au fond de la salle, surplombant la porte d'entrée.

Destiny déglutit.

Elle est dans un tribunal. La jeune femme ne reconnaît pas l'architecture – les bâtiments de justice de La Nouvelle-Orléans ont parfois changé d'affectation ou ont été détruits – mais elle suppose que la façade extérieure doit ressembler à une de ces constructions d'influence française ou italienne dont on raffolait tant au XIXe et au début du XXe siècles.

La salle d'audience est presque vide si ce n'est le personnel du tribunal, assis dans un silence respectueux de part et d'autre du juge.

Sur sa gauche, un petit homme coiffé d'étranges touffes de cheveux grisonnants et aux petites lunettes en croissant de lune est penché sur un épais registre. Le greffier. Un policier se tient en retrait, non loin du juge. Destiny hausse un sourcil. Il est étonnamment jeune, une peau rose de bébé, des joues rondes et des cheveux très blonds, mignon sans être inoubliable.

La jeune femme regarde à nouveau autour d'elle.

Pourquoi est-elle là ?

Personne ne fait attention à elle, personne ne la voit, mais elle se recroqueville quand même un peu sur son banc.

Derrière elle, on ouvre les portes de la salle d'audience. Le pas est raide et assuré, les talons claquent sur le parquet parfaitement ciré. Elle jette un regard sur sa gauche. Un homme en habit noir de belle allure passe devant elle et marche jusqu'au bureau à gauche de la salle. Il est suivi par un autre, son avocat.

Le pas qui résonne ensuite dans la salle est complètement différent. Il est souple, élastique mais confiant, presque arrogant. Destiny se mord les joues. Elle sait qui est l'autre plaignant avant même de le voir.

La jeune femme se raidit.

Il passe à côté de son banc, le dépasse et va s'installer à droite. C'est Lui, très beau dans son habit coupé à la dernière mode. Il tient une canne à pommeau d'argent dans sa main droite qu'il manipule avec une certaine crânerie.

La jeune femme hésite un instant avant de changer de place pour prendre un fauteuil plus confortable non loin du juge. De ce nouveau point de vue, elle embrasse toute la salle du regard.

Il se tient droit, une petite moue sensuelle aux lèvres tandis qu'il joue avec le pommeau du bout de ses longs doigts aux ongles parfaitement faits. Soudain, il semble la fixer et Destiny se raidit. Sa bouche sensuelle esquisse un sourire lascif tandis qu'une étincelle passe brièvement dans ses yeux noirs. Elle tourne la tête, se penche légèrement Le jeune policier blond déglutit et baisse les yeux sur ses chaussures, son cou de bébé soudain un peu rouge sous le col de son uniforme.

Le juge se racle la gorge.

— « Greffier, s'il vous plaît. »

L'homme aux bésicles se lève, les remonte sur son nez avant de tendre une feuille devant lui.

— « La cour, présidée ce jour par l'honorable juge Willougby, est rassemblée pour juger la plainte déposée par le plaignant Mr. Philippe Laveau contre la famille de Vernantes, représenté par son frère Henry de Vernantes ici présent et son avocat, Maître Hargitay. Il s'agit de la contestation du testament de Joseph de Vernantes au nom d'une filiation que le plaignant entretiendrait supposément avec le défunt », expose-t-il d'un ton de parfait ennui.

Le juge fronce les sourcils et croise les doigts devant lui.

— « Mr. Laveau, vous saisissez ce tribunal pour la sixième fois depuis dix-huit mois pour les mêmes faits, je commence à perdre patience. »

— « Connard… », marmonne Destiny.

Elle a entendu tant de fois ce ton condescendant et paternaliste quand elle a commencé à travailler à des postes importants, à la fois une femme et métisse. L'espace d'une seconde, elle éprouve une forme de sympathie pour Lui, juste une fraction de seconde.

Assis au bureau sur sa droite, sans avocat, Philippe se contente de sourire avec arrogance. Philippe. C'est Son prénom. Un beau prénom mais l'homme devant elle est entouré d'ombres. Il porte le nom de famille de Marie. Beau-gosse-aux-yeux-verts ne lui a pas menti.

Elle frissonne légèrement malgré la chaleur caniculaire qui règne dans la pièce.

— « Greffier, veuillez récapituler le détail de la plainte », reprend le juge.

Le petit homme reprend sa lecture d'une voix nasillarde, récitant une longue déclaration remplie de formules juridiques pompeuses. Destiny s'attarde un instant sur la date qu'il répète plusieurs fois, le 10 octobre 1914.

Élégant et nonchalant, Philippe hoche régulièrement la tête comme pour ponctuer la moindre phrase du greffier. Il a les jambes croisées devant lui et s'appuie à deux mains sur le pommeau de sa canne. La jeune femme esquisse un rictus moqueur. Son attitude lui rappelle ces tableaux de rois de la vieille Europe peints au XVIIe et XVIIIe siècle, une jambe gainée de soie en avant et la main appuyée sur une canne, le menton légèrement levé. La jeune femme les a étudiés quand elle s'était égarée pendant un semestre au département d'histoire de l'art de Berkeley. C'est d'une parfaite crânerie.

Le juge se pince le nez.

— « J'espère que vous apportez de nouveaux éléments pour appuyer votre demande Mr. Laveau. Le tribunal en a assez de voir son temps aussi mal employé. Vous avez déjà été débouté cinq fois depuis le décès de Mr. Joseph de Vernantes », grince le juge.

— « C'est le cas, votre honneur. »

— « Veuillez-vous lever, la cour vous autorise à parler. »

— « Je vous remercie, votre honneur. »

Philippe se lève souplement. Il lisse sa veste avec soin, arrange d'un geste coquet le gilet en soie et sa cravate avant de crocheter ses doigts à sa boutonnière. Destiny frissonne encore. Sa voix est chaude et veloutée, une de ces voix qui vous ferait faire n'importe quoi pour quelques mots d'amour.

Par-dessus l'épaule de l'honorable juge Willougby, le policier blond Le dévisage. Il se lèche distraitement les lèvres, se mord les joues. Voix de sirène. Philippe lui sourit discrètement, la jeune femme voit une nouvelle fois son visage juvénile s'enflammer comme un coquelicot.

— « J'affirme à nouveau devant cette honorable cours que je suis le fils de Joseph de Vernantes et de Jeanne Laveau, né le 5 juin 1878. En tant que tel et selon les lois de l'État de Louisiane, je suis héritier du défunt par le sang et j'estime avoir été floué de ce qui me revient de droit. »

— « Si tant que ce mensonge puisse être vrai, cet homme n'a jamais été reconnu par le frère du plaignant quand il l'a été par l'époux de sa mère, Louis Chevée. »

— « Leur mariage n'a été célébré qu'en 1881, j'avais déjà trois ans. »

— « On a vu choses plus extraordinaires. En tant qu'enfant reconnu par l'époux légitime de sa mère et sans preuve d'une quelconque autre filiation, Mr. Laveau ne peut avoir de prétention sur un quelconque bien de la noble famille de Vernantes. Ce monsieur n'est qu'un intriguant », proteste l'avocat.

— « Un intriguant… »

Destiny se raidit. La voix de Philippe est glaciale mais elle brûle de rage. Dangereux. D'un geste un peu théâtral, le jeune homme lève sa main gauche pour montrer ses doigts à la cour. Un éclat doré. La jeune femme déglutit. Elle est trop loin pour la voir parfaitement mais elle sait qu'Il porte la chevalière que Dean lui a mis dans la paume.

— « Je jure sur cette bague que je suis celui que je prétends être. C'est la chevalière de Joseph de Vernantes, frappé à ses armes. Mon père me l'a légué pour que je puisse prouver ce que j'avance. »

— « Mensonge ! »

Destiny sursaute. Henry de Vernantes, jusqu'à présent simplement froid et silencieux s'est brusquement levé. L'homme a les poings serrés et il tremble d'indignation.

— « Mensonge ! », répète-t-il en pointant Philippe d'un doigt. « Mon frère a demandé à être enterré avec sa chevalière et je peux certifier sur mon honneur que ma famille a respecté ses dernières volontés. Ce bijou ne peut être qu'une vulgaire copie ou cet homme est un pilleur de tombes ! Je demande réparation ! »

— « Joseph de Vernantes me l'a légué. Je suis un de Vernantes », s'obstine Philippe d'un air buté.

— « C'est faux ! » Henry serre si fort les poings que ses jointures blanchissent. « Ignoble menteur, sale nègre, jamais mon frère ne se serait compromis avec une mulâtresse. Nous sommes Français et de la plus pure noblesse, jamais – »

— « Il l'a fait ! Ma mère est une femme Laveau, elle venait travailler dans votre demeure pour coiffer vos dames et ils se sont aimés l'espace d'un instant ! Ma mère est une femme digne de l'attention qu'il lui a portée, elle est belle et puissante à faire tomber des rois ! C'est lui – mon père – qui s'est montré indigne d'elle ! Et de moi ! », éructe Philippe avec rage.

Le silence envahit le tribunal. Destiny arrête de respirer sans s'en rendre compte. Puis soudain, un rire résonne. Puis deux, puis trois. Celui du juge – tonitruant – ceux d'Henry de Vernantes et de son avocat – horriblement moqueurs – puis jusqu'au greffier qui couine à la manière d'une souri. Le jeune policier blond reste calme. Ses joues sont rouges, ses yeux brillants, sa mâchoire serrée. La jeune femme sait qu'il s'agit moins d'une hilarité contenue que d'indignation. Destiny se mord les joues. Pauvre garçon, pauvre chevalier servant. Il ne pouvait choisir pire galant à honorer de son affection. Le blond ne remarque pas combien les traits de Philippe se sont contractés sous la rage. Sous l'éclairage cru des grandes fenêtres de la salle d'audience, ils semblent tailler à coups de serpe. Mauvais et cruels.

— « Vous êtes très distrayant Mr. Laveau. Avez-vous un document qui prouverait vos dires ? Une lettre, n'importe quoi ? », reprend le juge en essuyant ses yeux.

— « Faites-la examiner par Henry de Vernantes. S'il est honnête et gentilhomme comme il l'affirme, il la reconnaîtra », réplique Philippe avec hauteur.

Le jeune homme retire la chevalière et la pose sur la table d'un geste grandiloquent. Le policier hoche discrètement la tête, déjà persuadé de la véracité de ses dires. Destiny tord nerveusement ses doigts entre eux. Elle aussi la connaît.

Sur un geste de son client, Maître Hargitay récupère le bijou pour le lui montrer. La jeune femme guette sa réaction. Le tic qui agite sa lèvre, le pli de ses yeux est presque imperceptible mais elle les voit. C'est la véritable chevalière. Henry de Vernantes pâlit légèrement quand il l'observe. Elle comprend pourquoi. Imaginer la manière dont Il a pu se la procurer est trop horrible. Déranger le repos d'un mort. Destiny frissonne.

— « Ce… C'est une copie de qualité mais cette chevalière est fausse. Elle est toutefois en or, comme l'original. Je serai curieux de savoir où le plaignant a pu se procurer une telle quantité de métal précieux », dit-il d'une voix rauque.

— « Comment osez-vous ?! »

Maître Hargitay apporte à son tour la bague devant le juge. Celui-ci plisse les yeux puis la soupèse avec soin, l'air suspicieux.

— « Votre honneur ! », proteste à nouveau Philippe.

— « La question mérite d'être posée Mr. Laveau. Vous déclarez une activité dans le négoce mais vos affaires ne sont guère florissantes. Veuillez-vous expliquer devant la cour. »

Le jeune homme pâlit de rage. Ses prunelles noires lancent des éclairs et Destiny frissonne de peur. S'il avait une arme avec lui à cet instant, il tuerait probablement quelqu'un. La jeune femme se frotte les bras pour se réchauffer. Elle comprend mieux cette pulsion de mort qui l'a saisi pendant sa soirée au restaurant avec Michelle et Lia. C'était Lui. Cet homme est dangereux.

— « Je – Je – », balbutie-t-il sous l'effet de la rage. « Je suis son fils ! J'exige ce qui me revient ! Le nom des de Vernantes ! La maison dans Garden District ! Son argent ! J'ai droit à tout ça, c'est à moi ! Je suis riche ! »

— « Voilà de biens maigres arguments, Mr. Laveau », répond l'honorable juge Willougby en dodelinant de la tête. « Mr. de Vernantes, souhaitez-vous porter plainte pour usurpation d'identité ? »

Henry de Vernantes refuse d'un signe de tête empli d'un profond mépris. Il dévisage Philippe et l'accable d'un regard de suprême dédain. Le jeune homme tremble de haine mais plus encore, Destiny le voit enfoncer sa tête entre ses épaules. Vaincu, il courbe l'échine. C'est quand il est acculé que l'animal est le plus dangereux. À cet instant, ce qui émane de Philippe réveille quelque chose en elle de si profondément enfoui que Destiny pensait que c'était impossible de le posséder encore. L'instinct de survie. Quelque chose de si primaire qu'il lui donne envie de se lever et de fuir le plus loin possible de Lui. Pour survivre.

Le juge se redresse dans son fauteuil et croise les mains devant lui.

— « Après avoir entendu les deux partis, je classe ce jour la demande de Mr. Philippe Laveau comme nulle et non avenue. La cour civile de La Nouvelle-Orléans juge que les preuves apportées par le plaignant sont insuffisantes pour permettre l'ouverture d'un procès en vue de la révision du testament de défunt Joseph de Vernantes. Ce tribunal invite vivement le plaignant a ne plus se manifester au risque de se faire accuser de trouble à l'ordre public, de vol d'or et d'usurpation d'identité. Me suis-je bien fait comprendre Mr. Laveau ? Cessez de poursuivre de votre vindicte cette famille ou je serai moins clément la prochaine fois que nous nous verrons. Apprenez à rester à votre place. Nous en avons fini. »

L'honorable juge Willougby frappe son marteau devant lui. Le son résonne dans la grande salle comme un couperet.

Henry de Vernantes se lève, le salue d'un signe de tête avant de s'éloigner, très digne et sans un regard pour Philippe. Le jeune homme a la tête baissée, les doigts tellement crispés sur sa canne qu'elle semble sur le point de rompre. Le juge dit quelques mots au jeune policier blond. Celui-ci s'approche doucement de Philippe.

— « Excusez-moi Monsieur. Vous devez quitter la salle, une autre audience va bientôt débuter. S'il vous plaît », demande-t-il timidement.

Philippe le dévisage en silence. Le blond rougit violemment et lui indique la sortie d'un geste plein de déférence. Le jeune homme le remercie d'un rictus crispé mais ce maigre cadeau est suffisant pour faire s'enflammer le jeune policier dont la rougeur gagne le cou et les oreilles.

Philippe tourne les talons et quitte le tribunal, sans un regard pour quiconque.

Destiny s'empresse de lui emboîter le pas. Elle se glisse derrière lui alors que le policier lui tient la porte grande ouverte que s'il était un prince, elle le suit dans les couloirs avant de gagner le vestibule prétentieux soutenu de hautes colonnes.

La jeune femme sort sur le perron et papillonne légèrement des paupières. Elle croit reconnaître les alentours du quartier de Mid-City. La rue est pleine de voitures, de fiacres et de gens qui vont et viennent. En bas des marches, elle repère une superbe Panhard & Levassor dont un chauffeur en livrée tient la portière arrière ouverte. Sur le seuil, Henry de Vernantes et son avocat sont en train d'échanger quelques mots.

Philippe s'appuie contre l'une des colonnes du porche, dissimulé dans l'ombre. Il fixe l'équipage d'un regard insondable. Destiny voit les muscles de sa mâchoire se contracter, ses lèvres bouger. Elle se rapproche prudemment. L'homme parle seul, d'une voix très basse. La jeune femme s'enhardit à se pencher légèrement vers lui pour mieux entendre.

— « Seigneur mon Dieu, viens chercher à perdre Henry de Vernantes afin qu'il soit « disparu » devant moi comme la foudre et la tempête. Saint Expédit, vous qui avez le pouvoir d'expédier la terre, vous êtes un saint et moi je suis un pécheur. Je vous invoque et vous prends pour mon patron dès aujourd'hui. Je vous envoie chercher Henry de Vernantes, expédiez sa tête, expédiez sa mémoire, expédiez sa pensée, expédiez sa maison, expédiez pour moi tous mes ennemis visibles et invisibles, faites éclater sur eux la foudre et la tempête. En l'honneur de saint Expédit : trois Pater. »

Destiny recule, pâle et tremblante. Philippe enfonce ses ongles dans sa paume, elle voit le sang perler et tacher ses ongles. Le jeune homme contemple sa main souillée et sourit. Il a dessiné dans sa paume le vévé de Baron-Samedi, le Iwa des morts.

— « Une expédition… », souffle-t-elle avec horreur.

C'est un acte de magie noire, le pire honni de tous en vaudou mais transformé, bâtardisé par un homme qui n'est pas un bokor. Pas réellement un homme non plus.

La jeune femme tremble de tous ses membres. Ses tempes se couvrent d'une sueur glacée.

Philippe est en train de demander à saint Expédit – avec l'autorisation de Baron-Samedi – de s'emparer de son ennemi. Il s'agit d'envoyer contre lui des morts. C'est l' « envoi morts ». Il le maudit.

— « Vous ne pouvez pas faire ça ! Pas de cette manière ! C'est… Ce n'est pas le bon rituel, les morts vont se déchaîner contre eux », balbutie-t-elle.

— « Seigneur mon Dieu, viens chercher à perdre Henry de Vernantes afin qu'il soit « disparu » devant moi comme la foudre et la tempête. Saint Expédit, vous qui avez le pouvoir d'expédier la terre, vous êtes un saint et moi je suis un pécheur. Je vous invoque et vous prends pour mon patron dès aujourd'hui. Je vous envoie chercher Henry de Vernantes, expédiez sa tête, expédiez sa mémoire, expédiez sa pensée, expédiez sa maison, expédiez pour moi tous mes ennemis visibles et invisibles, faites éclater sur eux la foudre et la tempête. En l'honneur de saint Expédit : trois Pater. »

Philippe sourit d'un air de dément. Il porte la chevalière à sa bouche et la baise dans un obscène excès de dévotion.

Destine ravale sa terreur et se jette presque sur lui. Elle tente de le saisir par le poignet pour regarder plus attentivement l'anneau. Elle doit mieux le voir, elle doit comprendre. La jeune femme gronde de frustration quand sa main traverse l'avant-bras de Philippe et se referme sur du vide. Destiny plisse les yeux, le nez sur la chevalière.

— « Montre-la-moi. Montre-la-moi ! », siffle-t-elle avec colère.

Elle doit la voir car Philippe l'a transformé en quelque chose de réellement mauvais.

Le jeune homme répète encore et encore sa malédiction, il suit du regard la Panhard & Levassor quand elle démarre enfin et s'éloigne en direction de Garden District. Quand elle disparaît, Philippe sort de l'ombre de la colonne, sa main sanglante posée sur la pierre sur laquelle il laisse une trace sale. Destiny s'agite. Elle sent la sueur couler le long de son dos, collant sa nuisette contre sa peau. La jeune femme essuie son front d'un revers de main. Il marmonne toujours, ses pupilles si dilatées qu'elles sont complètement noires. Dilatées par l'excitation, par le plaisir. Faire le mal est comme un orgasme pour lui. Si dangereux, si… maudit.

.

— « Des' ! Destiny ! Destiny ! »

La jeune femme sent une main se serrer sur son épaule. Elle se débat, se cambre dans les draps.

— « Destiny ! »

La main voyage jusqu'à son cou, jusqu'à sa nuque et s'y crochète fort. La jeune femme roule follement sa tête dans l'oreiller. Elle tente de Le repousser, Il va lui faire du mal, comme Il en fait partout autour de lui. Henry de Vernantes. Ce policier blond au visage de chérubin. Il souille, Il salit. Il possède.

— « Destiny ! »

La jeune femme ouvre brusquement les yeux, le cœur au bord des lèvres et la respiration folle. Elle pose une main sur sa poitrine et crispe ses doigts sur la soie bordée de dentelle de son décolleté. Elle a l'impression d'étouffer, de –

— « Chérie ? Regarde-moi, je suis là. »

Destiny tourne la tête.

Les traits encore brouillés par le sommeil et appuyé sur un coude, Joshua la regarde avec inquiétude. Sa mâchoire est égratignée et du sang perle sur son menton. La jeune femme sent ses yeux se brouiller brusquement sous l'effet des larmes.

— « Josh… », croasse-t-elle doucement en effleurant la griffure.

Son mari prend ses doigts entre les siens avant d'embrasser tendrement ses jointures. Il lui sourit doucement. Destiny essuie ses yeux mouillés d'un revers de la main.

— « Ce n'est rien, tu avais juste le sommeil agité. Est-ce que tu veux un verre d'eau ? », rit doucement Joshua.

La jeune femme esquisse un sourire tordu. Elle pose un bras sur ses yeux, s'oblige à inspirer calmement pour tenter d'apaiser les battements fous de son cœur. Son sang pulse douloureusement dans ses tempes. Sa peau est moite de sueur. Destiny grimace.

- « …Je n'avais pas le sommeil agité », avoue-t-elle après un long silence.

Joshua fronce les sourcils. Il se lève, va lui chercher un verre d'eau dans leur salle de bain et revient s'asseoir de son côté sur le bord du matelas. Destiny le vide en quelques gorgées malgré sa gorge trop serrée. Elle manque de s'étouffer, elle tousse. Son mari caresse tendrement sa cheville.

— « …Est-ce qu'Ils t'ont parlé dans tes rêves ? »

Ce sont les rêves avec un R majuscule, ceux par lesquels les Iwas répondent à ses questions. La jeune femme acquiesce lentement et les doigts de Josh se crispent imperceptiblement sur elle. Son mari n'est pas très à l'aise avec cette partie de sa vie ; il a grandi à Nashville, Tennessee, la ville de la musique country. Chacun des racines. Le vaudou ne fait partie des siennes mais il tente de comprendre, de la soutenir parce qu'il l'aime. Destiny se mord les joues, un peu émue. Elle est tellement amoureuse de lui.

La jeune femme se redresse lentement contre les oreillers, elle replace correctement les bretelles de sa nuisette sur ses épaules. Joshua passe une main dans sa nuque.

— « … Dans quel hôtel sont descendus ces deux types déjà ? »

— « Au New Bourbon Hotel », sourit Destiny en enlaçant leurs doigts.

— « Est-ce que tu crois qu'ils ont une conciergerie ouverte à… quatre heures du matin ? », demande-t-il en jetant un regard au réveil de sa table de chevet.

— « Je pense que ça peut attendre que le jour se lève », rit-elle doucement.

— « D'accord. Je trouverai leur numéro de téléphone tout à l'heure. … Tu vas les recevoir, n'est-ce pas ? »

La jeune femme hoche la tête. Joshua serre plus fort ses doigts sur les siens et grogne légèrement.

— « Ce mec t'a fait quelque chose, pas vrai ? Quand il t'a serré la main. Tu ne voulais pas en entendre parler et là, tu rêves pour eux. Et c'était violent. » Son mari plonge son regard dans le sien. « Qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? »

Destiny caresse doucement le dos de sa main de son pouce.

— « Celui aux yeux verts, Dean, a glissé un objet dans ma main quand il l'a serré. C'est une bague ancienne en or, je pense que c'est ça qui a tout déclenché », avoue-t-elle.

— « Le sale petit – »

— « Ne lui en veut pas, il a eu raison de le faire. Il a dit qu'il avait besoin d'aide et je ne l'ai pas cru, je n'ai pas voulu le croire parce qu'on était en retard. »

— « … Et c'est le cas ? Lui ou cet ami dont il parlait sont vraiment en danger ? »

— « Tu ne peux pas imaginer à quel point… Nous sommes dimanche mais je vais poser congé lundi. Je pense que je ne pourrais pas aller travailler après les avoir reçus, je me sentirai trop mal. Je L'ai déjà senti quand j'étais au restaurant hier soir, j'ai à peine touché à mon assiette. Tu sais que Lia a cru que c'est parce que j'étais enceinte ? »

— « Ça peut s'arranger… », chuchote Joshua en glissant une main le long de sa cuisse, frôlant le bas de sa nuisette.

Destiny glousse et le tire doucement vers elle pour les faire se rallonger sagement l'un contre l'autre. Joshua cherche sa bouche dans l'ombre avant de l'embrasser délicatement.

— « C'est mauvais à quel point ? », lui demande-t-il en la serrant plus fort contre lui.

— « … Il est si… mauvais. Il est le Mal. Quand je suis rentrée du restaurant, je suis allée dans mon bureau pour demander de l'aider. Je ne pensais pas que Damballa répondrait aussi vite à ma question », chuchote-t-elle.

— « Lequel est-ce déjà ? »

— « Le Iwa de la connaissance et du savoir. Il m'a fait voir. Il m'a fait comprendre une partie de Son histoire. … Il m'a donné Son nom Josh. »

— « C'est celui-ci que ce type t'a donné ? Je l'ai oublié… »

La jeune femme acquiesce lentement.

— « Je ne veux pas le prononcer ici, dans notre chambre. Je sais que je vais Le revoir et je ne veux pas Lui donner de puissance sur moi. … Il n'est pas non plus digne du nom illustre qu'Il porte. »

Son mari frotte lentement son nez dans ses cheveux, un peu incertain.

— « … Mais il est mort, n'est-ce pas ? »

— « Il l'est mais cela ne L'empêche pas de faire le mal. Il utilise des forces dont il n'a pas idées et qu'il pervertit pour son bon vouloir. C'est ce qu'Il est », déglutit la jeune femme.

Joshua caresse lentement son dos par-dessus sa nuisette et Destiny soupire doucement de plaisir. Elle se sent bien maintenant, en sécurité comme à chaque fois que son mari la tient contre lui. La jeune femme ferme lentement les yeux.

— « Je devais voir Marc demain mais je vais décommander pour rester ici avec toi. Je ne veux pas que tu sois seule ici avec eux », souffle-t-il dans ses cheveux.

— « Tu t'es entraîné très dur ces dernières semaines pour le battre cette fois. »

— « Il comprendra quand je lui dirai que c'est pour toi. Il t'a toujours trouvé trop bien pour moi », grogne Joshua. « Je suppose que tu les appelleras à ton réveil ? Rendors-toi Des'. »

— « Je suis désolée de t'avoir réveillé. Et de t'avoir griffé », marmotte-t-elle dans son cou.

– « Ce n'est rien, une balafre au visage est quelque chose de sexy. … Est-ce que je dois à nouveau te réveiller si tu rêves ? »

La jeune femme hésite un moment avant de refuser d'un signe de tête. Elle doit écouter ce que Damballa souhaite lui apprendre, il connaît les réponses.

Destiny doit aider au mieux les deux frères Winchester. Sans réponses, pas de lutte possible.