Bonjour mes petits chats,

Ce soir (cette nuit en réalité, il est 3h du matin... hum hum), je vous propose la suite de "L'Affaire Philippe Delveau" dans laquelle l'étau commence vraiment à se resserrer autour de Castiel et où Dean doute de lui.

A la publication, j'ai vu qu'une fois encore la mise en page avait été changée et que des copiés-collés étranges s'étaient faits. Je pense avoir tout corrigé mais n'hésitez pas à me signaler toute coquille qui m'aurait échappé. Merci pour votre vigilance !

Je vous laisse en leur compagnie et vous souhaite une bonne lecture :)

Bien à vous,

ChatonLakmé


Dwayne Johnson (surnommé The Rock)est un ancien catcheur professionnel et acteur américain depuis la fin des années 1990. Sa carrière décolle avec la saga de films fantastiques Le Roi Scorpion et Voyage au centre de la Terre. Il apparaît ensuite dans des franchises à grand succès telles que Fast and Furious et G.I. Joe.

Le démon Naberius est mentionné dans le Pseudomonarchia daemonum (Pseudomonarchie des démons), un traité en latin écrit à la Renaissance présentant la hiérarchie des démons, leurs attributs et les moyens de les conjurer. Naberius est mentionné en 17ème position avec le rang de marquis. Il est issu des croyances de la goétie, une science occulte consacrée à l'invocation des démons.

Le pécari est un mammifère semblable à un tout petit sanglier d'Europe, présent en Amérique du Sud jusqu'au sud des États-Unis.

Simplicityest une marque américaine haut de gamme de tracteurs et de tondeuses de jardin pour les particuliers et les professionnels.

Waffle House est une chaîne américaine de restaurants proposant des petits-déjeuners.


L'affaire Philippe Delveau

o0O0o o0O0o

Vingt-deuxième partie


Butler, Pennsylvanie, lundi 23 octobre


Castiel se réveille à la pâle lueur du matin. Il cligne des eaux. La lumière est sale, un peu grise; elle n'a pas cette douceur qui annonce les belles journées ensoleillées.

Le brun se retourne lentement sur le matelas. Son corps est lourd, ses membres gourds. Son cœur pulse à un rythme erratique, anormal. Son sang bat de manière irrégulière dans ses veines et résonne dans son crâne.

Castiel se frotte les yeux. Il a la bouche sèche. Sa poitrine est douloureuse, le moindre mouvement de sa cage thoracique est désagréable.

Il pose Sa main sur la sienne. Sa bouche effleure ses lèvres.

Le brun frissonne légèrement.

Ses doigts caressent ses paupières, lourdes et encore brouillées par le sommeil. Il ferme les yeux.

«Reste couché avec moi mon amour. La journée est laide, vivre n'a pas d'intérêt quand le monde n'est pas beau. Ne te lève pas. Dors encore. Tu peux dormir longtemps.»

Castiel bâille doucement et hoche la tête.

Il ferme à nouveau les yeux, se pelotonne contre Son flanc et se rendort.


La Nouvelle-Orléans, Louisiane, lundi 23 octobre


Quand Sam fait entrer Destiny et Joshua dans leur chambre, Dean est à peu près alerte et présentable. Une douche brûlante et un demi-litre de café commandé au room-service peuvent faire des merveilles.

Les deux frères se sont assis sur un lit, le couple est installé sur l'autre. Ils se font face, uniquement séparés par un morceau de moquette violet à motifs baroques.

Destiny étouffe un bâillement derrière sa paume.

Ses traits sont tirés mais ses yeux brillent d'un éclat un peu fiévreux. Elle tressaute nerveusement du pied sur le sol. Après un long silence, la jeune femme passe une main dans ses tresses à peine retenues par un foulard et crispe ses doigts sur sa nuque. Elle déglutit lourdement, inspire profondément. Dean est littéralement suspendu à ses lèvres. Trop de café le rend aussi un peu fébrile.

—«… J'ai revu Damballa. J'étais en pleine cérémonie avec Teresa chez elle, dans son houmfò. C'est la première fois que cela m'arrive.»

—«Est-ce qu'il ressemblait à un homme âgé?», demande le châtain à brûle-pourpoint.

—«Non, il avait la forme d'un jeune homme habillé de blanc. Je l'ai identifié parce qu'il tenait un serpent dans une main.» La jeune femme relève les yeux sur lui. «… Est-ce que vous l'avez vu à nouveau?»

—«… J'ai fait un rêve cette nuit. Il a pris la forme de mon grand-père, il caressait même le gros chat de la maison. Il lui ressemblait parfaitement mais je sais qu'il n'était pas vraiment… lui.»

Dean sent le regard de Sam lui brûler le visage, Destiny le dévisage également avec attention. Sous ce feu croisé, le jeune homme hausse les épaules d'un geste nonchalant. Pas de quoi en faire toute une histoire, cela doit arriver à bien plus de personne qu'on ne le croit. Pas vrai?

—«Les Iwas prennent souvent la forme de personnes familières pour parler dans les rêves. Que vous-a-t-il dit?», reprend la jeune femme.

—«Il m'a dit que je devais rentrer à Butler. Il a précisé que je connais le nom de Philippe et que c'est une arme contre lui.» Dean fronce les sourcils. «Le Iwa m'a affirmé que je sais déjà les prières qui me permettront de le chasser et que votre visite doit m'apporter les éléments qui me manquent. … Il a aussi exigé que nous détruisions la chevalière.»

—«Rien d'autre?»

Dean hésite mais il n'en est plus au moment où il doit avoir des pudeurs. Il appuie ses coudes sur ses genoux et noue ses mains.

—«… Damaballa m'a dit que Cas était très proche de la fin. Philippe l'entraîne vers la mort et il est sur le point de le suivre. Notre retour à Butler est censé le ramener du bon côté en lui faisant comprendre que Philippe le trompe et le manipule.»

—«Votre retour à tous les deux ou seulement le vôtre?», insiste Destiny.

—«Est-ce que c'est vraiment important?», grogne-t-il en sentant ses oreilles chauffer un peu.

La jeune femme lève les yeux au plafond. Son visage épuisé s'éclaire un peu.

—«Tout est important Dean, je pensais que vous l'aviez compris. Y a-t-il autre chose?»

Le châtain sent sa nuque chauffer et il enfonce légèrement sa tête entre ses épaules. Doit-il réellement avoir un public pour parler de ça?

—«S'il vous plaît Dean.»

—«… Philippe le manipule en se faisant passer pour moi», siffle-t-il en passant une main agacée dans ses cheveux. «Ce n'était pas très clair dans mon rêve mais Damballa me l'a dit et Cas était – Il était vraiment bizarre au téléphone hier soir.»

Destiny l'invite à continuer d'un signe de tête mais le châtain se braque. Jamais de la vie, il n'en dira plus. Ce qu'il sait ne peut probablement pas aider la jeune femme de toute manière, son malaise n'est né que d'impressions et de sensations. Dean a longtemps été persuadé que Dwayne Johnson «The Rock» ne ferait jamais de cinéma et il s'est trompé. Pourtant, la voix de Cas quand le brun a prononcé au nom reste gravée au fer rouge dans son esprit. Chaude, rauque et grave; nourrie de désir et semblable à un gémissement de plaisir.

Merde.

Dean serre les dents.

La jeune femme tourne la tête. Elle balaye la chambre du regard, s'arrête sur une affiche encadrée qu'elle observe d'un air un peu absent. Elle ne plaît pas non plus au châtain. C'est une réimpression d'une vieille affiche touristique de La Nouvelle-Orléans, une vision surannée d'un Mardi Gras du début du siècle aux couleurs faussement estompées.

Destiny penche la tête sur le côté, elle plisse les yeux. Un long moment.

—«… Beaucoup de choses vous relient à votre ami, vous êtes très important pour lui.»

—«Qu'est-ce que ça change?, marmotte Dean en emmêlant nerveusement ses doigts.

—«Cela change beaucoup de choses.» La jeune femme le dévisage, le regard vif. «J'ai à peine fermé l'œil de la nuit, je me suis seulement assoupie un instant chez Teresa mais j'ai aussi fait un rêve. J'ai vu deux oiseaux posés sur une branche, l'un est noir et l'autre est couleur de feuille morte. En dessous, un alligator les guette, la gueule ouverte. L'oiseau noir semble fragile, il tangue dangereusement sur le bord de la branche. Il chancelle de plus en plus. L'alligator a la gueule ouverte, prêt à le dévorer, mais l'oiseau plus clair rattrape l'oiseau noir pour lui éviter la chute. Il l'aide à se poser à nouveau sur la branche et se presse contre lui pour lui donner sa chaleur et sa force.»

Dean sent son visage entier chauffer. Ah ouais, quand même. À côté de lui, Sam esquisse un sourire fatigué.

—«Il s'agit de Dean et de Castiel.»

Son frère lui jette un regard noir. Merci, il avait deviné tout seul petit génie.

Il essuie furieusement ses paumes moites sur son jean.

—«D'accord. Et qu'est-ce que nous sommes censés comprendre d'autre?»

La jeune femme ébouriffe ses tresses d'un geste nerveux. Le foulard tombe, elle l'enroule distraitement autour de son poignet.

—«Damballa m'a dit que vous pouviez sauver votre ami – que c'était possible –, mais cela va être très douloureux et difficile pour lui. Il vous a déjà dit qu'il se tient trop près du bord.»

Dean se raidit. Il ferme un instant les yeux, repasse son rêve en accéléré dans son esprit comme une cassette vidéo dans un magnétoscope. Les mots de Samuel Campbell résonnent dans son esprit.

Tu peux Le renvoyer là où il aurait toujours dû être.

Tu connais les mots, tu les as déjà prononcés.

La manbo t'apportera les derniers objets dont tu as besoin.

Tu pourras rentrer auprès de lui.

Il rouvre les yeux. Se penche vers Destiny, ses doigts douloureusement emmêlés entre ses genoux.

—«Je suis l'oiseau couleur de feuille morte et Cas est l'oiseau noir qui tombe, j'ai compris. Comment est-ce que je peux faire pour que l'alligator ne le dévore pas? Je ne peux pas voler…», grince-t-il.

—«Teresa est formelle, vous devez détruire la chevalière. Cela ne Le détruira mais c'est grâce à ce wanga qu'Il est venu parmi nous. Il sentira ce que vous faites et cela L'affaiblira», sourit Destiny.

—«Est-ce que nous devons l'exorciser et l'enterrer dans une terre consacrée?», demande Sam.

La jeune femme secoue la tête.

—«Ce ne sera pas suffisant. Il a tiré son pouvoir des vévés qu'Il a gravés sur l'anneau, ils doivent être effacés. La bague doit être fondue, elle ne doit plus exister comme objet et donc comme artefact magique.»

—«C'est une énorme chevalière en or», rappelle Dean en fronçant les sourcils.

—«L'or fond. Le feu la purifiera, il ne doit rien en rester. Vous pouvez aussi prononcer une prière de purification. Teresa et moi en avons composé plusieurs pour vous.»

La jeune femme pose son cabat en toile sur ses genoux et en sort plusieurs feuilles pliées en quatre qu'elle tend au châtain. Dean les parcourt rapidement avant de les donner à Sam.

—«… Il y a bien plus qu'une prière de purification.»

—«Nous vous avons aussi détaillé l'ensemble du rituel destiné à traiter une expédition des morts. Idéalement, il faudrait que votre ami vienne ici pour que nous procédions au rituel dans un véritable houmfò mais Teresa et moi sommes d'accord sur le fait que vous n'avez pas le temps de revenir à La Nouvelle-Orléans. Vous allez devoir le réaliser seuls et je vous préviens, ce sera éprouvant. Est-ce que vous avez déjà été confronté à des esprits mauvais?» Les deux frères acquiescent. «Oubliez tout ce que vous savez et ce que vous avez fait pour les chasser. Les rituels vaudou sont très spécifiques, vous devrez vous y plonger sans a priori

—«… Vous pourriez aussi rentrer avec nous à Butler», suggère Sam.

Dean acquiesce même s'il n'en a pas envie.

Depuis son rêve, le poison du doute s'insinue en lui, tordant son ventre et rendant ses mains moites d'appréhension. Il repense à l'oiseau noir se tenant au bord de la branche avant de chuter. Un seul mauvais geste, une seule maladresse et il pourrait perdre Castiel. Cette seule idée le fait transpirer.

Joshua grogne et claque sa langue contre son palais.

—«Des' ne quittera pas La Nouvelle-Orléans pour aller affronter cette… chose avec vous à l'autre bout du pays. C'est hors de question», affirme-t-il d'un ton sans réplique.

—«Destiny est manbo, pas nous. Est-ce que vous laisseriez votre superbe voiture entre les mains de n'importe qui? Chacun ses compétences», rétorque Dean avec agacement.

Les deux hommes se défient du regard, raides et les poings serrés. Destiny pose une main sur l'avant-bras de son mari avant d'enlacer leurs doigts pour l'apaiser. Joshua pose son front contre sa tempe et frotte tendrement son nez dans ses cheveux.

—«Je t'en prie, dis-moi que tu n'y vas pas. Je ne veux plus te voir comme tu étais dans le bureau, en train de convulser et de…» Il déglutit. «…Je ne peux pas, Des'.»

La jeune femme embrasse l'arête de sa mâchoire et cherche la bouche de son mari .

—«Je ne pars pas avec eux, je ne serais pas d'une grande utilité hors du houmfò.» La jeune femme regarde les deux frères. «Teresa et moi avons travaillé toute la nuit pour vous écrire ces pages. Le rituel y est décrit pas à pas mais est-ce que vous souhaitez qu'on en parle?»

—«Nous devons les étudier avant. Est-ce que nous pouvons vous contacter si nous avons la moindre question?», demande Sam.

—«Je vous oblige même à le faire.»

Destiny embrasse une dernière fois Joshua et lui chuchote quelques mots à l'oreille. Le jeune homme se contorsionne un peu sur le matelas pour récupérer un sac de courses que Dean n'avait pas remarqué, en plastique floqué au logo d'une chaîne de supermarchés discount. Le châtain sourit. C'est ridicule.

Destiny l'ouvre d'un geste brusque pour en sortir une tasse en porcelaine décorée dans un style français vaguement historique. Dean identifie une peinture qu'il a est certain d'avoir déjà vu sur des paquets de préservatifs et il peine à contenir son rire. La jeune femme la lui tend et le châtain la prend avec précaution. Elle est remplie d'une substance blanche, dure et opaque au centre de laquelle émerge une mèche posée sur deux petits morceaux de bois formant une croix. Une bougie donc. Dean hausse un sourcil. Il n'aime pas la décoration d'intérieur et toutes ces conneries d'aménagement bien-être.

—«C'est une lampe de charme, on les utilise pour obtenir la réalisation d'un vœu ou pour se porter chance. Teresa l'a faite pour vous avec une huile végétale et d'autres ingrédients pour accentuer son pouvoir. Nous l'avons monté en invoquant les Guédés – les esprits des morts – et en adressant une prière à saint Michel, celui qui vainc le mal. Vous devrez l'allumer dans la maison de votre ami. La mèche ne doit pas s'éteindre jusqu'à ce que vous ayez achevé le rituel», explique la jeune femme.

Le châtain hoche la tête, les sourcils froncés. Compris. La jeune femme lui tend ensuite une petite jarre en verre remplis de feuilles séchées, de graines et de fleurs ressemblant à un pot-pourri. Dean a envie de l'ouvrir pour le renifler.

—«Cas doit se faire infuser là-dedans?», demande-t-il avec circonspection.

—«Ce mélange d'herbes permet de combattre les maladies et de repousser le mal, veillez à ce que votre aime se baigne régulièrement avec», réplique sèchement Destiny en lui jetant un regard noir. «Enfin, je vous offre ceci.»

La jeune femme met entre les mains une sorte de grosse balle en soie pourvues d'anses, décorée de plumes et surmontée par un Christ en croix en bois noir. C'est lourd, Sam la fait rouler d'une paume à l'autre.

—«C'est un paquett, une amulette. Teresa et moi l'avons placé sous le signe du Baron-Samedi et des esprits des morts.»

—«Pourquoi lui? C'est le Iwa que Philippe a invoqué.»

Destiny siffle d'agacement entre ses dents avant de lui donner un coup de pied dans le tibia. Dean grogne de douleur. Merde, elle a frappé fort et ça irradie jusque dans sa cuisse et son pied. Il fait un peu jouer ses orteils dans sa chaussure, persuadé que les sentir s'engourdir. Cette fille est une brute.

—«N'avez-vous rien appris depuis votre première visite? Les Iwas ne sont pas bons ou mauvais, ils sont des participants neutres. Baron-Samedi est le Iwa des morts, le protecteur des cimetières. Il garde les morts à l'intérieur et les vivants en dehors. Il est l'équilibre, vous comprenez? Une fois que vous L'aurez vaincu, il est celui qui l'empêchera de recommencer. Il le gardera prisonnier. Baron-Samedi n'est pas votre ennemi alors – pour l'amour de Dieu! – respectez-le et ne le froissez pas avec vos insinuations!»

Le châtain fait le dos rond sous la remontrance, les mains soigneusement refermées autour de la lampe et du pot-pourri. Non, vraiment, il ne parvient pas à l'appeler autrement.

Destiny se frotte les yeux du bout des doigts avant de se pincer le nez avec fatigue. Elle s'appuie contre son mari, les traits tirés.

—«… Nous avons épuisé tout ce que nous pouvions vous offrir pour vous aider, le reste ne dépend que de vous à présent.»

Dean se raidit.

Il repense à son rêve, à Castiel avec cette Créature contre lui. À son corps marqué par l'amour. Avant arrière, avant arrière, avant arrière. Il tressaute nerveusement du pied sur la moquette. Entouré par ces artefacts magiques, il se sent soudain un peu écrasé. Un peu petit et démuni.

Lui et Sam chassent le mal depuis des années et ils le font bien. Ils sont rapides, efficaces, ils sauvent des gens.

Dans l'affaire de Castiel, rien ne va.

Ils ont été si longs à trouver une piste et plus encore pour mettre des mots dessus. Pour le nommer Lui. Dean a vu du sel moisir devant ses yeux alors que c'est impossible. Il a vu Philippe marquer le corps de Castiel alors qu'il ne devrait pas en être capable après seulement quatre mois de Présence.

Rien n'est normal, rien ne se passe comme prévu.

Et il a un si furieux béguin pour le brun qu'il y a quelques nuits, il a rêvé qu'ils faisaient l'amour. C'était incroyablement bon – et bordel, Castiel savait le faire réagir d'une manière quasi surnaturelle –, mais leur étreinte avait aussi le goût des regrets et de jamais.

C'est peut-être pour cette raison qu'il a aussi rêvé de Julia Brandi, la sorcière de Stanford pour la première fois depuis des années. Il a cauchemardé de sa voix éraillée tandis qu'elle prononçait des formules contre eux pour tenter de les arrêter. Est-ce qu'elle pourrait l'avoir maudit pour le rendre aussi peu performant?

Dean serre les dents et les poings sur ses cuisses. Il déteste ça. Il déteste ça.

—«Teresa a tiré les cartes pour vous, elle possède des dons que je n'ai pas dont celui de divination. Elle m'a dit que vous marchiez aussi près du bord du précipice que votre ami parce que vous doutez», reprend doucement Destiny.

—«Je ne –»

—«Vous doutez de vous», l'interrompe-t-elle gentiment. «Vous doutez d'arriver à le sauver alors que Damballa vous a assuré le contraire en vous visitant en rêve. Vous avez un bon instinct, vous devez vous faire confiance ou vous échouerez. Il se nourrit de votre ami, Il pourrait aussi jouer avec vos appréhensions.»

Le châtain se mord douloureusement les joues. Jamais de la vie, il va foutre son pied au cul de Philippe – et bien profond – pour s'assurer qu'il ne revienne jamais.

Les charmes magiques dans les mains, il se lève brusquement et marche jusqu'à son sac de voyage pour les y déposer avec soin.

Ça n'arrivera pas.

Dean cale la bougie contre le paquett puis enveloppe l'ensemble dans un tee-shirt qu'il noue au-dessus. Accroupis sur la moquette, il s'affaire, ignorant soigneusement le reste des occupants de la chambre. Ça n'arrivera pas. Il a promis à Castiel et cette foutue sorcière que Sam et lui ont enterrée à Stanford il y a des années ans n'est qu'un foutu fantôme parmi d'autres. Elle n'est rien de plus, bordel; qu'une voix désagréable venue du passé.

Dean a traqué Philippe, il a trouvé son nom et cela doit lui permettre de le combattre d'égal à égal; Samuel Campbell le lui a dit et il ne doit pas l'oublier.

Dans son dos, Destiny fouille encore dans le cabas de course. Le plastique crisse dans la chambre silencieuse. La jeune femme tend à Sam deux bijoux, des colliers ressemblant à des dog tags de GI. Son frère lui jette le sien et le châtain l'attrape au vol avant de l'observer en détail. Le vévé de Damballah est gravé sur le métal sous la forme d'un pictogramme.

—«Teresa vous les offre pour vous protéger aussi. Elle les a trempés dans un migan très puissant, vous ne devez pas les quitter», ajoute la jeune femme.

—«Qu'est-ce que le migan?», demande Sam avec intérêt.

—«C'est une sorte de pot-pourri d'ingrédients magiques. Croyez-moi, vous ne voulez pas réellement savoir ce qu'il y a dedans…»

Destiny grimace mais Dean s'en fout, il a déjà passé la chaîne autour de son cou et l'a glissé dans l'encolure de son tee-shirt. Il palpe doucement le pendentif du plat de la main. Le métal est déjà en train de se réchauffer au contact de sa peau, c'est agréable. Il continue à ranger son sac tandis que sur le lit, Sam lit avec attention les indications écrites par Destiny et Teresa.

—«Le rituel de traitement mêle beaucoup d'éléments du culte catholique. Dean et moi avons déjà pratiqué un exorcisme, est-ce que cela pourrait nous être utile?»

Dean lui jette un regard un peu inquiet. Ouais, ils l'ont fait une fois et ils ont mis trois jours à s'en remettre. Quand ils ont raconté leur fait d'armes à Bobby, le vieux chasseur a ricané de leur naïveté. On n'affronte pas un des princes des enfers comme un vulgaire diablotin. Le châtain aurait pu tirer une certaine fierté d'avoir renvoyé Naberius – le démon des invocations démoniaques – dans la Géhenne si la seule vue d'une tarte ne lui avait donné la nausée pendant deux jours. Saloperie de démon.

Souvenir atroce pourtant, il esquisse un sourire.

Philippe n'est qu'un esprit maléfique, pas un prince des Enfers.

Dean va lui botter deux fois le cul et encore plus profond.

—«Vous n'en avez pas apporté une autre pour Cas?», demande-t-il.

—«Avez-vous réellement laissé votre ami sans protection?», répond-elle avec malice. «Prenez bien soin des talismans que je vous ai donné, ils l'aideront. S'il fréquente l'église de son quartier, demandez au prêtre de le bénir. Si Castiel porte des bijoux, trempez-les aussi dans l'eau bénite et récitez une prière à saint Michel pour conjurer les démons.»

Il acquiesce, les mains dans ses sous-vêtements sales qu'il roule en boule dans un coin de son sac. Sam et lui vont devoir jouer serrés, leurs allées-retours au bénitier à l'entrée de Saint Paul Roman Catholic Church ne sont pas passés inaperçus avant leur départ pour La Nouvelle-Orléans.

Destiny se frotte une nouvelle fois les yeux de son poing serré, le teint pâle et l'air un peu maladif. Elle tient toujours la main de Joshua mais ses doigts être agités d'un tremblement nerveux et spasmodiques. Dean se relève, va chercher d'autres barres chocolatées dans le sac de voyage de Sam et les donne à la jeune femme. Destiny le remercie d'un pâle sourire. Le bruit de l'emballage qu'elle déchire est presque assourdissant dans le silence de la chambre.

—«C'est aussi dégoûtant que la première fois…», marmonne-t-elle.

—«Vous aviez suggéré d'amener le petit-déjeuner.»

—«La moindre odeur de nourriture me donne la nausée.»

—«… Les pancakes aux pralines du New Bourbon Hotel est un de meilleurs trucs que j'ai jamais mangé de ma vie mais je ne vous propose pas d'appeler le room-service…»

La jeune femme lui jette un regard noir et il ricane.

Dean retourne s'asseoir à côté de son frère et lit par-dessus son épaule. Il a encore des milliers de questions à poser mais elles peuvent attendre que Destiny retrouve quelques couleurs.

… Pas trop longtemps quand même.


Butler, Pennsylvanie, lundi 23 octobre


Il est huit heures trente du matin. La circulation est dense, les gens se rendent au travail après avoir conduit les enfants à l'école.

L'appartement de Jessica est à quelques kilomètres de Belmont Road, elle les parcourt pourtant en à peine cinq minutes.

Elle slalome entre les voitures sur N Main Street et s'autorise à passer au feu orange à plusieurs reprises, mettant un brutal coup sur l'accélérateur. La blonde récolte un concert de klaxons indignés et d'insultes mais elle roule trop vite pour les entendre.

L'idée que la police municipale de Butler puisse l'arrêter et lui donner la contravention de sa vie est également une idée très vague dans son esprit.

Tout ce qui lui importe est de retourner sonner à la porte de Castiel et surtout – surtout –, de ne pas partir sans l'avoir vu. La jeune femme est prête à camper sous le perron pendant des heures s'il le faut, elle a prévenu sa supérieure au Maridon Museum alors qu'elle s'engouffrait dans sa petite citadine Chrysler. «Je suis désolée Mrs. Romero, je ne me sens pas très en forme ce matin. (…) Oui, je couve sans doute quelque chose, la climatisation est très forte dans les réserves. (…) Merci pour votre compréhension Mrs. Romero, j'espère être de retour cet après-midi.» Peut-être demain en réalité, Dieu seul le sait.

Jessica braque violemment sur Belmont Road. Les pneus de sa voiture crissent atrocement sur le bitume. La jeune femme jette presque sa voiture sur le trottoir en face de la maison de Castiel. Elle claque la portière derrière elle et remonte l'allée en courant. Bon sang, encore cette sensation de malaise, cette torsion dans son estomac et ce serrement dans sa poitrine. Jessica serre les dents.

Alors qu'elle monte les marches du perron, elle remarque que les parterres qui longent la galerie sont fanés. Devant, la pelouse est brune, comme brûlée. Elle forme une bande autour de la demeure semblable une frontière. Merde.

Jessica déglutit lourdement et se précipite sous le perron.

Elle appuie frénétiquement sur la sonnette, colle son oreille contre la porte mais n'entend aucun mouvement à l'intérieur. La blonde s'acharne, sans plus de succès.

Jessica saute en bas du perron, se tourne pour observer la façade de la maison avec attention.

Aucun volet fermé.

La fenêtre de la chambre de Castiel est ouverte, les fins voilages sous les rideaux ondulent doucement. Le brun est réveillé alors pourquoi –

Jessica se mord le pouce et erre sur la pelouse pendant une minute avant de sonner une nouvelle fois avec insistance. Castiel était peut-être sous la douche, il vient peut-être à peine d'en sortir.

Elle s'acharne, écrase son index sur le petit bouton à en avoir mal au doigt.

La maison reste silencieuse.

La jeune femme jette un coup d'œil alentour. Belmont Road est déserte, elle croise à peine une voiture ou deux qui passent dans un ronronnement paresseux de moteur. La blonde patiente une seconde pour s'assurer qu'elle est seule avant de s'accroupir devant la porte. Elle s'accroupit, pousse le volet de la fente de la boîte aux lettres pour regarder dans le vestibule.

—«Castiel?», appelle-t-elle.

Jessica entend un bruit à l'étage puis la voix de Castiel, grave et rauque. Le brun semble converser avec quelqu'un.

La jeune femme colle son visage à la fente de la boîte aux lettres. Elle remarque le téléphone fixe dans le vestibule dont le voyant de la messagerie vocale ne clignote pas; la blonde a pourtant laissé deux messages à Castiel depuis hier.

Le portable du brun est posé à côté de l'appareil et Jessica hausse un sourcil. Il parle seul? Il rit seul?

La jeune femme songe un instant à passer son bras dans la fente pour chercher la clenche. Cela fonctionne dans les films et les séries, les héros ouvrent les portes depuis l'extérieur. … Elle n'est pas Jason Bourne ni un inspecteur sexy de série télé, elle abandonne au risque de se retrouver coincée ou de se blesser.

—«Castiel?», répète-t-elle plus fort.

Sa voix résonne dans la maison. Le brun parle toujours mais il ne descend pas.

Jessica étouffe un juron entre ses dents.

Elle se redresse, appuie à nouveau férocement sur la sonnette. Son mal-être enfle lentement en elle, son estomac semble danser la gigue irlandaise tandis qu'elle s'obstine jusqu'à la nausée. Taraudée par l'inquiétude et son mal-être, la blonde sent les larmes lui monter aux yeux.

—«Castiel? Je veux juste te parler…»

Jessica se redresse brusquement.

Elle est certaine d'avoir entendu l'escalier et le parquet du vestibule craquer.

La jeune femme s'empresse de regarder à nouveau par la fente de la boîte aux lettres, juste à temps pour voir le brun s'éloigner dans le couloir. Elle ouvre la bouche pour l'interpelle vigoureusement mais les mots meurent dans sa gorge trop serrée.

Elle est là, avec lui. L'Ombre. Jessica la voit planer autour de Castiel comme une brume opaque et dense.

La fente exhale soudain une odeur de pourriture qui lui coupe la respiration, une haleine putride qui souffle sur son visage.

La jeune femme ne tient plus.

Elle se penche par-dessus la rambarde de la galerie et vomit dans les plate-bandes desséchées. Jessica n'a pas mangé depuis hier soir – elle n'a pas pu, taraudée par la nausée – alors elle crache une bile amère qui lui brûle l'œsophage et la gorge. Ses tempes se couvrent d'une sueur glacée.

Vomir en public dans le jardin de Castiel est un des trucs les plus humiliants que Jessica a connu depuis ces dernières années.

—«Merde…», jure-t-elle en rejetant ses cheveux en arrière.

Les yeux rivés sur la pelouse, elle frissonne.

La blonde pensait que les plates-bandes avaient séché mais – le nez sur le massif rachitique d'oranger du Mexique – elle remarque que tout est mort. Certaines ont séché sur pied tandis que d'autres sont couvertes d'une fine moisissure blanchâtre. Trop sec et trop d'humidité, cela n'a aucun sens.

Jessica prend peur, un sentiment primitif qui tient à l'instinct de préservation.

Elle ferme les yeux, inspire profondément pour tenter d'apaiser la vague d'angoisse qui ondule en elle. Son sang bat à ses tempes, son estomac se tord toujours douloureusement.

Que faire maintenant?

Elle sait que Castiel ne va pas bien mais que pourrait-elle bien dire aux pompiers pour qu'on ne prenne pas son appel pour un canular?

Jessica cligne des yeux.

De l'autre côté du trottoir, Carol vient de faire sortir Finley dans le jardin pour ses besoins matinaux. Oui, voilà. La blonde s'essuie la bouche d'un revers de main et s'empresse de traverser Belmont Road et s'engouffrer dans l'allée. Quand elle l'aperçoit, Carol la salue en levant sa tasse devant elle. Devant la porte, les deux femmes se dévisagent un instant. Elles n'ont pas l'air plus vaillantes l'une que l'autre.

—«J'essaye de voir Castiel. Je suis déjà venue hier mais il n'est pas sorti. Il ne répond pas au téléphone, il ne me parle pas alors que je viens de le voir chez lui. Je – Je ne sais pas quoi faire mais je sais qu'il faut faire quelque chose», débite-t-elle sans reprendre sa respiration.

Carol pince les lèvres. Elle enroule distraitement une mèche autour de son index. En face d'elle, Jessica contient bravement sa nausée. L'odeur de café est insupportable.

—«… Est-ce que vous faites des cauchemars aussi?», souffle Carol après un silence.

—«Oui! Bon sang, oui! Encore cette nuit, j'ai – je suis persuadée d'avoir vu quelque chose et cela me rend malade. Je reviens ce matin et ses parterres sont tous morts en l'espace d'une seule nuit… Ce n'est pas normal

—«… Je suis allée lui rendre visite hier, il n'a pas voulu sortir de la maison non plus. Je voulais l'inviter à manger ici mais il a refusé et je n'ai pas insisté.»

—«Pourquoi? Dean et Sam ont dit qu'il ne devait pas rester seul», proteste Jessica.

Carol crispe ses doigts sur sa tasse, ses jointures blanchissent.

—«Je n'ai pas pu le faire! Cette chose qui est avec lui nous a chassé mon fils et moi. Elle a rendu Tom tellement malade que nous avons dû le conduire aux urgences pédiatriques de Butler. Il fait d'horribles cauchemars depuis et il refuse de passer devant la maison de Castiel… Je sais ce que Dean et Sam ont dit mais je ne pouvais pas.»

Jessica lui adresse un sourire contrit. Carol renifle légèrement et essuie ses yeux d'un geste rageur.

—«Castiel ne semble plus avec nous mais il a encore conscience de quelque chose. Je suis persuadée qu'il a refusé de sortir de chez lui pour ne pas L'amener avec lui chez nous et nous mettre en danger», reprend-elle.

—«… Est-ce que vous L'avez vu?», demande la blonde d'une voix étranglée.

—«Je ne sais pas ce que j'aurai dû voir mais Il est là», chuchote Carol.

Jessica serre les poings, les larmes aux yeux. Elle repense à son étrange discussion avec Castiel le jour précédent, à ses précautions quand il lui demandait de partir. Castiel est toujours Castiel, l'homme gentil et attentionné qu'elle connaît. Sa vue se brouille encore un peu plus et elle se mord douloureusement les joues. Ce n'est pas le moment, elle est comme son grand-oncle qui a pu attraper un taureau emballé par ses cornes. Elle est une Moore.

—«Est-ce que vous avez un double des clés?», demande-t-elle à brûle-pourpoint.

—«… Castiel est chez lui.»

—«Il est chez lui mais il ne va pas bien, ce n'est pas comme si nous allions entrer par effraction. Et ne me dites pas que nous pourrions appeler les pompiers, Castiel assurera que c'est un malentendu et il refusera probablement de les suivre. Il nous en voudra peut-être et nous le perdrons. S'il vous plaît, Carol…»

—«… Je vais chercher les clés.»

Carol revient avec un trousseau de clés à la main. Elle fait rentrer Finley puis les deux femmes gagnent la maison du brun.

Depuis le trottoir, l'odeur de putréfaction souffle déjà ses relents doux-amers et Carol pâlit un peu. Jessica s'oblige à respirer par la bouche. Ce parfum la ramène vingt-cinq ans en arrière, pendant une journée de pêche passée avec son oncle et ses cousins à Lake Arthur quand elle était enfant. Tandis qu'ils en faisaient le tour à pied, ils étaient tombés par hasard sur le cadavre gonflé par les gaz d'un pécari surnageant à côté de la berge. Christopher et Steven avaient trouvé amusant d'essayer de le faire éclater comme un ballon de baudruche – on est vraiment bête à l'adolescence – tandis que Jessica s'enfuyait en hurlant, incapable d'oublier l'odeur de la chair pourrie et le frisson de la fourrure, animée par d'énormes larves.

C'est aussi dégueulasse que ce qu'elle a ressenti ce jour-là.

Carol l'observe et respire à son tour par la bouche, le teint encore blafard.

—« Je ne comprends pas… Tous ses parterres sont morts. Je ne voyais pas l'état du jardin depuis la cuisine mais je suis certaine qu'il se portait bien il y a encore quelques heures», souffle-t-elle.

Jessica acquiesce d'un air raide. Elle était également certaine le jour précédent. Le chemin pour monter jusqu'au perron semble atrocement long. Et cette odeur… La blonde ne peut s'empêcher de se boucher le nez comme une enfant. La puanteur est insupportable, si forte qu'elle fait picoter leurs yeux et coller à leur peau.

À mi-chemin dans l'allée, un étrange tintement de clochette attire son attention.

Jessica tourne la tête.

Sur le trottoir, une quinquagénaire très apprêtée est en train de promener un petit teckel dont le collier tintinnabule à chacun de ses pas un peu sautillants. La femme les salue d'un léger signe de tête, Carol et Jessica lui répondent et la blonde lui souffle doucement qu'il s'agit de Mrs. Michelle de Fario, habitant au 278 Belmont Road. Commère de premier ordre. Mrs. de Fabio prend le teckel dans ses bras et s'approchent d'elles.

—«Bonjour. Vous êtes Mrs. Moore, n'est-ce pas? La voisine d'en face? Je vous ai vu discuter plusieurs fois avec Mr. Novak. Êtes-vous amis?»

—«Nous avons fait connaissance lorsqu'il a emménagé dans le quartier», acquiesce la jeune femme.

—«Bien, très bien.» La quinquagénaire esquisse une petite moue. «Puisque vous êtes amis, pourriez-vous lui parler de l'état de son jardin? Je suis membre du comité de quartier et il n'est pas du tout conforme au règlement. Tout nouvel occupant s'engage à le respecter et Mr. Novak néglige beaucoup le sien…»

—«Je –»

—«Avez-vous vu l'état de sa pelouse et de ses plantations? Sans parler de cette odeur très désagréable… Je n'ose pas imaginer celui du jardin situé derrière la maison. Nous consacrons tous beaucoup de temps et d'argent à entretenir nos espaces verts – votre mari a d'ailleurs acheté un très beau Simplicity qui fait des envieux! –, laisser son jardin dans cet état va déprécier le standing du quartier.»

Carol cligne des yeux tandis que Jessica ricane en coin au ridicule de la situation.

—«Castiel n'est pas fautif Mrs. de Fabio, il rencontre des difficultés en ce moment et –», réplique sèchement la blonde.

—«Comme chacun d'entre nous ma chère. Cela ne nous empêche pas de suivre à la lettre le règlement que nous avons tous accepté en nous installant dans ce quartier. Je vous invite vivement à le faire revenir dans de meilleures dispositions. Je peux vous donner les coordonnées de la société qui s'occupe de mes espaces verts pour que vous lui transmettiez, on ne voit guère Mr. Novak ces derniers temps», s'esclaffe Mrs. de Fabio.

Foutue bourgeoise avec son foutu chien.

Comme Jessica est heureuse d'avoir acheté son appartement dans Old Town. Juste quatre copropriétés dans un immeuble de caractère réhabilité, posé au coeur d'un quartier dynamique et bourré de charme. La blonde n'a jamais autant aimé son achat qu'à cet instant, tandis qu'elle observe d'un œil narquois Mrs. de Fabio en train de jeter des regards outrés à la pelouse brunie de Castiel.

La jeune femme tire doucement Carol par le poignet et la blonde s'empresse de prendre congé.

Elles gagnent le perron de la maison du brun, la clochette du teckel tinte encore joyeusement dans leur dos tandis que la voisine reprend sa promenade.

—«Avant que tu ne te moques de moi et que tu me conseilles de changer mes fréquentations, je t'assure que je n'ai aucun lien avec cette femme», grogne Carol avec agacement.

—«… Vous suivez réellement un règlement de quartier?»

—«Belmont Road est un endroit plutôt haut de gamme, Everett et moi trouvions que c'était un bon endroit où élever des enfants.»

—«Même si cela vous oblige à acheter un tracteur Simplicity à 6000$? Je connais le modèle, mes parents habitent une maison avec un très grand jardin», sourit Jessica. «Et nous portons le même nom de famille…»

Carol lui jette un regard en peu noir et la blonde sourit d'un air narquois. Elle aime tellement Old Town et son joli immeuble avec son toit terrasse.

Sur le perron, l'odeur de décomposition est suffocante.

Carol veut sonner mais Jessica s'empare déjà du trousseau de clés pour tenter d'ouvrir la porte. À côté d'elle, la blonde se penche et tente d'apercevoir quelque chose à travers les vitraux. Le verre coloré est noirci, comme couvert d'une couche de crasse. Carol plisse les yeux. Ce n'est pas de la salissure mais de la moisissure. Elle tire Jessica par la manche pour attirer son attention et la blonde pince les lèvres. Elle a déjà vu des mouchetures sombres identiques sur des objets conservés dans les réserves du Maridon mais ici, elles forment une nappe opaque sur le verre.

Jessica retourne martyriser la serrure de la porte.

—«Appelez-le, il répondra peut-être.»

Carol sort son portable de la poche kangourou de son sweat et compose le numéro du brun. Le téléphone fixe sonne trois fois dans le vestibule avant de se couper. Le répondeur ne s'enclenche pas. La blonde frotte ses mains l'une contre l'autre. Ses paumes sont moites.

—« Vous êtes certaine d'avoir vu Castiel chez lui? Il ne répond pas…»

—«Je sais ce que j'ai vu. Il était dans le vestibule et je l'ai aperçu en train de se diriger vers le jardin d'hiver», grogne Jessica.

Elle s'arc-boute sur la serrure au risque de briser la clé dans le barillet ancien mais la jeune femme s'acharne. Elle ignore bravement la torsion douloureuse de son estomac alors que l'odeur de pourriture la met au bord du malaise. D'exaspération, Jessica attrape finalement la poignée et tire vigoureusement dessus, bien décidée à faire bouger la porte sur ses gonds.

—«Je n'arrive pas à ouvrir, Castiel a dû laisser la clé à l'intérieur», vocifère-t-elle.

—«C'est une porte ancienne, le mécanisme est peut-être grippé. Je peux aller chercher du dégrippant à la maison.»

—«Ce n'est pas grippé, Il nous empêche juste d'entrer!»

Carol s'agenouille devant la porte pour regarder par la fente de la boîte aux lettres mais elle se relève, une grimace de dégoût aux lèvres.

Jessica baisse les yeux.

L'ornement en laiton est complètement rouillé, couvert d'une pulvérulence bleuâtre. Elle n'était pas là il y a quelques minutes et la jeune femme déglutit. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible. L'haleine méphitique corrompt tout, pourrit tout.

Jessica souffle, vitupère, jure aussi d'une atroce manière contre la serrure.

Après de longues minutes d'effort, elle croit sentir la clé bouger légèrement dans la serrure. Elle a envie de crier de joie mais la clé ne bouge pas réellement. C'est quelque chose qui fait bouger la clé.

Jessica s'éloigne, un peu étourdie par le sang qui bat furieusement à ses tempes.

Elle lâche le trousseau mais celui-ci ne tombe pas et reste fiché en position horizontale.

Ça le tient.

La blonde se penche prudemment en avant.

C'est de la corrosion.

Elle fait grincer la serrure dans une sorte de léger crépitement avant de ramper hors du barillet.

D'une teinte sale de lichen, elle envahit le système, emprisonne la clenche avant de dévorer les ornements décoratifs de la serrure. La pulvérulence rampe le long de la porte jusqu'au seuil, comme une pourriture qui s'écoule.

Carol gémit doucement et se bouche le nez.

La putrescence leur retourne l'estomac.

Jessica entend un imperceptible tintement de verre et lève les yeux sur les vitraux.

La moisissure noire saille de la fine résille de plomb qui maintient les morceaux de verre coloré en place. Déborde sur les menuiseries. Monte lentement jusqu'au lambris qui couvre le plafond de la galerie.

La jeune femme fait un pas en arrière, prend Carol par la manche pour la tirer derrière elle. La blonde semble au bord de l'évanouissement. La démarche un peu chancelante, Jessica les ramène de l'autre côté de Belmont Road dans le jardin des Moore. Carol se laisse tomber sur son perron, les jambes tremblantes.

—«Nous – Nous devons appeler Dean et Sam, ils doivent rentrer maintenant», croasse-t-elle.

—«Je suis persuadée qu'ils ne sont pas à La Nouvelle-Orléans pour leur seul plaisir. Ils n'ont peut-être pas encore trouvé les réponses qu'ils cherchent.»

—«Alors je reviens à ma première idée, celle d'appeler les pompiers. Nous leur dirons que Castiel n'est plus en plein possession de ses moyens et qu'il doit être hospitalisé d'office. S'il ne nous pardonne pas, je survivrai en me consolant de savoir que nous avons réussi à l'éloigner de cette maison», grince Carol.

Elle sort à nouveau son portable mais sa main tremble tellement que Jessica lui prend gentiment l'appareil pour composer un numéro. Elle se laisse lourdement tomber sur les marches à côté de Carol, passe une main sur son visage. Elle veut l'entendre. Elle veut tellement l'entendre que –

«Jessica?»

—«Sam…»

Jessica s'entend prononcer son prénom d'une voix étranglée, une sorte de croassement rauque. Elle ne peut rien y faire. Elle est une Morre mais les sanglots de soulagement qu'elle retient l'étouffent.


Castiel sort la tête de son oreiller et regarde autour de lui, un peu désorienté.

Il est en tee-shirt et pantalon de nuit.

C'est étrange, il pensait être descendu pour se préparer un sandwich dans la cuisine. Il n'y a aucune assiette sur sa table de chevet, il ne sait pas s'il l'a mangé. Sa bouche est un peu sèche. Il a dû oublier l'assiette en bas. Ou il a rêvé qu'il avait quitté son lit. Tout est très flou dans son esprit.

Il frotte doucement son nez contre Son épaule nue.

—«Je crois que quelqu'un a sonné à la porte…»

«Ils n'ont pas insisté, ça ne devait pas être important. Rendors-toi.»

Il le serre contre lui, caresse ses reins du bout des doigts.

Castiel acquiesce et ferme lentement les yeux.

Sa faim s'apaise.

Il n'a besoin de rien.


La Nouvelle-Orléans, Louisiane, lundi 23 octobre


—«Jessica?»

Dean interroge Sam du regard. Son frère hausse les épaules et se lève du lit pour s'éloigner un peu. C'est ridicule car leur chambre fait à peine 15 m et que les murs sont fins. Si son cadet va s'enfermer dans la salle de bain pour badiner avec la jolie blonde comme un petit garçon, Dean se promet de ne jamais le lui faire oublier.

Sam croise les bras sur son torse, fronce les sourcils avant de lui jeter un regard par-dessus son épaule.

—«Jess, je vais te mettre sur haut-parleur (…) Oui, fais la même chose de ton côté pour que Carol nous entende.»

Le châtain se raidit. Pourquoi les deux gardiennes de Castiel sont-elles ensemble à une heure aussi matinale? Son ventre se tord d'appréhension.

Toujours appuyée contre Joshua, Destiny se redresse à son tour avec intérêt tandis que Sam retourne s'asseoir et tend le portable entre eux.

—«Jess? Est-ce que tu m'entends?»

«Oui.»

Le châtain n'a plus du tout envie de rire ou de se moquer du flirt de Sam. La voix de la jeune femme est déformée par le combiné mais sa nervosité suinte presque du haut-parleur.

«Dean, est-ce que tu es là?»

—«Salut Jessica. Sam et moi ne sommes pas seuls, nous sommes avec des gens qui nous ont aidé.»

«S'ils vous ont aidé, est-ce que cela veut dire que vous rentrez bientôt à Butler?»

Jessica est pressante. Les deux frères échangent un regard.

—«Nous discutons encore des derniers détails avec eux», répond Sam.

«Tu ne comprends pas Sam. Vous devez rentrer maintenant. Vous – Vous devriez déjà être là!»

Dean fronce les sourcils. Il prend le poignet de son frère et amène le portable à sa bouche.

—«Qu'est-ce que tu veux dire? Cas ne va pas bien?»

«Tu le sauras si vous étiez déjà de retour, Dean. Vous êtes partis depuis quinze jours pour l'amour de Dieu! Où êtes-vous?!»

Il pensait que Jessica était inquiète? Ce n'est rien en comparaison de la douleur presque palpable dans la voix de Carol. Dean frôle dangereusement les hauteurs de son propre baromètre de l'inquiétude mais à l'accusation, il crispe les doigts sur le poignet de son frère.

—«Qu'est-ce que tu crois? Nous sommes en train de travailler à La Nouvelle-Orléans, pas de bronzer à une terrasse au bord du lac Pontchartrain», siffle le châtain avec colère.

«Ce n'est pas ce que je voulais – Juste, faites vite. Je vous en prie, rentrez vite à Butler…»

Dean se mord les joues. Merde. Merde.

—«Qu'est-ce qu'il se passe exactement? Dean a trouvé Castiel un peu étrange la dernière fois qu'il l'a eu au téléphone mais il n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi», reprend Sam.

Le châtain pince les lèvres. Il sait exactement pourquoi – le brun nu, avec Philippe, dans son lit –, il n'a juste pas voulu ouvrir cette porte de son jardin secret à son cadet.

Carol rit d'une manière étranglée.

«Au moins, Castiel décroche quand il l'appelle. Jessica et moi essayons de le joindre mais il nous ignore.»

—«Sa maison fait la taille d'un petit immeuble, il n'a peut-être pas entendu sonner.»

«Je sais que ce n'est pas le cas, il se trouvait dans le vestibule quand j'ai appelé hier. Carol et moi avons tambouriné à la porte, nous avons appuyé sur la sonnette à réveiller les morts et il ne s'est pas montré. Il nous a entendu, je l'ai vu par la fente de la boîte aux lettres.»

—«… Tu l'as espionné?»

Sam a l'air à la fois admiratif et charmé. Dean roule des yeux et lui donne un coup de genou pour le rappeler à l'ordre. Plus tard le batifolage.

—«Comment va Cas?», s'obstine le châtain en serrant les poings.

«… Il va de mal en pis

—«Vous n'êtes pas avec lui? Carol, tu avais promis de veiller sur lui!»

Dean s'en veut mais ses pensées vrombissent sous son crâne. Il triture machinalement le collier passé autour de son cou tandis que le regard de Destiny lui brûle le visage. Carol pousse un atroce juron qui résonne dans le combiné et bien malgré lui, le châtain hausse un sourcil admiratif. Il était beau et puissant, celui-là.

«Ne m'insulte pas et n'inverse pas les rôles, foutu Dean Winchester! C'est toi qui es parti et qui l'a laissé seul avec Lui! Je suis allée voir Cassie tous les jours, autant que je le pouvais mais je… je ne suis pas comme vous, je ne peux pas lutter contre Lui!»

Ah, c'est vrai. La culpabilité est une pierre lestée qui tombe au fond de son estomac avant de rebondir contre les parois. Il déglutit. Il entend Jessica apaiser Carol mais la voix de la blonde frémit aussi de colère.

«Je voulais le faire Dean mais Il a rendu Tom malade et j'ai dû l'emmener aux urgences. Il m'a aussi rendu malade quand je suis allée apporter ces courses à Castiel, je ne m'étais jamais sentie comme ça, aussi… mal. Jessica ressent la même chose.»

—«Jess?», l'interpelle Sam avec inquiétude.

«… J'ai fait des cauchemars et j'ai saigné du nez cette nuit. Castiel ne cesse de repousser notre rendez-vous pour parler de l'exposition, il refuse de me faire entrer chez lui pour en discuter et ses excuses sonnent faux. (…) Je pense qu'il fait ça pour me tenir éloignée et me protéger. Nous sommes retournés le voir à l'instant, nous avons vraiment essayé mais il – il y avait cette atroce odeur…»

—«Quelle odeur?»

«Cela sentait comme de la pourriture, comme de la décomposition. (Silence) Les parterres et la pelouse devant la maison sont morts en une nuit, les plantes sont couvertes de moisissures. Nous avons essayé d'entrer avec un double des clés et puis nous avons vu –»

—«Qu'est-ce que vous avez vu?»

«Laisse-moi parler et cesse de m'interrompre Dean! Nous avons vu la serrure se couvrir de corrosion, comme dans une vidéo en accéléré. Il y en a partout sur les huisseries de la maison maintenant, je pense que Castiel ne pourrait plus sortir de chez lui même s'il le voulait…»

—«Merde…», souffle Dean.

Les deux femmes chuchotent un instant entre elles et le châtain trépigne.

—«Est-ce qu'il y a autre chose?», demande-t-il soudain.

«… Je L'ai vu. J'ai vu… quelqu'un chez lui. Castiel ne sort plus, il semble vivre dans sa chambre et Il était à la fenêtre avec lui. … Dean, vous devez vraiment revenir maintenant. Carol et moi ne savons pas quoi faire à part appeler les pompiers.»

—«Cela ne servira à rien, Il suivra Cas peu importe où il se rend.» Dean frotte ses paumes moites sur son jean. «Sam et moi quittons La Nouvelle-Orléans dès que nous aurons raccroché. Butler est à environ seize heures de route, nous arriverons vers 23h.»

—«… Dean, ça veut dire conduire sans la moindre halte», proteste Sam.

—«Nous nous relaierons derrière le volant. Profites-en Sammy, cela n'arrivera plus jamais.»

—«Ça veut aussi dire qu'on roulera tout le temps largement au-dessus des limitations de vitesse», maugrée son cadet.

Dean le fait taire d'un regard impérieux. Cette fois il décide et il donne les ordres, pas de protestation ni de réplique. Sa résistance derrière le volant de Baby est exceptionnelle, Sam ne le remplacera que quelques heures. Ils peuvent y arriver.

Son frère pince les lèvres mais n'ajoute rien.

—«Jessica, Carol, nous vous appellerons quand nous serons à mi-parcours. En attendant, purifiez vos domiciles en mettant du sel dans une coupelle et en traçant une ligne devant votre porte. Si vous retrouvez une médaille de baptême dans vos affaires, ne vous en séparez pas.»

«Et Castiel? Qu'est-ce que nous pouvons faire pour lui?»

—«Nous ne pouvons rien vous demander s'Il vous a déjà touché. Nous serons là cette nuit», répond doucement Sam.

«D'accord. Soyez prudent sur la route.»

«Oui, sois prudent Sam.»

—«Je te le promets.»

Dean s'est déjà levé. Il termine de remplir son sac de voyage avec des gestes brusques et empressés. Il tire la fermeture éclair, vérifie d'un œil qu'il n'a rien oublié. Il est prêt.

Non loin de lui, Sam est en train d'achever le sien. Il hausse un sourcil.

—«… Tu ne vas pas conduire pendant seize heures d'affilée, Dean.»

—«J'ai déjà fait presque aussi bien quand nous sommes allées de Kansas City à Phoenix et je n'en suis pas mort.»

—«C'est arrivé il y a des années, tu avais à peine trente ans…»

Le châtain lui jette un regard noir. Il est un peu chatouilleux concernant son âge.

Dean attrape son sac par les anses.

—«Je peux encore le faire. Nous n'allons pas perdre de temps à dormir dans une chambre de motel alors que nous pouvons être rentrés à Butler ce soir. Je ne veux pas perdre de temps. … Je te promets que je te dirais quand tu dois prendre le volant.»

Alors que Sam passe à son tour la lanière de son sac à son épaule, Destiny se lève lentement, entraînant Joshua dont elle tient toujours la main, leurs doigts emmêlés.

—«Vous devez vous débarrasser de la chevalière le plus vite possible. L'autoroute 65 vous fera passer à côté de nombreuses petites villes où vous trouverez un quincaillier discret pour la fondre.»

—«Nous devons appeler Castiel pour lui demander l'autorisation.» Dean fusille son frère du regard et Sam roule des yeux. «La chevalière pèse près de vingt-quatre grammes. Au prix de l'or, elle coûte environ 2000$ et Castiel ne récupérera jamais cet argent. Nous devons nous assurer qu'il est d'accord.»

—«… Nous essayerons de le joindre sur la route. Destiny, je suis désolé mais nous ne pouvons pas rester plus longtemps.»

—«Je vous ai déjà dit tout ce que vous deviez savoir, la suite ne dépend pas de moi. Vous avez mon numéro de portable, n'hésitez pas à me contacter s'il y a quoi que ce soit.»

—«On le fera quand on aura renvoyé cet enfoiré dont il n'aurait jamais dû sortir», siffle Dean en lui ouvrant la porte de la chambre.

—«Je saurais que vous aurez réussi, Damballa me le dira.»

Le petit groupe descend l'escalier jusqu'au hall d'accueil. Après une rapide accolade de Destiny, Sam va régler leur séjour au comptoir, laissant Dean seul avec Destiny et Joshua. Son mari s'éloigne pour consulter le présentoir des brochures touristiques, la jeune femme l'attire à son tour dans une étreinte un peu maladroite.

—«Prenez soin de vous s'il vous plaît et prenez soin de votre ami. S'Il s'est insinué dans son cœur, vous pouvez faire la même chose et prendre sa place. Vous pouvez reprendre votre place», souffle-t-elle à leurs oreilles.

—«Cas et moi ne sommes pas –»

—«Bien sûr que vous l'êtes. Damballa s'est montré à vous parce que c'est en vous que se trouvent toutes les questions. … N'oubliez pas qu'Il a aussi invoqué Erzuli, le Iwa de l'amour.»

—«Le Iwa de l'amour charnel et jaloux», lui rappelle le châtain.

—«Erzuli est une amoureuse passionnée mais ses représentations empruntent souvent l'iconographie de la Vierge Marie. Elle est aussi liée à l'Amour. Il n'aurait pas été attiré par votre ami s'Il n'avait pas senti en lui ce même désir que le Sien. … Castiel souhaite aussi ça et c'est ce qui L'a appelé. Ne l'oubliez pas, c'est ce que votre ami désire au fond de lui.»

—«Cas est célibataire depuis à peine quelques mois», marmonne Dean.

—«Je suis tombée amoureuse de Josh' au premier regard. Je crois aussi en ce genre de choses et cela n'a rien à voir avec le vaudou», sourit Destiny.

Le châtain l'entend murmurer une prière à saint Christophe – le saint patron des voyageurs – à son oreille et il s'abandonne un instant contre elle, même si le regard de Joshua lui brûle le corps entier.

Sam revient vers eux, Dean s'éloigne doucement de la jeune femme..

—«Est-ce que tu as demandé une facture pour Cas?»

—«Oui. J'ai déjà honte rien qu'en pensant au moment où nous allons la lui donner. La note est très élevée…»

Dean grimace, c'est ce qu'il craignait et son frère et lui n'ont pourtant pas choisi un palace.

—«Nous ne lui donnerons pas les notes des restaurants. Il a fait tellement chaud, nous n'aurons qu'à lui dire que nous avons grignoté sur des bancs.»

Destiny esquisse un sourire.

Quand ils traversent la cour intérieure, le châtain lève une dernière fois les yeux sur les guirlandes électriques, les grandes plantes en pot et la fontaine murale ancienne. Castiel aurait beaucoup aimé cet endroit.

Sam et lui posent leurs sacs de voyage dans l'Impala et en voyant Joshua hausser un sourcil appréciateur à ses lignes racées de la vieille Impala, Dean décide d'y voir un bon présage. Les deux hommes échangent une poignée de mains – une de celles disant «Merci d'être venus mais je ne veux plus jamais vous revoir» – et les frères Winchester quittent French District pour récupérer la route10 en direction du nord.

Le châtain avale les trois cents premiers kilomètres sans faire attention jusqu'à ce que le besoin de café ne le fasse s'arrêter dans un diner dans la banlieue de Meridian, Mississipi. Sam va acheter le petit-déjeuner tandis que Dean remplit le réservoir de Baby. Il a envie de reprendre immédiatement la route mais son cadet lui fait remarquer que le sirop d'érable de leurs gaufres pourrait tacher le cuir des sièges. Ils restent sur le parking du Waffle House et mangent rapidement, assis sur le capot de l'Impala.

Dean mange en surveillant sa montre, prêtant à peine attention au goût de son sandwich aux œufs et au bacon. À neuf heures et demi tapantes, il appelle Castiel. L'appareil sonne à peine quelques secondes avant de se couper. Il attend le déclenchement de la messagerie vocale mais aucune voix automatique. Il fronce les sourcils, réessaye sans plus de succès.

—«Prête-moi ton portable, je veux appeler Cas et je crois que le mien a un problème», grogne-t-il.

Le smartphone de Sam sonne à peine plus longtemps avant qu'un atroce crissement ne retentisse dans le combiné. Dean éloigne le portable de son oreille en jurant. Il tente encore. Cette fois, il n'entend aucune tonalité du tout.

Le châtain froisse le papier gras de sa gaufre et le jette dans le sac en papier kraft du diner.

—«On y retourne Sam. Tu finiras dans la voiture et si tu taches ton siège, tu paieras le nettoyage dans un garage», marmonne-t-il en s'engouffrant dans l'Impala.

Son cadet s'empresse d'engloutir son petit-déjeuner, boit le fond de son gobelet de son café noir et jette leurs emballages dans une poubelle voisine. Dean démarre, Sam à peine installé à ses côtés.

—«Tu ne lui as pas laissé de message?»

—«Je n'y arrive pas, la boîte vocale ne se déclenche pas et je n'entends même pas de tonalité. … Nous ne nous arrêterons que pour acheter à manger Sammy, aucune nourriture avec de la sauce ou d'autres trucs qui tachent. Nous mangerons dans l'Impala.»

Son frère n'insiste pas. Il s'installe aussi confortablement que possible dans son siège, s'appuie contre la fenêtre et ferme les yeux.

Dean garde les siens rivés sur la route.

Il recommence à avaler les kilomètres presque jusqu'à l'indigestion.

Le châtain ne consent à s'arrêter pour une pause technique que lorsque Sam lui assure avec exaspération qu'ils risquent tous deux une infection urinaire s'ils continuent à se retenir.


Butler, Pennsylvanie, lundi 23 octobre


—«Est-ce que mon portable a sonné? Je suis sûr de l'avoir entendu sonner…»

«Il n'y a rien mon amour.»

—«Mon corps est lourd, mes mains et mes pieds sont froids… Je suis fatigué.»

«Alors repose-toi, tu en as besoin. Ne t'inquiète pas, je veille sur toi.»

—«Peut-être que je devrais prendre un des médicaments que m'a prescrit le Dr. Lauwers…»

«Tu as raison mon amour. Le flacon est sur la table de nuit, il y a de l'eau dans la carafe. Prends-en deux et tu te sentiras mieux. Mieux encore, prends-en trois.»

—«Trois. Tu es sûr, Dean?»

«Oui, trois. Avale-les et reviens dans mes bras. Je te réchaufferai.»

Castiel se redresse lentement sur le matelas.

Il ouvre le tube en plastique, fait tomber trois pilules dans sa main. Le brun les observe une longue seconde avant d'en refaire glisser deux dans le flacon. Trois, ça ne va pas. C'est trop, il le sent.

Le brun avale le comprimé sans eau et se rallonge.

Dean est contre lui, chaud et doux.

Il l'embrasse délicatement, laisse traîner ses lèvres sur les siennes.

Castiel sourit doucement et ferme les yeux.

Dean le réchauffe, il a moins mal.

Il n'a besoin de rien.