Mes petits chats,

Suite de "L'affaire Philippe Delveau" et les choses bougent ! :)

Sans attendre, je vous laisse rentrer à Butler avec Dean et Sam pour retrouver Castiel. Leurs ennuis continuent...

Un dernier mot avant de vous laisser entamer votre lecture. A l'occasion des fêtes de fin d'année, je diffère très légèrement la suite de cette histoire. J'ai écrit un petit quelque chose de Noël avec nos amis que je souhaite vous proposer en priorité pour être parfaitement dans l'ambiance. Je suis en congé, j'espère sincèrement avoir le temps de mon ambition mais je compte bien vous proposer cette courte histoire dès le 25 décembre et sa suite le 1er janvier. Je publierai la suite de "L'affaire Philippe Delveau" le vendredi 10 janvier si tout se passe bien.

D'ici là, bonne lecture et très bonnes fêtes de fin d'année à tous. Prenez soin de vous et de vos proches, mangez bien et pensez à vous :)

Je vous embrasse,

ChatonLalmé


Les Années folles désignent dans l'historiographie les années 1920 en Europe et aux États-Unis. Ce terme illustre la grande frénésie de vie qui s'est emparée du monde après la boucherie de la Première Guerre mondiale, produisant une intense activité artistique, sociale et culturelle. Elle s'achève en 1929 avec la Grande Dépression américaine, la crise économique la plus terrible du siècle.

Le Butler Eagle est un quotidien fondé en 1903. Il est publié dans tout le comté de Pittsburgh Butler et ses bureaux sont toujours situés à Butler.

Le CIAA est l'acronyme de la Clean Indoor Air Act, une loi promulguée en 2008 réglementant le tabagisme dans les lieux publics dans toute la Pennsylvanie à l'exception de la ville de Philadelphie. Depuis cette date, il est interdit de fumer dans les lieux publics (restaurants, transports en commun, espaces culturels…) et sur les lieux de travail.


L'affaire Philippe Delveau

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Vingtième-troisième partie


Butler, Pennsylvanie, lundi 23 octobre


Vingt-trois heures trente. Dean a le corps douloureux et la gorge sèche quand il entre enfin dans Butler.

Sam somnole à côté de lui mais il n'a pas besoin de GPS, il se souvient avec une étonnante précision de la route pour rejoindre Belmont Road. Traverser W Cunningham Street, remonter N Main Street, tourner ensuite à droite sur Dingham Road jusqu'à Haverford Dr. Malgré la fatigue, le châtain sourit quand il emprunte Belmont Road. Il est arrivé et cette sensation, c'est un peu comme rentrer à la maison.

Il secoue légèrement son frère par le genou.

—«On est arrivé, Sammy.»

—«Quelle heure est-il?», grommelle Sam en se frottant le visage.

—«23h30.»

—«… Combien de contraventions pour excès de vitesse dois-je m'attendre à trouver dans nos factures?»

—«Aucune. Rassure-toi, j'ai été tellement rapide que la police n'a pas eu le temps de lire la plaque…»

Les deux frères ricanent. Le châtain tend légèrement le cou pour observer les alentours, cherchant déjà les toitures effilées de la maison de Castiel. Sam s'étire en grognant d'aise.

—«Nous aurions dû aller au Clarence Inn pour récupérer la clé de la chambre. Mrs. Singleton nous attend.»

—«On ne fait que passer voir Cas. Si nous commençons par l'hôtel, j'ai peur de tomber de fatigue sur le lit et je ne veux pas sonner chez lui à minuit passé.»

—«Tu as raison, il est tellement plus poli de se présenter chez les gens à vingt-trois heures passées sans s'être annoncé…», répond Sam d'un ton narquois.

Dean se gare devant la maison et sort immédiatement de la voiture.

La demeure est plongée dans le noir, seule une fenêtre au premier étage est faiblement éclairée. Celle de la chambre de Castiel. Le châtain plisse les yeux. Il n'aime pas cette unique fenêtre allumée, elle lui fait une drôle d'impression.

Dean remonte l'allée, grimpe les marches du perron. Il renifle. Aucune odeur infecte. Le jeune homme vérifie les lambris, le chambranle de la porte. Rien de notable non plus.

Sam le rejoint et le parquet de la galerie craque doucement sous ses pas. Il craque puis plus du tout. Le châtain jette un regard par-dessus son épaule.

—«Sam?»

Son frère se tient sur la dernière marche du perron. La rue est faiblement éclairée mais Dean voit. Sam est blanc comme un linge. Dans le noir, les ombres autour de ses yeux donnent l'impression qu'ils sont profondément enfoncés dans les orbites. Son visage a l'allure un peu grotesque d'un masque mortuaire et le châtain déglutit.

—«Hé, Sammy…»

—«… Je ne peux pas entrer là-dedans Dean… Je sens – Ça sent la mort», souffle le blond, les poings crispés.

—«Tu as ce qu'il faut pour te protéger», répond Dean en agitant la chaîne de ses dog-tags.

Sam secoue la tête, plus livide que jamais.

—«Tu ne comprends pas, je ne peux pas le faire. C'est… Il est tellement plus fort qu'à notre départ. Tu ne sens pas dans l'air? Cette odeur de pourriture? Elle me retourne l'estomac. Et je vois de la moisissure, partout autour de la porte. Je – Merde, je pense que je vais vomir», croasse-t-il.

Sam fait un pas en arrière, une main sur sa bouche pour contenir son haut-le-cœur. Dean le suit sur la pelouse et jette un nouveau regard vers la fenêtre éclairée. Un fanal. Ou un œil menaçant. Une gueule ouverte pour les dévorer. Bordel, il n'aime pas ça.

Le châtain observe attentivement la façade de la maison. Ses yeux s'habituent lentement à la semi-obscurité et il comprend la peur de Jessica et Carol. Dean voit les parterres morts et la pelouse brûlée, les ombres menaçantes sous la galerie du perron.

Le châtain renifle doucement.

Une odeur étrange est en train de monter dans l'air humide. Quelque chose de… pourri.

—«… Je sens aussi quelque chose. Je vais entrer seul Sammy. Est-ce que tu veux retourner dans l'Impala?»

—«Je vais t'attendre ici. … Je suis désolé Dean.»

—«Ce n'est rien. Installe-toi confortablement et regarde faire ton grand frère.»

Sam lui répond d'un pâle sourire.

Le châtain remonte sur le perron et utilise la lampe de son portable pour éclairer la porte. Un frisson glacé descend le long de son dos. Ce n'est pas qu'il n'y avait rien, c'est qu'il n'avait pas vu. Sam a raison. La moisissure dessine un délicat réseau noir sur la porte et son chambranle. La corrosion fleurit sur la serrure et la clenche ne forme plus qu'une masse indéfinissable. L'idée de toucher le bouton de sonnette le répugne mais Dean appuie fort dessus. Trop pris par la pourriture, celui-ci ne s'enfonce même pas.

Le châtain étudie la fenêtre la plus proche. Ancienne, solides menuiseries en chêne massif et vitre sur mesure. Il ne veut pas passer par là et devoir régler plusieurs centaines de dollars au menuisier qui viendrait la remplacer.

Dean descend à nouveau le perron. Il contourne la maison par la gauche, escalade habilement la clôture avant de se glisser le long de la façade jusqu'aux baies vitrées du jardin d'hiver. Celles-ci sont montées sur des rails en bois. Une glissière, cela se déchausse. Dean utilise un outil de jardinage oublié comme pied de biche pour dégonder un panneau. Il s'arc-boute, travaille lentement pour ne pas abîmer la délicate verrière colorée. Castiel lui a dit qu'il adorait ces vitraux d'inspiration japonisante.

Encore un effort les muscles bandés, un ahanement et il sent enfin la baie vitrée se soulever et sortir de son axe. Dean s'empresse de la prendre à deux mains pour la décaler légèrement sur le côté. Il se faufile dans l'entrebâillement.

Le jardin d'hiver, si riant d'habitude, est vide et froid comme la mort. Plus aucune plante dans les cache-pots en faïence, quelques feuilles mortes traînent encore sur le sol en mosaïque. Il se mord les joues.

—«Cas?», appelle-t-il. «C'est Dean. Je suis rentré.»

Il frissonne. La température de la pièce semble avoir chuté brusquement de plusieurs degrés. Bordel. Le châtain entrouvre la bouche pour respirer plus à son aise mais il a toujours l'impression d'être plongé dans un bain d'eau glacé.

—«Cas? Cas, où es-tu?»

Incrédule, Dean regarde la fine vapeur d'eau s'échapper de ses lèvres dans l'air froid. Il doit se dépêcher de trouver le brun et de le sortir de ce sépulcre.

Le jeune homme remonte le couloir, observe les salons les uns après les autres. Toujours vides. Toujours morts. Une fine poussière couvre les meubles et les objets d'art. Des mouchetures colorées partout. Moisissures, corrosion. C'est diffus pour un regard non exercé mais Dean les voit comme des vers luisants dans la nuit, ces filaments blanchâtres épars sur un pan de mur, sur la moulure d'un plafond. Ils luisent un peu comme de la nacre sous la lampe de son portable.

Le châtain jure entre ses dents et grimpe l'escalier. Dean inspecte les pièces de l'étage avant de se retrouver en quelques pas devant la porte fermée de la chambre du brun. Il toque.

—«Cas?»

Seul le silence lui répond. Dean sent dans ses tripes que ce n'est pas celui du bon gros sommeil. Il toque plus fort.

—«Je sais que tu es là. Ouvre-moi s'il te plaît. Je suis désolé d'avoir été absent aussi longtemps, je voulais vraiment revenir plus tôt. Je te l'ai dit, pas vrai?

Le châtain se raidit. Et s'il était arrivé trop tard? Et si le brun avait fait le pas de trop et qu'il était… tombé? Il toque à la porte plusieurs fois. De plus en plus fort.

—«Cas?»

Aucun bruit à l'intérieur. Et merde. Il appuie sur la clenche, la porte s'ouvre. Dean fait un pas pour entrer mais elle se referme brusquement devant lui en claquant. Le châtain cligne des yeux de surprise. Qu'est-ce que –?

Soudain, il L'entend.

Un rire narquois résonne dans la chambre.

Bordel de merde.

Dean étouffe un cri de rage, pousse la porte à deux mains.

—«Cas! Cas!»

Sous sa main, le châtain sent la poignée se couvrir d'un fin dépôt. Corrosion, encore. C'est répugnant, ça lui écorche la peau comme des épines mais Dean s'obstine. Il tire sur la clenche, tente de faire trembler la porte sur ses gonds. Exaspéré, Son rire résonnant à ses oreilles, le châtain donne un coup dans le battant mais celui-ci est solide. Il se fait juste mal au pied.

—«Connard de Philippe Delveau! Je jure que je vais te foutre hors de cette maison à grands coups de pied et que tu laisseras Cas tranquille. Tu ne l'auras pas. Je te jure que tu ne l'auras pas! Je connais ton putain de nom et je vais faire en sorte que personne ne s'en souvienne», grogne-t-il.

Il donne un violent coup d'épaule à la porte et celle-ci s'ouvre brutalement. Son haleine pestilentielle le frappe en plein visage. L'odeur est insupportable mais Dean ravale bravement sa nausée.

—«Cas!»

Le brun est allongé sur son lit, enroulé dans les draps montés jusqu'à son menton. Dean n'aperçoit qu'une touffe de cheveux noirs, la forme d'un corps soulignée par la lumière de la lampe de chevet allumée. Il baisse les yeux, remarque immédiatement la disparition du cercle de sel autour du lit. À ses pieds, il distingue la forme à demi-effacée d'un cercle d'invocation. Bordel, que s'est-il passé ici pendant son absence?

Dean inspire profondément. Il est bon quand il se concentre sur un problème à la fois alors il se concentre.

Le châtain traverse la chambre. Castiel bouge lentement sous les draps, il frotte son nez contre le coton et que Dean soit damné si ce n'est pas la chose la plus mignonne qu'il a vu ces deux dernières interminables semaines.

—«Cas…», l'appelle-t-il en posant une main sur son épaule.

Le brun se tourne lentement vers lui et ouvre les yeux. Dean lui adresse un sourire maladroit. Castiel a maigri. Ses traits sont plus creusés qu'à son départ et sa peau a une teinte un peu cireuse et maladive. Ses yeux bleus ont un éclat fiévreux.

—«Dean…»

Seigneur, cette voix… Elle est aussi chaude et lascive que celle qu'il a entendu au téléphone.

Castiel se frotte les yeux de son poing serré en un autre petit geste adorable. Un sourire vient ourler ses lèvres trop fines mais il est tellement tendre que le châtain sent son ventre se tordre agréablement.

—«… Tu es là», souffle Castiel.

—«Ouais. Salut Cas. Excuse-moi pour cette entrée fracassante, tu ne répondais pas et je m'inquiétais…»

—«… Tu es là.»

Le brun a l'air un peu halluciné. Dean remarque un flacon de pilules sur la table de chevet, encore ouvert à côté d'une carafe d'eau.

Castiel repousse lentement les draps, se redresse sur le matelas.

Le châtain est fatigué – il a conduit pendant environ quatorze heures en prenant à peine cinq minutes de pause tous les trois cents kilomètres – mais son regard reste acéré. Le jeune homme ne porte plus les amulettes qu'il lui a offertes il y a un mois, sa médaille de baptême et sa bague. La lueur fixe et fiévreuse de ses yeux bleus le met un peu mal à l'aise mais c'est Cas. Il est beau et surtout, il lui a terriblement manqué.

Le brun dodeline légèrement de la tête.

—«Tu ne viens pas t'allonger avec moi?», demande-t-il en tapotant le matelas à côté de lui.

Dean se racle la gorge. Bordel. Il va atomiser Philippe-putain-Delveau.

—«Pas maintenant. Je voulais m'assurer que tu allais bien», croasse-t-il un peu.

—«Je vais bien puisque tu es là. J'aime quand tu es avec moi», rit le brun.

Dean sourit d'un air tordu. Dans d'autres circonstances, Castiel ne dirait jamais une chose pareil et ça fait mal d'y penser.

Le brun se met à genoux sur le matelas avant de se rapprocher de lui. Le jeune homme guette sur son visage d'autres signes, d'autres marques de Lui mais soudain, il oublie tout. Cas vient d'enrouler ses bras autour de son cou, sa bouche vient d'effleurer la sienne. Ses joues mal rasées frottent sur sa peau. Dean le sent le tirer un peu vers lui pour l'entraîner sur le matelas, câlin et mignon. Le châtain déglutit. Il reste solidement ancré sur ses pieds, tourne légèrement la tête pour éviter un autre baiser mais rend son étreinte au brun. En l'absence de Sam, Dean s'autoriser à le serrer très fort contre lui, juste une accolade amicale. Le baiser que Castiel pose dans son cou fait pourtant vriller une ou deux organes en lui.

Dans le col de son tee-shirt, il frotte doucement son nez contre sa peau.

—«… Ton odeur est différente. Tu ne sens pas la cigarette.»

—«Je ne fume pas Cas. Le tabac sent mauvais et il jaunit les dents.»

—«… Oui, tu me l'as déjà dit.»

Castiel sort lentement de son giron et le dévisage d'un drôle d'air. Dean sent son cœur se pincer. Le brun est tellement maigre.

—«… Tu es là», répète-t-il.

—«Oui Cas, je suis là. Tu comprends? Je suis vraiment là. Avec toi. Je suis parti à La Nouvelle-Orléans pour nos recherches et je suis revenu pour t'aider.»

—«Tu viens m'aider…»

—«Oui. Je L'ai trouvé. Avec Sam, on L'a trouvé et on a Son nom», répond Dean.

Castiel fronce les sourcils, l'air perplexe.

—«Mais c'est… c'était toi avec moi. Tu étais avec moi.»

—«… Non Cas. Tu ne te souviens pas? On s'appelait tous les soirs et je te parlais de restaurants et des cheveux de Sam.»

Le brun se mord légèrement les joues, la commissure de ses lèvres penchée vers le bas. Sam n'est toujours pas là alors Dean effleure un peu timidement l'arête trop aiguë de sa mâchoire pour attirer son attention.

—«Il t'a fait du mal pendant mon absence et je te promets que je vais Le virer de chez toi. Jessica et Carol tentent de te joindre depuis hier, je t'ai aussi appelé plusieurs fois sur la route mais tu ne décrochais pas. On s'inquiète tous pour toi, tu comprends?»

—«… Oui. …Merci.»

Castiel a l'air un peu perdu et le châtain lui sourit gentiment. Son portable sonne dans sa poche et il décroche, sa main toujours sur la mâchoire du brun.

«Dean? Est-ce que tu as trouvé Castiel?»

—«Oui Sam, il va… bien. Est-ce que tu te sens mieux?»

«Il s'est passé quelque chose. La sensation a disparu.»

—«Ouais, Philippe sait que nous savons et je pense qu'il a un peu perdu les pédales», grogne Dean avec satisfaction. «Tu peux entrer dans la maison par le jardin d'hiver, j'ai dégondé une des portes-fenêtres. Prends tout ce que tu peux dans la voiture, il faut refaire toutes les protections.»

Sam marmonne qu'il le rejoint avant de raccrocher. Castiel cligne des yeux.

—«… Tu as dégondé une des portes-fenêtres du jardin d'hiver?»

—«Je t'assure que j'ai été très prudent et que je n'ai rien abîmé. Je vais la remettre en place dès que Sam sera entré, tu ne remarqueras rien.»

Le brun esquisse un petit sourire encore un peu incertain mais Dean prend tout ce qu'il peut. Un sourire – un vrai sourire – est mieux que rien.

Quelques minutes plus tard, il entend son frère l'appeler depuis le rez-de-chaussée. Dean a une conscience aiguë du fait qu'il touche toujours le brun et il s'éloigne, les oreilles un peu rouges.

—«Je vais rejoindre Sam mais je reviens bientôt Cas. Est-ce que tu peux rester là?»

Le brun hoche lentement la tête, l'air toujours un peu décontenancé. Dean a envie de l'embrasse alors à la place, il dévale les escaliers.

Dans le vestibule, Sam a posé les amulettes données par Destiny et a allumé la lampe de charme. Il lui tend le sel et l'eau bénite et les deux frères se mettent efficacement au travail.

Bientôt, la maison auparavant silencieuse résonne de prières à saint Michel répétées ad nauseam dans chacune des pièces. Dans chaque geste qu'ils font, à chaque mot qu'ils prononcent, ils sentent Son regard peser sur eux, sale et poisseux. Sam essuie parfois son front couvert de sueur d'un revers de main mais il persévère. Dean et lui ont mis à profit leurs seize heures de conduite à travers les États-Unis pour apprendre par cœur les prières rédigées par Teresa et Destiny. À chaque fois qu'ils les prononcent – notamment celle adressée à Maître-Carrefour, celui qui maîtrise les esprits mauvais –, quelque chose change. Sam retrouve un peu de couleur et dit les Mots avec plus de conviction.

La flamme de la lampe de charme brûle haute et fort dans le vestibule. Puissante.

Dean et Sam se séparent à l'étage avant de se retrouver dans la chambre de Castiel. Son frère adresse un petit salut au brun auquel ce dernier répond un peu timidement, les draps remontés jusqu'à son menton. Les deux frères retracent le cercle de sel autour du lit, replacent les coupelles dans les angles de la chambre. Sam dépose le paquett sur la commode en face du lit du brun et Dean claque sa langue contre son palais de satisfaction. Bien, il contrôle à nouveau.

Castiel plisse les yeux pour observer l'amulette de Baron-Samedi avant d'esquisser une petite moue.

—«Je ne sais pas ce que c'est mais je ne l'aurai jamais acheté pour mon magasin…»

—«Je t'expliquerai», s'esclaffe le châtain. «Nous sommes désolés d'envahir ta maison à une heure pareille mais nous voulions nous assurer que tu allais bien avant de nous installer au Clarence Inn

—«… Je vais bien, Dean.»

Sam a allumé la lumière du plafonnier en entrant, exposant cruellement la maigreur de Castiel. C'est douloureux à voir mais le jeune homme ne veut pas insister. La journée a été longue, il a vraiment besoin de dormir.

Il continue de fixer le brun qui finit par se tortiller un peu sur le matelas.

—«… Je vais m'habiller un peu.»

—«Il est vingt-trois heures passées, tu peux rester comme tu es», tente de plaisanter Dean.

—«J'ai des invités, je ne vais pas rester en pyjama», proteste Castiel.

Le châtain lève les yeux au plafond et se tourne pour laisser au brun un peu d'intimité. Sam pourrait lui dire qu'il n'a pas besoin de rester avec lui mais il ne le fait pas; Dean ne l'aurait pas écouté de toute manière. Il baisse les yeux sur le parquet, observe les profondes rayures faites sur le bois. Le châtain tourne la tête, remarque le papier peint abîmé. Il demandera des explications à Castiel demain, il n'a pas l'esprit assez clair maintenant pour raisonner convenablement.

Le cadre de lit craque à peine quand le brun se glisse hors du matelas. Ses pieds nus sont un petit trottinement discret, presque évanescent sur le parquet. Dean écoute leur chemin jusqu'à la salle de bain tandis que Sam profite de son absence pour s'accroupir et regarder sous le lit des deux côtés.

—«C'est mauvais Dean», souffle-t-il discrètement en se redressant.

Le châtain se rapproche tout en surveillant Castiel dans la salle de bain. Il soulève les draps, se penche à son tour. Le chrisme tracé à la craie à leur départ pour La Nouvelle-Orléans a été détruit. Le montant en acajou est tellement abîmé que Dean pourrait glisser l'extrémité de son petit doigt dans certaines fentes. Il se met à genou pour regarder sous le lit. Le grand pentacle a également disparu. Merde

—«Le chrisme est un symbole chrétien et j'avais écrit une prière tout autour. Comment Philippe a-t-il pu le toucher?», demande Sam d'un ton incrédule.

—«Je suis trop fatigué pour y penser maintenant. Nous allons devoir créer un autre pentacle plus puissant, Bobby pourra peut-être nous aider.» Dean passe une main lasse dans sa nuque. «… J'ai envie de proposer à Cas de venir avec nous au Clarence Inn pour la nuit.»

—«Ça n'éloignera pas Philippe de lui…»

—«Je sais mais toute la maison craint. Je pense que ce serait une bonne chose de laisser les protections nettoyer un peu tout ce bordel et de revenir demain. … J'ai confiance en Destiny mais je peine à croire que cette bougie dans le vestibule va vraiment le protéger.»

—«Elle t'a dit de croire et de ne pas douter.»

—«Tu n'as pas pu entrer dans la maison à notre arrivée…»

Sam frère baisse les yeux, un peu honteux et Dean lui donne un petit coup de poing affectueux dans l'épaule. Ce n'est pas de sa faute, seulement celle de cet enfoiré d'outre tombe.

—«Est-ce que tu veux faire ta demande à Castiel?», le taquine un peu son cadet.

—«Qu'est-ce que Dean veut me demander?», interroge le brun depuis la salle de bain.

Ouais, il est temps de se montrer courageux. Dean se rapproche un peu de la porte de la salle de bain.

—«J'ai une proposition à te faire. Que dirais-tu de venir avec nous au Clarence Inn pour la nuit?»

Le châtain observe machinalement la table de chevet du brun. Ce flacon orange de pilules attire irrésistiblement son regard. Dean hésite avant de le prendre pour lire l'étiquette. De l'autre côté du lit, Sam hausse un sourcil interrogateur.

—«Ce sont les bêtabloquants pour sa tachycardie. … Le flacon est à moitié vide», chuchote-t-il.

—«Je croyais que Castiel n'aimait pas les prendre…»

Dean aussi.

Il le nourrit aussi, Il lui donne des choses colorées à manger.

Quelque chose tombé sur le parquet attire son attention. Il traîne dans la poussière mais il accroche un peu la lumière. Le châtain s'accroupit, il sait déjà ce que c'est avant même d'ouvrir son poing. La médaille est tellement dévorée par la corrosion que le motif est devenu illisible sous les pulvérulences grisâtres. La bague est méconnaissable et si Dean ne savait pas, il la jetterait probablement comme un débris sale et dégoûtant.

—«Pourquoi veux-tu que j'aille m'installer au Clarence Inn, Dean? Je suis bien chez moi.»

Le châtain entend à nouveau le frottement des pieds nus. Le son est un peu différent sur le carrelage de la salle de bain.

Castiel apparaît dans l'embrasure de la porte, terminant de boutonner une chemise un peu froissée.

Dean se fige.

Les gestes du brun sont lents et il voit, il voit son torse nu entre les pans entrouverts. La peau du brun paraît translucide et le coton bleu lui donne des couleurs de chair morte. Le châtain marche vers lui d'un pas raide. Castiel lève doucement les yeux, ses prunelles bleues hallucinées effleurent son visage et ses lèvres. Dean pose une main sur les doigts qui boutonnent toujours pour les arrêter. Le brun rougit un peu. Il se laisse distraire une fraction de seconde avant d'ouvrir le vêtement d'un geste brusque.

—«Dean!», proteste Sam.

La première chose qui a attiré son regard avant est une tache dans le cou de Castiel. Il a pensé à une ombre qui creuserait un peu plus le relief de ses clavicules mais une ombre n'est pas violette. Ou d'un bleu un peu pourpre. Il déglutit. C'est un suçon, posé en haut de son sternum. La marque le nargue, étalée d'une manière indécente sur la peau trop blanche.

Dean fronce les sourcils tandis qu'il regarde le torse du brun. Ce suçon n'est que le premier.

—«Bordel, Cas…», souffle-t-il.

—«Ce n'est rien, ça ne me fait pas mal», répond doucement le brun.

Il préfère ne pas commenter, faire comme s'il n'avait pas entendu.

Ce n'est pas rien. C'est grave.

La marque de morsure dans la nuque du brun – celle qu'il a vu à leur arrivée à Butler et qui a tout déclenché – ressemble presque une plaisanterie à cette heure.

La peau de Castiel est constellée de marques formant un camaïeu obscène sur son corps. Il y en a partout, de toutes les formes, de toutes les tailles. Des suçons, des marques de morsure, de légères griffures. Des empreintes de doigts sur ses côtes et ses hanches trop fines. Explosion de couleurs. Bleu, pourpre, violet, jaune, rouge. C'est insupportable à regarder. Des traces d'amour, un marquage de territoire. La conquête du brun et la défaite de Dean.

Le châtain étouffe, il a un peu la nausée.

Il appuie doucement une main sur l'épaule de Castiel pour le faire se retourner.

Son dos est aussi une carte d'amour impudique et Dean a envie de briser quelque chose. Ça ressemble à un jeu libertin, une tentative scabreuse de faire ressembler à tout prix le derrière au devant. Le châtain entend Sam déglutir bruyamment. Les deux frères n'ont jamais vu ça.

Sous les marques, il y a aussi la maigreur morbide de Castiel qui leur permet de compter les vertèbres saillantes de sa colonne vertébrale; de dessiner un schéma anatomique parfait de l'attache des côtes jusqu'aux arêtes aiguës de son bassin. Le brun n'est pas au bord du précipice. Il a déjà fait un pas en avant et son pied est suspendu dans le vide en un jeu dangereux.

Dean voit la marque de morsure sur sa hanche, les traces de Ses doigts sur ses reins. Il ne peut s'empêcher de les effleurer du bout des doigts. Castiel frissonne doucement.

—«Ne me touche pas, tu as les mains froides», proteste-t-il doucement.

Les mains froides? Lui? Dean pourrait éclater de rire si sa gorge n'était pas aussi serrée. Les marques disparaissent mutinement sous la couture du pantalon et le châtain y fait traîner ses doigts. Qu'y a-t-il en dessous? Qu'est-ce qu'Il lui a fait?

Castiel inspire doucement et attrape son poignet à tâtons.

—«Ne fais pas ça, s'il te plaît…»

—«Je dois voir Cas, tu dois me montrer. C'est comme cette fois quand on était dans ta chambre, je dois constater ce qu'Il t'a fait pour comprendre. Tu sais que je ne te jugerai pas.»

Le brun secoue quand même la tête tandis que ses doigts se crispent sur son poignet.

Dean se mord douloureusement les joues. Il glisse ses doigts dans les passants du jean, tire doucement vers le bas. Bon sang, il voit le haut un suçon à la naissance de sa fesse gauche, il doit –Castiel se recroqueville un peu sur lui-même, petit, si petit mais le châtain ne peut pas s'en empêcher. Il doit –

Sam pose une main sur son épaule pour l'éloigner du brun avant de remonter la chemise sur son torse.

Castiel reprend le boutonnage consciencieux de sa chemise mais c'est trop lent. Il y a encore trop de peau découverte, accessible. Le châtain remplace les mains du brun par les siennes. Il va détruire Philippe-putain-de-putain-de-Delveau.

—«Tu ne portes plus la médaille et la bague. Et ton flacon de bêtabloquants est à moitié vide. Qu'est-ce qu'il s'est passé?», souffle-t-il.

Le brun pâlit un peu et palpe machinalement le haut de son torse, comme pour saisir le contact fantôme de la chaîne. Tout n'est pas perdu.

—«Pourquoi as-tu fait ça Cas?», répète Dean.

—«Je – Je ne sais pas. … C'est toi. Tu m'as dit que ce n'était pas nécessaire, que tu m'offrirais mieux», chuchote Castiel en clignant des yeux.

—«Je te les ai offerts pour te protéger. Je t'avais demandé de ne pas t'en séparer parce que tu en as besoin contre Lui. Est-ce que tu t'en souviens?»

—«… Les comprimés m'aident à aller mieux, c'est ce que tu m'as affirmé», proteste le brun en fronçant les sourcils. «Je… Je ne comprends pas… Tu étais ici avec moi mais tu étais loin aussi et…»

Castiel fronce légèrement le nez, serre les poings pour contenir le tremblement de ses mains. Dean croise son regard, il semble sur le point de pleurer.

Le châtain jette un regard à Sam et son frère quitte la chambre, un léger sourire aux lèvres. Connard. Dean pose ses mains sur les épaules du brun, les presse doucement pour attirer son attention. La réaction de Castiel est instinctive. Il se colle à lui, enfouit son visage dans son cou en envoyant joyeusement se faire foutre toute notion d'espace personnel. Son corps trop maigre est étrangement chaud contre le sien, fiévreux. Dean se mord les joues.

—«Tu étais avec moi…»

—«Il t'a trompé, Cas. J'étais à La Nouvelle-Orléans, à presque deux milles kilomètres de Butler. Je ne pouvais pas être ici avec toi.»

—«Mais tu – Les comprimés du Dr. Lauwers m'aident, tu me l'as répété plusieurs fois.»

—«Je ne t'aurai jamais dit ça, je sais que tu n'aimes pas leurs effets secondaires. Je me soucie de toi, d'accord? Plus que lui.»

Dean prend son visage en coupe. Les yeux envahis par le brouillard s'éclaire un peu et il sourit. Voilà, ils progressent. Castiel hoche lentement la tête, l'air défait avant de baisser la tête avec honte.

En attendant mieux, le châtain passe le collier abîmé autour de son cou. La bague est inutilisable. Castiel frissonne légèrement et crispe ses doigts sur la médaille.

—«Qu'est-ce qu'il s'est passé Cas? Tu allais mieux quand je suis parti…», demande doucement Dean.

—«C'était le cas. Au début…»

—«Quand est-Il revenu?»

—«Il n'est jamais parti. Je… Je n'ai pas compris au début, je faisais des cauchemars où tu ne rentrais jamais à Butler et d'autres où tu me frappais. J'avais… peur de toi et j'ai évité tes appels, comme ceux de Carol. Elle me disait des horreurs…», balbutie le brun.

Castiel tire encore et encore sur la chaîne, faisant rougir la peau fine de son cou. Il continue à raconter et Dean a la nausée. Ses oreilles bourdonnent mais il comprend le schéma. Philippe n'est pas qu'un esprit malfaisant. Il est intelligent, Il a un plan pour amener le brun où Il le souhaite. Dean en fait de toute évidence beaucoup partie. Il pourrait presque être flatté.

—«… Il m'a fait douté mais quand on s'appelait, j'avais à nouveau confiance en toi. J'aimais t'écouter parler de La Nouvelle-Orléans et des cheveux de Sam.»

—«Ouais, ça a été un grand moment. Je te montrerai une photo ou deux, Sam ne sait pas que je les ai», ricane le châtain.

Le sourire de Castiel est très doux. Ouais, Philippe a essayé mais le brun est en train de revenir à Dean. Castiel est plus fort qu'Il ne le croit.

—«Qu'est-ce qui a changé?»

Le brun se mord les joues et détourne brièvement le regard. Dean voit la peau de son cou rougir un peu. C'est mignon.

—«… Les filles… Il y avait ces filles à ton hôtel et puis… Gabriel», souffle Castiel.

Le châtain caresse doucement ses joues de ses pouces. Encore. Raconte encore. Castiel déglutit lourdement.

—«J'avais réservé un week-end à Boston pour que nous fêtions son anniversaire ensemble et j'ai… oublié. L'hôtel m'a appelé pour me dire que ma réservation avait été annulée et je… j'avais juste oublié Dean. Oliver m'avait dit que je n'affronterai pas ça seul mais il est en vacances je ne sais pas où avec un autre homme et ils sont ensemble. J'étais tellement… seul. Et Il m'aime… C'était facile, Il savait tout de moi, tout ce dont j'ai besoin. J'ai arrêté de me battre, j'ai… Je suis tellement désolé», croasse le brun.

—«Tu as conscience que cela ne peut pas durer, n'est-ce pas? Il t'a menti.»

—«Parce qu'on ne peut pas m'aimer?»

—«Parce qu'Il ne pense à toi comme nous le faisons tous ici. Tu es entouré de gens qui tiennent vraiment à toi, Cas.»

—«… J'ai rendu Tom malade.»

—«Non, Il l'a fait. Carol et Jessica savent que tu les as repoussés pour les protéger, elles me l'ont dit quand elles nous ont appelé ce matin. Tu n'es pas seul, Cas.»

Castiel relève les yeux sur lui, toujours un peu blême. Le châtain hésite mais Sam s'affaire Dieu sait où dans la maison, ils sont juste tous les deux. C'est entre Cas et lui, ça l'est depuis que Philippe est devenu lui pour tromper le brun. Dean esquisse un sourire gêné.

—«Tu as parlé des filles de l'hôtel mais tu oublies le principal… Je suis persuadé de t'avoir dit que tu étais plus important», souffle-t-il.

—«Oui, pour le travail.»

—«Non Cas, pas pour le travail. Je –»

Le regard de Dean se perd sur le suçon bleu qui marque le sternum trop saillant du brun. Merde, c'est tellement possessif.

Il ouvre la bouche, la referme comme un poisson hors de l'eau.

Il ne peut pas vraiment expliquer à Castiel qu'il n'aurait jamais fait ça avec lui. Pas comme ça non plus. Il L'imagine remontant le long du corps du brun, goûtant du bout des lèvres, dévorant à pleines dents. Pincer, serrer, mordre, marquer. Dean ne fait pas ce genre de chose. Il a déjà renvoyé de son lit une conquête de passage qui s'obstinait à vouloir lui faire des suçons sur le torse. Ou un homme rencontré à Kansas City – un peu plus sérieux que les autres pourtant – qui aimait le sexe brutal faisant un peu mal. Très peu pour lui merci bien, alors dévaster le corps de Castiel? Jamais de la vie.

Le brun se serre un peu plus contre lui, un peu timide. Il plonge son nez dans son cou et Dean sait qu'il est en train de rougir. Dieu, heureusement que Sam n'est pas avec eux. Le châtain a envie de dire une boutade, quelque chose de pas très subtil pour cacher sa gêne mais Castiel semble se sentir bien contre lui. Il noue timidement ses doigts au cuir de sa veste et inspire doucement.

—«… Je n'aime pas non plus l'odeur de la cigarette. J'ai l'impression d'avoir passé les derniers jours dans un bar enfumé pendant les Années folles…», marmonne-t-il.

Dean rit légèrement. Castiel s'éloigne, un sourire triste aux lèvres.

—«… Je sais que j'ai beaucoup maigri. Et que je porte Ses marques aussi. J'ai tellement honte…», déglutit le brun.

—«Tu n'es pas responsable Cas. … Quand est-ce que tu Le sentais?»

—«Tout le temps… Il était là tout le temps avec moi, la nuit comme le jour. Dès que je me déplaçais dans la maison ou que je restais ici – surtout ici – je Le sentais contre moi.» Le brun jette un regard alentour. «… Il m'a dit de détruire le cercle et j'ai – j'ai essayé d'invoquer Gabriel pour lui demander de me pardonner de l'avoir oublié.»

—«… Est-ce que c'est Gabriel qui a écrit sur le mur?»

Castiel hoche la tête, un sanglot dans la gorge.

Dean regarde les lambeaux de papier peint oubliés sur le parquet. Il doute que Gabriel ait fait ça. Philippe a probablement manipulé le brun, peut-être même a-t-Il chassé Gabriel de la maison. Il doit demander à Sam de s'en assurer.

Le châtain serre doucement le brun contre lui. Destiny avait raison et lui ne voulait pas le croire. Il était là, le moment de bascule. Fragile, le cœur trop gros, Castiel a appelé Philippe qui n'a eu qu'à se glisser dans la fissure, s'y lover et instiller son poison en lui. Castiel s'est offert et il est presque trop tard.

La respiration du brun est trop chaude et erratique contre lui alors Dean caresse son dos de manière apaisante. Castiel s'agrippe à lui comme un naufragé.

—«Un problème à la fois Cas, respire lentement et profondément», dit-il gentiment. «Sam et moi nous sommes rentrés avec des réponses et un rituel pour Le faire partir. Tu dois tenir bon, d'accord? Nous allons y arriver.»

—«Je suis tellement désolé», croasse-t-il difficilement.

—«Moi aussi, je suis désolé d'avoir mis autant de temps pour comprendre. Ma proposition tient toujours, est-ce que tu veux venir au Clarence Inn pour cette nuit avec Sam et moi?»

—«Tu as dit qu'Il me suivait partout…»

—«C'est vrai mais je pense que cela ne te fera pas de mal de quitter ta maison au moins une nuit. Sam et moi pourrons te protéger plus efficacement si tu restes avec nous.»

Castiel se mordille nerveusement les joues et lui jette un regard en coin.

Pendant une fraction de seconde, Dean pense que le brun va accepter et il commence à échafauder un plan pour réserver une chambre supplémentaire au Clarence Inn. L'hôtel est dans une maison ancienne, il n'y a probablement pas de chambre à trois couchages alors il va devoir convaincre Sam de prendre une chambre solo. Dean devrait être celui qui reste avec Castiel parce que – même si ça lui donne envie de vomir – il y a un truc entre Philippe et lui. Et parce que c'est comme ça que les choses doivent se passer. Le châtain sent ses oreilles chauffer un peu. Ça pourrait être… bien. Dean est épuisé mais avant de s'écrouler de sommeil, il pourrait peut-être encore éclaircir cette histoire de filles qui semble avoir tant troublé le brun. Dean a quelques sujets de discussion en tête, des trucs qui pourraient les occuper un long moment.

—«… Vous pourriez aussi rester ici.»

Dean cligne des yeux, un peu perdu dans ses pensées. Quoi? Castiel hausse légèrement les épaules, les joues un peu chaudes.

—«La maison est grande, Sam et toi vous pourriez avoir vos propres chambres. Ce serait peut-être plus facile pour… la suite», tente-t-il maladroitement.

—«Ça pourrait l'être…»

Le brun lui jette un regard en coin et Dean sourit. Est-ce qu'il pourra dormir correctement dans une maison habitée par une saloperie surnaturelle dont il n'aime pas vraiment la décoration? Il a l'habitude de dormir dans des motels un peu minables avec son frère qui parle parfois dans son sommeil. Dean est putain de résilient et l'espoir de Castiel est adorable. Il hoche la tête.

—«Sam!»

Son frère passe presque immédiatement la tête dans l'embrasure de la porte et le châtain lui jette un regard noir. Petite fouine indiscrète.

—«Cas nous invite à rester chez lui et j'ai accepté. Nous allons aller chercher nos sacs dans l'Impala et nous installer», dit-il d'un ton sans réplique.

—«D'accord mais je veux appeler Mrs. Singleton avant. Elle nous attend toujours…»

C'est vrai mais Dean ne se sent presque pas coupable d'avoir un peu oublié la sémillante propriétaire du Clarence Inn. À côté de lui, Castiel semble irradier de soulagement et si ses yeux brillent, c'est moins à cause de la fébrilité que de la joie. Le châtain sait qu'il a peur et qu'il ne veut pas rester seul chez lui mais il lui demande à lui – à Sam et à lui en réalité mais c'est un détail – de rester. Prends ça dans ta sale trogne, Philippe Delveau.

Sam s'éloigne de quelques pas pour passer son appel. Dean et Castiel restent l'un en face de l'autre à se sourire un peu stupidement.

—«Mrs. Singleton m'a dit qu'elle était déjà couchée et que nous aurions trouvé porte close parce qu'il est impoli de faire attendre une dame», grimace le blond en revenant vers eux. «Je prends la grande chambre bleue au bout du couloir Dean.»

—«… Celle qui a la salle de bain?», demande le châtain d'un ton suspicieux.

—«Exactement. Tu as rendu cette journée complètement dingue et je suis vraiment fatigué. Je suis sûr que tu seras très bien dans la petite chambre rouge à côté.»

—«Bitch.»

—«Jerk.»

Sam tourne les talons et quelques secondes plus tard, Dean l'entend pousser un bruyant râle de plaisir. Il suppose qu'il s'est laissé tomber sur le lit. Castiel rit doucement.

—«Je vais faire vos lits.»

Sam revient et s'accoude contre la porte, les bras croisés sur sa poitrine.

—«Si tu veux voir quelque chose de vraiment amusant, laisse Dean t'aider. Il se bat toujours contre les draps et c'est bien le seul combat qu'il perd à chaque fois», ricane-t-il.

—«La ferme Sam, va plutôt vider l'Impala», siffle le châtain en lui jetant les clés. «Ne l'écoute pas Cas, je vais t'aider.»

—«Tu es mon invité, il est hors de question que tu fasses ton propre lit», proteste le jeune homme avec une adorable obstination.

Ils se chamaillent sans doute un peu car Sam rit plus fort dans l'escalier.

Quinze minutes plus tard, Dean admet humblement qu'il est encore plus mauvais pour faire un lit quand il est épuisé. Il suit mollement les indications de Castiel qui parvient à rendre l'exercice presque intéressant. Le brun y met du cœur et de l'application et ça gonfle quelque chose de chaud dans sa poitrine.

Sam dépose leurs sacs de voyage dans leur chambre respective. Malgré la décoration un peu chargée, Dean s'y sent bien. Le mobilier n'est pas trop mal – seule la tapisserie rouge à motif de fleurs lui reste un peu en travers de la gorge – et il aime voir son blouson en cuir traîner sur le lit.

Ça a l'air normal, au moins autant que d'ouvrir les placards de la cuisine de Castiel pour trouver de quoi préparer une collation rapide.

Devant le frigo, Dean hausse un sourcil appréciateur.

—«Il déborde…»

—«Carol m'a apporté des courses hier matin», répond le brun en sortant des assiettes.

—«Il est encore plein. Est-ce que tu as mangé depuis?»

Castiel hausse légèrement les épaules. Personne n'approfondit la question, Dean se contente du plaisir de voir le brun accepter l'idée de simples sandwiches avec appétit.

Le jeune homme s'éclipse pour prendre une douche. Le châtain écoute attentivement le bruit de ses pas dans la maison avant de se concentrer sur la découpe des tomates.

—«Nous allons devoir intervenir bien plus vite que prévu», souffle Sam à ses côtés.

—«Je sais mais laissons-nous nous reposer cette nuit. Nous avons beaucoup de choses à expliquer à Cas et aucun d'entre nous n'a envie de s'y atteler maintenant. Nous allons manger, aller nous coucher et savourer le fait que pour la première fois, cet enfoiré semble avoir quitté la maison.»

Sam esquisse un sourire un peu faible. Le bruit de son couteau sur la planche à découper résonne dans la cuisine, lent et régulier. Tac tac tac.

—«… Si nous étions rentrés plus tôt, j'aurais aimé qu'on lui botte le cul dès ce soir», admet Dean en assemblant le premier sandwich. «Cas est dans un tel état… Si on était revenu plus tard, il serait peut-être…»

Le châtain déglutit. Son frère lui donne un léger coup d'épaule et il sourit. Sam est en train de couper des oignons, il a les yeux un peu rouges et humides.

—«Ne te rends pas malade en imaginant le pire. Castiel est avec nous, il va manger quelque chose, aller dormir et dès demain, nous travaillerons sur le rituel pour Le chasser d'ici. N'oublie pas de lui parler de la chevalière avant.»

Ah oui, il y a encore ça à régler. Mince. 2000$ en or, c'est une belle somme. Dean enfourne le plat dans le four pour faire griller les sandwiches et faire fondre un peu le fromage à 65,99$ le kilo qu'il a trouvé dans le frigo. Il renifle. Cher, au nom compliqué mais il sent bon.

Le châtain jette un œil à l'horloge du four. Castiel n'est pas encore redescendu. Il hésite un instant avant de monter à l'étage. La porte de la chambre du brun est ouverte, il toque poliment avant de se glisser à l'intérieur. L'eau coule avec fracas contre les parois de la baignoire.

—«Cas? Le dîner est prêt.»

Dean tend l'oreille avant de redescendre sans un bruit. Il termine de mettre la table avec Sam en silence. Quand le brun les rejoint peu après, sa peau est encore rougie par l'eau trop chaude et un frictionnage en règle. Ses yeux sont rouges aussi. Dean sait qu'il l'a entendu pleurer.

Il lui tire gentiment un tabouret autour de l'îlot central pour l'inviter à s'asseoir. Castiel esquisse un pâle sourire avant d'entamer son sandwich avec appétit.

Le châtain s'accroche vraiment à ça.


Affalé sur le plan de travail, Dean soupire de contentement. Il gigote un peu – l'assise du tabouret commence à être dure sous ses fesses – tout en picorant du bout des doigts les miettes de son assiette.

Le châtain jette un regard en coin vers Castiel. Les mains autour de sa tasse, le brun boit à petites gorgées une tisane à la camomille que Sam a extirpé d'un placard de la cuisine. Il dodelinait légèrement de la tête, c'est adorable et ça donne de folles envies de tendresse à Dean. Personne pour se moquer de lui non plus, son frère est monté se coucher un peu plus tôt après une tasse de tisane. Le brun et lui sont seuls.

Il se pince l'arête du nez, masse sa nuque du bout des doigts. Il doit tenir encore un peu. Castiel ne semble pas avoir envie d'aller se coucher et Dean reste pour lui. Il étouffe un bâillement derrière sa paume. Le brun sursaute un peu et rouvre les yeux.

—«Est-ce que tu veux un autre morceau?»

Castiel tend déjà la main vers la tarte aux pralines que Dean a acheté pour lui à La Nouvelle-Orléans. Le châtain s'est généreusement servi et refuse d'un signe de tête. Pas plus pour lui ce soir – il craint que son taux de glycémie proche de la stratosphère l'empêche de trouver le sommeil – mais il compte bien la terminer demain.

—«Tu es sûr? Tu as dit qu'elle était excellente», insiste le brun.

—«Je l'ai acheté pour toi et tu en as à peine mangé un morceau…»

—«Ce n'est pas grave, je suis d'accord pour que tu en reprennes.»

—«Cas, manger de la tarte à une heure du matin est déjà assez indécent en soi tu sais», sourit affectueusement Dean.

Castiel pince les lèvres, ses longs doigts jouent sur le manche de la pelle à tarte.

—«… Est-ce que tu es vraiment sûr de toi?»

Le châtain rit joyeusement. Castiel prend à nouveau sa tasse à deux mains, un pli soucieux barrant son front. Dean baille une nouvelle fois et se frotte les yeux.

—«… Est-ce que tu veux aller te coucher?», demande lentement le brun.

—«J'aimerai beaucoup. Je suis réveillé depuis presque vingt-quatre heures et j'ai conduit toute la journée en prenant à peine le temps de m'arrêter. Je suis fatigué, Cas.»

—«Pourquoi restes-tu dans ce cas?»

—«Je monterai quand tu seras aussi prêt à le faire.»

Castiel cligne des yeux avant de rougir un peu. Merde, Dean a été con.

—«Je voulais dire que tu ne sembles pas avoir envie d'aller dormir», balbutie-t-il maladroitement.

Le brun hoche lentement la tête et boit une petite gorgée de tisane. La ride sur son front se creuse encore, Dean a envie de la lisser délicatement de son pouce. Pour s'occuper plus utilement, il lave son assiette dans l'évier puis range la tarte dans le frigo. Castiel pince les lèvres.

—«… Je ne veux pas monter me coucher», souffle-t-il.

—«Je sais Cas.»

—«Pourtant, je suis vraiment fatigué mais je ne veux pas aller dormir dans ma chambre…»

—«Et si tu prenais la mienne? Je peux dormir avec Sam.»

C'est un sacrifice qui lui ferait mal parce qu'il est épuisé et que son cadet a le sommeil agité et bruyant. Quand ils étaient enfants et qu'ils s'endormaient l'un contre l'autre dans le petit lit de Dean, le garçon se réveillait avec des bleus à des endroits improbables de son corps. Le châtain a juste envie de dormir d'un sommeil écrasant; impossible à faire avec Sam qui gigote comme un bébé dans son maillot de corps. Dean considère un bref instant l'idée de dormir dans un des canapés qui meublent les salons du rez-de-chaussée. Juste une fraction de seconde car Castiel écarquille les yeux avant de secouer la tête.

—«Tu es mon invité, tu ne vas pas me laisser ta chambre.»

—«Cela ne me dérange pas si tu dors mieux. Tu as besoin de te reposer et je comprends que tu n'aies pas la moindre envie de le faire dans cette chambre. Alors Cas? Qu'est-ce qu'on fait?», demande-t-il d'un ton badin.

Le brun passe une main dans ses cheveux. La lumière leur donne des teintes gourmandes de chocolat. C'est distrayant à regarder.

—«… Je suis ridicule, n'est-ce pas?», grommelle-t-il.

—«Je ne trouve pas. Alors, est-ce tu acceptes?»

—«… Je te remercie Dean.» Castiel soupire doucement. «Sam a pris la grande chambre mais le matelas dans la tienne est meilleur. Je suis vraiment désolé.»

—«Ce n'est rien. Je suis tellement fatigué que je pense pouvoir m'endormir à peu près n'importe où dans les quinze prochaines minutes», s'esclaffe le châtain.

Castiel esquisse un sourire timide. Il termine sa tisane, Dean prend sa tasse pour la rincer. Leurs doigts s'effleurent sur la porcelaine et ils se sourient un peu. Le châtain passe un coup d'éponge sur le plan de travail, bien heureux que Sam ne soit pas là pour le voir agir en parfait homme d'intérieur. Le brun l'attend à côté de la porte, appuyé d'une épaule contre le mur et déjà à moitié endormi. Dean effleure gentiment son coude.

—«Prêt?»

—«Prêt», répond-il en se frottant les yeux.

Ils montent ensemble à l'étage et le châtain ne devrait pas avoir le creux du ventre aussi chaud, comme s'ils allaient se coucher ensemble. Mince, il aime ça.

Castiel entre dans la chambre d'ami, Dean lui emboîte le pas.

—«Qu'est-ce que tu fais?», déglutit le brun.

—«Je viens récupérer mes affaires, tu ne vas pas en avoir besoin.»

Le châtain passe la lanière de son sac de voyage à son épaule, un sourire malicieux aux lèvres. Castiel acquiesce lentement, la nuque un peu rose.

Ils restent un instant l'un en face de l'autre, sans bouger. Le plafonnier n'est pas allumé, seulement une jolie lampe ancienne posée sur la commode voisine. L'atmosphère est douce, intime. L'éclairage atténue les traits trop acérés du brun, Dean retrouve de la vie dans le bombé des pommettes, dans la couleur de la bouche ou dans l'éclat de ses yeux. Il se mord les joues.

—«… Je reviens Cas. … Je bouge pas d'ici.»

Dean sort rapidement, s'empresse de récupérer le paquett dans la chambre de Castiel pour le déposer sur la commode de la chambre d'ami. Le brun hausse un sourcil.

—«Est-ce que j'ai le droit de te dire que je trouve cette chose vraiment affreuse? Sans même parler du fait qu'elle jure horriblement sur ce meuble.»

—«Tu peux, je la trouve très laide aussi mais tu as besoin de cette amulette. Je t'expliquerai tout en détail demain», s'esclaffe le châtain en ouvrant son sac de voyage. «Je vais tracer le cercle de sel autour du lit et poser les mêmes protections que dans ta chambre.»

Pendant que Dean prépare la pièce, Castiel s'éclipse rapidement pour aller se préparer pour la nuit. Quand il revient en pyjama le châtain sent sa poitrine se gonfler de tendresse. Il trace une autre ligne de sel sur le pas de la porte et dépose quelques gouttes d'eau bénite sur le seuil en murmurant une prière à saint Michel.

—«Je vais laisser la porte de la chambre de Sam entrouverte, je ne serai pas loin. S'il y a quoi que ce soit, tu peux venir. Ou je t'entendrai.»

Le brun acquiesce lentement, les lèvres pincées par la nervosité. Dean pose une main amicale sur son épaule.

—«Ça va aller Cas, ce n'est qu'une nuit. Tout sera fini demain. Tu iras mieux, tu retrouveras une vie normale et tu finiras par oublier.»

—«Je n'oublierai jamais ce qu'il se sera passé ici. … Tu n'es pas non plus le genre d'homme que l'on oublie Dean», souffle le brun en regardant ses pieds.

Oh, merde. Castiel lui adresse un petit sourire, un peu las et timide et passe une main dans sa nuque.

—«Excuse-moi, je pense que je suis plus fatigué que je le pensais.»

—«La journée a été longue. Bonne nuit Cas», acquiesce un peu stupidement Dean.

—«Bonne nuit Dean.»

Le châtain a envie de terminer par une boutade, un truc un peu ridicule comme «Fais de beaux rêves» mais dans le cas du brun, ce serait la chose la plus stupide à dire.

Et puis il y a la lumière, l'atmosphère.

Dean observe le visage du brun. La douceur nouvelle dans ses traits moins aigus, le rosissement de sa peau, le modelé plus puissant de son cou dans le col de son pull. Il est vraiment beau. Ils sont dans une chambre, à côté d'un lit. Ce serait facile de se rapprocher de lui, d'effleurer son visage puis ses lèvres de son pouce. De lui rappeler qu'il l'a embrassé tout à l'heure. De recommencer.

La pomme d'Adam un peu saillante de la gorge du brun bouge légèrement, une petite vague sous la peau fine tandis qu'il déglutit. Dean sourit. Il est fatigué, pas complètement idiot. Ce n'est pas le moment.

Il presse son épaule une dernière fois puis quitte la chambre. Quand Castiel ferme la porte derrière lui – pas complètement, remarque-t-il – le châtain n'a pas envie de partir. Il a l'impression de sentir déjà les coudes pointus de Sam dans ses flancs et il grimace. Aller, tout sera différent demain. Une bonne nuit de sommeil (ou à peu près), un solide petit-déjeuner lors duquel il terminera la tarte aux pralines avec un grand café noir. Un entretien productif avec Sam. Puis l'anéantissement propre et net de Philippe-Delveau-le-super-enfoiré. Et après… Après, il verra bien.

Dean se glisse silencieusement dans la chambre de son cadet, passe dans la salle d'eau pour se rafraîchir avant de se coucher. Le jeune homme s'installe prudemment dans le lit mais le mouvement du matelas réveille Sam qui ronflait très doucement. La respiration du blond a un petit raté, il frotte sa joue dans son oreiller.

—«Rendors-toi chéri, ce n'est que moi», ricane Dean.

—«Je le ferai quand tu m'auras expliqué ce que tu fais dans mon lit», marmotte Sam d'une voix éraillée.

—«Cas a pris l'autre chambre d'ami.»

—«Il ne veut pas dormir dans la sienne?»

—«Tu voudrais le faire, toi?»

Dean gigote pour s'installer confortablement et le cadre de lit en laiton grince doucement. Castiel a raison, le matelas est raide.

Sam se tourne paresseusement vers lui. Le sommier couine comme un gémissement.

—«… Non. Je suppose que c'est la raison pour laquelle vous êtes restés en bas jusqu'à une heure du matin. Comment vis-tu le fait que ce n'était pas uniquement pour le plaisir de ta compagnie?»

Le châtain colle brusquement ses pieds nus et froids contre ses tibias. Son frère jure entre ses dents serrées.

—«Connard.»

—«Tu as vraiment sommeil Sammy, la fatigue met de vilains mots dans ta bouche», chantonne Dean en triturant son oreiller.

Son frère lui jette un regard noir et s'enroule un peu douillettement dans les draps. Le châtain s'affale lourdement sur le matelas avant de pousser un soupire de plaisir un peu obscène.

—«… Tu as laissé ta chambre et tu ne lui as pas proposé de rester avec lui?», reprend Sam après un silence.

—«La ferme Sammy.»

Son cadet ricane et le matelas tressaute, faisant couiner le cadre de lit d'une manière presque hystérique. Dean lui donne un coup de coude dans les côtes pour le faire cesser. Castiel est peut-être déjà endormi, il ne veut pas le réveiller. Sam le repousse de son côté du lit avant de lui tourner le dos.

—«Vous n'auriez rien pu faire de crapuleux de toute manière. Si ton lit est comme le mien, vous auriez réveillé tout le quartier. Éteins ta lampe maintenant, j'ai vraiment besoin de dormir.»

—«Tu as conduit à peine deux heures aujourd'hui…»

—«Peut-être mais est-ce que tu as conscience de combien les sièges de l'Impala sont durs? J'ai souffert en serrant les dents.»

Dean ricane et éteint la lampe de chevet. La chambre plonge dans le noir.

Il se tourne sur le flanc, jette un regard au seuil sous la porte. Un léger rai de lumière passe en dessous, Castiel veille toujours. Malgré sa fatigue, le châtain garde les yeux ouverts jusqu'à voir le couloir plonger enfin dans l'obscurité. Il guette encore un peu un bruit suspect, un gémissement, avant de sombrer dans un lourd sommeil.

Dean n'a rien entendu de suggestif, il insulte mollement son frère pour ses idées tordues.


Il est étrange de ne pas dormir dans son propre lit quand on est dans sa propre maison. Le matelas n'a pas la même forme, la largeur du cadre de lit et le sommier sont différents. Castiel tourne ces idées un peu vagues dans son esprit tandis qu'il se sent partir dans les bras de Morphée.

Il a pensé à une dernière chose tandis qu'il se glissait sous les draps.

Peut-être que Dean s'est allongé un instant au même endroit que lui quand il s'installait. Le brun a bien vu sa veste en cuir abandonnée sur le lit comme une joyeuse note de désordre. Castiel ne porte pas de cuir, il se trouve ridicule dans un perfecto. Pas Dean. Bien entendu, pas Dean.

Le brun soupire doucement.

Il ne pense plus à Lui ni à l'étrange objet que le châtain a déposé sur la commode et qui le met un peu mal à l'aise. Il n'aime pas la figure du Christ en croix, noire et rachitique. C'était peut-être un simple effet d'optique, créé par la lumière de la lampe de chevet. Comme il est étrange qu'elle rende cette amulette aussi laide alors qu'elle fait de si jolies choses à Dean. Elle met un peu d'or dans ses yeux verts et ses cheveux châtains prennent une teinte gourmande de miel.

Castiel l'a trouvé beau. C'est une évidence, comme la veste sur le lit ou son sac de voyage sur le parquet comme s'il rentrait.

Le brun a un frisson et remonte les draps sur lui. Il déglutit. Un poids désagréable pèse sur sa poitrine. Quelque chose qui l'étouffe. Quelque chose de glacial qu'il sent aussi effleurer son visage.

Dans son sommeil, Castiel fronce les sourcils et entrouvre les lèvres pour chercher de l'air. Il a du mal à respirer.

«Mon amour.»

Le brun déglutit. S'enfonce un peu plus dans les draps.

«Pourquoi t'es-tu éloigné de moi?»

Il dodeline un peu de la tête dans l'oreiller. Le linge est froid sous sa joue, avec une odeur un peu musquée de corps. Celle, plus diffuse, de la cigarette. La Sienne. Et encore ce poids sur lui…

Toujours endormi, Castiel tâtonne pour chercher le couvre-lit. Ses doigts rencontrent une étoffe épaisse. Trop épaisse. Ce n'est pas la légère descente de lit blanc cassé qu'il a posé sur le lit de Dean un peu plus tôt. Il reconnaît la sienne, l'épais couvre-lit dans lequel il s'enveloppe depuis des mois parce qu'il a tout le temps froid.

«Tu étais égaré mais tu es à nouveau chez nous. Dans notre lit.»

Le brun ahane légèrement.

«Tu as fait une erreur mais ce n'est pas grave. Tu es revenu à moi. Seul.»

Castiel se réveille en sursaut.

Il se redresse, les yeux écarquillés et le souffle court. Le jeune homme regarde autour de lui, les yeux encore flous de sommeil. Il reconnaît lentement la commode aux lignes droites, le petit salon aménagé à côté du bow-window.

Le brun crispe ses doigts dans les draps.

Il est de retour dans sa chambre, il ne se souvient pas comment. Castiel est certain de s'être endormi dans la chambre d'ami, un peu honteux de chercher le parfum de Dean sur l'oreiller quand il y a posé la tête. Comment est-ce possible?

Il cligne des yeux, tente de raisonner mais son corps est lourd, sa tête bourdonne. La porte de la chambre est grande ouverte. Castiel repousse les draps, pose doucement les pieds sur le parquet. Il ne trouve pas ses chaussons, ses orteils s'enfoncent dans la laine de la descente de lit.

La porte. Ouverte. Il doit sortir. Il ne doit pas rester ici.

Le brun n'a pas le temps de faire un pas vers cette issue. Le souffle court, il voit la porte se refermer doucement, comme poussée par une main invisible. Elle ne fait pas le moindre bruit quand elle se clôt.

Castiel sent le sang battre sourdement à ses tempes, son cœur s'affoler dans sa poitrine trop serrée. Il est sur le point d'hyperventiler.

La chambre est plongée dans le noir, seul un rayon d'une pâle lueur matinale entre par les rideaux mal fermés. Dans l'angle proche de la porte, il voit une ombre. Elle a la forme d'un corps humain, grand et mince. Il La connaît. Une goutte de sueur glacée coule le long de son dos.

—«… Non», souffle-t-il.

«Tu es revenu à moi. Mon amour.»

Castiel serre les dents. Il doit partir, il doit trouver refuge dans la chambre d'ami occupée par Dean.

Le châtain lui a dit que leur porte serait ouverte pour lui, qu'il pouvait les appeler. Crier. Ce serait un peu humiliant d'appeler à l'aide mais la maison est silencieuse, il n'aurait pas besoin de hurler. Il ouvre la bouche, gonfle ses poumons. Elle est trop rapide. L'Ombre se rapproche de lui à une vitesse surhumaine avant de le renverser sur le matelas.

«Non. N'appelle pas. N'appelle personne. Je suis là pour toi.»

Sa main effleure son torse, Elle remonte lentement son tee-shirt.

Castiel s'accroche désespérément à l'ourlet pour tenter de se couvrir. Il se tord sur le matelas pour Lui échapper mais Elle rit et s'installe à califourchon sur ses hanches. Elle est si lourde.

«Je suis là. Tu n'as besoin que de moi.»

—«Tu – tu n'es pas ce que tu prétends être», souffle-t-il.

«Je suis celui que tu désires. Tu m'as donné son nom et c'est celui que tu gémis quand je te touche. Que je te fais jouir.»

Castiel rougit violemment. Il tente à nouveau de crier mais Sa main le bâillonne, Ses ongles s'enfoncent dans la chair creusée de ses joues.

«Je suis le seul pour toi. Tu m'as appelé.»

—«Tu m'as trompé», marmonne-t-il de manière peu intelligible.

«Je t'ai rendu heureux. Nous étions ensemble.»

—«Tu m'as menti.»

Castiel se débat malgré son corps fatigué. Il lutte, tente de La repousser.

L'Ombre grogne d'agacement et le cloue sur le matelas. Le brun sent Ses ongles effilés pénétrer douloureusement dans sa gorge, le faisant haleter de douleur.

«Je suis le seul qui t'aime. Tu vivais avec moi, tu vivais pour moi. Tu étais sur le point de me suivre.»

Il se souvient de ses paroles d'amour, de ses mots insidieux. Des bêtabloquants qu'il avalait comme des bonbons. Le suivre. Il avait toujours si froid, il était toujours si fatigué.

Castiel recommence à se débattre.

Soudain, la source de sa peur change.

Ce n'est plus le fait d'être désorienté, d'être dans sa chambre sans se souvenir de la manière dont il y est retourné qui le bouleverse. C'est la perception parfaitement nette que quelques jours plus tard, il aurait probablement pu faire une intoxication aux bêtabloquants et mourir. Seul. Sans revoir Dean. Sans attirer l'attention parce qu'il s'est progressivement coupé du monde. Il aurait été un fait divers dans le Butler Eagle, un entrefilet dans lequel le journaliste aurait écrit qu'on l'aurait retrouvé dans son lit, déjà vert et gonflé.

Castiel étouffe un sanglot.

«Tu pleures. Tu es triste parce que les choses ont changé. Ce n'est pas grave mon amour, tout va redevenir comme avant. Tu vas me suivre et nous nous aimerons pour toujours.»

Le brun sent des larmes rouler sur ses tempes. Le froid le paralyse lentement. Il se mord les joues, goûte le sang ferreux sur sa langue pour rester concentré.

—«Je ne ferai plus jamais ça», chuchote-t-il d'une voix étranglée. «Dean est rentré, il va tout arranger. Il m'a dit que j'irais mieux demain, que je redeviendrai l'homme que j'étais avant.»

«Demain…»

—«J'aurai dû être plus fort pendant son absence mais maintenant, je n'ai plus besoin de toi.»

L'Ombre pèse de plus en plus lourd sur sa poitrine.

Ses cuisses enserrent les siennes et l'immobilisent.

Le brun suffoque. Il pense que c'est parce qu'Elle est assise sur lui. Il ne comprend pas que ce sont Ses mains qui se resserrent lentement autour de sa gorge.

«Tu te trompes. Je suis là pour toi, depuis des mois. Je t'aime.»

—«Tu me fais mal, ce n'est pas de l'amour. … Dean ne me ferait jamais ça», croasse-t-il.

L'Ombre siffle de rage. Elle s'arc-boute sur lui, faisant ressembler leur corps à corps à une étreinte morbide.

«Je suis le seul pour toi. Le seul.»

—«Non…»

Le brun papillonne des yeux.

Il étouffe, sa vue se brouille.

Castiel lève les mains, tente de s'agripper à Elle pour La repousser. Elles ne rencontrent que le vide, un brouillard glacé.

Des bruits étranges résonnent dans la chambre, quelque chose qui tient du gargouillis infâme et du grognement de bête. Le brun réalise que c'est lui qui les pousse.

«Je vais t'emporter. Tu ne souffriras plus à mes côtés, tu seras heureux. Nous serons sous la protection d'Erzuli, sous la protection de l'Amour.»

Avant de plonger à nouveau dans les ténèbres, Castiel a un dernier sursaut. Il appelle Dean de toutes ses maigres forces. Il ignore si son prénom résonne simplement dans son esprit ou s'il parvient réellement à le prononcer.


Dean grogne.

Il ouvre les yeux, tâtonne vaguement sur le matelas pour tirer le couvre-lit à lui. Sam s'est probablement enroulé dedans, ressemblant à une sorte de gros ver en patchwork bleu et blanc. C'est amusant mais le châtain a froid.

Il frissonne, passe une main sur son visage. Ses doigts sont glacés.

—«Hé, Sammy. Partage un peu la couette tu veux, j'ai froid», marmotte-t-il en tirant dessus.

—«… Moi aussi, je crois que ça m'a réveillé.»

Les deux frères bougent avec la plus grande économie de mouvements possible pour ne pas perdre de chaleur, donnant quelque chose d'assez flou dans les draps.

Dean se demande dans quelle mesure il pourrait fouiller dans le placard encastré de la chambre pour trouver une couverture supplémentaire quand il cligne des yeux.

Lentement et plusieurs fois.

Le voile brumeux qui entoure son esprit se déchire. Il se redresse sur un coude, entrouvre les lèvres et souffle doucement. Il n'y a pas de lumière dans la chambre, seulement celle qui provient des fenêtres du rez-de-chaussée – le jour semble à peine levé – mais il voit. Incrédule, le châtain recommence et louche sur le petit nuage de vapeur d'eau qu'il vient de souffler. À l'intérieur de la maison.

Dean est complètement réveillé. Il s'assoit et secoue vigoureusement Sam par l'épaule.

—«Fous-moi la paix Dean. Je partage la couverture avec toi mais je suis aussi mort de froid…», grogne-t-il.

—«Ce n'est pas ça. Lève-toi et regarde, Sam. Je viens de respirer bouche ouverte et –»

—«Félicitations, tu es vivant.»

—«J'ai respiré bouche ouverte et il y a de la vapeur d'eau dans la chambre. … De la vapeur d'eau

Il sent l'épaule de son frère se contracter légèrement sous sa paume.

Sam se redresse à son tour, les draps frileusement remontés jusqu'à son menton avant de se frotter le visage. Il souffle doucement bouche ouverte et cligne les yeux de surprise. Bordel.

Le blond renifle en fronçant légèrement le nez.

—«… Est-ce que tu sens cette odeur?»

—«Autre que celle de ta sueur pendant la nuit?», ricane Dean.

—«Non, ça ressemble à l'odeur de cigarette», répond Sam en lui jetant un regard noir. «Ce n'est pas une odeur de tabac froid, plutôt quelque chose de… chaud. Un peu comme quand l'oncle Stanley oubliait sa cigarette pendant qu'il surveillait les barbecues et qu'elle se consumait entièrement.»

Dean inspire bruyamment à son tour mais ne sent rien. Juste cette sensation poisseuse et désagréable qui colle à sa peau. Son frère grimace de dégoût.

—«… C'est très fort, j'ai l'impression d'être dans un bar avant la CIAA…»

C'est Lui. Bordel, c'est Lui.

Le châtain balance ses jambes hors du lit. Le parquet est glacé et il étouffe un juron entre ses dents serrées. Il frotte furieusement ses bras pour se réchauffer.

—«Je vais voir Cas.»

Sam lui emboîte le pas mais son frère l'a déjà précédé sur le palier.

Il remonte le couloir jusqu'à la chambre d'amis. La porte est grande ouverte, le lit défait. Le matelas vide. Merde. Il regarde autour de lui, guette une lumière qui filtrerait sous une porte ou dans la cage d'escalier depuis un salon du rez-de-chaussée.

—«Cas?»

Derrière lui, la respiration de Sam ressemble aux pulsations d'un métronome qui s'emballe.

—«Il est là Dean, Il est là», croasse-t-il.

—«En bas?»

—«Non, ici. Ce n'est pas la même sensation qu'à notre retour de La Nouvelle-Orléans. C'est comme… un trou noir. Juste devant nous», balbutie le blond en claquant des dents.

Dean se précipite dans le couloir vers la chambre du brun.

La porte est fermée.

Il pose une main sur la clenche pour ouvrir mais il ne parvient pas à la baisser. Le châtain insiste, arc-bouté sur la poignée en laiton. Sam allume la lumière du couloir. Ébloui, Dean papillonne un instant des yeux. Les rouvre. Puis serre douloureusement les poings. Toutes les parties métalliques de la porte sont corrodées. Les gonds, la serrure, la poignée. Une pulvérulence rougeâtre. De la moisissure court sur le chambranle, comme une cage de filaments blancs. Merde.

—«Cas!», crie-t-il.

Il s'acharne mais ne parvient pas à ébranler l'épais chambranle en chêne. Le châtain essuie son front en sueur et jette un regard à Sam, un peu blême.

—«J'ai besoin de toi Sammy. On enfonce la porte à trois.»

Les deux frères s'éloignent de quelques pas pour prendre de l'élan, leurs reins collés contre la rambarde de la cage d'escalier.

Dean fait le décompte d'une voix rauque.

Un, deux, trois.

Ils bondissent en avant. Face à leurs poids et à leurs puissances combinées, la porte cède dans un horrible craquement. Une partie du chambranle s'arrache, quelque chose de métallique tombe sur le parquet en tintant joyeusement.

Dean halète de douleur. Le choc l'étourdit brièvement et il préfère ne pas penser au bleu de la taille de la Pennsylvanie qu'il va bientôt avoir sur l'épaule.

Il cligne des yeux.

Allongé sur le lit et toujours en pyjama, Castiel se débat faiblement. Le châtain pourrait croire qu'il a le sommeil agité si ses jambes n'avaient ces spasmes étranges. L'air est encore plus glacial que dans la chambre d'ami.

—«Je… Je vais chercher le sel et l'eau bénite», croasse Sam.

Dean acquiesce, déjà monté sur le lit. Le cercle de sel a été balayé et est couvert de moisissures. Merde. Merde. Merde. Castiel a le visage un peu bleu. Des empreintes de doigts pourpres forment un collier obscène autour de son cou. Le châtain retire sa croix et le talisman de Destiny avec empressement et les brandit devant lui.

«Au nom du père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. / Saint-Michel Archange, défendez-nous dans le combat et soyez notre protecteur contre la méchanceté et les embûches du démon», commence-t-il à réciter.

Le froid le fait claquer des dents, il butte sur les mots. Dean enfonce ses ongles dans sa paume pour rester concentré et répète la prière à saint Michel. De son autre main, il enlace le poignet du brun. Castiel suffoque, la bouche ouverte.

—«Au nom du père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Sam! Bordel Sam, dépêche-toi!», hurle-t-il.

Son frère apparaît enfin dans l'embrasure de la porte, pâle et décoiffé.

—«Commence le rituel! Maintenant!»

—«Je ne l'ai pas assez travaillé Dean, je –»

—«Fais-le! On doit Lui faire peur Sam, on doit Lui faire comprendre qu'Il ne va pas gagner! Fais-le bordel!»

Le blond déglutit lourdement et commence à réciter la prière, le paquett dans une main.

Dean sait qu'il manque beaucoup de choses – les bougies, le paquett et d'autres trucs qu'il a oublié – mais cela fonctionne.

Un vent glacial se met soudain à souffler.

Philippe lutte aussi.

Toujours psalmodiant, Sam jette à son frère le flacon d'eau bénite. Dean le débouche d'un coup de dent et répète la prière à saint Michel en aspergeant le lit. Leurs voix s'entremêlent, le jeune homme croit entendre un rugissement effroyable.

Puis le vent tombe brusquement. La température remonte dans la chambre.

Castiel cesse de bouger.

Les yeux ouverts, l'air complètement perdu, il regarde autour de lui d'un air absent. Dean essuie son front trempé de sueur d'un revers de main, incapable de quitter des yeux les marques d'étranglement sur son cou. La chaîne en argent de son médaillon a aussi laissé une trace sur sa peau, comme un filin qu'on aurait serré pour –

Il déglutit.

—«Dea…», croasse le brun.

Soudain, ses yeux se révulsent montrant le blanc laiteux de la sclérotique. Il se met à convulser. Automate fou, jouet cassé.

Dean appuie sur ses épaules pour le maintenir tandis que Sam tente de contenir ses jambes qui dansent une gigue infernale. Il lâche brièvement le brun pour prendre le roman de poche posé sur la table de chevet et le coincer entre ses dents. Castiel ne doit pas se mordre la langue.

—«Il faut appeler les secours», souffle son frère en s'arc-boutant sur le brun.

—«Hors de question. On n'appelle personne, on peut gérer.»

—«Arrête Dean, nous devons le faire! Castiel a de graves problèmes de santé, il prend mal ses médicaments depuis des jours. Si quelque chose dégénère, nous ne pourrons pas l'aider. Nous ne sommes pas médecins!»

—«Mais –»

—«Il a besoin de vrais professionnels de santé. Nous pouvons nous débrouiller avec un massage cardiaque et du bouche-à-bouche mais guère plus alors appelle les secours bordel! Regarde-le!», vitupère Sam.

Dean baisse les yeux.

Castiel se cambre violemment contre eux.

De grosses larmes roulent sur ses joues tandis que les tendons de son cou semblent prêts à se rompre comme des élastiques trop tendus. Son visage est couvert de sueur, plaquant ses cheveux contre son crâne. Les marques de strangulation sont plus rouges sur jamais.

—«Merde!», crie Dean en sautant en bas du lit.

Le châtain se précipite dans la chambre d'ami pour récupérer son portable. Il compose frénétiquement le 911 et insulte presque la coordinatrice quand celle-ci lui demande d'exposer calmement la raison de son appel. Sam roule des yeux et lui arrache le téléphone pour prendre le relai.

Dean remonte sur le lit. Les convulsions du brun s'apaisent un peu. Castiel lui jette un regard épuisé, les yeux encore un peu flous. Le jeune homme sourit et essuie tendrement ses joues trempées de larmes.

—«Les secours vont arriver, on va te conduire à l'hôpital.»

Castiel crispe convulsivement les doigts. Le châtain hésite un instant avant d'y glisser doucement les siens, son pouce caressant ses jointures.

—«Ça va aller Cas.»

—«Je ne… veux… plus jamais… dormir… Plus jamais…», croasse difficilement le brun.

Dean rit légèrement mais il sait que cela doit ressemble à l'horrible crissement d'une craie sur un tableau noir. Il garde la main du brun dans la sienne, guette sur son visage le moindre signe annonciateur d'une nouvelle crise mais Castiel ressemble à une poupée de chiffon.

Le châtain est sur le point de dire à Sam de raccrocher – parce que, merde, il peut gérer – quand le jeune homme inspire brusquement. Son corps se raidit, ses yeux roulent à nouveau dans leurs orbites.

Dean hurle le prénom de Sam.

Tandis qu'il maintient Castiel qui recommence à convulser, il prie pour que les secours arrivent le plus vite possible.

Il n'a prié personne pour lui depuis des années et la mort de Snowbell, le lapin noir des Winchester – Sam avait trouvé son nom à l'époque où il apprenait l'esprit de contradiction – quand il était un tout jeune adolescent. Snowbell était un super lapin qui ne méritait pas de rencontrer les crocs de Chup, le caniche de leur voisine à Laurence.

C'est une horrible analogie.