Failures
N°020
La première fois que Theron craque, ils sont sur Rishi.
Lana et lui stationnent depuis des mois sur la planète, réciproquement recherchés par ceux qui appartenaient au même camp que le leur, pour haute trahison et autres faits divers. Ils patientent tant bien que mal, s'informent des mouvements des Révanites, planqués au fin fond de la Galaxie sur une planète curieusement peuplée d'Oiseaux qui parlent et de vilains pirates. L'atmosphère hétéroclite ne déplaît nullement à l'agent, loin du calme statique de Coruscant et de ses épaisseurs étouffantes. Avec satisfaction, il s'était adapté à la mode locale, s'autorisant à traîner aux cantinas voisines sous le revers protecteur d'un tricorne de circonstance.
Parfois, il parvenait même à convaincre Lana d'abandonner son poste d'observation. La jeune femme impériale ne boudant alors pas la satisfaction de faire une pause méritée. Ils avançaient sur le sujet progressivement, parvenant à cohabiter relativement pacifiquement dans le même espace, ce qui relevait de l'exploit quand on savait leurs brutales divergences morales et politiques. Theron demeurait un fervent Républicain dans l'âme, ce qui l'opposait constamment au Seigneur Sith sur certains sujets qu'ils finissaient par ne plus aborder l'un et l'autre, par précaution.
Souvent, Theron interrogeait sa partenaire sur le quotidien d'une vie au sein de l'Empire allant à partager sa propre expérience du Sénat Galactique et des diplomates véreux qui coulaient doucement les Mondes du Noyau. En retour, elle lui expliquait la rigueur hiérarchique de sa condition et toutes les pressions auxquelles elle avait dû faire face, pour accéder à son poste. Les relatons houleuses, qu'elle entretenait avec ses dangereux collègues impériaux.
Un jour, elle lui avait dit qu'elle était seule et trop occupée pour s'en inquiéter. Theron n'avait pu qu'acquiescer à son tour, ressentant la même chose. Les rares tentatives ayant toujours compté, que fort peu face au travail ; ils étaient ivres tous les deux, appuyés contre le comptoir. L'agent avait tenté de se souvenir des visages éphémères mais il n'avait trouvé que le sourire audacieux de la Furie de l'Empereur, en une réminiscence soudaine qui avait violenté ses joues d'écarlate.
Ce n'était définitivement pas la faute de l'alcool.
Theron se concentrait pleinement à ses taches, repoussant tant bien que mal l'ennui. Parce que, lorsque celui-ci survenait, sa tête partait gambader ailleurs, sur un asile politique fait d'une armure de métal et possédant les épaules les plus splendides que l'agent ait jamais vues, dans sa courte existence. Et cela le mettait très mal à l'aise. Alors il orientait l'intérêt autre part, sur quelque chose de beaucoup moins dangereux pour sa conscience républicaine.
Un jour, il avait fini par craquer, parfaitement sobre et accoudé sur le comptoir de la cantina. Il s'était penché sur Lana, mettant des mots retenus sur ce qui agitait son esprit :
« C'est quoi exactement, être un Sith ? »
Etre un Sith, pas un Impérial. Une discrète différence que la blonde n'avait pas manquée ayant un sourire entendu à son adresse qui lui fit hérisser les poils. Elle n'évoqua nullement Merosmé, mais ils savaient tous les deux, qu'il se trouvait-là, diplomatiquement sous-entendu. Et, sans doute emportée par l'alcool qu'elle avait déjà consommé, Lana se moqua de cette soudaine curiosité.
« Nous sommes autorisés à avoir des relations sexuelles, si c'est ce qui t'inquiète…
_J-je ne parlais pas de ça ! S'étouffa-t-il aussitôt d'embarras, virant au carmin.
_Bien sûr que si. Corrigea son interlocutrice, haussant des épaules. Nous ne sommes pas des Jedi, pas plus que nous sommes des Saints. Nous avons le droit de suivre nos pulsions, de satisfaire le moindre de nos désirs, servir nos émotions… »
Le regard du Seigneur Sith s'était troublé un instant. Theron avait inspiré, prenant son courage à deux mains, il sentait qu'il n'aurait pas d'autres occasions que celle-ci d'en savoir davantage sur lui. Ce crétin qui occupait une partie de sa tête, depuis un moment.
« J'imagine… Amorça-t-il maladroitement. Que les Sith fricotent pas vraiment avec les Républicains.
_Non. Sourit gentiment Lana, se montrant étonnamment conciliante avec lui. Toute comme, la plupart des Républicains ne fricotent pas avec des Sith. »
L'agent pouvait clairement entendre la question qu'elle soulevait ainsi derrière, sur sa curieuse attraction pour un mec qui alignait les cadavres et dépeçait des familles entières pour le seul plaisir de distraire ses pulsions de véritable psychopathe. Lui-même n'était pas naïf, il savait parfaitement toutes les implications qu'incombait son choix ; hors il n'avait pas choisi. C'était juste…comme ça.
« La vie de couple est un concept creux, pour nous. Insista la jeune femme qui souhaitait visiblement lui épargner des déceptions. Les mariages sont davantage les occasions d'accéder à des postes ou de se consolider auprès d'un partenaire fort, avant de le détruire une fois dépassé. L'attachement sentimental est considéré comme l'expression d'une faiblesse, les Sith ne s'y exposent pas.
_Je sais… Souffla Theron, bas.
_Après, je ne connais pas bien le Seigneur Faang… Précisa l'Impériale, vidant sa bouteille d'une traite qu'elle reposa sur le comptoir. Peu de gens peuvent se vanter de connaître la Furie de l'Empereur mais nous conservons tous quelque chose en-dessous du masque. Tu n'as rien à perdre de tenter de jeter un coup d'œil sous le sien. Ou peut-être un bras, voire les deux… »
L'agent acquiesça distraitement, se souvenant des antipodes que paraissaient être le porteur de l'armure et les plaques du métal qu'il revêtait ainsi en une muraille imprenable. Combien Merosmé lui avait semblé déterminé à demeurer complètement au-dessous, dissimulant jusqu'à son visage entier. Et lorsqu'il s'était finalement révélé à lui,… Theron s'était senti la victime, d'une combustion spontanée féroce soudaine, contre laquelle il n'avait rien pu faire.
Attention Theron, si j'étais du genre naïf, je croirai que tu as un faible pour lui…
« Enfin… S'amusa Lana, alors qu'elle s'étirait. Nous devrions bientôt songer, à lui transmettre notre message pour qu'il vienne nous rejoindre. Il serait idiot que tu continues à te morfondre ainsi dans ton coin, plus longtemps.
_Je ne me morfonds pas ! Protesta aussitôt l'agent, agacé.
_Ah, donc j'imagine que c'est un pur hasard, si je t'entends prononcer son prénom lors de la majorité de tes rêves ? Ou bien, tu es en train de fantasmer sur le meilleur moyen d'étriper ce très vilain Sith au postérieur bien foutu…
_Tu ne tiens vraiment rien de l'alcool. Rétorqua Theron, l'enjoignant à quitter l'appui du comptoir de la cantina et à le suivre hors de la pièce étroite et enfumée. Rentrons, plutôt. »
Le rire moqueur de la jeune femme le poursuivit toute la nuit.
