Le nom du monde est souffrance.

Le nom du monde est souffrance, mais jusqu'à la veille encore, il l'ignorait. La veille encore, il était le fils de son père, fier, chéri, soigné, choyé. Le préféré. En un instant, il avait tout perdu, et désormais, tout son corps meurtri souffrait. Son dos sur lequel avaient plu les coups le tirait. Ses pieds étaient lourds d'avoir tant marché. Et ses poignets, brûlés par la corde qui les liait. Il avait faim, il avait soif.

Le nom du monde est souffrance.

Toutes ces douleurs n'étaient rien face à la souffrance qui rongeait son âme. Ses frères… A cette seule pensée, ses yeux s'emplirent de larmes brûlantes. Il n'était plus qu'un esclave désormais, tout juste bon à être vendu, exploité, maltraité. Le nom du monde est souffrance, et lui n'était plus rien.

Qu'avait-il fait pour mériter un tel sort ? Pourquoi Dieu, qui avait retenu la main d'Abraham sur son propre fils, Dieu qui avait guidé son père Jacob sur les chemins de l'exil, Dieu qui prenait toujours le parti des petits et des innocents, pourquoi l'avait-Il abandonné ? Ne lui avait-Il pas jusqu'alors montré sa Faveur en lui envoyant des songes et des visions prophétiques ? N'était-il pas destiné par sa naissance à un grand avenir ? Ces visions n'étaient-elles que des mensonges envoyés par le Malin pour le perdre ?

Pourquoi ? Pourquoi ? Pendant des jours, cette question tourna sans fin dans sa tête. Et soudain, une réponse lui vint, aussi claire que si on la lui avait murmurée à l'oreille. C'était une punition. Il avait déplu au Seigneur, et le Seigneur le punissait en lui cachant Sa Face, en le livrant à la haine de ses frères.

L'idée le révolta d'abord. Une punition ? N'était-il pas la victime ? Qu'avait-il fait pour mériter ainsi d'être battu, dépouillé, humilié, vendu, haï de sa propre famille ? Certainement, il était innocent comme l'agneau qui vient de naître ! Mais plus il y songeait, plus il voyait que lui aussi les avait maltraités, dénigrés, rabaissés, humiliés. Combien de fois ne s'était-il pas vanté d'être le préféré de leur père, le préféré de Dieu ? Combien de fois, cafard méprisable, avait-il rapporté à son père les actions de ses frères sans les comprendre ? Et ne s'était-il pas vanté d'être le prophète de la fratrie, celui qui dominerait les autres, celui à qui reviendrait la part du lion de l'héritage paternel, celui à qui Dieu parlait en songes ?

Cruelle erreur ! Il n'était pas mieux que les autres. Peut-être même était-il pire : hypocrite, il avait habillé ses péchés des oripeaux de la vertu. Mais Dieu connait le cœur des hommes. Il s'était cru le premier et le meilleur, Dieu lui montrait maintenant sa véritable place : le dernier de tous. Il aurait pleuré de honte et de repentir, mais il n'avait plus de larmes à verser. Dans le silence du désert, d'un cœur brisé, d'un esprit humilié, il cria vers le Seigneur. Insignifiant, il s'humilia devant le Très-Haut. Dépouillé, c'est d'un cœur plus sincère que jamais qu'il implora la miséricorde de l'Eternel.

Mais seule la brise lui répondit.

Il ravala un sanglot, de chagrin, de douleur ou de honte, il ne savait plus très bien. Était-ce seulement important ? Il était seul, et le nom du monde est souffrance.

Le nom du monde est souffrance, et jamais, au grand jamais, il ne reverrait la maison de son père.


Avertissement (lecture facultative) :

Bonjour à toutes et tous, me revoilà, je ne sais pas combien d'années après ma dernière publication avec une nouvelle histoire, très différente de tout ce que j'ai fait jusqu'à présent. On quitte l'univers Orgueil et Préjugés pour aborder l'histoire de Joseph, fils de Jacob (histoire que vous trouverez à la fin de la Genèse, du chapitre 39 à la fin : je vous conseille d'aller la lire, ça ne vous prendra que 20 minutes). C'est de très loin mon histoire la plus vaste et la plus construite. A l'heure où je commence la publication, elle est presqu'entièrement écrite : il ne me reste qu'un ou deux chapitres et l'épilogue à écrire, sans compter au moins un chapitre bonus.

Je ferai sans doute un générique à la fin, avec une liste de toutes les références, mais je tiens à reconnaître dès maintenant tout ce que je dois à The bend in the river de Rose Eclipse, excellente fic qui présente l'histoire de Joseph du point de vue d'Asenath, et qui m'a inspiré d'écrire ma propre histoire. J'ai aussi été influencée par le film Joseph le roi des rêves, de Dreamworks, dont j'ai détruit la cassette à force de la regarder quand j'étais petite, par Slave in golden bonds de kembermorton (que vous trouverez dans mes favoris, parce qu'il y a beaucoup de choses intéressantes dedans, même si ce n'est pas la meilleure fic du monde), et beaucoup plus tardivement, l'oratorio Joseph and his brethren de Haendel. Si vous reconnaissez quelque chose de ces quatre œuvres, c'est probablement un emprunt, à moins que ce ne soit juste la tradition (certains noms, notamment, et la description physique de Joseph, qui est assez souvent représenté roux).

Je n'ai pu choisir que deux genres (Hurt/comfort, et spiritual), mais on pourrait ajouter Family, Romance, Friendship

J'ai choisi pour cette histoire le rating T parce que je n'entre pas dans des détails trop graphiques. Sachez cependant que cette histoire va parler de traumatismes en général, et en particulier d'esclavage, de dépression, de quelque chose qui ressemble à un syndrome de Stockholm, d'agression sexuelle, de tentative de viol, de torture, de fausses-couches, de mortalité maternelle et néonatale, de familles parfaitement dysfonctionnelles, mais aussi de quête d'identité, de filiation, de désir amoureux, de Dieu et de foi. Je mettrai des disclaimer avant les chapitres les plus violents, mais faites attention à vous.

Je préviens aussi d'entrée de jeu qu'il y aura une relation amoureuse entre ce qui serait aujourd'hui considéré comme un majeur et une mineure, mais 1) ils n'ont que cinq ans de différence, 2) leur histoire d'amour ne commencera pas avant qu'elle n'ait 16 ans, presque 17, et 3) leur amour restera platonique pendant vraiment longtemps (jusqu'à leurs 24 et 30 ans, respectivement, donc ça va).

Aussi, il y aura beaucoup d'anachronismes, y compris par rapport à ce que raconte la Bible. J'ai conscience d'un certain nombre, et je mettrai des notes en bas des chapitres concernés, mais si vous êtes égyptologue, passez peut-être votre chemin.

Bonne lecture!