Histoire de la Cartographie des Livres
Auteur : Citrouille
Genre : Aventure, mystère
Rating : Général
Disclaimer : L'univers du Wizarding World appartient à J.K. Rowling (et, dans une moindre mesure, à la Warner Bros)
Résumé : Eugène Witty, jeune élève de Serdaigle à Poudlard, possède un don très rare : il peut voyager dans les livres. Elevé par un oncle excentrique, un explorafleur reconnu, suite à la disparition mystérieuse de ses parents, Eugène mène une vie ordinaire ponctuée d'aventures extraordinaires entre les pages des livres. Mais quand les ouvrages de la bibliothèque de Poudlard subissent un maléfice, Eugène se retrouve impliqué dans une intrigue qui dépasse largement les limites de l'école de magie. Qui est cette mystérieuse Sombre-Page qui dévore les âmes des livres, s'abreuvant des idées et des mots ? Suivez Eugène dans une aventure littéraire et magique à travers le monde des mots et de l'imaginaire !
Petite note : Cette fanfiction, je l'ai déjà posté il y a un peu plus d'un an sous le titre "Le Marcheur de Livres", et dédié à la maison Serdaigle (et supprimé depuis). Cependant, ce début ne me plaisait pas beaucoup, et j'ai décidé de retravailler entièrement la trame pour vous offrir une histoire magique qui vous transportera dans le monde enchanteur des livres. J'espère que cette nouvelle version vous plaira ! Bonne lecture !
Chapitre 1 - Celui qui avait un oncle excentrique
Mon oncle avait la passion des horloges. Il en possédait près d'une centaine, disséminée un peu partout dans l'étrange maison qu'il habitait.
Certaines étaient de remarquables pièces d'orfèvrerie, d'autres des horreurs sans nom. Il les avait chinés au hasard de ses pérégrinations dans le monde. De ce fait, la demeure bourdonnait des tic-tac sans fin, sonnant les innombrables heures, quarts d'heure et demi-heures, de jour comme de nuit.
Aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours vécu dans cette maison, à Biggleswade, une petite ville située à une heure de Londres.
Le grand manoir de style victorien était surmonté de deux clochers à bulbe typiquement russe, à la façade peinte en violette et or, et était entouré d'une végétation luxuriante qui n'avait rien à faire dans le climat tempéré de l'Angleterre, et pourtant! palmiers et bambous proliféraient paisiblement à l'abri derrière la haute grille en fer forgé.
Aucun habitant de Biggleswade n'avait jamais vu l'étrange personnage qui habitait la demeure et beaucoup s'accordaient à dire que son résident était un homme excentrique et bizarre.
Mais, après tout, les moldus avaient toujours craint l'excentrique et le bizarre.
Le professeur Algernon Forsythe était en vérité un membre de la Société des Explomigrateurs et des Aventuriers, fondée cent ans plus tôt par un groupe de sorciers avides de découvertes, qui avait pour but l'exploration du monde et de ses merveilles.
Mon oncle était un éminent Explorafleur. Par le passé, il avait découvert une variété de fleurs rares de la famille des Arums mange-mouches sur l'île de Sumatra, ainsi qu'un arbre cloches-d'or perdu dans la province du Sichuan. Sa prochaine expédition l'emmènerait plus loin encore, en Amérique du Sud, car le professeur comptait remonter le Rio Verde pour découvrir les éventuelles traces de l'Orchidée fantôme.
Une fois de plus, je ne l'accompagnerais pas. À ses yeux, je n'étais qu'un gamin qui ne connaissait rien de la vie et de ses multiples dangers.
En ce petit matin de juillet, à huit heures moins cinq précisément, une forte explosion accompagnée d'une vive lueur ébranla les fondations du manoir, déclenchant d'un coup les carillons de toutes les horloges. Ce bruit infernal me réveilla brusquement. Empêtré dans mes draps, je dégringolai du lit et me cognai la tête sur le plancher. Le vacarme intrigua mon chat, Chester. Sa tête grise aux grands yeux bleus me fixa intensément du haut de mon armoire où il était perché, et je jurai l'avoir entendu ricaner d'un air malicieux. J'aurais une bosse sans aucun doute, et je pouvais remercier mon oncle pour ce réveil tonitruant.
Avec le temps, j'avais fini par m'habituer aux explosions qui secouaient le manoir au moins une fois par semaine. Le professeur avait la manie des petites expériences — la plupart du temps ratées — et c'était un miracle qu'il n'eût pas encore fait sauter toute la ville avec ses folies.
Je finis par me lever, titubant un peu, frottant le sommet de mon crâne endolori, et mis la main sur ma paire de lunettes à la monture rouge. Accompagné du tumulte des horloges qui continuaient leurs tapages, je décidai de rejoindre mon oncle pour connaître la raison de ce raffut, Chester sur mes talons.
J'empruntai le grand escalier en chêne, mes pieds nus s'enfonçant dans l'épais tapis couvrant le sol. Au-dessus de ma tête, la pluie tambourinait avec violence sur le dôme en verre qui surplombait le hall d'entrée, accompagnée par des éclairs épars et le roulement lointain du tonnerre. Étourdi par la cacophonie des horloges qui n'en finissait plus de carillonner, je finis par hurler:
—ÇA SUFFIT! SILENCE MAINTENANT!
Les horloges cessèrent aussitôt leurs vacarmes, et le silence revint.
—Merci.
Quelque chose me chatouilla les orteils, cherchant à attirer mon attention. Mes chaussons-souris n'avaient pas apprécié que je les délaisse dans la chambre. Réprimant un sourire et connaissant leurs caractères susceptibles, je levai chacun de mes pieds pour qu'ils se chaussent d'eux-mêmes.
Je remarquai alors les énormes câbles qui serpentaient sur le sol. Ne me rappelant pas les avoir vus la veille, je les suivis. Je traversai ainsi le salon des antiquités, la salle à manger et la bibliothèque avant d'atteindre l'arrière de la maison. Derrière une porte entrouverte, sur laquelle avait été collé un parchemin «NE PAS DÉRANGER», j'entendis des cris et des jurons qui m'alarmèrent.
—Mon oncle, vous êtes là? Je peux entrer?
La porte s'ouvrit brusquement sur un homme grand, à la chevelure noire striée de blanc cachant un front large et des sourcils sombres et épais. Son nez était semblable à celui d'un faucon et ses yeux gris pétillaient d'une joie féroce.
—Deux virgule vingt-et-un giggowatts! hurla-t-il.
—Pardon?
L'instant d'après, il m'entraînait dans une folle danse, prenant soin de marcher sur mes pantoufles qui glapirent de douleur. Puis, il retourna à ses expérimentations, dictant ses conclusions d'une voix excitée à la plume à papote qui le suivait au-dessus de son épaule. N'obtenant aucune réponse à mes interrogations, j'entrai.
Ce qui avait été encore trois mois auparavant une serre, où les plantes multicolores somnolaient sous une chaleur étouffante, n'était plus. La toiture en verre et en acier avait été démolie pour accueillir un gigantesque aérostat amarré au sol par d'épais cordeaux. Son ballon, pareil à un long cigare, était en toile rouge et bleu; sa nacelle, aux allures de bateau, était un assemblage hétéroclite de bois et de laiton.
Cet aérostat était la dernière lubie de mon oncle. C'était dans cette étrange embarcation flottante qu'il naviguerait au-dessus de la forêt amazonienne. Il l'avait baptisé l'Hypérion, en référence au Titan de la mythologie grecque assimilé au soleil.
L'aérostat n'était cependant pas la construction la plus étrange. Au centre de la pièce brillait une sphère, prisonnière d'un globe en verre relié aux câbles et une longue tige en fer s'élevait jusqu'au dôme de la serre. Intrigué, je m'en approchai.
—Eugène Witty, qui t'a dit de toucher à ça? aboya mon oncle en me donnant une tape sur la main.
—Qu'est-ce que c'est?
—C'est de l'énergie pure. Ça va permettre aux moteurs de l'aérostat de fonctionner sans être tributaire d'un quelconque carburant, m'expliqua-t-il. J'ai tout essayé, poussière de fée, solution de force, élixir à la menthe très poivrée, poudre de perlimpinpin… J'ai même tenté de mélanger du diesel moldu à de l'essence de Murlap. Ce pauvre Philémon a bien failli perdre une oreille… (Il passa un bras autour de mon cou et admira la sphère éblouissante, débordant de fierté). Ceci, mon garçon, est l'avenir du monde énergétique!
L'enthousiasme de mon oncle était contagieux, mais ses explications confuses me laissèrent perplexe.
—D'accord, mais c'est quoi?
Le professeur me regarda comme le dernier des imbéciles.
—Un éclair, bien évidemment! Tout droit importé du ciel. Une affaire en or! Un petit sortilège de Cumulonimbus, un conducteur en métal, et le tour est joué! L'ennui, c'est qu'il ne cesse de pleuvoir depuis…
—Vous avez capturé un éclair, murmurai-je, ébahi.
—Absolument! Je peux ainsi tirer l'énergie dégagée. C'est écologique, énergétique et ça ne coûte rien du tout.
—Mon oncle, vous êtes un génie!
—Je sais, on me le dit souvent.
Il me tapota la tête avant de m'abandonner à mon émerveillement. Je m'approchai de la coque de l'aérostat et passai une main sur son bois ciré tout en poussant un soupir d'envie. Comme j'aurais aimé accompagner mon oncle!
—Attention, ce n'est pas encore sec, s'exclama une voix gutturale.
Un pas lourd ébranla le sol et un demi-géant sortit de l'ombre. Sa grandeur m'avala tout entier. Ses jambes avaient l'épaisseur d'un tronc d'arbre et ses mains étaient aussi larges qu'un chaudron. Il avait le visage rond, le nez court et la mâchoire large.
Philémon était l'assistant de mon oncle. À ce titre, il le suivait dans toutes ses explorations et avait même écrit un livre retraçant leurs aventures (1).
Chester l'adorait et il se frotta vivement sur ses jambes avec un miaulement. Philémon se pencha pour le caresser derrière les oreilles.
—Nous vous avons réveillé, s'excusa-t-il en notant ma chevelure ébouriffée et mon pyjama froissé.
—Aucune importance. Alors c'est vrai? L'Hypérion est prêt au décollage?
—Nous avons encore quelques arrangements à faire, mais nous serons prêts pour notre départ en octobre.
—Je peux le visiter? demandai-je à voix basse pour ne pas me faire entendre du professeur.
Il m'avait interdit de pénétrer dans l'antre de l'aérostat, arguant que ce n'était pas un endroit pour les enfants. Philémon s'assura qu'il ne regardait pas de notre côté avant de me faire signe d'y aller. Je grimpai lestement l'échelle en bois et baissai la tête pour ne pas m'assommer au linteau de la porte.
C'était la première fois que je posai les pieds à bord, et je fus soufflé par l'ingéniosité du professeur et de Philémon. L'Hypérion était plus grand à l'intérieur qu'à l'extérieur grâce à la magie, et contenait tout le confort classique d'une maison. Je déambulai ainsi dans une salle à manger avec une grande table en acajou, une bibliothèque garnie des meilleurs ouvrages scientifiques, une cuisine spacieuse communiquant avec un garde-manger rempli à ras bord de victuailles et une salle de bain qui contenait une baignoire à bulles ainsi qu'une douche à l'italienne en marbre blanc. Quant aux chambres, elles étaient au goût de mon oncle, luxueuses et confortables. Les murs en lambris blancs étaient rehaussés de dorure et couverts de soie damassée jaune pour l'une et bleue pour l'autre, chacune contenant un lit à baldaquin, un canapé, une table de travail, un radiateur électrique et une moquette si douce qu'elle donnait envie de se déchausser.
À l'avant, sur une plateforme surélevée, avait été érigée la passerelle de navigation, éclairée par trois grandes fenêtres qui donnaient une vue dégagée sur le dehors. S'y trouvaient le gouvernail qui dirigeait l'aérostat, un transmetteur d'ordres relié à la salle des machines, un compas de route, un télégraphe, un thermomètre, un astrolabe et une pendule. Sur l'un des murs avait été accroché une carte du monde, et il suffisait de la tapoter du bout de sa baguette magique pour voir où l'Hypérion voguait.
Un court instant, je me figurai être le capitaine du navire, naviguant dans un océan d'étoiles et de nuages. Je donnai des ordres à des sous-fifres imaginaires, ordonnant de tourner à bâbord toute avant de m'écraser sur la lune.
—Mais qu'est-ce que tu fabriques ici? me houspilla le professeur, mécontent de me trouver sur la passerelle. Je t'ai dit que je ne voulais pas te voir ici, c'est dangereux. Allez, ouste! Du balai!
—Mais mon oncle!
—Je ne veux rien savoir. Miss Whipple! hurla-t-il en passant sa tête par l'une des fenêtres. Où êtes-vous, nom d'une chouette? MISS WHIPPLE!
Il y eut un pop! et Delora apparut au milieu de la passerelle, les sourcils froncés, les poings sur les hanches et un torchon sale pendouillant sur son épaule.
—Il est tout à fait inutile de hurler de la sorte, c'est très mal poli, grogna-t-elle. Que se passe-t-il encore?
—Soyez assez aimable pour emmener ce garnement hors de ma vue, je suis occupé.
—Mais je veux aider! m'exclamai-je, agacé d'être encore considéré, à presque quinze ans, comme un enfant.
—Tu le fais, en n'étant pas dans mes pattes.
J'ouvris la bouche pour rétorquer, mais Delora posa une main sur mon épaule.
—Allons, pas la peine de s'énerver. De toute façon, le petit-déjeuner est prêt. Allons-y avant que ça ne refroidisse. Philémon, vous nous rejoignez?
—Bien sûr, Miss Whipple.
—Nous? Qui ça, nous?
Sans me lâcher, Delora agrippa le bras du professeur et nous transplanâmes tous les trois dans la cuisine.
Une bonne odeur de chocolat chaud me chatouilla les narines, déclenchant une symphonie de gargouillis dans mon ventre affamé. Je me glissai sur le banc avant de m'emparer voracement de la corbeille en osier pour me servir d'un petit pain à la croûte dorée, tout juste sorti du four. Delora posa devant moi un bol de chocolat, et n'oublia pas de déposer une pincée de cannelle sur la crème fouettée, comme je l'aimais.
Ni elle ni moi ne levâmes les yeux vers le professeur qui n'avait pas bougé.
—Comment avez-vous osé? s'indigna-t-il, la veine de son front palpitante de colère.
—Une bonne journée commence toujours par un bon petit-déjeuner, philosopha-t-elle. Maintenant, asseyez-vous avant que votre café ne fiche le camp. Ah, Philémon! Lait de poule ou chicorée?
Tous les matins, c'était la même rengaine. Mon oncle avalait à la va-vite une tasse de café, la plupart du temps froide, prenait à peine le temps de se nourrir et Delora finissait invariablement par se fâcher.
J'attendis la dispute; pourtant, il n'en fut rien. Mon oncle compta jusqu'à dix pour se calmer et prit place à côté de Philémon, qui partageait la moitié de sa tasse de lait sucré avec Chester. Le nez dans mon chocolat, je profitai de ce moment de calme.
La cuisine était l'endroit que j'aimais le plus. La pièce sentait bon les herbes séchées suspendues aux crochets du plafond: basilic, thym, coriandre, gingembre, camomille, lavande, gousse de vanille… Tout au fond se trouvait l'âtre de la cheminée où un feu claquait sous une grosse bûche, et sur laquelle avait été déposée une marmite qui bouillonnait et sifflait. Sur un pan du mur avait été apposée une grande étagère en bois, où des bocaux de confitures et des boîtes de conserve se mêlaient à des bouteilles d'élixirs bleutés et des jarres étiquetées contenant des yeux de crapauds, des crins de licornes et des griffes de loups-garous.
La cuisine était le reinaume de Delora Whipple. En plus d'être une sorcière redoutable, elle était aussi la meilleure cuisinière de tout le Royaume-Uni. Aucune recette culinaire n'avait de secret pour elle. Elle pouvait tout aussi bien faire une mayonnaise ou monter des œufs en neige d'une main, ne ratait jamais un soufflé, avait parfaitisé la recette du Shepherd pie, et saupoudrait de cannelle tous les gâteaux qui sortaient de son four toujours chaud.
Je n'aurais su dire son âge (qui était d'ailleurs très mal poli de demander à une sorcière), mais je supputais qu'elle était à peine plus âgée que mon oncle, qui fêterait son quarantième anniversaire en décembre. Elle avait un visage pointu, une longue chevelure noire nattée, de beaux yeux noisette qui s'éclairaient sous le soleil, une peau sombre et satinée, un nez busqué et un grain de beauté au coin de sa bouche qu'elle tripotait lorsqu'elle réfléchissait. C'était elle qui avait eu le soin de m'élever quand mon oncle m'avait accueilli sous son toit, et je l'adorais.
Tandis que nous déjeunions tous dans une sorte de bonne humeur, un hibou tapa au carreau de la fenêtre du bout de son bec, interrompant pendant un moment la conversation scientifique qui animait mon oncle et Philémon — à savoir si les chaudrons en fromage auraient leurs succès parmi la communauté magique. Je fus le premier à apercevoir la grosse enveloppe attachée à la patte de l'oiseau et bondis aussitôt de mon siège. Cela faisait des jours que j'attendais ma lettre de Poudlard! Je manquai de renverser le pot de marmelade et Delora me gronda; je ne l'écoutai cependant pas et ouvris en grand la fenêtre, laissant entrer l'oiseau et un courant d'air frais qui fit claquer la porte de la cuisine.
C'était une chouette effraie, à la tête bordée d'un moelleux duvet blanc, et ses plumes avaient la couleur du miel. Je m'empressai de détacher la lettre et la laissai étancher sa soif dans la soucoupe d'eau fraîche que lui prépara Philémon, sous le regard suspicieux de Chester qui détestait les volatiles.
Les mains tremblantes d'excitation, je déchirai l'enveloppe et lus à voix haute:
Cher Monsieur Witty,
Nous avons le plaisir de vous faire parvenir la liste des ouvrages et équipements nécessaires au bon déroulement de votre cinquième année au Collège Poudlard.
La rentrée étant fixée le 1erseptembre, nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint votre billet de train. Nous vous rappelons que le Poudlard Express partira voie9 à 11heures.
Veuillez croire, Monsieur Witty, en l'expression de nos salutations distinguées.
Minerva McGonagall,
Directrice adjointe.
C'était officiel, j'entrai en cinquième année. À la perspective de cette nouvelle aventure, l'excitation se mêla à une sourde appréhension, et une boule d'angoisse se lova insidieusement dans mon ventre à la pensée des BUSE.
—C'est parfait, mon garçon, s'exclama mon oncle. Nous irons sur le Chemin de Traverse dans les prochains jours pour faire tes achats, et nous en profiterons pour prendre deux billets de Portoloin pour Rio de Janeiro…
—Trois, corrigea Delora.
Mon oncle leva son nez de sa tasse, persuadé d'avoir mal entendu.
—Trois? Je croyais pourtant avoir été clair! Eugène ne viendra pas au Brésil à bord de l'Hypérion.
—Le billet ne sera pas pour le petit, mais pour moi.
Un silence pesant s'abattit sur la table. Ni moi ni Philémon n'osâmes faire le moindre geste, et le hibou préféra reprendre son envol plutôt que d'assister à la confrontation.
—Vous? s'exclama le professeur avec dédain. Enfin, ma chère Miss Whipple, j'espère que vous plaisantez!
—Moi? Jamais. J'ai décidé que, cette année, je ne resterais pas enfermer entre ces quatre murs à vous attendre, toute seule.
Mon oncle eut un rire, ne prenant pas Delora au sérieux. C'était cependant très mal la connaître.
—Et pourquoi pas, après tout? demanda-t-elle, la mâchoire serrée.
—Mais enfin, très chère, votre place n'est certainement pas à bord de l'Hypérion, mais bien ici, dans votre…
—N'osez même pas finir votre phrase, l'avertit Delora, fulminante.
—… cuisine, acheva sottement le professeur.
Même Chester retint son souffle. Mon oncle était allé trop loin. Pire, il semblait vouloir tenir tête à Delora.
—Eugène chéri, j'aimerais que tu ailles aérer ta chambre et que tu fasses ton lit. Philémon, soyez assez aimable pour aller me cueillir quelques champifleurs dans le jardin, je voudrais faire une tourte forestière pour le déjeuner, demanda-t-elle, la mâchoire crispée.
La voix, tremblante de colère, ne souffrait d'aucun refus. Philémon et moi déguerpîmes, Chester sur nos talons. La porte claqua derrière nous, nous faisant sursauter. Je collai aussitôt mon oreille au vantail, Philémon et Chester en firent autant.
—Un Gallion que Miss Delora gagne, chuchota Chester.
—Tenu, renchérit le demi-géant.
Je n'aurais pas aimé être dans les chaussures du professeur. Pour avoir moi-même essuyé quelques-unes des colères phénoménales de Delora, je savais qu'il allait passer un très mauvais quart d'heure.
—Je vous remercie, professeur, pour cette charmante invitation à me cloîtrer dans ma cuisine. Vous avez tout à fait raison de genrer les tâches ménagères, c'est exactement ce qui se pratiquait au moyen-âge.
Au travers de la porte, j'entendis mon oncle soupirer un peu trop fort.
—Ce que je voulais dire, Miss Whipple, c'est que l'Amazonie est un endroit bien trop dangereux pour une dame. Philémon et moi allons risquer notre vie dans ces contrées impitoyables. Et je crains… oui, je crains un jour de ne jamais revenir. Et qui veillera sur Eugène si je disparaissais? Je ne vous laisse pas en Angleterre de gaieté de cœur, je hais même l'idée de vous laisser seule dans ce grand manoir et je sais combien le sacrifice est dur…
—Espèce de sale hypocrite! le coupa Delora. La seule et unique raison pour laquelle vous ne voulez pas de ma présence est votre crainte que je prenne le commandement de votre explorationscientifique. Ah! je suis parfaitement consciente de votre lamentable sens de l'orientation, je suis au courant de votre erreur monumentale lors de votre dernière aventure dans le désert de Gobi, lorsque vous avez réussi à vous perdre. Vous êtes un piètre Explorafleur, voilà la vérité!
—Elle marque un point, ricanai-je.
Un hippogriffe passa. Je soupçonnai mon oncle de marmonner, comme il savait si bien le faire quand il se vexait.
—Je n'entends rien, gronda Delora.
—C'est d'accord, grommela mon oncle. De toute façon, vous ne me laisserez pas tranquille tant que vous n'aurez pas obtenu gain de cause.
—C'est très bien me connaître, lui fut-il répondu. Nous sommes donc d'accord.
Philémon et moi comprîmes trop tard que la conversation s'arrêtait là. Mon oncle ouvrit la porte à tout volée et nous faillîmes bien nous vautrer sur le dallage impeccable de la cuisine. Le professeur croisa les bras et haussa haut un sourcil; ainsi, il me faisait un peu peur.
—Il n'est guère poli d'écouter aux portes… Cela ne m'étonne cependant pas d'Eugène, ce garçon est d'une curiosité maladive. Mais venant de vous Philémon! C'est une honte!
—Je suis désolé, professeur, marmotta le géant, les yeux baissés et l'air contrit.
Le professeur balaya la remarque d'un mouvement de la main, avant de lui faire signe de le suivre. L'Hypérion avait encore besoin de quelques ajustements avant les essais.
Je m'apprêtai à les suivre, quand la main de Delora se posa sur mon épaule.
—Et où vas-tu comme ça? dit-elle, les sourcils froncés. Il me semblait t'avoir demandé d'aller ranger ta chambre…
Je balbutiai quelques mots, rougis sous son regard plissé. À mes pieds, Chester se recroquevilla dans l'espoir que Delora ne le remarque pas.
—C'est bien ce que je pensais. File avant que je ne me fâche pour de bon! Oh, avant que je n'oublie, je veux lire les vingt centimètres de parchemin sur le sortilège de transfert. Et pas de mais qui tient! Le professeur McGonagall m'a envoyé un hibou pendant les vacances pour m'avertir de tes lacunes en métamorphose.
«Je n'ai aucune affinité avec les métamorphoses», grommelai-je. Je finis pourtant par hocher la tête. Delora m'ébouriffa gentiment les cheveux et m'autorisa à regagner ma chambre, me promettant, pour le déjeuner, des Fondants du Chaudron fait maison.
1 Le Tour du monde du Portoloin en quatre-vingt jours, par Philémon, édition les Petits Livres Rouges, 1979, deux Gallions (si intéressé, merci de m'envoyer un hibou).
Petite note de fin : Voilà pour ce premier chapitre, j'espère qu'il vous a plu ! Le chapitre 2 sera posté le 15 novembre prochain et s'intitulera "Celui qui allait sur le chemin de Traverse" (je me demande de quoi ça va parler... Mystère mystère!).
Petite info : les chapitres seront postés à raison de deux par mois, les 1er et 15. Cela me permet d'avancer sur l'écriture et la correction des chapitres, il y en aura 24.
Je vous dit à très bientôt pour la suite des aventures d'Eugène !
Citrouille
