Hey !

Et voilà le point de vue de Julian. On reste sur une ambiance fluff et légère pour l'instant, c'est chouette à écrire. (je scribouille un truc un brin moins joyeux donc ça fait plaisir de relire ces chapitres.)

Merci à Ya pour sa correction !

Bonne lecture !


Sur le pas de l'hiver

Julian

.

Soleil pétant, ciel bleu et vent frais. Clairement pas un temps d'octobre, mais ça n'en est que meilleur, Julian pense alors qu'il ramène sa clope et son sac sur le coin d'herbe verte qui enveloppe le gymnase. Tout le monde est là, ou presque. Ou peut-être pas. Mais Asra est déjà arrivé, et c'est tout ce qui l'intéresse. Il lui adresse un geste de la main.

— Alors, ton DS ? le garçon bohème demande.

— Tranquille.

C'était des maths. Julian ne se rate jamais, en maths.

Il se pose naturellement près d'Asra, sans s'inquiéter du regard des autres. Ça va sûrement jaser, mais il a l'habitude. Il aime bien ça, même. Les rumeurs qui courent quand il fait la cour.

— T'as ramené quoi, il demande en zieutant vers les gamelles d'Asra.

La plupart des gens du club se sont ramenés au pique-nique improvisé avec des chips, du coca et des merdouilles toutes prêtes à piocher dans un verre en plastique. Mais on dirait qu'Asra a cuisiné. Ou alors ses parents s'en sont occupés pour lui. Est-ce qu'ils sont du genre à préparer un bon petit déjeuner pour leur gosse ? Dur à dire, il n'en parle pas souvent. Tout ce que Julian sait sur eux, c'est qu'ils sont toujours ensemble, et que son père part tous les quatre matins pour il ne sait plus quel taf.

— Des rghaif aux légumes.

— Joli ! Je peux ?

Asra lui tend le tupperware. Julian pioche, donne un coup de croc et le goût des épices lui envahit la bouche. Wow. c'est bon, clairement. Il ne faut pas craindre quand ça pique - coup de chance, Julian adore les plats relevés - mais c'est bien fait. Puis ça doit caler, ces petites bouchées.

— C'est grave bon ! C'est toi qui a cuisiné ça ?

Le garçon hoche la tête.

— Et tu sais faire d'autres trucs du genre ? C'est… Je peux en reprendre ?

— Sers-toi.

Ça rit près de lui, la voix d'Asra. C'est beau. Et ses yeux qui pétillent alors qu'il pioche encore. A côté, la tentative de beignet de sa tante fait pale figure. Personne ne sait cuisiner, chez les Devorak. Enfin, Pasha fait de bon gâteaux, mais il ne peut pas se nourrir exclusivement de fondant au chocolat. Même s'il adorerait.

— T'es doué en cuisine. Tu fais souvent à manger ?

— A l'occasion.

— C'est cool. Je fais cramer tout ce que je touche, moi. J'exagère pas, c'est une vraie catastrophe, il rit. Ma tante s'est occupé des… Ah attends.

Il marque une pause et sort ses gâteaux.

— Voilà. Sers-toi si tu veux, mais je te préviens, on a pas le gène de la bouffe dans la famille.

Il dépose une vieille boîte de glace au caramel sur l'herbe. Dedans, les beignets dégoulinants d'huile attisent la curiosité d'Asra. D'autres membres du groupe s'approchent et picorent. Julian négocie un paquet de chips et des crackers qu'il pose entre eux deux.

— Et Muriel ? Il est pas là ?

— Il n'aime pas la foule.

— Oh. C'est vrai qu'il est pas très causant.

Bon, ça arrange Julian. Ce grand dadais colle toujours Asra pendant les séances de groupe, et il a beau essayer d'ouvrir une brèche, c'est dur de lui faire la conversation. Il a rarement autant eu l'impression d'emmerder quelqu'un qu'en essayant de lui parler. Il n'est pas méchant pourtant - pas ouvertement, en tout cas. Juste… C'est comme causer à un mur. Un mur qui fronce les sourcils.

— Il préfère rester seul.

— Il a l'air plutôt à l'aise, avec toi, Julian fait remarquer.

— Disons que je suis l'exception qui confirme la règle.

Oh, ce truc qui flotte sur la bouche d'Asra, là, comme un sourire. Julian se méfie. Il donne un coup de dents dans un de ces pains aux légumes, triture son éternelle mèche rousse. Allez, c'est le moment de creuser. Son cher camarade lui a déjà certifié qu'il ne se passait rien entre lui et son pote - rien qui ne dépasse le cadre de l'amitié - mais ça le titille. Muriel ne supporte personne, Asra excepté. Et Asra est toujours en train de lui tenir la main ou le bras. C'est… D'accord, il y a des potes qui font ça. Mais-

Merde. Il s'intéresse trop à sa vie amoureuse. Pas bon signe, ça.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ? il glisse, l'air de rien.

Voilà. Question basique, posée en roulant une autre clope du bout de ses longs doigts. Il guette la réponse.

— Pas vraiment. Depuis l'année dernière, en fait.

Depuis-hein ? Julian ouvre une grande bouche surprise.

— C'est tout ?

— Oui. C'est si étonnant ? Asra rit.

Ce bruit. Tous les anges du ciel devraient tomber à ses pieds. C'est fragile et cassé, bas, un gloussement d'ado qui mue, mais c'est tellement franc. Ça grelotte, une myriade de petites cloches. Et ses dents presque bien alignées, c'est…

— Vous avez l'air proches. Enfin, proches… Genre, amis depuis la maternelle. Façon série pour adolescents, à la vie à la mort. J'aurais juré que tu l'avais rencontré avant le collège.

— Du tout. On s'est retrouvé ensemble en troisième.

Troisième. Asra est plus jeune que lui, c'est vrai. Il l'oublie souvent.

— Il a attrapé une bronchite au début de l'année. Ça l'a cloué au lit pendant un mois. C'est moi qui ait pris les cours pour lui.

— Je vois. Tu faisais la navette entre le collège et le malade ?

— C'est à peu près ça.

Merde, c'est que ça ressemble à un début de commédie romantique, raconté comme ça. D'abord ça partage des cours, puis ça échange des textos jusqu'à deux heures du matin, ça finit par se choper et ça couche ensemble pendant la classe de neige. Sauf qu'il n'est toujours pas question de classe neige, et que si proche de Muriel qu'il puisse être, Asra n'a encore jamais emballé son pote au lycée.

Mais peut-être qu'ils ne s'embrassent pas. Ou qu'ils font ça en privé. Oui, collerait plus à l'image de la grande tige. Une espèce de romance secrète.

— La première fois que je suis venu, il m'a fermé la porte au nez, Asra poursuit. C'est sa mère qui m'a invité à entrer quand elle m'a trouvé devant la porte.

— Attends, il t'a viré et t'as attendu devant chez lui ?
— Elle est rentrée du taf cinq minutes après. On était vendredi, il avait raté toute la semaine. J'avais peur qu'il prenne du retard. Puis j'attendais pas vraiment, il glousse. Je cherchais un moyen de faire passer les cours dans la maison.

— Un moyen ?

— Une fenêtre ouverte, ou une chatière.

— J'espère qu'elle t'a décerné la médaille de la patience.

Ou du stalker. Voir un gamin roder autour de sa main, ça n'a pas dû la rassurer.

— Pas vraiment. Elle était surtout étonnée de voir quelqu'un venir rendre visite à son fils.

Il a un sourire tout doux sur la bouche quand il y pense. C'est mignon. Ça fait envie, même. Julian n'a pas vraiment d'amis de ce genre. Il y a bien Hanged, Natiqa à l'occasion. Et en toute honnêteté, il n'a jamais eu de mal à se lier avec les gens. Ça vient facilement, deux trois mots, une blague et on retient son nom. Mais c'est tout.

Parfois, il a l'impression de rater un truc. Mais il n'a pas le temps pour ça. Avec le club, les soirées et les révisions, il lui manque déjà quelques heures de sommeil.

— Il a fini par se laisser approcher ?

— Ça a pris du temps, mais oui.

Julian pioche un autre pain. Il se demande si le Muriel n'est pas un peu amoureux d'Asra, quand même. C'est la seule personne à qui il fait la conversation. D'ailleurs, ça ne va pas être pratique pour le montage. Il va bien falloir qu'il s'ouvre, s'il veut pouvoir bosser avec les autres.

Enfin. Ça c'est pas son problème.

— Super, tes pains. Vraiment. C'est… De la cuisine comme ça, je veux bien en manger tous les jours.

Et il devrait s'arrêter, parce qu'à ce rythme, il va tout manger et il n'en restera pour personne. Et lui, il aura mal au bide. Est-ce que quelqu'un a du café ici ? Non, sans doute pas. Il n'y a pas de distributeur au lycée. Parait-il qu'il y en a partout, à la fac. Vivement la fac, qu'il se gave de café entre deux cours.

— C'est facile à faire.

Asra s'allonge dans l'herbe, son pull roulé en boule sous sa tête.

— J'en ramènerai d'autres, si tu veux.

— Sérieux ? Cool. Enfin, c'est cool de ta part. C'est… c'est vraiment bon.

Ça gonfle à l'intérieur de lui. Oh, ça, c'est une marque d'affection, non ? Il n'a jamais vu Asra cuisiner pour quelqu'un d'autre. Pas en audiovisuel, en tout cas. Bon, il le connaît depuis genre un mois. Mais quand même.

— C'est moi qui te rend nerveux ?

Les yeux d'Asra roulent vers lui comme deux petits serpents à la peau lisse, et Julian déglutit. Oh. Oh. Est-ce qu'il rougit ? Non non non. Si ? Oh, il n'a aucun contrôle là-dessus de toute façon. Merde.

— Hein ? Moi, nerveux ? Non, c'est… le DS ce matin, la pression qui retombe et… On a tellement de trucs à faire en S, c'est stressant, forcément. Je…

Il tousse.

— Pourquoi tu voudrais que je sois nerveux ? Enfin, que tu me rendes nerveux, que je sois nerveux de toi, je, y a pas de raison, t'es pas quelqu'un de- non vraiment c'est les cours. Je suis juste un peu tendu.

Et encore Asra pouffe. Ça fait trois fois. Est-ce qu'il se moque de lui ? Oh, il se moque de lui. C'est bas, ça. Quel petit fourbe. Ça ne devrait pas le faire sourire. Et son cœur ne devrait pas cogner plus fort quand l'autre l'observe sous ses cils blancs, ses yeux illuminés par le soleil d'automne. Il a ce il ne sait pas quoi dans le regard, un truc qui l'allume. Ça ressemble à une mauvaise idée. Mais Asra n'a pas de mauvaises idées, hein ? Non, il n'est pas comme lui. C'est un bon gars.

— J'aurais cru.

D'accord. Peut-être pas un si bon gars.

Julian inspire. Bon. C'est le moment de ne pas rougir comme un gamin de huit ans amoureux de sa maitresse - ou de son maitre, en l'occurence. Ce n'est pas la première fois qu'il drague. Et c'est bien de la drague le truc entre eux là, non ? Ou alors, c'est lui qui veut que ce soit de la drague et-

Stop. Il inspire.

— Peut-être que c'est toi qui as envie de me rendre nerveux ?

Il le zieute de toute sa hauteur.

— Et pourquoi je voudrais ça ?

Le sourire d'Asra pétille.

— A toi de me le dire.

— Mm.

Son nez pointe comme un museau de renard. Est-ce qu'on lui a déjà dit qu'il ressemblait à un petit animal adorable et fourbe ?

— C'est vrai que tu es amusant, quand tu perds tes moyens.

— Pardon ?

— Tu bégayes.

— Je bégaie pas. C'est juste- Attends, tu te moques de moi ?

— Possible.

Et il l'assume ? Oh, non. Il ne peut pas le regarder comme ça sans arrière pensée, hein ? Il se doute bien de l'effet que ça fait. De l'envie brusque qu'il ressent, là. Il s'imagine se pencher et- Peut-être que c'est ce qu'Asra veut ? Ou alors, il va lui mettre la baffe du siècle et il ne lui adressera plus jamais la parole. Il est plus jeune que lui, moins à l'aise avec les relations amoureuses, sans doute. Il s'amuse juste. Et lui, il lui prête des intentions qu'il n'a pas.

Centré sur ses propres sentiments, comme toujours. Un égoïsme qui se transmet de générations en générations dans cette famille. Pasha exceptée.

— T'es une petite fouine, en fait.

Les grands yeux mauves d'Asra s'écarquillent.

— Une fouine ?

— T'es fourbe. Mm, non, attends, c'est le renard qu'on traite de fourbe d'habitude, non ?

— Oh. Donc c'est comme ça que tu me vois.

Le garçon soupire.

— Au temps pour moi. Tu fais bien de le dire maintenant, j'aurais pu croire que tu commençais à m'apprécier.

Ah le… Oh, si Asra savait. Et c'est quoi cette tête qu'il lui fait là ? Il se tourne ? Oh non.

— Je t'apprécie ! Beaucoup, je… Je voulais pas dire- c'est une manière de parler, je pense pas vraiment que t'es fourbe, c'est plus… C'était pas un reproche et c'est pas déplaisant, je veux dire, t'es pas une mauvaise personne hein, c'est absolument pas ce que je- Oh.

Il tremble, et il ne lui faut pas longtemps pour comprendre qu'il se fout - encore - de sa gueule. Ses petites épaules se secouent, son dos se plie et le vent transporte sa joie. Ça lui réchauffe le cœur.

Définitivement, Julian est perdu.

— Oublie. T'es fourbe jusqu'à la moelle.

Et son rire éclate sur l'herbe, alors que Julian se laisse tomber près de lui, le pif entre ses bras croisés.

— Tu m'apprécies quand même ? Asra demande en se tournant vers lui.

— Je dois y réfléchir.

Oui. Bien sûr que oui. Il le sait, hein ? Ça doit bien se lire sur sa gueule, quand il le regarde. Il a avalé l'hameçon, et Asra peut bien tirer tant qu'il veut sur la corde, il suit sans se débattre.

Il peut bien se moquer de lui, si ça le rend heureux, là. S'il rit comme ça. C'est…

Oh, non.
Définitivement, Julian est foutu.


Aah ils sont choux. C'est trop drôle d'écrire Asra qui enquiquine Julian. Puis j'adore écrire sur les petits moment de pause du lycée. C'est une période que j'aime beaucoup exploiter en fanfic, la dernière année de cours et la fac qui se profile.

Bon, j'espère que ça vous aura plu ! A la semaine prochaine !