Hey !

Dimanche, le jour du chapitre (et du vote pour Mélenchon). Je fais un petit rappel sur les TCA, qui sont encore abordés dans ce chapitre ! Si c'est un sujet sensible et/ou que vous n'êtes pas d'humeur, allez plutôt lire un truc mignon. Sinon, bonne lecture !

(Et comme toujours, merci à Ya pour sa correction !)


Les mauvaises surprises

Asra

.

Son téléphone est là, contre sa cuisse. Asra le sent vibrer au fond de sa poche. Il sait déjà qui lui a envoyé un message, et ce n'est pas l'envie qui lui manque d'aller dévorer les lignes reçues. Il aurait juste à glisser discrètement ses doigts sous la table. Mais la règle est stricte. Pas de téléphone pendant le repas. Et s'il mange seul la plupart du temps, sa mère étant occupée à corriger ses copies, ce soir…

— Et ça se passe comment, ton club ?

Son père est là. Alors tout le monde est assis autour de la table.

Ce n'est pas comme s'il n'avait pas l'habitude. En soit, il ne part que la moitié de la semaine. Mais c'est autant de temps qu'Asra ne passe pas avec lui. Autant d'absences qui creusent une séparation entre eux. Entre lui, et ses parents.

— Cool. On a commencé à s'occuper des décors là.

— Pour la pièce ?

Ce n'est pas la première fois qu'il se trompe. Pas la première fois qu'Asra hausse les épaules, comme si ça n'avait pas d'importance.

— C'est un film. Un court métrage. On a pas encore le texte, mais on nous a filé un thème, alors on essaye de voir ce qu'on peut faire avec. Ceux qui s'occupent du script s'adapteront en fonction.

— Oh. Et c'est quoi, ce thème ?

— Toile.

Tout de suite, Asra s'est imaginé le terrain de jeu d'une araignée. Un fil solide, de longues pattes tordues couvertes de poils. Une étoile pleine de perles de rosée perdue dans un jardin. Mais de ce qu'il a compris, le scénario part plutôt sur une histoire de réseau en ligne. Ce sera chouette, sans doute. Ils verront bien.

— Intéressant.

Son père trouve toujours tout intéressant. Asra le soupçonne d'utiliser ce mot pour mieux cacher son manque de répartie. Ce n'est pas qu'il s'ennuie quand ils parlent, mais… Sans pouvoir mettre de mot dessus, il sent la gêne qui empêche leur conversation. Ces phrases fabriquées pour mieux rentrer dans les blancs entre deux coups de fourchettes. Bien sûr, Salim est sincère quand il lui pose des questions. Il veut savoir. Deviner ce qui se passe dans la tête de cette drôle de bête qu'il n'a pas eu le temps de voir grandir.

Mais il ne sait pas comment s'adresser à lui. Et Asra a oublié depuis longtemps comment répondre sincèrement.

— Tu n'as pas faim ?

Tous les regards convergent vers son assiette pleine de légumes. La sauce s'est étalée tout autour en un cercle imparfait où sa fourchette joue. Il a découpé un morceau de courgette qu'il mâche depuis un moment, mangé quelques pommes de terre, mais c'est tout. Il n'a pas descendu ne serait-ce que la moitié de l'assiette. C'est si peu, et pourtant déjà trop comparé aux repas qu'il a sautés la semaine dernière.

— J'ai goûté tard.

C'est faux. Il est monté poser son sac en rentrant, il s'est occupé d'un devoir d'anglais à rendre demain pour la première heure, et il est descendu saluer son père. Pas un pas vers la cuisine. Il n'a pas allumé la poêle pour réchauffer les galettes pleines de beurre et de miel que sa mère laisse au frigo.

Il a faim. Mais la faim, c'est comme le froid, la douleur. C'est juste une sensation. Ça passera.

— C'est ça, de grignoter tard, Salim le taquine.

Grignoter.

— Ne te force pas. Tu pourras réchauffer ton assiette demain, sa mère reprend.

— Ça marche.

Il sourit, essaie. Ils ont l'air d'y croire, alors ça doit bien ressembler à quelque chose. Mais tout ce qui tourne dans le ventre vide d'Asra, c'est un vent d'amertume.

Ils l'aiment. Ils sont compréhensifs. Jamais sévères, toujours calmes et patients. Pas laxistes, mais d'une tendresse égale à celle qu'ils s'offrent l'un à l'autre chaque fois qu'ils se regardent. Il sait qu'il a de la chance. Julian n'a même plus ses parents, lui.

Mais ils n'ont rien vu. Ils le regardent plonger son repas dans un tuperware sans poser de question.

Pourquoi est-ce qu'ils s'inquiéteraient ? C'est juste un repas. Asra n'est pas maigre, après tout. Il le voit bien en passant devant le miroir. Ses joues rondes, sa taille large et son corps tassé. Il peut bien sauter quelques repas. Il a de la marge.

Sans toucher au dessert que son père a ramené, il s'en retourne dans sa chambre. Son portable vibre encore et le nom de Julian chasse un peu de la déception qui lui tourne dans la tête. Il se laisse tomber sur le lit.

[Ton père est rentré ? Ça se passe bien ?

(Et sérieusement, Twilight ?)

(Je juge pas. Jacob est incroyablement bien foutu, d'ailleurs.)

(Mais vraiment ?)]

Il glousse entre les draps frais. Oui, vraiment. Asra est bien conscient du manque de qualité de l'œuvre. Il sait aussi qu'en termes de romance, on a fait mieux. Mais c'est comme ça. Il a toute la série de bouquins entassés sur son armoire, quelques dessins glissés dans son carnet, et il pourrait réciter certains passages des films tant il les connaît.

C'est loin d'être parfait. Mais ça le porte, et ça le renverse.

[Ça se passe bien avec ton père ?]

Asra hésite, soudain. Les dents serrées autour de sa lèvre sombre. Il repense à son repas enfermé dans une boîte en pyrex, au sourire simple de sa mère. Sa mère qui ne force jamais, et…

C'est terrible, de se sentir vexé pour ça. Parce qu'ils n'ont pas posé plus de questions. Ils ont bien vu qu'il était monté sans prendre de goûter, non ? Il n'y avait pas une miette sur la table, aucun couvert dans l'évier ni le lave-vaisselle. Le placard est toujours aussi plein, la poêle est comme neuve. Il ne manque rien.

Ils font si peu attention à lui ?

Asra inspire.

Il ne va pas raconter ça à Julian. Ce serait ridicule.

Mais lui, est-ce qu'il s'inquiéterait ?

[(Sérieusement.)

(Et je vais faire comme si tu n'avais rien dit sur Jacob.)]

[(Attends, je parle avec un team Edward ?)

(Il va me falloir un moment pour m'en remettre. Je ne suis pas sûr de pouvoir supporter ça.)]

[(Team Laurent.)

(Mais à choisir entre Edward et Jacob, oui, team Edward.)

(Je ne pense pas pouvoir fréquenter plus longtemps quelqu'un qui préfère Jacob à Edward. (;⌣̀_⌣́)]

[(C'est terrible.)

(On part sur une histoire d'amour impossible.)]

Ça cogne d'un coup dans le torse d'Asra. Une pluie éclate et se répand dans ses bras. Il presse le portable contre lui.

Julian plaisante, il en a conscience. C'est une blague jetée comme ça, une plaisanterie, comme quand il lui tourne autour au club. Asra sait bien quelle réputation il a, celle d'un dragueur invétéré qui fuit quand on lui rend la pareille - et c'est un jeu très plaisant que de la lui rendre, la pareille.

[(Abandonne Jacob et je pourrai reconsidérer notre relation. ( ˘⌣˘) (˘⌣˘ )]

Il plaisante. Mais ses doigts tapent vite.

[Impossible. T'as vu comme il est foutu ?

Edward est une brindille fade à côté.

(Et Laurent ? C'est qui, déjà ?)]

[Donc, entre moi et Jacob, c'est lui que tu préfères ? ヽ(`⌒´メ)ノ

Qui parle de brindille, là ? Tu es aussi maigre que lui.

(Tu perds des points, Julian.)]

Il rit.

Puis on toque à sa porte.

Asra sursaute, se redresse et pose le portable sur sa table. Il ne fait rien de mal, il s'en rend compte après coup. C'est plus fort que lui. Une impulsion. Un peu ridicule.

Mais ce qui vient de se passer, là, c'est à lui. Alors il chasse ce sourire pétillant de son visage.

— Oui ?

— Asra ? Je peux entrer ?

Son père. Timbre sérieux, prudence. Il ne vient pas pour de bonnes raisons. Est-ce qu'il a fini par se poser des questions, après le repas ? Asra n'a soudain plus du tout envie qu'il s'inquiète de son appétit. Il déglutit.

— C'est pour quoi ?

Il allume sa lampe de chevet. Silence. Hésitation.

— C'est important.

Oh non. Qu'est-ce qu'il lui a pris de souhaiter une chose pareille.

— Tu peux.

Il s'assoit sur le bord de son lit, ses mains enfoncées dans la couverture fraîchement lavée. Son regard roule dans la pièce en quête d'une prise, s'arrête finalement sur ce père qui pousse la porte. La lumière du couloir rencontre celle de sa chambre. Un jaune clair contre la multitude de loupiottes. Son ventre se resserre.

Pourquoi son père, et pas sa mère ? Elle, quand elle parle, son timbre tombe et apaise comme un vent chaud. Salim est maladroit. Il le connaît moins.

— Qu'est-ce qu'y a ?

Trop rapide, sa voix le trahit. Il manque les mots pour combler l'attente et la peur enroulée comme un serpent autour de son oesophage. Ses poumons se gonflent de tout le poids que son père pèse alors qu'il s'assoit près de lui, sur le lit.

Il sait qu'il cherche ses mots. Il passe sa main dans une masse de cheveux aussi ronds que ceux de son fils. Remonte ses lunettes. Puis il se lance.

— Je crois qu'il n'y a pas de bonne ou de mauvaise manière de t'annoncer ça.

D'abord, Asra plisse les yeux. Il y a un décalage. Une ligne qui casse. Ces mots ne sont pas ceux qu'il attendait.

Le silence s'étend depuis le salon.

— Ta tante vient d'appeler.

Un froid flottant le vide et l'avale.


Et voilà ! Sur ce, je m'en retourne bosser mes appels à texte. J'ai fini un mega OS Asra/Julian pendant le camp Nano, je devrais poster ça dans les mois à venir !

Bye !