Hey !
Voilà votre dose de fluff du dimanche, livrée à l'heure. (Patiemment corrigé par Ya-dorable) En plus j'ai enfin attaqué la route de Julian, c'est l'éclate.
Bonne lecture !
Deux oiseaux contre le monde
Julian
.
Bon. Julian inspire. Il serre le bijou dans sa main. Cette fois, il le lui donne.
— Tu t'es encore dégonflé ?
Anged lâche un son proche du rire, mais la moquerie du corbeau n'atteint pas la blanche colombe pure de son amour. Il n'a que faire des fourberies de son camarade de récré - de soirées, à l'occasion.
Même si, en l'occurrence, il a raison.
— On s'est pas vus longtemps hier.
— Vous avez mangé ensemble.
— C'était pas le bon endroit pour… Ça.
Il ignore le sourcil haussé de son interlocuteur, tire une dernière fois sur sa clope, et il jette le mégot mourant avant d'y donner un coup de talon. Cinq centimètres de plus sous son pied. Comme s'il n'était pas déjà assez grand.
— Et s'il trouve ça ridicule ?
Cette fois, Anged rit.
— Tant pis pour toi.
Il ne l'aide pas, là. Que fait-il de la règle implicite qui veut qu'on soutienne ses amis quoi qu'il arrive ? Il pourrait au moins lui dire un truc comme C'est pas grave, ou C'est l'intention qui lui fera plaisir. Mais non. De toute façon, Julian ne le croirait pas. Puis il ne sont pas vraiment… Enfin, amis, pas sûr que ce soit le mot. Si ? Ils traînent souvent ensemble, mais il n'a jamais posé un pied chez cet oiseau de mauvais augure.
Bah, quelle importance ? A tous les coups, ils ne se reverront plus après le bac. Inutile de se lier maintenant avec des gens qu'il perdra aussitôt de vue, sa vie sociale ruinée par les heures de révision que la fac de médecine exige. Ou la prépa. Il préfère la médecine, mais-
Ah, Asra !
— Je te laisse !
Il agite vaguement la main vers Anged avant de filer, le cœur tout retourné.
Cette fois, il lui file ce fichu bracelet, ou il mourra en essayant.
xoxoxox
— Et elle est partie. Comme ça, sans prévenir.
— C'est naze, Julian confirme.
— Clairement.
De qui est-ce qu'Asra lui parle ? Il ne sait plus. A un moment, il a évoqué un souvenir de famille au Maroc, une histoire d'avion et de mal d'oreille horrible, et le cerveau du rouquin a lâché pour se concentrer sur la texture de sa tignasse blanche. Il s'est imaginé y passer la main. Chercher sa nuque pour mieux se pencher vers lui. Est-ce qu'Asra a déjà embrassé quelqu'un ? Sans doute. Il n'imagine pas qu'on ait pu résister à des lèvres pareilles.
Est-ce qu'il a déjà embrassé Muriel- Non, il faut qu'il arrête avec ça.
Dans sa poche, ses doigts jouent avec le bracelet chatoyant.
— Et, elle… Mm, elle s'est excusée ? il demande.
— Oh non ! Elle ne s'excuse jamais. Elles sont restées en froid super longtemps avec ma mère. Pourtant y faut y aller pour l'énerver, mais là…
Donc, il est question de la mère d'Asra. Peut-être qu'il parle de sa tante ? D'une de ses tantes. Il a déjà dû lui faire un rapide résumé de la généalogie familiale, mais Julian n'a pas tout retenu. Il était sans doute trop occupé à regarder ses mains fines, sa peau à peine dorée et ses ongles blancs, et-
— 12h53, Asra gémit. Va falloir que j'y aille.
Oh non.
— Déjà ? T'as cours de quoi ?
Une excuse pour le retenir. Vite.
— Anglais.
Il dit ça, déserté par toute trace de motivation. Parfait. Julian a peut-être une idée.
Une mauvaise idée.
— T'as contrôle ?
— Non. Mais j'ai oublié de faire mes exos. J'ai la flemme d'y aller.
Il ne devrait pas en profiter. Mais l'occasion est si belle. Et puis, techniquement, ça rend service à Asra …
— Sèche, alors.
Un regard intéressé lui tombe dessus. Il frissonne. Oh, ça ne devrait pas être aussi bon de penser à ça.
— On a qu'à se poser dans la régie. Personne viendra nous emmerder là-bas.
— T'as pas cours, toi ?
— Je reprends à 14h.
Un sourire commun étire leurs lèvres. Oh, Julian ne devrait pas faire ça. C'est mal. Asra est un garçon sérieux, adorable. Pas franchement studieux, mais pas non plus le genre de type qu'on retrouve derrière le labo de sciences à tailler des pipes - un miracle que cette histoire ne soit pas arrivée aux oreilles de l'objet de son affection, d'ailleurs.
Il a une mauvaise influence sur lui. Mais c'est juste un cours. Et ils seront tous seuls, tous les deux. Ce sera le moment parfait pour lui filer son cadeau.
— Ça marche.
Son cœur bondit et éclate.
Non. Calme. C'est juste une entrevue, il ne va rien se passer. Mais ça résonne dans son torse jusque dans ses côtes, alors qu'il file dans la salle du club. Il grimpe les escaliers au fond, le cerveau embrouillé, les joues à peine rougies, et il se cale sur la moquette sale le cœur gonflé.
Asra n'a même pas hésité. Lui aussi, il a envie de passer du temps en sa compagnie ?
— Bienvenu au royaume des glandeurs, il déclare, désignant la maigre salle d'un geste de la main. Les réserves secrètes d'Ice-tea sont dans le placard à balais, sous la serpillère. Le coca attend sous l'armoire à câbles, et la légende raconte qu'un vaillant rebelle a caché un tube de Pringles en ces lieux. Mais personne ne l'a jamais trouvé.
Il se racle la gorge.
— L'histoire remonte, je doute que ce soit une bonne idée de les manger maintenant, de toute façon.
Le rire d'Asra le frappe droit au cœur.
— Je me contenterai de l'Ice-tea, il déclare.
Et Julian revient quelques secondes après, deux cannettes en main.
— Il n'est pas de première fraîcheur, mais tu ne devrais pas tomber malade après l'avoir bu. Quoi que. On ne sait jamais, c'est le jeu.
— Je vais prendre le risque.
Son sourire s'élargit.
— J'ai un futur médecin avec moi, de toute façon.
— Méfie-toi. Ses compétences en matière d'indigestion ne sont pas encore au point.
— Ça lui fera de l'exercice.
Ils ouvrent chacun leur boisson. Le liquide est tiède, mais ce n'est pas pire qu'une bouteille de coca abandonnée sur une table. Au moins, Julian n'a pas à se demander si quelqu'un a laissé les cendres sa clope dans sa canette.
— Tu t'es décidé pour la médecine, alors ?
La médecine, ce n'est - pour une fois - pas le sujet que Julian a envie d'aborder, là.
— Oui. Enfin, non. J'hésite. C'est mon vœu numéro un. Deux. Un après la piraterie.
— T'as jusqu'à quand pour choisir ?
— On commence à faire nos choix en Janvier.
Il y a bien une date limite qu'il a oubliée, et il n'a pas envie de s'en souvenir maintenant. Non, il préfère se concentrer sur les lèvres d'Asra et les petites gouttes dorées qui perlent le long de sa bouche. S'il se penche pour les récupérer, qu'est-ce qu'il risque ?
Une baffe. Sa haine profonde. Mauvaise idée. Il n'a pas envie de faire ça. De le blesser. Il n'est même pas sûr qu'il ait déjà embrassé quelqu'un, ce serait… Il déglutit.
En fait, il ne sait rien de la vie amoureuse d'Asra. Est-ce qu'il a déjà couché, aimé ? Il en était où à son âge, lui ? Oh, il pouvait déjà cocher par mal des cases du bingo des expériences de l'adolescence. Mais Asra n'est pas comme lui, justement. Il est plus mesuré. Pas du genre à se mettre à l'envers jusqu'à ce que le soleil se lève, où à remonter son pantalon à l'arrache avant de rentrer chez sa tante.
— Et toi ? Toujours aucune idée de ce que tu veux faire après le bac ?
— Aucune.
— Y a rien qui t'attire ? T'aimes bien dessiner, non ? Puis tu te démerdes grave bien en couture.
— C'est des choses que j'aime faire pour moi.
Peut-être qu'il ne devrait pas autant rester avec lui. Julian traîne pas mal de casseroles, de sombres bails que les gens aiment trop lui rappeler. C'est sale. Un peu. C'est… Il y a des trucs dont il n'est pas fier, et il aimerait autant qu'Asra ne l'apprenne pas. Parce que c'est le gars le plus adorable qu'il ait jamais fréquenté.
— Je ne suis pas sûr de pouvoir le faire tous les jours. Puis j'imagine que c'est différent, quand c'est un taf.
— Pas faux.
Il le regarde qui s'allonge sur la moquette comme si c'était un matelas. Ses mots appliqués lui font oublier le monde autour d'eux.
— En vrai, je ne m'imagine pas après les cours, Asra reprend. Pas comme les gens voudraient. Je ne me vois pas faire des études.
— Tu voudrais taffer direct ?
— Je ne sais pas. Peut-être.
Il passe ses bras sous sa tête. A la lumière crade de la régie, sa peau a l'air encore plus sombre. Ses cheveux ne sont plus si blancs. Mais il a toujours autant envie de les caresser.
— Je me vois un peu loin de tout ça, en vrai.
La tête au creux de son coude, Julian s'allonge près de lui.
— Genre, dans un van. Ou dans une petite maison loin de tout. Avec un potager. Sur les routes. Je pourrais… Je sais pas, faire des trucs, les vendre et payer l'essence et la bouffe comme ça. Ou faire un taf à distance. En ligne.
Son haut s'est à peine soulevé. Ce n'est qu'un petit morceau de ventre que Julian aperçoit, mais il a envie de le caresser. D'aller l'embrasser. D'y frotter son nez pour le faire rire.
— Enfin. C'est juste une idée comme ça, Asra rit. Je suppose que ça doit avoir l'air ridicule, mais-
— C'est pas ridicule.
Il est touchant là, à lui avouer des rêves qui sonnent comme lui. Colorés. C'est un privilège de récupérer cet aveu qu'il lui fait entre deux gorgées d'Ice-tea tiède.
— Vraiment. T'es beau.
Évidemment ça lui donne envie de l'embrasser, et il ne devrait pas penser à ça alors qu'Asra s'ouvre à lui, c'est déplacé et…
Et…Oh. Deux secondes. Oh non.
— Enfin, t'es- C'est beau je veux dire. C'est beau ce que tu dis, c'est pas ridicule et- pardon je me suis mélangé, c'est… la fatigue. J'ai révisé beaucoup trop tard hier soir. J'aurai dû dormir, ça m'éviterais de dire n'importe quoi.
Il rit jaune, rouge pire qu'une pivoine. Ce lapsus, seigneur. Asra ne va jamais le croire. C'est impossible d'être à ce point stupide, hein ? Oh, mais pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il foire comme ça ? Il voudrait mourir. S'enterrer six pieds sous terre. Anged peut bien se foutre de lui, il a tellement raison.
Et Asra aussi, avec son sourire de renardeau.
— Je suis beau, donc ?
— C'est pas ce que… Ma langue a fourchée. Dérapée. J'ai parlé trop vite. Problème d'élocution.
— Je prends quand même le compliment.
— C'était pas un…
Oh non. Quoi ? Oh, mais qu'est-ce qu'il est censé répondre à ça ?
— Enfin si, c'est… Je dis pas que t'es pas- c'est pas ce que je voulais dire. Mais c'est vrai aussi.
Il avale sa salive.
— Que t'es pas mal.
Asra est pas mal, et lui, il est horrible. Oh, ce minois. Pourquoi est-ce qu'il est incapable de lui répondre normalement ? C'est toujours comme ça. Il allume, et quand il se fait allumer, il panique. C'est terrible.
— Pas mal ?
— Ouais. Pas mal. Bien. T'es…
Il s'amuse. Oh, le petit fourbe.
— Tu t'es déjà vu dans un miroir, j'ai pas besoin d'en rajouter.
Voilà. Ils passent une heure dans la régie, et il se ridiculise. Merveilleux. S'il avait touché un euro chaque fois que c'est arrivé, il n'aurait déjà plus besoin de travailler.
Et le sol rude de la planque lui fait mal aux fesses. En plus.
— Tu le penses vraiment ?
La petite voix d'Asra se glisse jusqu'à son oreille.
— Oui.
Ses yeux sont incroyablement doux. Et le poids de sa tête lui retourne le cœur, alors qu'il vient s'appuyer sur son épaule. Là, dans le creux. Tout près. Contre lui.
Il sent son souffle. Son torse qui se soulève tout doucement.
Alors il ne bouge plus. Asra s'installe comme dans un nid, et Julian scelle ses lèvres. Abandonne un bras à sa taille pour le caler. Sourit. Et il attend, sans savoir quoi.
Il se demande si ça vaut pour lui aussi. Si Asra le trouve beau, avec ses airs de vautour et ses talons noirs. S'il y a, quand il le voit, un feu d'artifice qui se lance dans son ventre.
Voilà ! Ça vous a plu ? N'hésitez pas à laisser un commentaire pour dire ce que vous en avez pensé !
(De mon côté je retourne m'éclater sur la route de Julian)
