Hey !
Cette semaine, vous avez droit à un chapitre un peu spécial, puisqu'il est écrit du point de vue de Muriel. J'avais envie d'écrire avec lui, et de donner un autre regard - extérieur mais pas objectif - sur cette histoire. Et j'aime bien Muriel. Sa route était chouette.
Merci à Ya pour sa relecture !
Bonne lecture !
Muriel
.
Ce n'est pas que Muriel déteste Julian. Mais il ne l'aime pas - contrairement à Asra.
Ce serait peut-être plus simple, si ce drôle d'oiseau n'essayait pas de lui faire la conversation. Les gens qui cherchent des mots pour combler les vides, ça ne lui a jamais plu. Muriel apprécie les vides. Les silences et les pauses. Ces moments où il n'a pas à formuler ses pensées pour que son interlocuteur les comprenne. Avec Asra, les idées glissent toutes seules. Il ne force jamais. Quand Asra parle il le fait pour deux, ou il ne le fait pas et c'est tout aussi bien. Il n'attend rien de lui, pas de réponses.
Muriel n'aime pas qu'on attende quoi que ce soit de sa part.
— Essaie ça.
Asra lui attrape le menton pour le redresser. Il laisse faire. Le tissu qui vient s'enrouler autour de sa gorge l'étonne, mais la chaleur sur sa peau lui rappelle la laine des gants d'hiver. Ça gratte, un peu. Oui, c'est bien de la laine. Des mailles maladroites. Un tissu vert sombre.
Les mains d'Asra ont l'air toutes petites entre les fils.
— Mm, non.
Il l'enlève aussitôt. Le froid lui saisit la gorge.
— C'est la première que j'ai tricotée en entier. Elle est pleine de trous.
— C'est pas grave.
Asra s'embête pour lui. Ça le gène.
Il ne le mérite pas.
— Quand même. Je ne vais pas te laisser sortir comme ça.
Il a juste dit, comme ça, qu'il ne faisait pas bien chaud. Sans arrière pensée. Son pull maladroitement relevé autour de son cou. Le froid, Muriel sait faire avec. Il ne met pas souvent le chauffage dans sa chambre, se contente d'un gros pull pour affronter l'hiver.
Mais Il a dit ça, et Asra s'active pour lui trouver quelque chose.
— C'est rien.
— Attends, je dois avoir un foulard quelque part… là !
Alors ce n'est pas tant que Muriel n'aime pas Julian, non - même si, c'est un fait, il ne l'aime pas. Mais Asra est attentionné. Et Julian, il a l'air d'être de ceux qui ont besoin de cette attention. Qui la boivent à la source.
— Je ne le mets jamais en plus. Ça sert à rien de le laisser moisir au placard.
Et ça lui fait peur.
— Merci.
De les voir parler autant. Ces étoiles dans les yeux d'Asra, ces mêmes yeux qui le jaugent après lui avoir enroulé un bout de tissu souple autour du cou. Ses mains qui marquent une pause pour pianoter sur son portable, un sourire illuminé au coin de la bouche. Quand son regard revient à lui, Muriel sait qu'il ne le voit pas vraiment. Il pense à quelqu'un d'autre.
Il n'aime pas Julian, et il y a une part de jalousie là-dedans, il le reconnaît.
— Le vert te va bien, Asra déclare en retouchant le foulard. Le vert foncé. Ça s'accorde avec tes cheveux.
Asra le touche. Sa main sur sa joue, sous son menton, contre son épaule. Asra le touche, et il n'a pas besoin de permission. Parce que c'est le seul à la lui avoir demandé, quand il l'a rencontré. Avant de prendre sa main, il laissait ses doigts près des siens. Comme on réclame une autorisation. Il ne lui donnait pas de grandes claques dans le dos. Pas de tape sur l'épaule. Et Muriel ne savait pas, avant Asra, qu'on pouvait faire attention à lui comme ça. Attention à lui tout court. Que la présence des autres pouvait ne pas lui être désagréable.
Asra est une petite luciole. Pas un soleil aveuglant, pas une nuit obscure. Une jolie lueur. Et Julian, il est de ceux qui attrapent la lueur entre leurs mains. Qui s'émerveillent en l'écrasant.
— Je dois avoir un manteau qui va avec, si tu veux. Quoi que non, oublie, il sera trop petit. Mais je peux regarder dans les affaires de mon père.
— Ça ira.
— Tu es sûr ?
Alors il n'aime pas quand il le regarde. Quand il lui murmure des mots à l'oreille, perdu dans un autre monde.
Il lui enlève Asra.
— Oui.
Muriel caresse le foulard. Une matière agréable. Son ami sait qu'il ne supporte pas grand-chose, en matière de vêtement. Tout ce qui serre l'irrite et l'étouffe. Mais ça, c'est un tissu fin, très chaud, lâche. Il porte l'odeur d'Asra, ses couleurs. Avec, il sait qu'il pourra rentrer sans s'inquiéter du vent qui souffle entre les rues. Mais rentrer, encore faudrait-t-il qu'il le veuille.
— Merci. Pour le foulard.
— C'est rien. Il te va vraiment bien, en plus.
Plus tard Asra dessine, et Muriel lit, et le silence les garde proches. Parfois, il glisse vers les esquisses du petit mouton. De jolis traits. Des corbeaux qu'il imprime du bout des doigts en scrutant ses modèles sur Google image.
Il ferme son livre pour mieux l'observer.
— Tu rentres déjà ?
Asra se fourvoie. Sa voix troublée d'inquiétude perd de son assurance.
— Pas encore.
Il soupire, soulagé.
— Tu peux rester dormir, si tu veux. De toute façon ma mère n'est pas là ce soir.
— Pourquoi ?
— Elle doit régler les histoires de successions avec mes tantes. Elle dort là-bas, du coup.
Asra ne le regarde pas. Cette fois, c'est Muriel qui pose sa main sur son épaule.
— D'accord.
Il sent ses muscles se dénouer. Le dos d'Asra tout tendu qui se défait, comme une maille mal tricotée.
Muriel n'aime pas Julian, surtout, parce qu'il est aveugle. Il ne voit que ce qu'il veut voir. Et il ne veut pas voir qu'Asra va mal. Qu'il y a quelque chose qui a déraillé chez lui, un train sans conducteur. Et ça ne date pas de la mort de sa grand-mère.
Muriel a peur que Julian prenne ce qui l'intéresse pour mieux le laisser tomber après. Les gens font ça, souvent. Pas volontairement. Mais il le font. Asra les laisse faire. Après, il est triste, et il ne le dit pas. Mais Muriel le sent juste à sa manière de poser sa tête contre son épaule. Ses boucles lui chatouillent le cou. Il sourit un peu. Souvent quand il sourit, Asra sourit aussi, et ça a l'air sincère.
— On pourrait passer à la pizzeria. Ma mère m'a laissé de l'argent.
— D'acc.
— J'appellerai.
Asra sait qu'il déteste le téléphone. Que ses doigts tremblent quand il doit poser le combiné contre son oreille. Il le fait toujours à sa place, sans attendre de remerciement.
— On regarde les menus ?
Les gens lui demandent, parfois, s'il aime Asra. S'il en est amoureux. Et Muriel n'a jamais su donner de sens à cette question. Il répond non, parce que c'est plus simple. Ça calme les rumeurs mais la vérité, c'est qu'il ne sait pas. Il n'est pas sûr de faire une grosse différence entre l'amour et l'amitié. Il sait qu'Asra est la personne la plus importante du monde pour lui, et ça lui suffit. Et si Asra aime quelqu'un d'autre, ça lui va aussi.
Mais il sait que Julian aime Asra, et il a peur qu'il le lui prenne. Peur qu'ils s'enfoncent tous les deux dans leur monde, et qu'ils disparaissent.
— Attends, c'est quoi une calzone ? Il manque la garniture.
— C'est un chausson.
— Oh. Je vais prendre ça je crois. Et toi ?
Il a peur parce que Julian apporte à Asra quelque chose qu'il ne peut pas lui donner. Parce qu'il pourrait le blesser en un claquement de doigt. Et qu'il ne s'en rend même pas compte.
Alors il ne l'aime pas. Il ne le déteste pas, non. Mais il regrette qu'Asra lui ait adressé la parole. Et il a peur du moment où ils ne parleront plus. Peur du moment où Asra ira encore plus mal.
— Margherita.
— Y a presque rien dessus. Tu veux pas un supplément ?
Il aimerait croire qu'il se trompe. Mais chaque fois qu'il les voit parler, Muriel entend l'orage qui s'approche lentement d'eux. La tempête. Et Asra est si léger.
Il suffirait d'une bourrasque pour l'emporter.
Et voilà. C'était chouette à écrire. J'aime beaucoup l'idée de Muriel jaloux, et c'est toujours chouette d'écrire sur sa relation avec Asra. J'y reviendrai à l'occasion.
A la semaine prochaine !
