Hey !

Oooups, j'ai oublié de poster hier. Encore. Pardon. Pour la peine, voilà un chapitre un peu plus long que d'habitude.

Merci à Ya pour sa correction ! Et à toustes celleux qui passent lire cette histoire.

Bonne lecture !


Comme une traînée de poudre

Asra

.

C'est gris, aujourd'hui. Gris pluie. Le ciel est blanc comme un nuage infini, la lumière lui brûle les yeux, et l'air pèse lourd autour d'eux. L'humidité ambiante redessine les boucles sauvages d'Asra, lequel ne cesse de repasser ses doigts entre. Un sourire enchanté le prend parfois, poussée par une pensée qui l'éloigne du cours.

De toute façon, il a maths. Et Asra n'a jamais été doué en maths.

Il n'est pas d'humeur à travailler ce matin. Sa main prend pour lui des notes qu'il relira vaguement ce soir, et Muriel l'observe sous sa tignasse charbonneuse. Le galopin passe ses yeux mauves derrière les fenêtres, le cœur en coton. L'air humide, la lumière blanche, le gris d'hiver qui avale les couleurs dehors, tout ça l'apaise et le calme. Pourquoi travailler, alors qu'il se sent bien ? Juste bien. C'est léger là, un frisson tendre qui lui donnerait presque envie de fermer les yeux.

— Tiens.

Sorti de la salle de cours, Muriel lui tend ses gants. Une paire trop large pour lui. Un peu abimée. Asra lui sourit.

— Garde-les. Tu vas te geler.

— Toi aussi.

Les grands doigts de son ami passent sur les siens. Ses paumes sont chaudes, et Asra réalise brusquement que les siennes sont engourdies, passées quelques minutes dehors. Il n'a jamais craint les températures, mais là, effectivement, sa peau s'éclaircit. Ses articulations luttent quand il les replie, et les gants de Muriel ont vraiment l'air chaud.

— Merci.

Il les prend, serre sa main au passage. Ça le réchauffe.

Est-ce que ce serait aussi agréable de prendre la main de Julian ?

Voilà, ça recommence.

Ça fait une semaine qu'il ne pense plus qu'à ça. Le creux de son épaule maigre, sa voix qui se perd de gêne et ses yeux pleins de rires maladroits. La pulpe de ses doigts entre ses boucles blanches, sous sa nuque. Julian ne l'a pas repoussé, quand il s'est calé contre lui. Au contraire.

Pourquoi il l'aurait fait ? Asra lui plait, c'est tellement évident. Il n'a pas mis longtemps à le griller. Et d'y penser, il recommence à sourire.

La manière dont Julian le regarde, ça lui fait quelque chose. Quelque chose qu'il n'a jamais ressenti avant. Il a déjà été amoureux pourtant, il connaît ce sentiment. Mais Asra sait qu'on n'aime pas deux fois de la même manière, et ce qu'il ressent quand ce drôle d'oiseau le regarde, c'est peut-être…

Oui. Peut-être. Il glousse tout seul.

— Ça va ?

— Oui.

Muriel l'observe pour mieux se détourner. Asra sent la grimace qu'il retient, mais il ne pose pas de question, et il se laisse guider jusqu'à la cantine.

Là, sa main se referme plus fort sur la sienne. Ils n'aiment ni l'un ni l'autre la foule qui s'amasse, la queue et le bruit. Les gens autour et les conversations qui s'emmêlent. Le regard de Muriel se plisse, et Asra hésite un instant. Il pourrait… Il sait que ce n'est pas bien, une mauvaise idée. Il le sent.

Mais il pourrait lui proposer de filer. Ignorer la cantine pour aller se poser sur un banc, derrière la cour. Arsa l'a déjà fait une fois ou deux. La direction remarquera que leurs noms manquent sur le registre de midi, mais ils ne s'inquièteront pas pour une absence . Au pire, ils pourront toujours dire qu'ils ont oublié de passer leur carte.

— Muriel ?

— Mm ?

Asra n'a pas faim de toute façon. Pas envie de manger. Il a déjà déjeuné ce matin. S'il doit aussi manger ce soir, ça lui fera trois repas. Trois, c'est… Il peut faire moins. Il fait souvent moins. Il aurait…

Il déglutit.

Il n'a pas besoin de manger autant.

— Il y a trop de monde. Je vais attendre au CDI.

— Ça avance vite.

— Pas tant que ça. Je reviendrai dans une demi-heure, il n'y aura plus personne.

Muriel le regarde, longtemps. Ses yeux sont plein de de soucis. Arsa se tourne vers la foule.

— Ça te fera peu de temps, pour manger.

— Je mange vite. Au pire je prendrai du pain pour grignoter en classe.

— C'est pas beaucoup.

— Je mangerai chez moi.

Cinq doigts chauds se resserrent autour des siens. Il le sent qui hésite, là. Muriel fait ce truc, quand il ouvre la bouche et la referme. Ses yeux le lâchent finalement pour partir sur la masse de monde, ses épaules roulent comme pour cacher sa tête. Pour se cacher du monde. Une immense tortue.

Et sa voix sort, tellement basse. Asra n'entend pas.

— Hein ?

Muriel se racle la gorge.

— Il faut que tu manges.

Il désigne le gymnase au fond de la cour, d'un geste de la tête.

— On a sport après.

— Je mangerai. Juste, j'irai plus tard. Quand y aura moins de monde.

Son ventre se noue.

— Ok ? Y a juste trop de gens, là.

C'est vrai. Asra déteste la foule, et Muriel aussi déteste la foule, alors il est bien placé pour comprendre. Ça les met mal tous les deux, le bruit, les odeurs et les mots qui se cognent. Le monde qui les empêche de penser. Il va juste…

Et quand bien même, il a déjà sauté des repas. C'est rien un repas, il ne va pas claquer pour ça. Une heure de sport, ça passe vite.

Mais ces yeux. Muriel ne l'avait jamais regardé comme ça.

— Eh ?

Un inconnu. Ils sursautent.

— C'est toi le gars en truc visuel, non ?

C'est un grand type brun qui débarque. Un visage vaguement familier, mais dont Asra pourrait jurer qu'il n'est pas avec lui en cours. Pas un Seconde. Pas un mec d'audiovisuel non plus, apparemment…

— Oui.

Il suppose que c'est à lui qu'il parle, puisqu'il le fixe.

Le type passe de sa trogne douce à Muriel, et inversement. Oh, évidemment. Asra sait déjà à quoi il pense, c'est un grand classique. Ça l'amuse. Il en faudra plus pour lui faire lâcher sa main.

— Tu veux quelque chose ?

— C'est vrai que tu sors avec Julian ?

Derrière lui, Asra surprend deux gars échanger un coup de coude. Ses potes, sans doute. Partis à la chasse aux ragots.

Ça, ça lui plait déjà moins.

Muriel se tend.

— Qui vous a dit ça ? Asra réplique.

Il caresse ses doigts, lui promet en pensée que tout se passera bien. Leurs regards pèsent encore sur leurs mains jointes, et la question lui semble d'autant plus ridicule. Enfin, ridicule. Ce serait mentir que de dire qu'il ne se passe rien entre lui et Julian. Leurs échanges glissent sur des terrains qu'il se plaît à explorer. Mais ça ne regarde personne. Et si Asra se joue des rumeurs, il doute que son nouvel ami - peut-être pas juste ami, d'ailleurs - en fasse de même.

— Non mais vous êtes toujours fourrés ensemble. On se posait la question.

Le mec hausse les épaules. Asra plisse les yeux. Il sent qu'il a autre chose en tête, des bouts de vérité qu'il ne dit pas. Ça tient au sursaut nerveux de ses doigts, aux mouvements hasardeux de ses yeux, mais ça lui saute au visage comme une odeur âcre.

Un mauvais pressentiment.

— Et ?

— T'as pas répondu.

— Vous n'avez qu'à lui poser la question.

Asra serait curieux d'entendre sa réponse, d'ailleurs. De savoir ce qu'il dit, quand il parle de lui. D'eux. Est-ce qu'il considère qu'ils sont ensemble ? Ils ne font que se tourner autour. Du peu de relation qu'il a eu, il n'a jamais considéré qu'il sortait avec quelqu'un qu'il n'avait pas au moins embrassé.

— Il veut pas répondre.

— Gars, un autre type intervient. Si c'est non juste dis-le, ça va. C'est qu'une question.

— Une question privée.

— Non mais on demande pas non plus si vous baisez.

Encore heureux.

— S'il ne veut pas répondre, je ne vois pas pourquoi je le ferai.

Julian n'a sans doute pas envie d'exposer sa vie privée aux yeux de tous, et Asra n'ira pas contre ça. Il hausse les épaules et ramène le bras de Muriel contre lui
Une idée lui traverse l'esprit. Ce n'est pas Julian qui les envoie, au moins ? Non. Ce serait tordu. Et dans ce cas, ils s'interrogeraient sur ses sentiments, pas sur la nature de leur relation. Hein ?

Il n'empêche que c'est fréquent, ce genre de magouille. Et Julian est toujours tellement gêné quand il le taquine.

— Non mais Jules c'est pas pareil, c'est un queutard qu'assume pas. Il a la tonne de casseroles au cul, c'est normal qu'il veuille pas répondre.

Tiens ? Ça, Asra l'ignorait.

— Qu'est-ce que ça change ?

— Tout le monde vient tout le temps le faire chier sur ses merdes.

Du froid dans ses mains. Il serre celle de Muriel.

— Alors que toi t'es gentil, quoi.

— C'est-à-dire ?

— Bah t'es pas du genre qui suce des queues derrière le labo de sciences.

— Très drôle.

Pas pour lui. Il se ferme, mais ça glousse derrière, des têtes se tournent et Muriel n'a définitivement pas l'air à l'aise. Asra sent les pensées qui l'envahissent, les yeux pleins d'éclats qui lui font ravaler son assurance. L'attention, et ce poids lourd d'une ignorance qu'il découvre brusquement.

Ces gens, ils plaisantent, hein ? Ou ils ne plaisantent pas, et il doit reconnaître quelque chose qui le dérange profondément, là. Ces types, ils en savent probablement plus sur Julian que lui. Ils le connaissent depuis plus longtemps.

— T'es pas au courant ?

Il ne prend pas la peine de répondre.

— Ah, mais t'étais pas ici l'an dernier, merde, le type reprend.

L'an dernier ? Qu'est-ce qu'il s'est passé, l'an dernier ? La question lui brûle les lèvres. Mais Asra les serre. Ça ne le regarde pas. Julian n'a sans doute pas envie qu'il écoute ce genre d'histoire. Il n'aimerait pas, lui, qu'on informe son entourage à son insu. Et qui lui dit que ces gars ne sont pas juste venu se jouer de lui ? Trois crétins venus jeter des rumeurs pour animer leur journée. Ça aussi, ça arrive souvent.

— Je m'en fous.

L'élève hausse les épaules.

— Il t'a jamais raconté.

— J'ai pas envie de savoir.

Les ragots, Asra s'en éloigne. Si sa curiosité l'enjoint à les écouter, il sait que quand on s'approche trop des rumeurs, on finit par y laisser son nom. Et il n'aime pas l'idée d'entendre les gens marmonner à son sujet dans les couloirs. Les drames, il a toujours su s'en tenir éloigné.

— Alors, vous êtes ensembles ou-

— Ça vous regarde pas.

Un éclat. La voix de Muriel écrase la conversation. Le vert de ses yeux s'assombrit alors qu'il fusille les trois loustiques du regard, et son bras puissant s'enroule autour des épaules frêles d'Asra.

— Laissez-le tranquille.

Il les menace d'un geste de la tête. De quoi ? Aucune idée. Mais l'ombre dans sa voix assèche leurs questions. Les visiteurs se concertent, haussent les épaules et s'éloignent finalement. Les regards alentours s'arrêtent un moment sur eux. Quelqu'un s'approche pour parler, mais le visage fermé de Muriel l'en dissuade. Ses deux grandes mains se posent sur les bras d'Asra.

Là, son expression s'adoucit.

— Désolé.

— C'est rien.

Peu à peu, les gens se détournent d'eux.

— Ce sont des idiots, Muriel marmonne.

Sans doute. Ou alors, ce sont juste des garçons curieux. Peut-être que ce sont des amis de Julian. Parce que Julian a beaucoup d'amis, au contraire d'Asra. C'est un des premiers traits qu'il a retenu chez lui, cette énergie chaotique qui le pousse à aller faire la conversation partout. Tout le monde le connaît.

Et ça veut dire que, bientôt, tout le monde connaîtra Asra.

— Je vais aller attendre au CDI, il maintient.

Cette fois, Muriel n'insiste pas.

— Je te ramènerai quelque chose.

— Merci.

Il a envie de se serrer contre lui, mais les autres vont encore les fixer. Et si les questions à leur sujet ne l'ont jamais dérangé, elles lui nouent brusquement l'estomac. Asra se moque de ce qu'on peut penser de lui, dans une certaine mesure. Il y a des rumeurs qui l'amusent.

Mais il y en a qui l'angoissent, et il réalise brusquement qu'il n'aura aucun contrôle sur celles-là.


C'est pas un chapitre très joyeux, mais les rumeurs au lycée - et leur impacte - c'est un sujet que je voulais aborder avec cette histoire. La manière dont on est perçus, l'impacte du regard des autres sur soi et l'impossibilité d'avoir un contrôle là-dessus.

Voilà voilà.

A la semaine prochaine !