Hey !

Voilà un chapitre où je me suis éclaté à l'écriture. J'ai envie d'en faire plus, des comme ça. En fait j'adore les échanges et les dialogues - d'ailleurs le prochain chapitre sera aussi assez dynamique niveau blabla. Bref !

Merci à Ya la merveilleuse pour sa relecture !


Comme une traînée de poudre

Julian

.

— Alors comme ça ça drague en maternelle ?

— Très drôle.

Julian aime bien Natiqa. Elle est cash et sans gêne, mais elle ne juge jamais ses merdes et elle partage son goût du drame. La partenaire parfaite pour faire le tour des rumeurs du lycée. Le genre de pote avec qui partager ce qu'il y a de plus honteux dans son humour et ses bassesses dans s'inquiéter de ce qu'elle en pensera. Tant pis s'il dérape. Au pire, elle en rira.

Puis elle est aussi lesbienne qu'il est gay, il sait qu'elle n'ira pas chasser sur son terrain. Enfin, chasser. Il pense à Asra, et le mot lui fait honte. Il ne chasse pas Asra. Il… Ce qu'il y a entre eux, c'est beau. Rien à voir avec les coquilles qu'il planque sous le tapis.

— Mec, il est en Seconde.

— C'est un pote.

— Mon cul. Je vais devenir grave pote avec ta soeur, tu vas adorer.

— Meuf, non !

Julian se redresse.

— Quoi ?

— Elle a treize ans ! il proteste. Puis c'est ma sœur. Ça se fait pas.

— Tu sais à treize ans, y en a qui ont déjà-

— Je veux pas savoir.

Elle glousse. Oh non. Maintenant il va imaginer des trucs. Et elle le sait. Merde.

— Pas Pasha, il tranche.

Un éclat de rire aussi vif que le bleu de ses cheveux sort de la gorge de Natiqa. Allez, qu'elle se marre. C'est sa sœur, évidemment qu'il n'a pas envie qu'on touche à elle. Elle est encore petite, avec son sourire de ferraille et ses taches de rousseurs plein le visage. Il n'a pas envie d'imaginer qu'on puisse- Non. Non Non. Pas sa petite Pasha.

Elle lui aurait dit si elle avait un copain, hein ?

— Puis Seconde et Quatrième, c'est pas pareil.
— Ouais, lui il a plus d'appareil dentaire.

— Ça nous fait que deux ans d'écart.

— L'écart entre vous tient surtout de votre palmarès sexuel, gars.

Il déglutit. Pas faux. Il y a relativement peu de chance pour qu'Asra ait déjà accompli les exploits qu'il amasse - et qui ne font pas nécessairement sa fierté. Déjà, l'angelot n'est pas très fêtard. Julian ne l'a jamais entendu parler des soirées auxquelles il participe, en tout cas. Et il n'a pas l'air d'avoir masse d'amis ici, Muriel excepté. Tout son connaît des gens. Des tas de gens. Et tout le monde le connaît. Surtout depuis-

— Tu lui a dit, pour la fois où t'as fini chez la CPE ?

— Non.

Plutôt crever..

— Mec, tout le monde est au courant au lycée. Il va finir par l'apprendre, tu sais ?

— Ça date. Les gens en parlent plus.

— Plus face à toi.

Julian tique.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Fais pas genre, t'as compris le truc.

Oui. Ou non. Il espère que non. Un froid malade monte dans son torse alors que sa bouche s'assèche. Il doit perdre quelques couleurs, parce que le regard de Natiqa se calme brusquement. Elle soupire.

— Y a des rumeurs.

— Du genre ?

— Y se passe jamais rien dans ce lycée de ploucs. Dès qu'y a un peu d'action, les gens causent pendant des lustres.

Un peu d'action. Il n'aurait pas qualifié sa… malencontreuse histoire, ainsi, mais soit.

— Ça fait un an.

— C'est pas le temps le problème, Jules.

Il déteste ce surnom.

— Les gens oublieront pas tant que tu seras là. Ils te voient et bam, c'est vrai, t'es le mec qui s'est fait choper en train de sucer machin derrière les labos. Ou la meuf qu'a raté une semaine de cours quand elle a avorté.

Elle passe ses doigts le long des tresses qui enserrent son crâne.

— Tu vois le tableau.

Julian se mord la lèvre. Il se sent con, là. Et en même temps, ça lui fout des coups d'angoisse dans le bide. Ces histoires de merde. C'est son problème, si… Enfin, maintenant, c'est le problème de tout le lycée. Mais ça ne devrait pas. Ce n'est pas juste. Pas juste que les gens parlent, surtout, pas juste qu'ils crachent sur lui et pas sur le type qui avait sa queue dans sa bouche. Ils étaient deux dans cette histoire, aux dernières nouvelles.

Il se rappelle encore de la tête de sa tante quand elle est venue le chercher. Pas qu'elle était vraiment choquée. C'est sa tante, elle sait qu'il bat de l'aile et qu'il n'éprouve aucun interêt pour les meufs. Puis c'est une Devorak. Elle en a fait, des conneries. Mais elle le zieutait comme une bête curieuse qui la désespérait.

Au lycée ? Mon chéri, mais tout le monde peut voir l'arrière des salles de sciences depuis le terrain de basket.

Ce n'était pas la réponse que la pionne attendait, vu le hoquet qu'elle a lâché.

— 'chier, il marmonne.

— J'te le fait pas dire.

Il devrait peut-être dire quelque chose, pour… Elle. Tout le monde sait. Ça cause à la vie scolaire près des oreilles indiscrètes, et deux jours après c'est toute la cour qu'est au courant. Julian connait la machine. C'est pour ça qu'il ne se planque pas, d'habitude. Pas la peine, tout finit par se savoir.

— C'est naze, pour toi. Que les gens aient balancé ça.

— C'est des chiens. Tu leur files un os, qu'est-ce que tu crois qu'ils vont en faire ?

Elle hausse les épaules, roule sur le ventre et chope une clope. Anged ne les a toujours pas rejoint. C'est à lui qu'il taxe des cigarettes, d'habitude, mais Natiqa n'est pas radine.

— Franchement j'suis pas mieux.

Elle adore les ragots. C'est bien connu, dès qu'il y a une merde quelque part, elle est au courant avant tout le monde. Mais elle ne fait pas tourner l'info, elle. Elle adore savoir, mais quand elle entend de vraies merdes, c'est une tombe. Impossible de lui faire cracher le truc. Le genre de divinité chaotique qui admire la fin du monde en agitant la main de loin.

Elle capte son regard posé sur son paquet et l'ouvre dans sa direction.

— Merci.

— T'es vraiment un crevard. Achète tes propres paquets.

— Le gars du bar sait que je suis mineur, il connait ma tante.

— Bah file moi dix balles, j'irai t'en chercher un.

Elle va garder la monnaie. Remarque, Dix balles, il doit bien avoir ça quelque part dans un tiroir. Il faudra qu'il y pense à l'occasion, ça fait deux semaines qu'il a terminé son dernier paquet. Et c'est chaud à voler, ça.

Il se redresse, le cul dans l'herbe. Le mois de Novembre est exceptionnellement chaud cette année, un soleil pétant illumine le ciel. Ça fait du bien, mais le vent lui gèle les bras. L'hiver se rapproche.

— Il te plait vraiment, le petiot ?

— C'est pas un petiot.

— S'tu veux.

Elle rit, il soupire. Elle a décidé qu'elle avait raison, inutile d'insister.

— Mais ouais. Il me plait.

— T'es mordu.

Oui. Et jusqu'à maintenant, il n'avait jamais pensé aux rumeurs qui couraient encore autour de lui. Julian pensait bêtement qu'Asra était une sorte de renouveau, pour lui. Une histoire légère, loin des casseroles qui tintent dans son dos. Il a fait des trucs… Des trucs pas très propres, il sait. Des trucs qui se savent, apparemment. Il fait avec. Mais il ne pensait pas que ça pouvait remonter aux oreilles du garçon qui lui fait oublier ses fiches de révisions.

— Il est vraiment…

— Mineur ?

Il éclate de rire. Merde, sérieusement ? Elle va pas le lâcher avec ça, hein ?

— Merveilleux. Et je suis mineur aussi.

— Jusqu'en mars.

Ça lui secoue le torse sous le soleil d'hiver, alors qu'il inspire la fumée qui vient tapisser sa gorge. Il aime ce goût. Cette odeur de feuille cramée. La chaleur qui monte et gratte l'intérieur de son corps. Est-ce qu'Asra fume, lui ? Parfois il sent l'herbe, mais Julian ne l'a jamais vu rouler de joint. D'un autre côté, il ne l'a jamais croisé en dehors des cours.

Peut-être qu'il devrait lui proposer un rendez-vous ? Une sortie au ciné, ou un truc à la con dans un parc. Avec ses économies il devrait pouvoir payer une place pour un film et un tacos. Quoi que, non. Asra ne mange pas de viande. Est-ce qu'il y a des tacos végétariens ?

— Il est gay au moins ?

— Je sais pas.

— Attends, vous avez jamais parlé de ça ?

Non. Ce serait trop flagrant.

— L'occasion ne s'est pas présentée, il déclare.

— Il a peur de se faire remballer, Anged lance.

Julian sursaute et roule. Il ne l'avait pas entendu arriver, son cœur cogne aussi vite qu'un hamster sprinte dans sa roue.

Le grand corbeau échange un sourire entendu avec Natiqa alors qu'il se pose près d'eux, son manteau étalé sur l'herbe.

— Alors là, absolument pas ! il s'offusque.

Complètement. Si Asra le grille et qu'il lui fout un rateau, sa vie est finie. Il ne s'en remettra jamais. Le coeur en miette, il ne lui restera plus qu'à ramasser ces morceaux brisés de lui-même en attendant de quitter ce lycée plein de souvenirs maudits, et-

— Gaffe Jules, Natiqa ricane. Il va te passer sous le nez. Son pote a pas l'air désintéressé.

— Muriel ? Non, il est… C'est pas comme ça entre eux.

Ou peut-être que si. Il faudrait qu'il lui demande, mais ça ne le regarde pas, et… Et c'est tellement plus simple quand il n'est pas amoureux. Ou pas amoureux de quelqu'un comme Asra, en tout cas. Il s'en fout bien, de se faire jeter par un type qui fait cogner son cœur depuis une semaine. Au pire quoi ? Il chiale un bon coup, sa vie est finie, et il repart au prochain gars qu'il croise. Mais Asra, il le connaît. Il peut passer des heures à échanger avec lui. Ses grands yeux mauves, ses rires d'étoile, c'est… Ça lui fait du bien. Vraiment.

Si jamais Asra découvre ce qu'on dit sur lui, est-ce qu'il aura encore envie de lui parler ? Sans doute pas. C'est un bon gars, une étincelle dans le vent. Il mérite mieux qu'un mec comme lui, avec une réputation pourrie et une tendance à s'abîmer les genoux dans des soirées trop arrosées. Asra n'a sans doute jamais fini ivre à deux heures du matin, le contenu de son estomac répandu dans les chiottes d'un pote. Il se respecte.

— Est-ce qu'on a vraiment besoin d'aller en maths ? Natiqa déclare alors qu'elle écrase son mégot.

— C'est coef 7, Anged rappelle.

— J'aurais dû faire ES.

C'est vrai qu'un soleil pareil, ça ne donne pas envie d'aller en cours. Un soleil, ça donne juste envie de fermer les yeux pour profiter. Et Asra…

Asra est un soleil qu'il ne mérite sans doute pas. Mais il a quand même envie de lui envoyer un message, là. De le retrouver après les cours, de passer la soirée contre lui. Pas forcément pour baiser. Non, ils pourraient juste parler, et Julian serait heureux.

Natiqa a raison. Il est mordu.

Et s'il veut s'éviter de sales histoires, mieux vaut qu'il aborde lui-même les sujets qui fâchent.


J'adore écrire les ados au lycée, surtout en dernière année. Surtout les ados pas forcément safes et paumés qui sèchent les cours. Et Natiqa est particulièrement satisfaisante à écrire, je l'aime fort. On la voit trop peu.

Voilà pour cette semaine ! (J'ai encore posté en retard, maiiiis Dimanche c'était journée crémaillère. Normalement je serai au rendez-vous Dimanche prochain.)

A bientôt !