Hey !
J'ai un jour de retard mais, pour ma défense, hier c'était journée tatouage et je me suis endormi comme une masse le soir venu. Donc voiiiilà. Votre chapitre arrive aujourd'hui. En plus il est long. En fait, une bonne partie des chapitres qui arrivent son long. J'ai débordé. Oups.
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
A travers la nuit
Julian
.
— Chaton ? Tu n'aurais pas dix euros sur toi, par hasard ?
Julian checke la date sur son téléphone. 30 Octobre. Soit sa tante a encore été payée en retard, soit le passage des factures a fait plus mal qu'il ne pensait.
— Je vais voir.
Ça le saoule. Il n'aime pas quand elle vient leur demander de l'argent, à Pasha et lui. C'est… Il ne saurait pas le dire avec des mots, mais ça le crispe. Comme un signal d'alarme. Il sait qu'elle prend soin d'eux, elle trouve toujours de la nourriture à mettre dans leur assiette depuis qu'elle les a pris sous son aile. Mais ça le gêne, qu'elle leur taxe des tunes pour s'acheter des clopes.
Il ouvre son porte monnaie. En trouvant le billet, il déglutit. Il ne lui restera rien pour ramener à boire à la soirée d'anniversaire de Natiqa, s'il le lui file. Autant dire que ce sera mort pour inviter Asra. Pourquoi est-ce qu'il lui a proposé ça ? Quel con. Il faut qu'il arrête de draguer au milieu de la nuit.
Mais Asra a dit oui. Asra est ok, et ça le touche autant que ça le flippe.
Asra est sérieusement intéressé par lui. Ou alors, il se fait des idées. Il sort souvent avec Muriel, à tous les coups. C'est juste un truc de pote, voilà, juste-
Il pourrait vendre les fringues qu'il ne porte plus. Oui. Ça lui ferait des sous de côté.
— Désolé Tata, il lâche finalement.
— Merde.
Il l'entend pester d'ici, le cœur en deux morceaux. Le soulagement se mêle à la culpabilité. Il ne devrait pas faire ça. Pas à quelqu'un qui prend soin de lui depuis que ses parents sont morts.
— C'est pas grave, elle lâche.
Et il la regarde qui retourne son sac sur la table. Oubliés, ses airs distingués de grande dame. Elle fouille, jure et sort son paquet de tabac vide. Il déglutit.
— Laisse. Je vais trouver.
Elle sourit, genre tout est Ok. Julian devrait en profiter pour remonter sa chambre, mais le poids de l'angoisse ancre ses pieds sur le plancher mal raboté. Elle s'est bien habillée, donc elle va sortir, elle aussi. Pasha sera seule à la maison. Peut-être qu'il devrait annuler et rester avec sa petite sœur. Elle sait se garder toute seule, mais qui sait ? Elle fait encore des cauchemars. Elle aura peut-être besoin de quelqu'un au milieu de la nuit.
Le cœur dans la gorge, il file au bout du couloir retrouver son lit et son portable.
[T'as pas intérêt à me laisser tomber ce soir !]
Natiqa. Il y aura sans doute du monde à sa fête. Elle a beau râler, Julian doute qu'elle remarque son absence s'il décommande. D'un autre côté, les fiches qu'il a révisées toute la journée tournent encore dans sa tête. Il a besoin de bruit, de monde, d'une cuite digne de ce nom et d'une nuit courte pour lui remettre les idées en place.
[Tkt, je suis en route]
Voilà. Il s'est piégé, impossible d'annuler.
Il fouille dans son armoire, attrape une veste qu'il abandonne finalement sur le lit. Il fait froid, mais Julian n'a pas froid. Il chope un débardeur noir, un de ses hauts en résille et un slim qui transforme ses jambes en allumettes. Les chaînes pendent le long de ses cuisses. Un coup de maquillage volé au supermarché du coin, et il scrute l'ensemble dans le miroir de la salle de bain. Un collier. Il lui faut un collier. Un en cuir, épais.
Voilà. Là, c'est parfait.
— Je sors ! Envoie un message si t'as un problème, il lance à sa petite sœur chérie en filant.
— Rentre pas trop bourré ! J'ai pas envie de t'ouvrir à quatre heures du matin !
Il passe dans le salon, où sa tante retourne encore les tiroirs et- Oh. Oh non.
Il connaît ce visage.
Elle s'est arrêtée devant une des étagères, un petit carré de papier entre les mains. Une photo. Photo de classe de maternelle, où figure une jeune fille aussi rousse que Portia, le visage piqué des mêmes tâches brunes. Sauf que ce n'est pas Portia. Son corps est plus fin, son sourire moins franc. Elle doit avoir quatre ou cinq ans. Pas plus. C'est impossible.
Il ravale sa salive.
— Tata ?
La Devorak sursaute, comme tirée d'un rêve. Son air figé laisse place à la surprise que la tenue de son neveu lui évoque. Elle cligne des yeux.
— Oh, tu sors ? Attends, dis-moi où tu vas, je vais te déposer. C'est loin ? Tu rentres à quelle heure ?
— C'est bon Tata, y a des métros tard.
— Tu es sûr ? Les métros, la nuit-
— Sûr.
Il inspire, alors qu'elle repose la photo dans le fond de tiroir où elle l'a trouvée. Il voudrait la prendre entre ses doigts pour la regarder une dernière fois. Ces bouches familières, et ce minois que le temps a déjà effacé de sa mémoire.
— Fais attention à toi.
Elle est trop sérieuse. Ça le met mal.
— T'inquiètes.
Nat et Anged seront là. Le pire qui puisse lui arriver, c'est de s'endormir sur le paillasson senteur pisse de chat et de se réveiller avec une méga migraine. Il y survivra.
Elle hoche la tête, mais ses yeux ne suivent pas. Ils ont brusquement perdu leurs étoiles.
Oh non.
Merde. Il ne devrait pas faire ça. Mais s'il commençait à lister tout ce qu'il fait malgré le sens commun, il raterait la soirée d'anniversaire de sa pote.
— Tiens. C'était dans une poche de mon jean.
Il sort les dix balles du fond de son porte monnaie et les pose sur le rebord de la table pour ne pas avoir à toucher sa main.
Plus tard, elle les lui rendra. Quand elle trouvera miraculeusement de la thune, que les aides seront tombées ou qu'elle touchera une prime. Et tant pis si ça n'arrive jamais, c'est juste de l'argent. Vu comme il passe son temps à taxer des clopes de ci de là, les gens ne s'étonneront pas de le voir débarquer les mains vides. Crevard et queutard, il a déjà forgé sa réputation.
— Tu es un ange ! elle s'exclame. Je te les rendrai vite.
Elle ébouriffe sa tignasse, force une accolade qui crispe tout son corps de sauterelle et s'en retourne récupérer son sac.
— Pense à prendre tes clefs ! Et préviens-moi si tu dors là-bas. Je vais me faire un sang d'encre, sinon.
— Promis, Tata.
S'il n'a pas trop bu. Et s'il ne s'endort pas avant d'y penser. Oh, et s'il lui reste de la batterie.
Mais avec un peu de chance, il tiendra encore suffisamment sur ses jambes pour rentrer tout seul.
.
Troisième étage. L'ascenseur est minuscule mais Julian est aussi épais qu'une nouille instantanée, il est mal placé pour se plaindre. Pour Pasha, ce serait déjà plus compliqué de rentrer. Mais Pasha a treize ans, et elle ne fait pas de fête pleine d'alcool et de capotes plaqués dans la poche arrière d'un jean.
Zut. Il a oublié les siennes.
Oh, il n'a même pas prévu de baiser, pourquoi il pense à ça ? Ce ne serait pas cool vis-à-vis d'Asra. Pas s'il envisage quelque chose de sérieux avec lui. Il faut qu'il arrête de déconner, pour ça, et…
— Laisse moi deviner. T'as juste ramené ta merveilleuse personne ?
Natiqa hausse un sourcil alors qu'elle le contemple sur le seuil de l'appart.
— Exactement.
— J'aurais préféré un pack de bières.
Julian prend un air outré.
— Tu préfères te saouler plutôt que de passer la soirée avec moi ?
— Carrément mec. Déso, mais tu fais moins d'effet qu'un shot de vodka.
Julian se pâme avec tout le talent dramatique dont il se sait capable, puis il entre sur un soupir résigné. Dedans, ça sent déjà la sueur. Les gens bougent dans le salon. Autour d'une table basse déjà pleine de bouteilles. Il se demande comment ses parents peuvent laisser faire ça avant de se rappeler que ses parents ne vivent pas ici. Et que sa tante serait la première à lui laisser une bouteille de blanc sur la table, si elle avait assez d'argent pour ça.
— Désolé, je suis à sec.
— Pour changer.
Natiqa s'en fout, en témoigne son rire fractionné. Elle ajuste son chignon et s'avance dignement vers la pièce principale, où s'agitent déjà une dizaine de personnes. Pour un deux pièces, c'est pas mal. Combien ça coûte un truc comme ça ? Trop pour que Julian s'installe dans un appart aussi spacieux l'année prochaine. Il terminera dans une chambre étudiant à manger des pâtes. Il sera riche plus tard, quand il ouvrira le ventre des gens pour en sortir des tumeurs.
— T'oublies pas un truc ? elle lance.
— Faut laisser ses chaussures à l'entrée ?
— T'es con, Jules.
— Eh, je suis pas- Oh, Joyeux anniversaire ?
Merde. Un cadeau. C'est ça qu'il a oublié. Oh, la gaffe. Il aurait dû garder ce putain de billet.
— Je préfère.
Mais Natiqa ne réclame rien. Elle décapsule une bouteille de bière d'un coup de briquet avant de la lui tendre, et elle l'abandonne là pour disparaître dans une autre pièce. Julian se retrouve seul, sa boisson à la main.
En toute honnêteté, il n'est pas fan de bière. Ça lui fait cogner le cœur aussi vite qu'un cheval de course, mais il n'est pas en position de faire le difficile.
Est-ce qu'Asra aime la bière ? Non. Il a une tête à boire… A ne pas boire, en fait. Mais s'il devait choisir, il opterait pour un truc doux et sucré. Du vin blanc. Ou un cocktail. Un liquide plein de couleur qui pétille sur la langue. Un arrière goût piquant qui enflamme les entrailles.
— T'as sorti le nez de tes fiches ?
Julian sursaute. La voix d'Anged est toujours un peu plus grave quand il a bu. Grave, et lente.
— J'ai révisé ce matin.
— Bac ou médecine ?
— Médecine.
Et vu la taille du programme, il ne voit pas comment est-ce qu'il pourrait apprendre tout ça en une année. C'est impensable. Immense. C'est…
Il boit une gorgée de plus. Plus tard, il paniquera.
La fête commence vraiment alors qu'il se laisse tomber dans un canapé défoncé, celui-là même qu'il a monté sur trois étages avec Natiqa pendant l'été. Il retrouve des têtes familières, des gens qui ne sont pas ou plus du lycée. D'anciens Terminales. C'est l'occasion de prendre des nouvelles.
Julian termine cette bouteille, et une autre. Il dévore trois olives et un paquet de chips, de quoi se donner une illusion de satiété. Assez d'alcool pour rire sans comprendre ce qu'on lui dit, danser avec le premier venu et laisser passer les heures. Demain, c'est Dimanche. Dimanche des vacances. Pas de cours à rater. Juste des révisions, et une longue matinée à décuver. Et s'il n'a plus de bus à cette heure, il pourra toujours rentrer à pieds.
— T'es encore au lycée ? Sérieux ?
Julian sourit maladroitement. Il ne sait pas comment faire comprendre à la fille face à lui qu'il n'est vraiment pas intéressé. Elle a sa main sur sa cuisse, et… Anged passe non loin. Il lui lance un regard alerté. Son poids tombe brusquement près du sien, suivi d'une vague de soulagement.
— Y a pas quelqu'un qui aurait une clope par ici ?
— Désolée, son interlocutrice répond.
— Moi.
C'est faux. Mais Julian s'empresse quand même de répondre.
— On va s'en griller une sur le balcon ? il ajoute.
Ledit balcon est aussi chaud que la neige au fond du frigo, ses bras nus hurlent au supplice, mais le futur chirurgien ne s'en formalise pas. Il ne dit rien non plus quand son pote lui tend lui-même la clope qu'il a prétendu avoir, et il cale le filtre entre ses lèvres. La vue n'est pas si mal au troisième étage. Il admire une mer de toits et un morceau de parc qui pointe.
— Tu pouvais pas juste lui mettre un râteau ?
— La situation était délicate.
Julian est passé maître dans l'art de draguer. Mais dans celui de se faire draguer, il manque encore d'expérience.
— Délicate ?
— Elle avait sa main…
— Sur ta cuisse. J'ai vu.
Anged hausse un sourcil.
— Tu sais pas dire non.
Alors ça. Julian hausse un sourcil outré.
— Pardon ?
— Quand les gens te demandent un truc, tu te sens toujours obligé d'accepter.
C'est désespérément vrai, mais il n'a pas envie de le reconnaître.
— Ça m'arrive, de refuser.
— Cite-moi un seul exemple.
— J'ai rien apporté pour l'anniv de Natiqa.
— Parce que t'es fauché. Ça a rien à voir.
Il soupire. Tape sa clope au-dessus du balcon et regarde les cendres emportées par le vent.
— L'année dernière, j'ai mis un râteau à Vulgora.
— Mis un râteau ? Gars, tu l'as ghosté-e pendant les vacances de Noël et t'as tout fait pour l'éviter après. C'est pas un rateau.
— Ça revient au même.
— Non, justement. Tu lui as pas dit non.
— On en arrive au même point. C'est tout ce qui compte.
Il n'aurait pas dû évoquer cette histoire. C'était nul de sa part de planter Vulgora comme ça, mais dès que cette histoire de pipe s'est répandue dans le lycée… Il ne pouvait pas faire face. Pas à ça.
D'y repenser, il réalise qu'il n'a toujours rien dit à Asra. Il s'enquille d'un coup le reste de sa bouteille.
— Tu voulais pas inviter Asra ? Anged enchaîne.
— Il est occupé.
Il a refusé. Et puis, c'était une mauvaise idée. Il y a trop de gens, ce monde d'alcool qui coule jusqu'au milieu de la nuit ne lui ressemble pas. Il se serait sans doute senti mal. Peut-être que c'est pour ça qu'il a décliné ? Il a dit qu'il n'était pas fêtard, mais...
Et si c'était un râteau ?
Oh non.
— T'es complètement mordu.
— Je vois pas de quoi tu parles.
— Tu viens de perdre deux tons de couleurs.
Deux tons ? Impossible, il est déjà pâle comme un cul.
— Je pensais à autre chose.
Peut-être que c'est un râteau. Il est plus vieux, moins intéressant. Il ne brille pas comme Asra, et… Et s'il avait déjà entendu parler de sa malencontreuse aventure derrière le labo ?
Il déglutit.
— Bien sûr.
Il termine sa clope d'une longue inspiration, laquelle lui brûle la gorge. Il doit fournir un immense effort pour ne pas se mettre à tousser.
Si Asra sait…
Seigneur. Il le savait bien que ce n'était pas possible entre eux. Ils sont trop différents. Et Asra finirait forcément déçu. Julian est doué pour ce qui est de séduire, mais il l'est encore plus doué pour tout faire foirer.
Il doit se concentrer sur ses études, de toute façon.
Sa pause terminée, il se tourne et rentre dans le salon. Il va pour s'installer dans le canapé où il discutait quelques minutes plus tôt, mais la jeune fille qui partageait sa discussion n'est plus là. Un autre type a pris la place. Grand. Une tignasse sombre pleine de mèches blanches décolorées, l'oreille percée d'un écarteur. Deux épaules solides et une paire de jambes longues, des gestes d'une lenteur calculée.
Quand ce regard profond se tourne vers son être minuscule, Julian ne peut rien contre le frisson qui dévale sa colonne.
Et voilà ! Ça vous a plu ?
Julian est une catastrophe, mais c'est ce qui le rend cool à écrire. (J'ai déjà dit que j'adorais Natiqa ? Je veux une route avec elle.)
J'ai récupéré pas mal d'avances sur mes chapitres, dont pour l'instant le rythme d'un par semaine se maintient.
A la prochaine !
