Hey !

Le chapiiitre du jour. Il est chouette, je me suis éclaté dessus et j'ai encore plus hâte de poster le prochain. (Et j'ai déjà perdu mon avance, je vais devoir carburer pendant le camp nano de Juillet.)

Merci à Ya pour sa relecture !

Et bonne lecture à vous !


La peur tapie contre les murs

Julian

.

Le café est assez cool. Ce n'est pas le genre d'endroit où Julian traîne, mais il aime l'ambiance posée, les plantes à l'entrée et les tons qui onscillent entre le jaune et le vert. La vitrine transparente laisse voir un espace hors du temps, et la sérénité qui s'en dégage l'attire autant qu'elle le répulse. Ça ne lui ressemble pas. Mais ça lui plait.

L'endroit n'est pas plein, étonnant pour un mercredi après-midi. Les autres élèves ont dû préférer la salle de cinéma au café.

Julian zieute son portable. Pas de nouvelles. Son dernier message reçu remonte à dix minutes, et Asra y assure qu'il est dans le bus. Il faut combien de temps pour arriver à la place de la Trinité, depuis chez lui ? Est-ce qu'il ne risque pas de se perdre ? Le garçon bohème lui a dit qu'il n'avait pas l'habitude de sortir. Pas étonnant, vu son meilleur ami. Mais Julian aurait dû anticiper. Il aurait pu lui proposer de venir le chercher et-

Non. Asra n'est pas un bébé. A quinze ans, Ilya se débrouillait très bien tout seul dans les rues du quartier, il faut qu'il arrête de paniquer pour un rien.

Mais quand même. Pour un premier rendez-vous, il aurait pu-

Le bus.

Le véhicule s'arrête devant l'arrêt près du café, et le grand oiseau se précipite devant le panneau d'arrêt. Il scrute. Deux types descendent par l'avance, et derrière… Une tignasse blanche. Son cœur éclate.

— Salut !

Asra l'entend et s'approche, tout sourire. Il flotte dans un pull trop grand, gambade jusqu'à son niveau. Les manches qui tombent sur ses mains s'agitent au rythme de ses pas, à l'instar de la drôle de tresse qui part de sa nuque. Une tresse ? De mémoire, Asra n'a pas les cheveux assez longs pour ça.

Enfin à sa hauteur, Julian comprend que c'est un de ces assemblages de fil dont il oublie toujours le nom. Un mélange de bleu, de rose, de blanc et d'or qui descend jusqu'au torse lisse d'Asra.

Asra. Il est là.

— Ça a été, pour le trajet ?

— Nickel ! le garçon s'exclame. Et toi ?

— Je suis… erk, venu juste après les cours. J'avais des trucs à voir.

Il a fait du repérage pendant deux heures. Listé tous les coins du quartier susceptibles d'intéresser son date. Il a repéré un magasin de perles, et un autre plein de fringues qui ressemblent à celles qu'il porte. Un truc un peu hippie pas bien cher.

En soit, ils ont juste prévu de passer une après-midi au café, mais il fait beau malgré le froid et…

Et Asra vient de lui prendre la main comme si de rien était.

— Alors, c'est ici ? il demande en désignant l'enseigne.

Hello Tea. Julian déglutit.

— C'est ça.

— Tu m'invites ?

— Je- oui, bien sûr, c'est…

Ok. Il a récupéré les dix euros que sa tante lui devait et même un peu plus, en revendant de vieilles fringues en ligne. Il devrait pouvoir se le permettre. Techniquement. Selon ce qu'Asra commande, c'est-

— Eh, Julian. Je plaisante.

Parfait. Maintenant, il se sent stupide. Mais il a quand même envie de l'inviter. De l'entendre rire comme ça, son ventre grouille. Sa voix claire disperse les nœuds dans sa tête alors qu'ils entrent dans le café.

Ils trouvent une table près de la vitrine. La buée leur cache une partie de la vue, mais ils profitent pleinement de la lumière de l'extérieur.

La lumière qui glisse entre les boucles d'Arsa, perdue en dizaines de petits moutons agités. Il sent encore la chaleur de ses doigts dans sa main.

— Alors, c'était comment, ta dernière semaine de vacances ?

Ils ne se sont presque pas croisés depuis la rentrée. Et Julian mentirait, s'il disait que ce n'était pas de sa faute.

Il n'a rien contre Asra, au contraire. Il est… C'est Asra. Il n'y a pas de mot. Anged a raison, il est complètement mordu. Mordu d'un type qui a accepté de s'asseoir à la même table que lui, les yeux posés sur la carte du salon. Mordu d'un garçon qui n'a rien à voir avec les mecs qu'il rencontre en soirée, avec qui il termine le pantalon baissé, à faire des choses qu'il n'imagine clairement pas Asra faire. Mordu d'un angelot qui ne ressemble pas aux hommes qu'il a largués, avant, et à ceux qui l'ont largué. Parce que Julian se fait larguer. Il a un don pour ça.

— J'ai pas fait grand choses, mes parents bossaient la deuxième semaine.

— Ah ?

— Mon père donne des cours à la fac. Et ma mère gérait les cours de rattrapage dans son lycée. J'ai passé plus de temps chez Muriel que chez moi.

— Cool, c'est… ah, Muriel habite près de chez toi, c'est ça ?

— À trois arrêts de bus !

Asra n'a rien à voir avec ce qu'il a connu avant. Alors il ne comprend pas pourquoi il a accepté son invitation. Il est trop… Qu'est-ce qu'il attend d'un type comme lui ? Est-ce qu'il lui plaît ? Julian voudrait lui plaire. Et en même temps, il est terrifié à l'idée que cet incroyable garçon s'attache à lui.

Il appréhende le moment, inévitable, où il le décevra. Décevoir, c'est un de ses nombreux talents.

— Ah ouais, c'est près. J'imagine que vous vous voyez souvent.

Pourquoi il a dit ça ? C'est stupide. Asra vient de lui dire qu'il avait passé la moitié de ses vacances avec lui.

Ça a au moins le mérite de le faire rire.

— Qu'est-ce que tu vas prendre ? l'ange bouclé lui demande.

Son ton de petit chat curieux. Il a l'impression qu'il pourrait sortir les griffes d'un instant à l'autre - et ça ne lui déplairait pas.

— Un café, évidemment.

Son sourire s'allonge. Julian a une réputation à tenir, et elle implique un certain nombre de cafés par jour.

— Noir comme mon âme.

Il fait tinter les bracelets à ses poignets, desquels pendouillent des chaînes qu'il a lui-même rajoutées. Du faux cuir, acheté d'occasion sur Vinted comme la majorité des habits qui composent sa garde robe. La mode alternative à un coût qu'il n'est définitivement pas capable d'assumer.

Il joue avec le zip de sa veste avant de pencher ses yeux sur le menu. Qu'est-ce qu'ils proposent, ici ?

— Ils ont du café au lait, Asra souligne.

Du café au lait ? Ça ne ressemble clairement pas à ce qu'il-Oh.

Oh.
Le fourbe.

— Pardon ?

— Je dis ça comme ça.

Piqué au vif, le corbeau se redresse.

— Je ne te permets pas.

Julian redresse dignement la tête.

— Sache que je ne mets jamais de lait dans mon café. Ni de sucre.

Est-ce qu'il l'a traité de chaton ? Parce que Julian est tout sauf un chaton. Un café au lait, sérieusement ?

Il tire sur les lacets de ses manches avant de se pencher à nouveau vers le menu. Comme si Asra ne gloussait pas derrière le sien.

Et s'il le voyait vraiment comme ça ? Comme un chaton docile ? Si c'est le cas, il va tomber de haut, parce que Julian n'est pas un type bien. Ce n'est pas faute d'essayer. Mais il…

Il repense à l'anniversaire de Natiqa. Est-ce qu'un type bien draguerait quelqu'un d'aussi cool qu'Asra pour coucher avec le premier gars venu après deux bières ? Non. Il aurait dû… Il ne sait pas ce qu'il aurait dû faire, mais il n'aurait pas dû faire ça. Il le sait.

Il se souvient encore des mains de l'étudiant sur ses hanches, mais pas de son nom. De sa voix ferme et souple, mais pas de ce qu'il lui a dit quand il a remonté son pantalon.

De la honte cuisante qu'il a ressenti en rentrant chez lui sans prévenir personne. Pas que ça se soit mal passé, au contraire. Mais c'est bien le problème. C'était cool. Cool de sentir ce type lui tirer les cheveux pour lui faire redresser la tête. Juste d'y penser, il croise les jambes pour tasser le frisson qui lui remonte le long du corps. Le souvenir de la cage d'escalier lui fait se mordre la lèvre. La pénombre, les bruits de portes. Les pas. La précipitation.

Est-ce qu'il aurait accepté de suivre ce mec, si Asra avait été son petit ami officiel ? La question l'a hanté tout du long du trajet jusque chez lui.

Le serveur approche, et Julian croit sentir le souffle chaud de l'inconnu dans son cou. La pointe de ses dents contre la peau. Cette impression honteusement satisfaisante d'être à sa place alors qu'il courbait le dos.

— Et vous ?

Il se redresse. Merde. Asra a déjà commandé ? Il n'a pas entendu. Il n'a même pas choisi, il- non, pas le temps de paniquer.

— Je peux repasser, si vous préférez.

— Non ! Non, j'ai…

Il baisse les yeux sur le menu.

— Un Americano cold.

Aucune idée de ce que c'est.

— Avec une part de Red Velvet.

Ça sonne bien.

— Ce sera tout ?

— Oui.

Il regarde le serveur s'éloigner. Taille fine, cheveux coupés courts sur les côtés, fesses rebondies. Pas mal. Même s'il doit avoir quelque chose comme dix ans de plus que lui.

Julian se détourne. C'est avec Asra qu'il a rendez-vous. Il ne mate pas la bonne personne. Pas qu'il ai prévu de scruter le fessier de son camarade, mais-

Seigneur, est-ce qu'il pourrait arrêter de penser au cul pour les dix prochaines minutes ?

— C'est quoi, un Americano Cold ?

C'est une très bonne question qu'Asra pose. Julian ne tardera pas non plus à le découvrir, mais en attendant…

— Une recette de café. Je te ferai gouter, si tu veux.

Le garçon grimace.

— Je déteste le café. Sans vouloir te vexer.

— Oh. Donc, j'ai rendez-vous avec quelqu'un qui déteste le café. Bien.

— Un problème avec les gens qui n'aiment pas le café ?

Julian va pour répondre et… Et…

C'est le pied d'Asra qui vient de taper dans le sien là, hein ?

— Du tout.

Il perd d'un coup son assurance et le blanc de sa peau, troqué contre une rougeur nouvelle. Un sourire qu'il ravale.

Non mais. Il n'a pas treize ans. Il peut draguer mieux que ça. Si Asra a envie qu'il le drague.

— Je croyais juste que tu avais plus de goût que ça.

— Je ne veux pas entendre parler de goût de la part de quelqu'un qui porte des-

— Ne dis pas un mot de plus ! Julian l'arrête, dramatique.

L'oeil du garçon pétille.

— Sinon quoi ?

— Tu veux pas savoir.

— Peut-être que si.

On dépose leur commande devant eux, et le rouquin regarde étrangement la boisson qui devance son gâteau. Froide, la boisson. Ah. Bien. Bon. Au moins, c'est du café.

— Sinon je pourrais faire des choses que tu n'imagines même pas.

— Du genre ?

Asra n'a pour lui qu'un Bubble tea, servi dans un verre qui ressemble à s'y méprendre à un de ces pots où sa tante range les légumes secs. Un paille en fer entre les doigts, il se penche pour boire sans le lâcher du regard, et…

Non. C'est sale, ça, très sale. Il n'a pas le droit de penser à ça.

— Tu verras.

Julian reconstitue son masque d'assurance. Il porte le verre à ses lèvres et retient à merveille la grimace qui manque de lui déchirer la bouche.

La boisson. Elle est sucrée. Seigneur.

— Tu prends rien à manger ? il lance, son dégoût au bout des lèvres.

— J'ai mangé tard. Je n'ai pas faim.

— Tu veux que je demande une autre cuillère, pour le gâteau ?

— Ça ira.

Julian voudrait insister, mais le pied d'Asra l'en empêche et- est-ce qu'il a vraiment les jambes si longues ? Bon, oui. Mais au point de ne pas pouvoir l'éviter ? C'est…

Il le fait exprès, hein ? Oh, il le fait exprès.

— Je peux ? l'apprenti médecin demande.

Il joue. Et Ilya aime jouer. Il adore ça. Ça lui pique la nuque juste d'y penser.

— Je t'en prie.

Asra pousse son verre vers lui. Mais plus que son verre, ce sont ses doigts fins qu'il caresse au moment d'attraper le récipient. Le verre est froid. Pas sa peau. Ni son regard.
Surtout pas son regard.

— Pas mal.
— Juste pas mal ?
— C'est sympa, là. Les boules.

Est-ce qu'il vient de dire ça ? Non. Si ? Asra sourit. Donc, il a entendu. Oh non.

— Mais ça manque de café.

Le garçon éclate de rire. Quand il boit à son tour au bord de son verre, il ne retient pas sa grimace.

— C'est dégoûtant.

— Evidemment, si tu n'aimes pas le café…

Asra va pour répliquer, mais ses yeux se plissent. Il avale une nouvelle gorgée de l'horrible chose.

— C'est sucré, non ?

Julian récupère son verre.

— Je ne vois pas de quoi tu parles.

— Je pense que tu vois très bien.

— Du tout.

Il avale une autre gorgée de ce sacrilège qu'il a commandé sans réfléchir.

— Comment tu as dit que ça s'appelait ? Asra demande en sortant son téléphone.

— Oublie ça. C'est juste un café.

— Un café sucré.

— Tu n'as aucune preuve.

— Ça prendra deux minutes.

L'angelot lève la main et- Oh non, il essaie d'attirer l'attention du serveur. Julian attrape immédiatement ses doigts.

— Ok, ok. On va régler cette histoire calmement.

Sa paume porte le froid de son verre. Elle est humide, plus petite que la sienne, moins décharnée, et… Et Asra ne la retire pas. Il sourit. Un sourire de matou plein de dents pointues et de malice.

— J'ai commandé dans la précipitation.

— Mm ?

— Et j'ai peut-être fait une erreur. Ça arrive à tout le monde, d'accord ?

— Donc, tu reconnais qu'il y a du sucre dans ce café ?

— Et des glaçons.

Il pousse un soupir à fendre l'âme.

— Simple erreur de parcours. Ça ne se reproduira plus.

— Un café noir comme ton âme, donc.

Pour peu, il l'entendrait presque ronronner. Ce garçon est… Merde, ce garçon est merveilleux, et il lui tient la main. Julian force un sourire avant de lui embrasser les doigts dans un élan galant, pour mieux les reposer contre la table.

— C'est une exception.

— On va dire ça.

Il ne le rejette pas. Pire, il l'observe plein de sournoiserie. Le futur chirurgien sent son ventre se serrer.

Asra boit encore, et il voudrait presser sa bouche contre la sienne pour retrouver le goût de sa boisson. Lécher ce sucre et appuyer contre ses dents. Il voudrait tomber à genoux devant lui pour l'implorer, sentir ses phalanges délicates serrer fermement sa nuque, l'écouter lui jeter des ordres secs dans l'oreille. Asra pourrait lui passer dessus, il se laisserait faire avec plaisir. Il supplirait pour ça. Pour qu'il le punisse d'oser imaginer ce genre de choses. De poser les yeux sur lui, simplement.

Est-ce qu'il peut récupérer sa main ?

Son slim est trop serré, sa veste noire trop chaude. Un rayon de soleil passe, et le visage illuminé d'Asra l'achève. Il ne le méritera jamais.
Mais il rêve de l'implorer, ne serait-ce que pour embrasser l'os fin de sa cheville.


Voilà voilà. Je suis joie, cette histoire avance bien et elle me motive toujours autant. j'ai hâte de passer à la prochaine partie !

(Pour le café, c'est inspiré d'un endroit où je traîne beaucoup, mais il s'appelle pas comme ça. On y trouve de délicieux bubble tea. C'est une boisson qui va grave bien à Asra, je trouve.)