Hey !

Et voilà un chapitre que j'avais grave hâte de poster ! C'est un des plus longs, et je pense que le prochain ne sera pas en reste (je dis Je pense parce que j'ai toujours pas commencé à l'écrire. Argh le retard. Heureusement que le camp nano de juillet est là.)

Merci à Ya pour sa relecture !

Bonne lecture !


La mort, fin et commencement

Asra

.

C'est Noël, Asra devrait être heureux. Mais il préfère se terrer sur son bord de terrasse, devant la mince feuille de neige qui couvre le sol.

Décembre a filé trop vite, comme les après-midi passées planqué dans la régie avec Julian et les canettes d'Ice-tea tièdes qu'ils descendent à l'abri des regards. Les heures de cours pourtant interminables, se sont évaporées. Les textos envoyés à des heures déraisonnables ont raccourcit ses nuits. Il se souvient des regards glissés, glissants, de toutes les fois où il a attrapé la main du grand rouquin comme si de rien était, de l'écharpe qu'il s'évertue à nouer autour du cou de Muriel. Des devoirs qu'il repousse au dernier moment.

Son grand-père lui a encore fait des remarques sur l'importance des maths dans la vie, le tout souligné d'un clin d'œil lourd d'un message qu'Asra connaît trop bien. Il va devoir choisir sa filière d'ici quelques mois. Et tout le monde le pousse dans la même direction. Celle qu'il ne prendra pas.

Un pellicule froide recouvre sa peau. Frissonnant, Asra tire le bord de son pull en laine pour en recouvrir ses jambes jusqu'aux chevilles. Il tripote son téléphone.

Dedans, la musique s'apaise, recouverte par le poids des discussions qui écrasent les murs. Des cousins se sont tous terrés à l'étage pour discuter au calme des cadeaux qu'ils ont commandés et qu'ils ouvriront demain. De jeux auxquels il ne joue pas. De leurs copines.

Ses parents le croient avec eux, eux le croient avec les adultes. C'est tout aussi bien.

Asra passe son dernier Noël dans la maison de Moui caché dans le jardin.

Une autre année, il serait monté pour s'étaler dans les draps chauds avec les autres. Il aurait rit, et dansé. Surtout dansé, il adore ça. Mais pas ce soir. Ce soir, le poids du repas lui pèse lourd sur le ventre. Il a envie de vomir, de se rouler en boule loin des yeux ennemis, de disparaître.

Il a envoyé quelques textos à Muriel, même s'il sait qu'il ne capte pas chez sa grande-tante. Un à Julian, pour lui souhaiter un Joyeux Noël. Lui demander ce qu'il avait reçu, puisqu'il ouvre ses cadeaux ce soir.

Il surveille que personne ne passe la porte fenêtre de la cuisine ni ne la ferme. De toute façon, il n'y a que Moui qui se serait inquiétée de le voir dehors. Et Moui n'enfilera pas ses gros chaussons pour venir s'asseoir près de lui, cette année.

Le jardin dort.

Chez les voisins, la musique raisonne.

Asra ferme les yeux.

Il a envie de pleurer, sans comprendre pourquoi. C'est juste là, entre ses doigts. Une solitude qui lui échappe et le suit partout. Comme des morceaux de verre qui font mal dans la paume. Il ne veut pas des autres, les autres l'épuisent. Même s'il les aiment. Les autres, c'est compliqué. Il n'a pas l'énergie pour ça.

En fait, il n'a d'énergie pour rien. Il n'a que sa tristesse qui ricoche sur l'herbe bleue de la nuit.

Mais quand son portable sonne, une flammèche se réveille, là, dans son torse.

— Julian ?

Il colle le téléphone contre son oreille.

— Asra ? Je… erk, je te dérange pas au moins ?

— Du tout.

— Cool.

Silence. Il entend du bruit, une vague roulante derrière Julian.

— Joyeux Noël ? le rouquin tente.

Il rit tout bas. Ça donne maladroit, et c'est d'autant plus agréable.

— Joyeux Noël à toi aussi.

— Merci. J'ai reçu ton texto et- Désolé de pas avoir répondu plus tôt, d'ailleurs. C'est la folie chez le gars de ma tante, j'ai pas trouvé deux minutes pour me poser. On fait une pause entre le plat principal- Le deuxième plat principal, en fait. Et le troisième. Je crois qu'il y a une salade. Avant le dessert.

Asra imagine sans mal une table longue pleine de bruit, comme celle qu'il a quittée en ignorant sa part de dessert. Des gens aussi roux que Julian et sa sœur - même si, de ce qu'il a compris, ce n'est pas de sa famille qu'il est question.

— Tu ne fêtes pas Noël chez tes grands-parents ?

— D'habitude si, mais c'est… Depuis l'accident de mes parents, c'est pas la grosse ambiance.

Disparus en mer, il le lui a dit dans l'ombre de la régie. Il avait sept ans. Asra n'imagine pas ce que ça fait, de perdre ses parents à sept ans.

— Y a toujours un moment où… Enfin, tu vois. Du coup cette année, le gars de ma tante nous a invité à passer le reveillon chez son père.

— C'est comment ?.

— Moins triste que les autres années.

Il l'entend soupirer à l'autre bout de l'appareil.

— C'est particulier. Pas nul hein ! C'est cool de sa part, juste…

Asra comprend. Ce petit fil que Julian tend et qu'il enroule autour de ses doigts.

— C'est pas comme d'habitude, il complète pour lui.

— C'est ça.

Ça le réchauffe, comme un soleil qui passerait entre eux. Il comprend ce qu'il ressent, là. Et inversement.

Asra serre ses jambes contre son torse.

— Et toi ? Julian demande. C'est pas trop bizarre, sans ta grand-mère ? Enfin, Moué ? Moui ? Pardon, je sais plus…

— Moui.

Il s'entend glousser.

— Mais tu peux dire grand-mère.

— Ok. T'es sûr ?

— Oui.

Il tend la main et effleure les petits bouts de neige à sa porte. Est-ce que Julian est dehors, lui aussi ? Est-ce qu'il est parti se terrer loin de sa famille comme les oiseaux qui meurent ?

— Ça va. C'est juste bizarre de voir tout le monde faire la fête.

— Ouais, j'imagine, erk…

— Je suis pas d'humeur pour ça.

Il déglutit. C'est la première fois qu'il le formule à voix haute. Ce sentiment qui lui coulait dans la gorge prend la forme de mots. Des mots qu'il entend comme sortis de la bouche de quelqu'un d'autre. D'un corps qui serait tout comme le sien sans être lui.

— Même ouvrir les cadeaux ça ne me dit rien.

— Tu sais déjà ce que tu vas recevoir ?

— Sûrement de l'argent et des habits. J'avais demandé des feutres, mais ma famille ne sait jamais quoi prendre pour la couture.

— Des aiguilles ?

Il éclate de rire.

— J'en ai déjà.

— Mm, pas faux. Très joli, d'ailleurs, la chemise que t'as retouchée pour Natiqa. Pour le film, je veux dire. Ça rend super bien.

Le compliment de Julian le touche, mais c'est encore l'air satisfait de la concernée qui l'a comblé, quand elle a essayé sa tenue. Asra a passé des heures à s'occuper des broderies en regardant une énième fois Steven Universe.

— Et toi ? T'as commandé quoi ?

— Des fringues. Et des bouquins. Rien d'original cette année, de toute façon ma tante est fauchée et le gars a aucune idée de ce qu'on aime, Pasha et moi.

Julian sourit soudain, il l'entend. La grande inspiration qu'il prend le trahit.

— J'ai trouvé un super cadeau pour Pasha !

— Ah ?

La fierté déborde de son timbre. Asra sait que Julian agite les mains en parlant. Il se déplace d'un bout à l'autre de la pièce - dans quelle pièce est-ce qu'il l'appelle, d'ailleurs ? Un grenier, une chambre vide, un jardin d'hiver ? Une cave, peut-être.

— Un livre ! il déclare. Sur la cuisine.

— Un livre sur la cuisine, pour une petite fille. Quelle originalité.

— Laisse-moi finir ! Julian rit. C'est… Nos grand-parents viennent de Pologne. La famille de mon père. Ma tante avait même pas trois ans quand ils sont arrivés en France.

Curieux, Asra se lève et fait quelques pas dans la neige. La couverture bleue se tasse et fond sous ses pieds. C'est froid, assez froid pour qu'il ne le sente bientôt plus. Ses bras frissonnent.

— On a jamais eu l'occasion d'en parler avec mon père avant… Enfin, t'as compris. Pasha se souvient même pas d'eux. Mais elle adore les recettes que ma grand-mère fait. Et elle adore la cuisine.

— Tu as trouvé un livre de recettes sur la cuisine polonaise ?

— Exactement !

Il entend la joie qui le pique. C'est fort et ça résonne jusque dans ses propres doigts. Asra se sent sourire.

— Tu as dû y passer toutes tes économies, il fait remarquer.

— Disons que j'ai pris celui qui avait pas d'anti-vol.

— Pardon ?

Il pouffe.

— C'est moins cher.

— J'imagine.

Julian. Vraiment. Il l'imagine attraper l'objet et filer comme si de rien était, son butin planqué sous une de ses chemises pleines de clous. Ou une bouffante qui invente des formes autour de son corps fin. Son rire de lutin qu'il retient derrière un sourire franc lancé au vigile de l'entrée alors qu'il le salue.

— Tu vas lui dire ?

— T'es fou ? C'est Pasha, elle va m'engueuler.

Asra ne l'a encore jamais vu, sinon en photo - merci Facebook. Mais il imagine sans mal cette sœur que Julian décrit.

Parfois, il l'envie. Ça doit être agréable d'avoir quelqu'un sur qui veiller. Quelqu'un qui est à la maison quand on rentre. Qui partage les mêmes codes que soi. La même culture. Des films regardés en boucle dans l'enfance, des nuits blanches passées à monter des plans improbables. Des disputes et des gâteaux volés à deux heures du matin dans le placard.

Derrière lui, la musique se calme. Il entend qu'on descend les escaliers.

Asra ne connaît pas ça. Ce qui s'en rapproche le plus, pour lui, c'est Muriel et sa grande main sur son épaule. Mais Muriel n'est pas son frère, et il ne le voit pas comme ça.

— Asra ?

Il déglutit.

— Ça va ? Julian insiste.

Non. Mais il ne peut pas lui dire, parce qu'il ne comprend pas pourquoi ça bloque dans son corps. Pourquoi il se sent aussi seul. Pourquoi d'entendre tout le monde descendre pour le dessert sans que personne ne vienne le chercher, ça lui brise le cœur. Il n'a même pas envie d'y aller.

— Oui.

— Dis, em… Je sais que les fêtes c'est pas ta tasse de thé. Mais Nat' fait un truc pour le Nouvel An et je me demandais… Ça te tenterait ? C'est spécial le Nouvel An. Tout le monde le fête.

Le fil entre eux se tend. Il y a une pointe dans la voix de Julian, quelque chose qui tire, pique, qu'il n'identifie pas. Asra s'appuie dos au mur, là où personne ne peut le voir depuis l'extérieur.

— On sera genre une dizaine, comme pour son anniversaire, et tu peux proposer à Muriel de venir si tu veux.

— Murien n'acceptera jamais de venir dans un appartement avec autant de monde.

— Oui, j'imagine. Je proposais juste, si jamais…

Pour le Nouvel An, ses parents le laisseraient sortir. Ils n'organisent jamais de fête, seulement une soirée entre eux avec un ou deux amis. Parfois, ils vont voir sa tante. Ils commandent à manger, et ils laissent les plus jeunes devant un film avant d'aller parler sur la terrasse.

L'année dernière, il a passé la nuit chez Muriel et ils ont regardé Yuri on Ice sur les conseils d'une amie du collège.

— T'es pas obligé. Y aura sans doute du bruit et tout, mais on peut toujours aller se planquer dans la cage d'escaliers si c'est trop. Y a aussi le garage qui est calme, et…

Il l'entend inspirer.

— Et ?

— J'aimerais vraiment, vraiment beaucoup que tu viennes. Tu me manques.

Son cœur se retourne.

— La moitié des gens vont finir torchés mais t'es pas obligé de boire, on pourrait juste se caler dans un coin tous les deux. Natiqa mange pas de viande non plus, y aura plein de bouffe végé. Et je pourrai te présenter des potes à moi, et te présenter à eux, c'est…

Julian échappe un rire gêné.

— Je parle beaucoup de toi aux gens. Tout le monde veut voir ta tête.

Asra souffle. S'il ne respire pas correctement, il va se mettre à pleurer. Et s'il se met à pleurer, ça se verra quand il rentrera. Et Julian pourrait l'entendre. Et il s'inquièterait. Alors il ravale sa salive.

Le froid de la neige ne l'atteint plus.

— Tu parles de moi ?

Plaisanter. Le temps de retrouver une respiration correcte. De calmer les cognements secs dans son torse.

— Oui. Beaucoup. Enfin, souvent, je… Ça te dérange ?

— Non, ça m'intrigue.

Il sait qu'il rougit. Qu'il se redresse d'un coup et détourne le regard, même s'il n'est pas face à lui.

— C'est juste, on traine souvent ensemble, les gens posent des questions et- pas des questions indiscrètes, hein ! Enfin, pas toujours, mais juste… Merde, Asra.

Le dénommé serre son téléphone.

— T'es extraordinaire. Evidemment que je parle de toi.

Il se mord la lèvre.

— T'es génial. Tu… J'ai même pas les mots, mais je pourrais parler de toi pendant des heures. Et j'aurais pas tout dit.

Asra sait ce qu'il essaie de lui dire. Et c'est la première fois que ça lui arrive. Une vraie déclaration. Ça lui retourne le ventre. C'est terrifiant, et agréable, comme un ciel immense dont on aperçoit pas les bords.

Il serre les paupières pour chasser l'eau qui gonfle ses yeux.

— T'es créatif, et drôle, et tu… Tu sais ce que je veux dire, hein ? Le temps que je passe avec toi, c'est jamais assez. Je pourrais sécher jusqu'à la fin de l'année pour rester dans la régie, tant que t'y es aussi.

— Bon courage pour entrer en médecine, il le taquine.

— Oui, c'est… Non, c'est pas la question. Je m'en fous de la médecine là, ce qui compte c'est…

Il a les joues mouillées. Il a peur. Mais il veut que Julian le dise. Il n'a jamais rien voulu d'aussi fort que ça.

— J'arrive pas à croire que t'aies jamais eu de copain. Ou de copine, c'est pas le problème, je veux dire... C'est pas possible. Les gens savent pas à côté de quoi ils sont passés. De qui.

En fait, son palmarès actuel compte deux râteaux. Deux filles adorables, qu'il n'aimait tout simplement pas. Mais il n'y pense pas. Tout ce qui a un jour existé dans sa vie s'écrase et disparaît sous les mots de Julian. Ce n'est plus Noël. C'est leur moment à tous les deux.

— Je passerai pas à côté de toi.

Asra essuie ses yeux.

— Pas si tu me laisses une chance.

Il se laisse glisser le long du mur. Son corps est soudain trop lourd, ses doigts froids cherchent une prise dans le coton qu'il empoigne. La pierre sous ses fesses n'a rien de confortable, mais il s'en moque. Elle n'existe pas. Rien n'existe plus.

Ce que Julian vient de lui dire, rien ne pourra l'effacer. C'est sorti, ça le touche. Et Asra veut le saisir. Pour la première fois, il n'a pas envie de dire non.

Mais il faut le formuler.

Il ramène ses jambes contre lui.

— Ça devrait le faire, pour le Nouvel An.

— Vraiment ?

— Oui.

Il n'aura pas besoin d'excuse. Pas besoin, pour une fête du genre. Il pourra toujours dire que Muriel y va aussi pour les rassurer. Il sait déjà ce qu'il pourra porter pour sentir le regard de Julian sur lui toute la soirée. Son regard, et sa main dans la sienne, et peut-être…

Son cœur cogne comme devant les romances qu'il regarde, sa tête sur l'épaule de son meilleur ami. Il ne sait pas s'il apprécie, mais il ne veut pas que ça s'arrête.

— Du coup, est-ce que… je veux dire, c'est- ça veut…

— Ça veut dire oui.

Encore, il essuie ses joues. Le jardin n'est pas si triste, même s'il n'y marchera plus jamais en compagnie de Moui. Même si ce sont ses dernières vacances ici.

Il compte sur ses doigts. Une semaine, sept jours. Sept jours avant de revoir Julian.

La fin de l'année. Mais pas la fin pour lui. Au contraire.


Enfiiiin. Le prochain chapitre concernera le nouvel an, et j'ai tellement hâte de l'écrire. Avec un peu de chance, je termine toute la partie un sur le camp Nano. On croise les doigts.

A la semaine prochaine !