Hey !
Je suis en retard, et pressé, lalala. Je poste en vitesse. Petit trigger dysphorie/dépression sur ce chapitre.
A la prochaine !
Troubles doutes
Asra
.
Parfois Asra se regarde dans le miroir, et il sent que quelque chose cloche.
C'est infime. Un détail qui attire son attention, un plis, une boucle. Et il s'arrête. Il s'observe. C'est bien sa peau qu'il voit, brune, ses yeux clairs et son expression paisible à peine surprise. Ce sont ses doigts trop fins, à la peau épaissie par les heures de couture et dessins, salie par le graphite. Ses ongles qu'il a vernis ou fraîchement coupés. Son cou, mince. Son ventre rond serré contre l'élastique de son sarouel le plus confortable.
C'est lui. C'est censé être lui. Il le sait.
Mais quelque chose cloche, et la panique monte. Alors il inspire avant de se détourner.
Il y a quelqu'un dans le miroir, qui le fixe et ça lui fait peur.
Asra sait que ce n'est pas vrai. C'est juste une impression. Comme quand il sent, sans pouvoir l'expliquer, que tout ce qui l'entoure flotte dans un rêve. Mais c'est là, et ça revient de plus en plus souvent depuis le début de l'année.
Le monde n'est plus tangible. Son reflet lui fait peur. Il est une heure du matin, et il baisse les yeux en sortant de la salle de bain. Ses volets grands ouverts laissent entrer la lune, les étoiles et la profonde solitude qui lui tombe dessus comme un loup. Il déglutit.
Son portable.
[ John Barrowman Laurent. Je serai intraitable sur ce point. Juste sa manière de bouger.
Puis ok, il est canon dans Twilight, mais en dehors ?
John Barrowman et tout le temps sexy.]
Il sourit. Un faux sourire, un réflexe qui lui vient des muscles de ses joues qui se contractent et…
Asra inspire. Il est tard. Il a besoin de sommeil. C'est la fatigue qui le fait déconner.
[John Barrowman a vieilli. Ses dernières photos ne sont vraiment pas terrible (ʘᗩʘ')]
[Pardon ?
Je suis outré. John Barrowman est comme le vin, il se bonifie en vieillissant. Je ne te laisserai pas dire de telles insanités.]
Il rit, mais ça ne vient pas de lui. C'est ailleurs et ça remonte comme un orage alors qu'il se laisse glisser contre le mur, l'écran au creux de sa main. Le silence lui ouvre le ventre et il a besoin…
Il ne sait pas pourquoi il fait ça. Mais Julian l'a déjà fait, alors il a le droit. Hein ?
Il déglutit. Ramène ses genoux contre lui. Puis il lance l'appel.
— Asra ?
La voix de Julian coule dans son oreille.
— Salut.
— Ça va ? Il s'est passé quelque chose ?
— Pourquoi ? Il faut que quelque chose se passe pour que j'appelle mon copain ?
— A une heure du matin ? Non. Enfin, c'est juste surprenant, je… Mm, non, je suis mal placé pour parler. Mais si c'est pour me dire à voix haute que John Barrowman est moins bien foutu de Laurent, je te raccroche au nez.
Un bruit dans sa tête. Julian parle et Asra se sent mieux. Enfin, pas mieux. Mais le timbre familier engloutit la peur que son reflet a reveillé. Elle tasse le souvenir. Une bouée au milieu de la mer, autour de laquelle il enroule ses bras.
Il ferme les yeux pour retrouver le souvenir de son odeur de clope.
— Tu ne sais pas ce que tu dis. Il est tard. Tu regretteras, demain.
— Du tout. Je parle en toute connaissance de cause. Comme quand j'affirme que Jacob est supérieur à Edward.
— A ce stade, c'est de la provocation.
— Peut-être que c'est volontaire.
Il rit. Cette fois, ça vient de lui. En partie. Il retrouve cette chaleur que l'amour de Julian réveille.
— Mais sérieux, ça va ? le lycéen insiste.
— Sérieux, oui.
La tête contre le mur, Asra inspire. Il passe sa main entre ses boucles blanches comme Ilya le ferait. Avec cette légèreté caressante qu'on a quand on passe la main sur un bout de mousse. Un fragment d'herbe fragile et précieux qui pourrait se briser, ou révéler une douceur agréable.
— J'adore ta voix, Julian roucoule.
— Tu as pris quelque chose ?
— Hein ? Non, je… Vraiment. J'adore t'entendre. Tes intonations, ton timbre, on dirait… Du sable.
Du sable ? Asra n'est pas sûr de comprendre la métaphore. Mais il aime quand Julian lui fait des compliments. C'est comme un coton chaud glissé dans le creux que la peur creuse.
— Tu lirais pour moi si je te le demandais ? Un poème, une pièce, n'importe quoi. J'adorerais t'écouter.
— Tu veux m'entendre lire ?
— C'est l'idée. T'es pas obligé bien sûr. Mais si…
— Et qu'est-ce que tu voudrais que je te lise ?
Silence. Asra sait qu'il est surpris.
— Maintenant ?
— Je ne suis pas fatigué. Mais je ne voudrais pas t'empêcher de te reposer si ça fait trop tard pour toi, il roucoule. Oh, pardon, c'est vrai que tu ne dors jamais.
Il l'entend sourire d'ici. Son visage long où sa bouche s'étire, ses dents à peine jaunies par le tabac. Une assurance dont Asra ne saurait dire si elle est feinte, mais qui suinte l'amusement. Il le voit aussi se redresser.
— Très bien.
Du bout des doigts, il attrape la couture de son pyjama.
— Alors ? Poésie ou théâtre ? Asra demande. A moins que tu ne préfères un extrait de roman.
— Un texte qui te plaît.
— Tu me laisses choisir ?
— Je suis curieux. Je veux savoir ce que tu vas proposer.
Son regard coule vers sa petite bibliothèque. Asra n'a pas tant de livres. Il aimait les déchiffrer, plus jeune. Puis son rythme s'est tassé, et s'il aime toujours lire, il ne prend plus souvent la peine de le faire. Mais s'il devait choisir une citation pour Julian…
Il pense à l'hiver. Au jardin de moui plein de neige.
Ses pieds glissent jusqu'à la bibliothèque. A treize ans, il a lu un livre qui l'a profondément secoué. Un qui l'a laissé incapable d'en ouvrir d'autres pour les jours qui ont suivi. Il l'a prêté à Muriel après l'avoir rencontré, et il se souvient du calme profond qui l'habitait quand il le lui a rendu. Il n'a rien dit.
Il n'y avait rien à dire.
Il ne lui faut pas longtemps pour reconnaître le titre qui l'intéresse.
— Alors ? Julian insiste.
L'élégance du hérisson. Muriel Barbery.
Pas besoin de chercher pour trouver la page, il l'a marquée d'un coin plié.
Si l'émotion n'est pas la même qu'à la première lecture, le cœur d'Asra se serre drôlement chaque fois qu'il retrouve ce passage.
— Un coup de poing dans le ventre, il commence.
Le silence de Julian aussi, il l'entend. Le monde qui s'éteint autour d'eux malgré les kilomètres de distance.
— Le souffle coupé, le cœur en compote, l'estomac complètement écrabouillé. Une douleur physique insoutenable. Je me suis demandé si je m'en remettrais un jour, de cette douleur-là. J'avais mal à en hurler. Mais je n'ai pas hurlé.
Il déglutit. L'émotion qui le prend est loin d'être aussi forte. C'est une caresse, pas un coup. Et pourtant sa gorge se noue. Le chemin qui descend vers son estomac se resserre. Comme si là-dessous, quelque part dans son torse, se trouvait un autre petit Asra qui comprenait exactement ces mots.
— Ce que je ressens maintenant que la douleur est toujours là mais qu'elle ne m'empêche plus de marcher ou de parler, c'est une sensation d'impuissance et d'absurdité totales.
Ses doigts caressent le papier.
— Alors c'est comme ça ? Tout d'un coup, tous les possibles s'éteignent ? Une vie pleine de projets, de discussions à peine commencées, de désirs même pas accomplis, s'éteint en une seconde et il n'y a plus rien, il n'y a plus rien à faire, on ne peut plus revenir en arrière ? Pour la première fois de ma vie, j'ai ressenti le sens du mot jamais. Eh bien, c'est terrible. On prononce ce mot cent fois par jour mais on ne sait pas ce qu'on dit avant d'avoir été confronté à un vrai plus jamais .
Ses lèvres articulent nettement, une diction claire comme celle qu'il emploie au quotidien. Loin du charabia mâché de ses camarades, Asra aime prononcer de manière appliquée. Penser aux mots que les autres avalent sans les dire. Est-ce que ça plaît à Julian ? Aucune idée. Mais le rouquin aime assez ce qui l'attend pour ne pas l'interrompre.
— Oh. C'est…. Err, wow. Purée.
Asra referme le livre.
— Alors ?
— T'es sûr que tu veux pas te tailler une place chez les acteurs ? Ton truc, c'était… T'as une super diction.
— Ma diction te remercie.
Il ne sait pas bien pourquoi il répond ça, mais il imagine les joues rouges de Julian. Il pourrait lui rendre la pareille. Lui demander de lire un texte qui compte pour lui. Mais pas maintenant. Asra préfère attendre. Il ne veut pas seulement entendre Julian, c'est l'ensemble qui l'intéresse. Les gestes, les expressions, son corps qui bouge et trahit le fond de sa pensée. S'il a bien compris une chose à son sujet, c'est qu'il se cache. Sous ses discours, ses gesticulations et ses boucles rousses. Ça lui donne envie de creuser.
— Pourquoi t'as choisi cet extrait ? Ça vient d'où, d'ailleurs ?
— Essaie de trouver tout seul.
— C'est un défi ?
— A ton avis ?
Pas un défi bien compliqué, avec Internet. Mais Julian est prêt à le relever. Asra n'en attendait pas moins.
— Mais pour la première ques-
— Je t'aime.
Ça vient tout seul. Asra a eu envie de le dire, alors il l'a lâché. Comme Julian l'a lui-même laché alors qu'il lui caressait le front, dans sa petite chambre exiguë où le soleil ne rentre jamais pleinement. Ça lui fait un peu peur, et si Ilya était devant lui, il ne le regarderait pas en face.
— Mmm, oh, oui, bien sûr, tu… Oh, Asra.
La panique au bout des doigts, le rouquin ne réalise même pas qu'il tape contre le bord de son téléphone.
— Moi aussi. Tu… C'est la première fois que tu le dis.
— Et ?
— Rien, err, juste… Rien. Moi aussi, je t'aime.
Asra s'installe entre ses mots comme au fond d'un lit. Julian l'aime. Il le savait bien avant qu'il le lui dise, mais c'est une certitude qu'il aime qu'on lui rappelle. Ilya l'aime. Quelqu'un, sur cette terre a développé des sentiments amoureux pour sa personne. Pour de vrai. Quelqu'un qui tient à lui.
Quelqu'un qui le voit.
Il descend ses doigts sur le sol frais. La lune tape à ses pieds, il devrait fermer les volets. Il aime cette ambiance hors du monde, mais le soleil le réveillera trop tôt.
S'il reste au téléphone avec Julian, est-ce que le temps s'arrêtera ? Il aimerait. Stopper son cours comme on tourne un robinet et rester là. Que le monde ne change jamais.
Mais il est tard, et les mots perdent de leur sens. Les pensées se cognent et sans avoir sommeil, Asra sent que ses yeux le brûlent. Ils ne peuvent pas rester indéfiniment le téléphone contre l'oreille, à chercher des mots pour prolonger une conversation qui meurt.
Il faudra bien que l'un d'eux se décide à y mettre un terme.
Et voilà. Comme dit, la citation vient de l'Élégance du hérisson de Muriel Barbery, et c'est ma citation préférée sur le sujet. Lala.
A plus !
