Hey !

Un chapitre en temps et en heure, enfin ! (j'ai fini de l'écrire ce matin, je n'ai plus aucune avance, c'est terrible)

Merci à Ya pour la relecture, et à vous de passer par ici. J'espère que ça vous plaira !

(TW en fin de page)

Bonne lecture !


À demi-mots

Asra

.

Asra pourrait le dire. Ça ne coûterait rien, et Muriel ne jugerait pas. Il n'y a rien à juger de toute façon. Il a fait l'amour avec Julian. Ou couché avec. Lequel de ces deux mots est le bon ? Il déteste le second. Coucher, c'est… Il ne veut pas dire vulgaire, mais ça s'en rapproche, et ça ne ressemble en rien à ce qu'ils ont fait. C'est rapide, expéditif. Mécanique. Ilya ne l'a pas juste déshabillé pour faire son affaire. En fait, il n'a pas fait grand chose, au début. A part rougir, et poser milles questions pour s'assurer qu'il voulait vraiment faire l'amour avec lui.

— C'est ton tour.

Muriel lui tend la manette et Asra regarde l'écran face à eux. Un boss qu'ils tentent tour à tour sans réussir à le passer.

— T'as saisi la strat ? le garçon demande.

— Je crois.

Ils jouent, en apparence, mais le galopin a l'esprit ailleurs et il sait que son ami le sent.

Il se souvient des mains de Julian et de sa maladresse. De la tête qu'il a tiré quand il a compris ce qu'il voulait, là.

Asra savait que son petit ami avait de l'expérience, plus que lui. Ça ne l'intimidait pas plus que ça. C'était plutôt avantageux, a vrai dire. Et pourtant, Ilya transpirait la maladresse. Il caressait sans savoir où s'arrêter, attrapait sa taille et la lâchait, tournait autour de son boxer sans oser l'enlever. A croire qu'il allait se briser. Mais Asra brûlait, et il n'avait plus envie que de fondre contre lui.

— Attaque quand il charge, Muriel lance. Tu peux placer au moins trois coups.

C'est étrange. Il n'avait jamais imaginé que sa première fois se passerait comme ça. Dans une chambre trop petite, un lit étroit. Avec un garçon plus âgé que lui, ça, il l'avait envisagé. Plus grand aussi - ce n'est pas compliqué. Et c'est vrai qu'il s'est toujours plus facilement projeté avec un gars. Il aime aussi les filles, mais il ne s'imaginait pas coucher avec.

Coucher. Vraiment, il a un problème avec ce mot. L'impression d'un rapport consommé que le terme lui laisse. Comme un mouchoir usé qu'on jette.

Ce qu'il a partagé avec Ilya, ce n'est pas un pauvre mouchoir. C'est précieux comme un trésor dans la main, un tout petit oiseau. Mais ça n'avait rien de spectaculaire. Et c'est pour ça que ça lui a plu. La gêne de son partenaire, sa lèvre qu'il mordillait et l'incertitude dans ses yeux. Julian avait peur - pas du sexe en soit, mais de tout ce qui flottait autour.

T'es sûr ?

Il se souvient encore de l'intonation exacte de sa voix.

Et là ?

Des souffles, de ses yeux grands ouverts. De la surprise.

C'est vrai, Asra ne s'imaginait pas faire l'amour avec quelqu'un de moins assuré que lui. Et il ne s'attendait pas à éprouver cette confiance. La chaleur du sexe de Julian dans sa main, c'était surprenant. De le toucher comme ça, là. Un contact simple qui lui faisait tourner la tête. Aucun rapport avec les films qu'il a regardés, à l'occasion, par curiosité. Ils n'ont rien rentré nulle part, juste… C'était juste des caresses, et en même temps, c'était tellement agréable. La voix de son petit ami et ses couinements de souris, sa main devant sa bouche quand il a joui, et la chose collante sur sa main. Les mouchoirs attrapés à l'arrache en riant pour essuyer son ventre, puis l'inverse. Ilya qui le touchait en l'embrassant. En murmurant.

Il était nu comme un ver, et il n'en éprouvait pas la moindre gêne. Pourtant le corps qu'il aperçoit dans le miroir ne lui plait pas toujours. Ce n'est pas qu'il le trouve moche, seulement…

— Merde, il jure.

Perdu. Il tend la manette à Muriel.

Asra n'a rien contre son corps. Mais parfois il le regarde dans le miroir, et il baisse les yeux. C'est bizarre, désagréablement bizarre, comme le sel qui lui recouvre la peau quand il se baigne en mer. Cette pellicule qui lui donne envie de s'arracher la peau.

— Éloigne-toi si t'arrives pas à parer, Muriel explique. C'est plus simple.

— Mais ça va mettre des plombes.

Pourtant, avec Ilya, ça allait. Même en sentant sa langue dans son cou, et son regard sur son ventre. Même s'il était nu et que tout ce qui aurait pu lui faire honte était offert à la vue de son amoureux.

Amoureux.

Est-ce que c'est parce qu'il aime Julian qu'il s'est senti à l'aise ? Il aurait tendance à penser l'inverse. Asra ne veut pas qu'il puisse voir ce qu'il y a de honteux en lui. Les tâches et la boue qui se mêlent parfois dans sa tête, une saleté qui lui tire des grimaces. Un brouillard épais. Mais Ilya l'a regardé, en face, et il ne s'est pas senti sale. Pas tordu ni plein de poussière.

Muriel est concentré sur l'écran, et Asra songe qu'il devrait lui dire. On parle de ce genre entre meilleurs amis, non ? Il ne peut pas lui cacher ça. Son ventre pétille d'y repenser, et il caresse lui-même la peau tendre de son poignet comme Ilya l'a fait, du bout de ses ongles noirs.

Ilya.

C'est le premier garçon avec qui il l'a fait, la première personne. Ça y est. C'est à la fois plus profond que ce qu'il imaginait, et insignifiant. C'était bien. Ça a renversé quelque chose au fond de son ventre. Mais le soleil s'est levé le lendemain, et il était toujours Asra.

Est-ce qu'ils auront l'occasion de le refaire ?

— Muriel ?

Le colosse se tourne vers lui. Il met le jeu en pause.

— Oui ?

Il a dû le sentir. Depuis ce matin, il l'observe du coin de l'œil comme on attend un colis. Il sait qu'il y a une nouvelle qui l'attend.

Et si Ilya lui avait laissé des suçons dans le cou ? Merde, Asra n'a pas vérifié. Non. Muriel n'aurait pas attendu. Il aurait posé la question en le voyant, inconscient de ce qui se cachait sous la tâche sombre.

Asra lui en a fait, lui. Tout un tas qui maculent ses épaules blanches. Est-ce que Julian en parlera à quelqu'un ? Natiqa n'a pas l'air discrète, elle lui posera des questions.

Mais peut-être que ça se voit autrement ? Dans un sourire étiré, un moment de rêverie. Un détail qui change pour les autres sans qu'on le remarque. Est-ce que Muriel a compris quand il l'a vu, ce matin ? Il a cet instinct grave qui semble parfois s'infiltrer sous les nappes de terre pour en comprendre les secrets. Des silences pleins de compréhension.

Surtout, est-ce qu'Asra veut lui dire ? Qu'est-ce que ça change, au final ?

Il le regarde. Ses cheveux sombres et son regard qui s'attarde, patient. Son corps plus grand que celui de Julian qui pousse d'année en année. Est-ce qu'il sera jaloux ? Il n'a pas l'air très intéressé par le sexe, l'amour, le reste. Ça ne le répugne pas, mais ça le laisse indifférent.

Asra s'est déjà demandé, plusieurs fois, s'il était amoureux de lui. Et inversement. Dans son cas, savoir que Muriel est important à ses yeux lui suffit. Mais est-ce qu'il a encore le droit de penser ça maintenant qu'il est avec Ilya ? Est-ce qu'il peut encore dormir sur son épaule ? Ils ne font rien de mal, et Julian n'a pas l'air jaloux.

Asra n'a pas l'habitude de ce genre de considération. Il aime sa liberté, et la simplicité de l'affection qu'il donne aux gens. Mais pour la première fois, il réalise que ses émotions s'inscrivent dans le sens d'une relation en particulier. Il ne sait pas s'il peut encore tenir la main de Muriel comme si de rien n'était, alors que les gens qui les croisent au lycée vont s'imaginer des choses.

Ça lui déplait.

— Qu'est-ce qu'il y a ? le taiseux demande.

Et s'il tombait amoureux de quelqu'un d'autre ? L'idée lui vient, frivole, un nuage dans le ciel.

S'il tombait amoureux de quelqu'un d'autre, évidemment qu'il ne se passerait rien. Il n'a pas le droit de tromper Julian. Mais soudain, la pensée l'angoisse. Pourquoi brider un amour qui ne supprime rien à celui qu'on ressent déjà ?

— On l'a fait. Avec Julian.

La phrase sort comme une vérité factuelle dont on se doit d'informer quelqu'un. Muriel se fige. Un instant. Puis il hausse les épaules.

— Oh.

Asra croyait que ce serait une expérience heureuse à partager. Mais si elle l'était à vivre, elle réveille une multitude de questions qui s'amoncellent.

Est-ce qu'il aura l'occasion de faire la même chose avec quelqu'un d'autre, un jour ? Il aime Ilya. Mais il n'a pas envie qu'Ilya soit une unique expérience.

Il ne devrait pas penser ça. Même si penser ne fait en soi aucun mal.

— Ça va ?

Muriel le regarde comme s'il attendait la suite, mais Asra ne voit pas quoi lui dire.

— Oui, il lui assure.

Définitivement, ce serait plus gênant qu'autre chose de décrire l'événement. Son ami géant ne veut sûrement pas les détails. Mais il voulait le lui dire. Que cette histoire ne plane pas comme un trouble secret entre eux.

Il n'y a pas de secret, avec Muriel.

— A qui le tour ? il enchaîne.

Le grand ours lui tend la manette, et Asra attrape le plastique encore chaud de ses larges mains. Il se tourne vers l'écran.

Le soleil décline, et il termine la soirée la tête sur son épaule, à dévorer les derniers mangas que Muriel a reçus à Noël.

Le doute comme un chant lointain qui lui revient parfois.


[TW : Mention de sexe]

Et voilà. Je n'ai plus qu'un seul chapitre de prévu dans mon plan, ça aussi il va falloir que je le travaille. Mais globalement, je pense pouvoir dire qu'on a fait plus de la moitié de la première partie. Peut-être les deux tiers.

A la semaine prochaine !