Hey !

Le chapitre a un peu de retard parce que j'ai oublié de poster. Voilà. Oups. Désolé. (Pour ma défense, j'avais une super imprimante à récupérer. C'était vraiment très important.)

Merci à Ya pour sa relecture !

Bonne lecture !


Les petites voix

Asra

.

Parfois, Asra sent les regards qui passent sur lui. Les groupes qui se tournent sans discrétion et murmurent. Les coups d'œil. Il déglutit. Peut-être qu'il se trompe, mais son foulard solidement serré autour de son cou lui rappelle les suçons qu'Ilya a posés sur sa peau, et il a cette impression étrange que tout le monde les voit.

— Y a le gars de Jules.

— On dirait une meuf.

— C'est la première fois qu'il sort avec quelqu'un de plus jeune, non ?

Derrière le rideau de la scène, où les acteurs amateurs du club se préparent à jouer, il tend l'oreille et attrape les conversations qui courent à leur sujet. Julian attire toujours l'attention, même quand il brille de par son absence. C'est un de ces gens du monde dont le nom n'est inconnu de personne. Une machine à rumeurs. Asra le sait. Pour autant, il n'a pas l'habitude de ce bruit qui tourne autour de lui. Avant Ilya, il préférait ignorer les racontars qui le suivaient. Mais maintenant les regards l'attrapent quand il entre, et il ne peut plus faire comme s'il ne les sentait pas.

Ça lui déplait. Il n'a aucune prise sur la situation, pas plus qu'il n'en a sur l'eau au creux de ses mains qui coule avant qu'il ne s'asperge le visage.

— Asra ?

Muriel l'appelle. Entre ces mots, il entend Tu es sûr que ça va ?

— C'est rien. Je transpire, il se justifie.

Asra redresse la tête et trouve son reflet. Ses mèches blanches humides.

— Ils mettent le chauffage super fort. Je sais qu'on est encore en hiver, mais quand même. C'est abusé.

Il s'essuie, se tourne et quitte les toilettes pour rejoindre son groupe. Les décors sont déjà en place, les costumes enfilés. Leur tâche est terminée. C'est toujours comme ça sur la fin de l'année, il paraît. Le gros de leur travail s'efface une fois les tenues achevées. S'il y a toujours un détail à arranger, ils passent la plupart de la séance à regarder les autres jouer pour émettre un avis, quand ils ne filent pas un coup de main aux autres élèves. Certains font de la figuration, mais Asra préfère éviter. Il n'a pas envie d'apparaître sur le film. L'idée d'une image fixe de lui, circulant de mains en mains hors de son contrôle, l'angoisse.

— Asra !

Il frissonne. Crié, ce nom sent les étoiles. Le dénommé sourit en retrouvant son petit ami qui s'avance près de lui, serré dans son costume.

— Joli, il ronronne.

Une chemise d'époque, un pantalon serré sur ses longues jambes. Julian est à croquer, et Asra ne se prive pas de le regarder, le visage au creux de sa paume.

— Mm, err… Oui, je…

Un compliment, et l'oiseau se fige en plein vole. Ou bien c'est le regard de son petit ami qui le coupe dans son élan. Il n'empêche qu'il se reprend aussitôt et vient s'asseoir à ses côtés, son interminable bras passé autour du dossier de sa chaise.

— Toujours contre l'idée de te joindre au film ?

— Si je ne m'y étais pas joint, tu serais nu à l'heure actuelle.

Ilya glousse.

— Je parle du tournage. Pourquoi priver le monde de ton extraordinaire présence ?

Comme il parle, le charmeur attrape sa main et embrasse son poignet, sans lâcher son regard. Et le ventre d'Asra se soulève agréablement.

— Je ne sais pas jouer.

— Ça s'apprend. Puis le rôle qui reste est mineur, ça tient en deux ou trois lignes.

— Star s'est déjà proposée.

Il lui sourit sans vraiment le regarder, mais se laisse flatter. Julian est démonstratif. Il n'a pas honte quand il l'embrasse et que les autres sifflent. Sifflaient. Ils se sont calmés, au bout de deux mois. Asra apprécie de pouvoir poser sa tête sur son épaule sans avoir à s'inquiéter des murmures.

Mais il tend l'oreille, malgré lui.

— Je ne peux rien faire pour te convaincre ?

— Je suis incorruptible.

— Ça, c'est parce que tu ne connais pas encore l'étendue de mes talents de séducteur.

— Je demande à voir.

Le garçon sourit, tend la main et effleure le contour de son oreille.

— Qu'est-ce que tu vas faire ? Me proposer un rendez-vous ?

— Je pourrais.

Ilya appuie son visage contre sa paume, l'œil pétillant. Sa peau rugueuse trahit un rasage récent - ça, et la petite coupure qu'il trouve à l'angle de sa mâchoire.

— Je pourrais aussi arriver au lycée avec un bouquet de fleurs, il menace.

— Tu n'oserais pas.

— Oh, si. Un énorme bouquet. Avec des lys.

— Je ne crois que ce que je vois.

Ce serait gênant. Pas tant pour les fleurs - Asra adore ça - que pour l'attention constante et l'objet encombrant dont il ne saurait que faire. Pour les questions de ses parents, aussi. Impossible de leur cacher un cadeau d'une telle envergure. Et il ne leur a - évidemment - rien dit sur son petit ami. L'idée même de cette conversation tire dans son torse et il la chasse, inspire l'odeur d'Ilya imprégnée de cigarette.

De toute façon, ils ne seront pas à la maison quand il rentrera avec l'hypothétique bouquet.

— Eh Jules ! Arrête de faire le paon et ramène ton cul, on t'attend pour la scène.

La délicatesse inexistante de Natiqa vient interrompre leur petit jeu. Ilya pousse un soupire théâtral, embrasse une dernière fois sa main et se redresse.

— Le devoir m'appelle, il déplore.

— Jules ! elle gueule.

— Mais nul ne saura m'empêcher de revenir vers toi.

Asra glousse contre sa bouche alors qu'il l'embrasse. De longs doigts d'araignée passent dans son cou. Poussent son menton un peu plus haut. Quand Julian s'éloigne, il ne le lâche pas du regard. Ses gestes éloquents attrapent son attention et la garde alors qu'il répète encore et encore les mêmes mots.

Sur scène, posé dans les décors qu'il a aidé à créer, son petit ami n'est plus le même. Asra le voit comme un dé jeté dont les facettes se reflètent soudain, tournent au gré des scènes et le captivent à chaque fois. Il n'arrive pas à savoir si Julian fait semblant ou si, au contraire, il écarte son torse pour donner son cœur en pâture au public. Il rit et fait rire de lui sans honte, crache son sérieux et se tourne d'un pas brusque. Partage sa peine, sa peur. Ses silences. Recommence.

C'est incroyable.

Ce garçon l'aime. Asra s'accroche à cette pensée chaque fois que l'angoisse remonte. Ce garçon l'aime peu importe les bruits qui courent autour d'eux. Il répond à ses messages au milieu de la nuit, lui tient la main dans la rue. Il garde dans son lit un de ses pulls plein de son odeur.

Et quand il se pose entre deux prises, c'est pour lui sourire.

— Concentre-toi, quelqu'un lui reproche.

— Je suis concentré ! Ilya rétorque, outré.

— Ouais, sur ton gars.

Les gens rient. Julian aussi.

Et Asra sent ce fil qui se tend brusquement dans son torse, comme une ligne de pêche. L'impression étouffante de voir son amoureux disparaître dans un univers qui ne sera jamais le sien chaque fois qu'il glousse avec un de ces milliers de visages. Ce monde vivant auprès duquel le garçon se tient en marge.

Muriel est tout près, en train d'aider le groupe de caméramans. A scruter du coin de l'œil son petit galopin d'ami. Asra lui adresse un geste de la main avant de fouiller sa poche pour attraper son portable.

Un cadeau d'anniversaire, donc. Il lui reste trois jours pour trouver.


(Je ne sais toujours pas ce que sera le cadeau d'Ilya. J'ai genre six jours pour trouver. On croise les doigts.)

A la semaine prochaine !