Hey !

Il est tard, j'ai failli oublier de poster mais le drame a été évité. Voici livré pour vous le chapitre 31. Qui est beaucoup plus long que ce que je prévoyais.

Merci à Ya pour la relecture !

Bonne lecture !


Juste une petite erreur

Asra

.

Son père vient de partir et Asra avale difficilement sa salive.

Il ne comprendra jamais ce sentiment. Cette impression de vide et ce soulagement mêlé, pour un départ qu'il redoute autant qu'il l'attend. Mars a dépassé sa moitié, le printemps pointe le bout de son nez et il devrait se réjouir. L'apprenti sorcière adore cette saison. Les fleurs qui se lèvent, les couleurs qui reviennent et, parfois, les dernières neiges abandonnées au milieu du soleil. Il pourra à nouveau sortir bras nus.

Mais il reste assis dans les escaliers, le regard ailleurs.

— Mon chéri, tu peux t'occuper de débarrasser, s'il te plait ?

La voix de sa mère porte avec douceur. Par réflexe, il hoche la tête, sans répondre. S'approche de la table. Sa propre assiette n'est qu'à moitié vide.

— Mets les restes dans un tuperware, Aisha précise.

Les restes. Il regarde les légumes entassés dans la sauce. Il pourrait tout jeter. Elle ne le remarquerait pas, concentrée sur ses copies. Ou alors terminer son assiette en trois coups de cuillère. Il ne lui en faudrait pas plus pour ce qu'il reste. Ça se mange vite. Il ne peut même pas dire qu'il a la gorge nouée, ce serait facile, et…

Il a déjà mangé à midi. S'il termine ce plat, il aura engouffré plus de nourriture aujourd'hui qu'hier. Cette idée l'arrête. Il peut tenir avec moins que ça, il sait qu'il en est capable.

Décidé, il va chercher le tupperware. Ça fera toujours un repas de prêt pour demain.

— Asra ?

Sa mère l'interpelle alors qu'il passe près d'elle pour regagner sa chambre. Elle se tourne et c'est là que ça le frappe. Son visage. Elle a vieilli. Il ne sait pas si ce sentiment lui vient de son sourire fatigué, ou des rides qu'il croit discerner au coin de ses yeux. Peut-être qu'elles étaient déjà là avant, et qu'il n'y a jamais fait attention.

— Oui, il répond en s'approchant.

— Tout se passe bien, au lycée ?

L'étonnement passe sur son visage aussi vite qu'il le chasse. Au lycée ? Pourquoi ça n'irait pas ?

— Oui.

Ses notes sont ce qu'elles ont toujours été et malgré les rumeurs qui courent, il passe le portail sans trop d'angoisse. La fin de l'année approche, mais il n'a pas d'examens importants. Non, pas de raisons de s'en faire. Au contraire, il y a Ilya, maintenant.

Ça, ses parents l'ignorent. Et il compte bien garder cette précieuse histoire pour lui.

— Tu as l'air fatigué.

Il hausse les épaules.

— On termine les contrôles du deuxième trimestre.

— Je vois. Prends quand-même le temps de te reposer.

Aisha se penche pour embrasser son front.

— Et fais attention au grignotage, elle le taquine. Après, tu n'as plus faim pour le dîner.

Asra vacille.

L'envie de cracher le prend brusquement. Tout relâcher et lui dire enfin… Lui dire quoi ? Qu'il sort avec Ilya et qu'ils n'ont même pas compris, elle est son père ? Que les gens le regardent différemment au lycée, et que ça court comme une fourmie sous sa peau ? Lui reprocher de ne pas remarquer qu'il lui ment, quand il prétend qu'il a goûté tard ? Qu'elle aurait juste à jeter un coup d'œil au placard pour constater que les gâteaux sont toujours à leur place ?

Ça n'aurait pas de sens. Il sent un poids bien plus lourd dans son ventre, une tristesse qui n'a pas d'origine. C'est facile de lui dire de prendre soin de lui. Trop facile.

— Je ferai attention.

Asra regarde sa mère. Il lui sourit comme on salue quelqu'un dans la rue, poliment. Puis il remonte.

Il passe devant la salle de bain et attrape son reflet. Son visage. Cette mâchoire qui se durcit de jour en jour, comme sa voix descend. Ce double lui qu'il fixe.

Il ne le reconnait pas. Ne se reconnaît pas.

Asra sort de la salle de bain et se laisse tomber dans son lit, le torse écrasé par un étau qu'il n'identifie pas. C'est lourd, et dur, et il doit se souvenir de respirer pour ne pas étouffer. Ce regard mauve le suit. Le sien, et en même temps…

Quelque chose ne va pas.

Il pourrait redescendre, et parler à sa mère. Mais il ne saurait pas quoi lui dire, ni comment l'exprimer. La femme qui l'emmenait au lit petit a disparu et l'autre, celle sur le canapé, n'a rien du réconfort d'antan. C'est une maman face à qui il a appris à faire semblant, pour préserver l'équilibre de la maison.

Ramenant ses jambes contre lui, Asra constate amèrement qu'il ne connaît plus sa famille.

Il cherche à taton le téléphone posé sur sa table de chevet. Compose le seul numéro qui en vaille la peine.

Ça sonne une fois. Deux fois. Trois.

— Ilya ?

— Vous êtes sur la messagerie du-

Il raccroche. Déglutit.

Ilya est occupé, sans doute. Il a le bac à passer, un millier de cours à réviser, de l'angoisse à ne plus savoir quoi en faire. Mais Asra ne pense qu'à sa voix. Au regard gris qui brille sur lui, aux mots qu'il a quand il lui fait ses déclarations. A ses doigts longs.

Son téléphone vibre et il l'attrape sans réfléchir

[Asra ? Ça va ?]

Son cœur cogne. Oui, il va pour répondre. Parce que ce sont les trois seules lettres acceptables quand on reçoit ce genre de messages. On ne dit pas non, pas spontanément. Mais sa gorge se serre et il caresse les touches du clavier tactile.

[Je peux t'appeler ?]

Il attend. Compte les secondes comme il l'a fait avec les sonneries, juste avant. Et soudain, le numéro d'Ilya apparaît.

— Asra ?

Sa voix flotte dans son oreille.

— C'est moi, le garçon lâche.

Ça sonne comme une plaisanterie qui lui vient, comme ça, sans qu'il n'y ait réfléchi. Un automatisme.

— J'espère bien. Je m'inquièterais, sinon. Surtout à cette heure.

Il l'entend rire et il se demande si Julian trouve vraiment ça amusant ou s'il se force pour le mettre à l'aise. Comme on fait semblant en société, les uns avec les autres.

Il veut sentir son regard sur lui. Son sourire maladroit.

— Tu voulais me dire quelque chose?

Non. Asra ne voulait pas dire, il a besoin d'entendre.

— Je me demandais si tu allais répondre.

— Pour toi ? Toujours, à n'importe quelle heure.

— N'exagère pas.

— Je suis tout à fait sérieux.

Alors il écoute. Peu importe la véracité de ses propres réponses, il se love dans un cocon de couleur et de bibelots bricolés et il s'oublie dans la voix d'Ilya. Ces notes brèves et vives, ce timbre rapide. Son cœur se relâche.

— Même si j'appelais au milieu de la nuit ?

— Je suis presque sûr que tu l'as déjà fait.

— Il n'était pas si tard, Asra rétorque.

— Tout dépend. Qu'est-ce que tu entends pas tard ? Si on y réfléchit bien, il y a des gens qui ne se couchent jamais après 22 heures.

Le garçon tend la main et allume une guirlande pleine de boucles et de couleurs. Une guirlande guinguette, la vendeuse avait dit, en le trouvant qui admirait les colonnes de teintes. Il aime cette lueur faible, l'arc-en-ciel d'automne qui embellit soudain le mur. Une ligne imparfaite qui marque une séparation entre lui et la nuit.

Asra voudrait se fondre dans les tâches lumineuses.

— On ne se couche pas aussi tôt, nous, il répond.

Il n'a jamais invité son petit ami à dormir ici.

— Eer, certes. A ce sujet, tu devrais peut-être faire attention à tes horaires de sommeil.

Julian se racle la gorge.

— Loin de moi l'idée de vouloir imposer un quelconque contrôle sur ton rythme de vie, mais c'est mauvais de se coucher tard. Ta santé va en partir sur le long terme et-

— Tu ne devrais pas attendre d'être en médecine, pour faire ce genre de remarque ?

— Peut-être. Mm, désolé.

— Ne le sois pas.

Fut un temps, Asra se couchait tôt. Il n'envoyait que quelques messages à Muriel avant de sombrer, fermait les yeux et s'évanouissait dans un autre univers.

Il ne sait pas quand cette époque s'est terminée. Ni pourquoi.

— J'ai du mal à dormir, en ce moment, il ajoute.

Les mots s'articulent difficilement dans sa bouche, lui-même ne comprend pas pourquoi. Il avale une salive épaisse qui cherche un chemin dans sa gorge trop étroite. Du mal à dormir ? Asra a surtout envie de passer des heures à parler avec Ilya. Il voudrait pouvoir se serrer contre lui cette nuit. Embrasser ses épaules, le chercher, le chauffer, s'amuser et s'endormir la peau encore collante. Se réveiller pour lui parler.

— Et… Err, il y a un truc qui t'empêche de dormir ?

La peur. Les idées qui défilent, les souvenirs, son reflet. La tendresse étrange que sa mère a eu pour lui. La colère. Tout ce à quoi il pourrait penser, une fois les yeux fermés.

Contre Julian, il n'a pas à penser. Juste à rire pour rien, la tête pleine de leurs échanges. Il plaisante, oublie et se fond contre lui, et…

— Tu peux parler- me parler, si tu veux. Si t'as envie.

Asra inspire. Les couleurs lui semblent fades, sur le mur. Il serre ses draps.

— Rien de particulier.

— Bien. D'accord.

Il repense à son assiette à moitié pleine, au baiser sur son front et la déception lui fond dessus comme un vautour. Un sentiment qu'il ne comprend pas, mais qui prend toute la place. Une immense couverture trop lourde pour ses bras.

Si, il voudrait dire. Il y a un truc.

Mais quoi ? Et par où commencer ? Asra n'a pas envie de parler. C'est un exercice qui l'épuise plus qu'il ne le soulage. Il ne veut pas partager des peurs qu'il ne saurait de toute façon traduire. Le timbre haché de Julian est plus efficace. C'est de lui qu'il a besoin, de sa présence et de cette simple évidence qui coule entre eux. De l'amour chaud qui comble les vides.

— Qu'est-ce que tu vois ? il demande soudain.

La surprise d'Ilya l'amuse d'ici.

— Ce que je vois ? Maintenant, tu veux dire ?

— Oui.

— Excellente question. Si je devais te répondre franchement, je te dirais que j'ai en face des yeux une longue surface granuleuse et blanche- enfin, grise, oui, disons plutôt grise - qui se trouve être mon plafond, mais c'est une réponse relativement ennuyeuse, alors…

Sa voix qui débite et coule dans son oreille ramène un sourire. Asra écoute, rit parfois. Imagine les expressions de son dramatique petit ami. Garde pour lui les compliments qui glissent parfois. Il sait qu'Ilya l'aime et pourtant, il a besoin de le sentir. De toutes les manières possibles.

Il lui faut cette certitude d'être, pour au moins une personne, le centre d'un univers merveilleux.


Et voilà. J'ai grave hâte de poster le prooochain chapitre. Et de commencer la deuxième partie.

A la semaine prochaine.