Hey !
Un chapitre assez long aujourd'hui ! Il a été écrit d'une traite, j'en suis plutôt content. J'espère qu'il vous plaira !
(TW en fin de chapitre)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
Juste une petite erreur
Julian
.
Le trajet passe plus vite avec une paire d'écouteurs dans les oreilles. Julian s'en fait la réflexion alors qu'il quitte le bus sur les premières notes de Diary of jane. Il fredonne plus vite que le rythme de la musique, traverse la rue sans regarder et rejoint l'adresse que Natiqa lui a filée.
[Je suis en bas]
[A1563b pour le code.
C'est au troisième, t'as l'ascenseur au fond du couloir.]
Une soirée. C'est exactement ce qu'il lui faut pour se changer les idées.
Sa pote n'a pas eu à insister longtemps pour le convaincre de venir. Ça fait des jours qu'il a se truc au fond du ventre qui tire. Cette trouille stupide qui l'empêche de réviser. Sauf que Julian ne peut pas se permettre de laisser les cours de côté. Il a ses examens à la fin de l'année, le bac qui l'attend et la médecine derrière. Des mois qu'il taf dur pour atteindre cet objectif - et ce sera pire l'année prochaine - il ne peut pas lâcher maintenant.
Alors il va se vider la tête un bon coup, avaler une grande tasse de café demain et retourner engranger des connaissances à la pelle.
— Mec, quand est-ce que t'as dormi pour la dernière fois ?
C'est sur cette formule chaleureuse que Nat' l'accueille, sa bière dans la main. Elle est déjà éméchée et il entend la musique qui frappe dans le salon inconnu, derrière elle. Il y a du monde – pas trop. Assez de masse pour s'y fondre. Parfait.
— Hier. Je crois.
— Tu sais que si tu bosses au lieu de pioncer, c'est contre productif ?
Elle lui colle une bouteille entre les mains comme on file un Doliprane à un malade, bouteille qu'il porte à sa bouche. La rencontre avec la capsule le surprend. Oups. Ignorant le rire de son amie, il fouille sa poche et sort son briquet.
— Je dors. Des fois.
— Ouais, ouais.
Dedans, il y a les gens qui bougent et ceux qui sont avachis sur le canapé. Il aperçoit un balcon immense où les invités font tourner ce qui doit sans doute être un joint, autour d'une table pleine de bouffe. Parfait. Il ira voir quand il aura bu. Sa priorité, pour les minutes qui viennent, c'est d'enfermer ce qu'il lui reste de raison dans les brumes agréables de l'alcool.
— C'est Asra qui te tient éveillé ? elle plaisante.
— Asra ? Err, non. Enfin, pas vraiment. Il est pas…
Complètement.
— Détends-toi gars. Je déconne. C'est un morpion sage, ton mec.
Un morpion sage… Oh, si elle savait. Asra est un angelot, mais il n'en a pas moins les mains baladeuses. Pas au point de tenir toute la nuit, cependant. Il ne reste presque jamais dormir chez sa tante.
Mais oui, en un sens, c'est bien Asra qui le tient éveillé.
Julian s'envoie une longue gorgée de bière. De la brune. Amère comme il aime, parfaite pour lui retourner l'estomac.
— Il vient pas ? Nat demande.
— Non. C'est… les fêtes, il est pas fan. Pas ce genre de fêtes.
Surtout, il n'avait pas envie de le voir.
Et là, Ilya se sent horrible.
Asra est génial. Un soleil dans la nuit, une étoile filante, un feu d'artifice. Il pourrait en faire des milliers, des métaphores du genre. Parce que le morpion, comme Natiqa l'appelle, l'illumine à chaque fois qu'il lui fait ce sourire mutin, sa main lovée dans la sienne.
Mais là, juste de penser à son rire de renard, il crève de trouille.
Asra l'appelle souvent la nuit. Et quand il ne l'appelle pas, c'est son souvenir qui l'empêche de pioncer.
Oui, Asra est génial. Et Julian n'est définitivement pas à la hauteur. Deux semaines qu'il a passé le cap des dix-huit ans et depuis, il ne pense plus qu'au temps qui va lui manquer.
— C'est vrai que ça lui ressemble pas.
Est-ce qu'elle sous-entend quelque chose ? Julian panique. C'est vrai, cet endroit n'a rien à voir avec son petit ami et ses guirlandes faites à la main. Sauf que cet endroit, c'est lui. La sueur, la fatigue et la nuit qui ne se termine jamais. Les alcools hasardeusement mélangés, les repas picorés. Les lendemains la tête lourde pleine de plomb. Les regards glissés, à se demander s'il va finir la nuit là, ou–
Non. Ça, il ne peut plus.
Mais ça le frappe comme il termine sa bouteille, qu'Asra et lui ne se ressemblent en rien. Et ça le tue. C'est la première fois qu'Ilya tient une relation aussi longtemps. Qu'il tient une relation tout court, en fait. Peut-être parce que son petit ami actuel n'est pas un ténébreux connard, ni un type déjà à la fac qu'il a croisé deux fois en soirée. Pas non plus un mec fascinant qu'il a lui-même largué au bout de la première semaine, persuadé que la relation ne marcherait jamais.
Il aurait dû, pourtant.
— Eh ?
Il tape l'épaule de Natiqa.
— T'es pas assez bourré pour causer par onomatopée, elle lance, un morceau de cake à la courgette dans la paume.
— Nat. Tu crois que ça va le faire, avec Asra ?
Elle baisse les yeux vers lui. Soupire, et secoue la tête.
— T'as pas non plus assez bu pour ce genre de question.
— Je suis sérieux.
Il ne pourra plus le voir à la fac. La médecine va lui bouffer tout son temps. Asra a besoin de quelqu'un qui fait le tour des cafés les plus bizarres pour tester des boissons aux couleurs inquiétantes. Quelqu'un qui répond à ses appels à minuit, lui décrit le plafond et le bout de paysage qu'il trouve par la fenêtre.
Mais Julian ne pourra plus rien faire de tout ça. Et quand bien même ?
Il aurait dû réfléchir, avant de lui balancer une déclaration torchée le soir de Noël. Asra a mis tous ses espoirs dedans, mais ils n'ont ni l'un ni l'autre réfléchi au chemin qu'ils prenaient. Sauf qu'Ilya se pose la question, maintenant.
Où est-ce que cette histoire va les mener ?
Et la réponse est là. Sous ses yeux. Dans cette bouteille vite qu'il abandonne sur la table.
— Qu'est-ce que j'en sais ? Natiqa répond. C'est à lui que tu devrais poser la question.
Elle détourne les yeux. Lui colle une part de cake entre les pattes.
— Et bouffe avant de te torcher la gueule. J'ai pas envie de ramasser ton vomi par terre.
— C'est pas chez toi.
— Je reste dormir.
— T'auras qu'à filer en douce avant que les autres se réveillent.
— Gars, ce sera un miracle si je me lève avant 15 heures.
Asra ne se lève pas à 15 heures après une grande cuite. Il a son réveil, son volet entrouvert qui laisse passer la lumière du jour. Julian le voit bien s'éveiller sur fond de chant d'oiseau, en étirant ses bras au milieu de draps colorés. De la glycine pendue aux fenêtres, et…
Et lui, il se visualise plutôt vautré dans le caniveau, à ramasser ses souvenirs de la veille pour reconstituer le tableau.
Il aperçoit un type du lycée. Lui adresse un vague coucou. Est-ce que c'est Nat' qui l'a invité ?
— Mais t'en penses quoi ?
— De ?
— Asra et moi.
Il va lui faire du mal, tôt ou tard. Parce qu'il ne pourra pas lui apporter l'attention dont il a besoin, que leurs routes divergent trop. Parce que dans le fond, il n'a jamais su s'occuper des autres. Il a toujours bousillé ses relations, c'est à peine s'il arrive à garder ses amis. Même avec Pasha il est nul. Il voudrait être le grand frère parfait qui l'aide à faire ses devoirs, mais il lui fait faux bon une fois sur deux et il la réveille quand il rentre au milieu de la nuit. À quand remonte la dernière fois qu'il a pris la peine de lui parler ? Pas trois mots jetés par-dessus le petit dej', non, une vraie conversation, pour savoir comment se passent ses journées. Sa vie. Il croit qu'elle s'en sort bien en cours, mais-
Merde. Même pas capable de s'occuper de sa petite sœur. Comment est-ce qu'il peut prétendre pouvoir construire une vraie relation avec Asra ? Il n'ose même pas aborder le sujet que Muriel lui a collé sous le nez, et la vérité-
La vérité, c'est qu'il n'a pas envie de s'occuper de ça.
— Jules, Natiqa soupire.
Elle s'ouvre une autre bouteille.
— Franchement ?
— Franchement, il répète.
— T'as pas envie de savoir ce que j'en pense.
Il déglutit.
Ça veut dire quoi, ça ?
Julian ignore son portable qui vibre. Il préfère se redresser, les jambes déjà maladroites et va se chercher à boire dans la cuisine. Réalise une fois dans la pièce qu'il ne sait pas où sont les bières, puisqu'il n'en trouve aucune dans le bac du frigo. Juste trois carottes et… Il a le droit de fouiller là, au moins ? Il ne sait même pas chez qui il est. Cet appart est immense, c'est sans doute une coloc. Il suppose.
Merde.
Est-ce que Natiqa pense que c'est foutu, entre Asra et lui ? Est-ce que c'est mort depuis le début ?
— Si c'est la bière que tu cherches, le dernier pack est sur le balcon.
— Je-
Ilya se tourne. Le timbre grave descend le long de son dos et se fond dans son ventre. Il a perdu dix centimètres d'un coup – tout du moins, c'est l'impression qu'il a. Son ventre secoué de bulles, il inspire.
— Tiens.
Le type face à lui. Julian doit s'y reprendre à deux fois pour attraper la bière qu'il lui tend, parce qu'il s'est paumé dans ses yeux. Cette couleur brune rougie.
— Comment ça va, depuis la dernière fois ?
Il reconnaît ce sourire lourd et ses cheveux. Ils ont poussé depuis cet automne, mais ce sont toujours les mêmes mèches mêlées de blanc et de noir. La même chaleur dans sa voix. La force qui se dégage de ses épaules larges l'attire. Il devine juste à le voir comme ça ferait mal, si le type décidait de le plaquer contre le mur, là. Mais pourquoi est-ce qu'il ferait ça ?
Oh, non. Il faut qu'il arrête de penser.
— Bien. Ça va bien.
Il inspire.
— Et toi ?
Plutôt que de répondre, le gars… il avait un nom. Ilya se souvient le lui avoir demandé – ou alors il confond ? Peut-être qu'il a gémi des mots qui n'avaient rien à voir. Ce dont il est sûr, en tout cas, c'est de la force de ses mains agrippées à ses hanches et de la franchise de ses coups de reins. Il sait que s'il le lui demandait, l'ex plan cul lui tirerait volontiers les cheveux.
Il porte le goulot à ses lèvres.
— Ça va.
Un siècle sépare leurs deux phrases. Un siècle durant lequel Ilya contemple l'oreille de son interlocuteur. Son écarteur a laissé place à deux anneaux pesants qui tirent la peau blanche vers le carré de sa mâchoire.
— J'allais m'en griller une. Tu m'accompagnes ?
— D'acc. D'accord. Oui.
Julian n'est même pas sûr d'avoir pris ses clopes. Il les a sans doute oubliées, et sa dignité avec. Mais il suit le type dont il ne comprend pas ce qu'il fout là. Se dit que le monde est petit – ou qu'ils appartiennent au même groupe de potes, c'est aussi plausible. Il regarde son dos alors qu'il avance, ses épaules qui roulent et prient pour ne pas rougir quand ce regard insondable croise le sien.
C'est juste une clope, il pense en attrapant la sienne. Juste une discussion. Il ne se sent pas de retourner voir Natiqa après ce qu'elle lui a dit, autant passer son temps avec…
— Samaël.
Peut-être qu'il a dit Samuel, Ilya n'est pas bien sûr, avec l'alcool.
— Mais arrête-toi à Sam.
— Bien… Sam.
Le mot coule sur ses lèvres qu'il lèche. Le goût de la bière reste, l'amertume familière. La conversation file et Julian perd même un morceau de la nuit au salon pour aller danser, alors que quelqu'un a décidé de lancer une playlist des années 80. L'heure avance et la nuit s'assombrit, et bientôt le temps n'a plus d'importance. Il est trop fatigué pour dormir, pour penser, la conscience étouffée par les amuses-gueules qu'il s'efforce d'avaler.
Assis sur le canapé, les jambes en travers de celles de Sam-aël ?
— Médecine ? Tu vas tenir le rythme ?
— Je mourrais en essayant.
Sam rit, donc. Et ça sonne comme une menace. Le genre de menace qui l'attire.
Il sent sa main sur sa jambe. Mais c'est juste une main, après tout.
— Corrige-moi si je me trompe…
Il parle lentement, articule. Ça lui rappellerait presque Asra, la légèreté en moins.
— …Mais j'ai l'impression que tu as un goût du risque très prononcé.
— Disons que je suis joueur.
— Joueur ?
A la volée, il attrape le regard de Natiqa. Il se détourne avant d'y lire ce qu'il a peur d'y trouver. Elle a dû voir elle aussi, la main qui remonte le long de sa jambe. Mais c'est juste un jeu. Ilya adore ça, jouer, tester les limites. Ça ne veut pas dire que… Asra n'est pas là de toute façon, et lui, il est assez grand pour savoir quand il faut s'arrêter. Il a juste envie de lâcher les rennes. Faire retomber la tension, retrouver cette limite fragile qui le fait frissonner, cette excitation que la drague procure. Après, il rentrera décuver.
— J'ai un jeu à te proposer, alors.
Il le laisse se pencher. Porte sa bière à ses lèvres comme on pose une barrière.
— Lequel ?
La bouche évite la sienne pour aller vers son oreille et il se mord la lèvre.
S'il rougit, c'est à cause de l'alcool. De la chaleur.
Il ne fait que s'amuser. Ilya adore ça, après tout. Danser et rire, bouger sur scène, s'enfermer dans un rôle qui lui libère la tête. Jouer, toujours jouer, avec le danger. Les limites. Il a juste besoin de sentir cet étau qui se resserre, la voix grave qui lui prend l'oreille et fait se dresser le moindre poil de son corps. Pas que ses poils, d'ailleurs.
Mais c'est rien, c'est juste…
Asra n'est pas là, il se répète.
Et quel mal ça fait ?
C'est rien. De toute façon, le cul, ça se résume à quoi ? Des gens qui se foutent nus l'un contre l'autre. Et encore, son pantalon lui tient toujours les chevilles quand l'autre se penche sur lui, à l'étroit dans sa bagnole. Dans un parking mal éclairé qui lui rappelle autant d'expériences foireuses.
Oui, il a encore son haut quand il sent des mains plus larges que les siennes passer sur son torse. Le long de son dos qu'il courbe docilement en sentant qu'on lui attrape les cheveux. Qu'on tire.
Qu'on mord.
Le cul, ce n'est jamais rien de plus que deux tas de chairs qui se pressent, des frictions, de la sueur et un orgasme rapide, parfois. C'est juste un ensemble de gestes, mécanique. Ça ne peut pas être mal.
Et ça ne peut pas en faire, tant que ça ne sort pas d'ici.
(TW : sexe - scène non explicite, auto sabotage.]
Lalalala. Julian et l'auto sabotage. Oups.
(J'espère que vous avez profité du fluff. Il est possible que la suite soit plus axé angst)
Pour Sam-aël, j'ai bidouillé avec le Diable, toujours par manque de personnage. Je ne sais pas encore ce que j'en ferai plus tard, mais pour l'heure, il a rempli son rôle de semeur de chaos.
A la semaine prochaine !
