Hey !
La machine infernale est lancée, lalala. Julian va semer le chaos et adviendra ce qui doit advenir.
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture à vous !
L'inévitable
Asra
.
Voir sa vie décortiquée entre les mains d'inconnus, voilà ce qui noue le ventre d'Asra ces derniers jours. Il sent ces regards qu'il ignorait avant, ces murmures qui l'entourent. Les idées qui flottent, l'attention montante. Cette impression sale que sa propre existence ne lui appartient plus.
Sa main serre celle d'Ilya. De son autre paluche, le rouquin tire sur sa clope. La fumée passe autour d'eux et s'échappe.
— On se retrouve à la sortie ? le galopin glisse.
— Mm, oui, err…
Il sent le corps de Julian qui se tend.
— J'ai… beaucoup de trucs à faire- enfin, à réviser. Le bac, tout ça. On a encore un DS la semaine prochaine. En maths.
— Oh.
— Mais on peut se voir ce week-end, si tu veux.
Asra déglutit. Il sait bien que les révisions sont importantes pour son petit ami. Même s'il a du mal à saisir la valeur que les gens accordent à l'école. Les notes et les appréciations. Les devoirs. Tout ça, ce n'est qu'un trait d'encre sur un tas de papier qui s'effritera avec le temps. Il s'en moquera bien dans dix ans, de savoir s'il avait ou non eu une mention au bac.
Mais il imagine qu'on n'a pas le luxe de flâner, quand on vise un cursus comme celui de la médecine.
— Ça marche.
Il voudrait qu'Ilya remarque sa déception. Qu'il se penche, le serre et retire ses mots, lui propose de venir passer la soirée chez lui. Qu'il murmure qu'il l'aime avec ces belles déclarations qu'il sait faire, cette assurance qui s'effondre quand on lui rend son amour. Mais les examens approchent. Bien sûr qu'Ilya a moins de temps à lui accorder. Ça s'arrangera cet été, quand ils n'auront plus ni cours ni devoirs à rendre. Envolée, la pression.
Il pense à la chaleur et aux jours longs qui se terminent après vingt heures. À tout ce qu'il pourra faire avec Ilya. Le baiser qu'il lui laisse lui semble trop court, et les leçons de l'après-midi s'allongent indéfiniment.
Il sent parfois le regard de Muriel qui passe et s'efface, incertain.
Son sac jeté au travers de son épaule, il passe le portail du lycée sans pouvoir s'empêcher de chercher son petit ami. Il va passer l'embrasser avant de filer, hein ? Il n'est pas à dix minutes près. À moins qu'Ilya ne soit déjà parti ? Si ça se trouve, il a terminé plus tôt.
Mais le lundi se termine, et Asra ravale sa déception. Il marche jusqu'à son arrêt de bus au côté d'un Muriel inquiet.
. . .
— J'entends vos mots, Ilya déclare. Mais ce sont vos preuves que je veux voir.
Il tourne autour de la table, installée là pour l'occasion. Puis la personne derrière la caméra coupe et tout le monde se précipite pour regarder le résultat. Cinq prises de faites. Asra ne sait pas si c'est un bon nombre - ni même s'il existe un bon nombre de prises. Il est occupé à recoudre l'épaule de la chemise de Star. Les coutures de la tenue, qui ne lui était initialement pas destinée, ont craqué sous un geste trop franc.
— Eh ? Ça va, entre Jules et toi ?
Surpris, le garçon se tourne. Il reconnaît le visage du garçon qui lui parle, mais son nom ne lui revient pas. C'est un de ces types qui fument parfois avec Ilya devant la salle. En général, quand son amoureux est entouré, Asra ne s'avance pas.
Il ne comprend pas pourquoi ce type vient lui parler.
— Oui.
— Oh, d'acc.
Il plisse les yeux, mais déjà l'autre s'éloigne. Interloqué, le couturier improvisé se redresse. Il cherche son petit ami du regard. Julian n'a pas bougé, il rit dans les escaliers et regarde les prises, avant de se préparer pour le reste des scènes qu'ils doivent boucler aujourd'hui. Le montage commencera bientôt, ils ont hâte de s'y mettre.
Avaient.
Tout d'un coup, Asra n'a plus envie de tourner quoi que ce soit.
. . .
C'était sûrement un pari idiot. Au pire, un crétin qui cherchait à le perturber. Les autres élèves font ça tout le temps au collège, pourquoi pas au lycée ? Ils se refilent juste des paris pour occuper la récré, s'envoient poser des questions sans que ni tête au mieux, indiscrète le reste du temps. Combien de fois leur a-t-on demandé quelles étaient leurs origines, à Muriel et lui ? S'ils étaient ensemble, gays, si Asra cousait ses vêtements lui-même, pourquoi sa mère l'amenait à l'école voilée et autant d'autres remarques dont il cache l'exaspération en se détournant.
Les gens ont juste trouvé un autre terrain de jeu : Ilya. Pas la peine de s'inquiéter.
— Mais c'est qui le mec ?
— Je sais pas, il est pas du lycée.
— C'était pas Asra ?
— Non j'te dis.
— Vous parlez trop fort les gars.
Asra déglutit. Il fixe la feuille sous ses yeux sans réussir à en déchiffrer les lignes. Les mots perdent leur sens et il tend l'oreille pour essayer d'en attraper d'autres. Son ventre se serre. Merde, ce sont des rumeurs. Juste des rumeurs, comme celles qui couraient sur lui et Muriel quand ils se tenaient la main. Asra sait comme on peut être proche de quelqu'un sans que l'amour y joue son rôle. Les élèves font ça si bien, tordre ce qu'il y a de beau ailleurs pour occuper les cours trop longs. Il ne doit pas écouter. Les racontars, ça vaut ce que ça vaut, c'est juste…
L'analyse de texte. Il doit se focaliser dessus, s'il ne veut pas passer la moitié de la nuit à rattraper le retard qu'il a accumulé dans ses devoirs.
— Mais ils sont toujours ensemble ?
— Asra a dit oui.
— Et Jules ?
— Bah ce serait pas la première fois qu'il merde. C'est Jules.
Un point net lui tombe dans le ventre. Asra serre son stylo.
Des rumeurs. Ce sont des rumeurs et il devrait se retourner pour leur dire de se taire. Ilya va en soirée, il s'amuse, il boit. Bien sûr qu'il tape la discussion avec des inconnus, il doit connaître la moitié de la ville à force de bavardage et de blagues vaseuses. Il est comme ça, bavard et vivant, intenable.
Mais il l'aime. C'est lui qui le lui a dit, le premier. Il l'aime et il ne lui ferait pas ça.
— Quelqu'un l'a dit à Asra ?
Les gens racontent sûrement les mêmes bêtises sur son meilleur ami. Oui, il y a bien un crétin qui s'imagine qu'ils couchent dès qu'Ilya a le dos tourné, des gens sont venus titiller son petit ami, des histoires sales qui traînent et qui n'ont rien à voir avec…
Asra inspire une fois. Deux fois.
Les consignes dansent sous ses yeux, mais leur sens lui échappe.
Sur sa feuille, le stylo attend sans bouger.
. . .
Asra déglutit.
"Je sais que ce mot ne sera pas agréable à lire et je suis désolée, mais je pense que c'est important que quelqu'un te le dise : Julian te trompe."
L'écriture est belle. De grandes boucles qui se mêlent les unes aux autres, à peine penchées. Des mots soignés sur un bout de papier froissé qu'on a glissé dans ses affaires. Sûrement pendant la pause de midi.
— Asra ?
Il serre la feuille au creux de sa paume. Si c'est une blague, elle n'est pas drôle. Et si ça n'en est pas une, de quoi les gens se mêlent ? Ils ne savent rien de lui ni d'Ilya, des rendez-vous secrets qu'ils partageaient dans la régie, des messages au milieu de la nuit. Eux, ils voient juste le grand rouquin qui fait le pitre son café à la main. C'est sûr que Julian ne donne pas une image sérieuse, mais c'est tout ce que c'est, une image.
Oui, les gens ignorent tout ce qu'il y a en dessous. Les trésors qu'ils ont découverts en creusant. Ils voient Julian parler avec un mec en soirée et ça y est, ils tiennent leurs nouvelles rumeurs, et…
Il lui aurait dit, s'il s'était passé quelque chose. Et même, Asra l'aurait senti. Il le connaît.
— C'est quoi ? Muriel insiste.
— Rien.
Il fourre la boule de papier froissée dans sa poche. Mais lui faut la main de Muriel sur ses épaules pour réaliser qu'elles tremblent.
Samedi, il voit son petit ami. Il lui parlera de cette histoire, des bruits qui courent et son drôle d'oiseau fera taire les rumeurs. Parce qu'ils n'ont pas besoin de ces saletés, ils sont au-dessus de ça, eux. Au-dessus des histoires que les gens tissent pour s'occuper.
Ils ne savent pas tous les mots qu'Ilya lui a dit à Noël, alors qu'il s'était caché dans le jardin. Les longs appels qu'ils partagent dans la nuit pour se garder l'un près de l'autre. Comment c'était de faire l'amour avec lui, et de recommencer, de l'embrasser dans un parking sur du vieux rock en riant.
Et même s'ils avaient raison ? Même si Ilya devait confirmer ce qu'on lui a écrit, ça ne changerait rien à tout ça. A eux.
Il l'aime.
— Viens.
Muriel essaie de l'entraîner à l'écart, loin du bruit et des regards qui l'attrapent. Cette attention qui s'est multipliée, ces derniers jours.
Mais le garçon lui tombe dans les bras.
— Asra ?
Désemparé, Muriel passe mécaniquement ses bras autour de lui pour le ramener contre son torse.
Voilà. Des câlins sur Asra. C'est pas sa meilleure semaine.
Merci à celleux qui suivent, j'espère que l'histoire vous plait toujours ! A la semaine prochaine !
