Hey !
Dans cinq chapitres, la première partie sera terminée ! Ça avance vite. (Par contre je pensais boucler cette histoire en 100k mots max et… Non, définitivement pas :') À voir quelle longueur la seconde partie fera.)
Merci à Ya pour sa correction, et bonne lecture à vous !
[TW en fin de page]
Le début de la fin du monde
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Le soulagement qui envahit Asra est aussi intense qu'il est bref. Il rentre chez lui avec le souvenir des bras d'Ilya autour de sa taille, de sa bouche sur la sienne et de son rire cassé qui résonne dans le café. Le soir, il mange la salade que sa mère a préparée. Il envoie un message à Muriel pour lui dire que tout va bien et il passe la journée suivante chez lui, un sourire flottant sur la bouche.
Il avait raison. C'était des conneries, tout ça. Des racontars pour amuser la foule. Et si cette manie qu'ont les gens de distordre sa vie privée l'angoisse encore, il sait qu'il n'a pas à s'inquiéter. Ilya l'aime. Mieux, Ilya comprend ce qu'il ressent. Rien ne compte plus que ça.
Il entame les vacances sur cette note paisible, impatient du début de l'été et de la fin des examens qui lui promettent de longues journées contre son petit ami.
[La grand-mère de Muriel dit qu'il y a des serpents dans le jardin °\( ◕▿◕ )/° . Du coup, on doit mettre des bottes pour ramasser les mûres si on passe par les hautes herbes.
(image)]
[Quel genre de serpents ? Fais attention à toi. Surtout si ce sont des vipères D^:
(Seigneur. Est-ce que c'est une paire de bottes en forme de grenouilles ?)]
[Aucune idée, on en a pas encore vu ! Mais d'après Muriel, il n'y a que des couleuvres dans le coin et elles n'ont pas de venin ( -ᴗ•) .
(Si je me fais mordre, tu viendras me soigner ?)
(Oui _(°︿°)_ Elles sont magnifiques.)]
[On a pas vu le moindre serpent. Je suis déçu 。゚・ (°﹏°) ・゚。
(Par contre, on a assez de mûres pour tenir un siège. On a fait le tour de tout le village.]
Mais les maigres réponses du rouquin ont tôt fait de raviver son inquiétude.
[(image)
On a fait trois pots (ノ◕ヮ◕)ノ*:・゚✧ ! Mais, ça ressemble plus à de la gelée qu'à de la confiture.]
La photo envoyée, Asra soupire. Il imagine bien qu'Ilya est encore plongé la tête dans ses révisions mais il ne lui a écrit qu'une fois aujourd'hui, deux hier. C'est les vacances, ça lui arrive de se reposer, non ? Il ne demande pas un long discours, juste… Autre chose que ce silence qui lui donne l'impression d'être un détail insignifiant dans la vie de la personne qu'il aime.
— Tiens.
Devant lui, la grande main tendue de Muriel interrompt ses pensées pour lui offrir une tartine de beurre recouverte d'une gelée rouge sombre. Le fruit de leur travail. Il déglutit.
— Merci.
Son ami ne dit rien, mais il devine l'inquiétude dans ses yeux. La paume sur son épaule lui donne envie de fondre dans ses bras.
. . .
Dans le train qui les ramène à la ville, Asra contemple la fenêtre et son paysage gris triste. Les arbres se courbent sous le vent, la terre se gonfle d'une pluie drue qui l'apaise et l'enferme dans un cocon d'étrange tristesse. Il aime ce ciel terne qui ne laisse rien voir du soleil, autant que la couleur d'une herbe trop verte ou d'un tronc noirci par cette fausse nuit.
Mais rien ne peut apaiser l'angoisse qui le tire.
[Je rentre ce soir. Tu crois qu'on pourra se voir ce week-end, avant la rentrée ?]
[Ilya ?]
Ce n'est pas la première fois que Julian ignore ses messages. En fait, ça fait trois jours qu'il n'a rien reçu de lui. Asra inspire. C'est déjà arrivé, pendant les vacances de la Toussaint. Le drôle d'oiseau avait seulement coupé son portable pour se concentrer sur ses révisions, mais…
Peut-être que c'est égoïste. Oui, peut-être qu'il devrait laisser le Terminal préparer son bac en paix, mais qu'est-ce que ça lui coûte d'envoyer un message pour le prévenir ? Il ne demande pas la lune seulement une réponse en deux lignes pour lui dire qu'il s'isole cette semaine. Un peu d'attention pour lui éviter de se tordre d'angoisse. Ça lui aurait pris quoi, une minute ?
Asra range son portable dans sa poche, mais il le ressort avant la fin du trajet. L'écran vide ravive la déception qui essaie de fuir. Ses derniers messages flottent les uns à la suite des autres, dans une conversation où ceux d'Ilya se font rares. Quelques réponses disséminées. Il réalise, en relisant, qu'ils n'ont pas eu de vraie discussion. Ils ne se sont pas appelés. Tous les bouts de joie qu'il a voulu partager avec son petit ami se sont heurtés à de brèves réponses. Des smileys convenus, des cœurs, un simili d'intérêt qui termine toujours sur un silence. Mais rien qui ne ressemble à la complicité à laquelle il s'était habitué.
Le doute lui vient, la peur suit. Est-ce qu'Ilya s'ennuie avec lui ? Il a dix-huit ans, ses préoccupations sont autrement plus sérieuses que celles qu'un ado de bientôt seize ans qui préfère s'émerveiller des fleurs du jardin plutôt que de se concentrer sur son avenir. Mais Asra est fait comme ça. Il ne comprend pas la manière dont les gens réfléchissent, la tête toujours lourde d'un après qui arrivera malgré eux. Les cours le font piquer du nez, rien ne l'éveille autant que son tarot, ses livres de divination et la machine à coudre qu'il allume en rentrant des cours.
Il croyait qu'Ilya l'aimait comme ça. Et maintenant, il ne sait plus quoi penser.
Est-ce qu'il s'est lassé ?
Et si leur relation ne tenaient pas jusqu'à l'été qu'il attend désespérément ?
Le cœur en vrac, Asra se serre contre un Muriel profondément endormi. Il inspire son odeur de terre.
Il allume une énième fois son portable, mais l'écran reste vide.
. . .
Personne devant le portail. Les épaules d'Asra s'affaissent.
— Ça va ?
Oui, il devrait répondre. Mais la main de Muriel sur son bras le fait trembler. Les mots refusent de s'articuler dans sa bouche et il se contente d'un bref hochement de tête.
Sa fatigue lui revient en plein visage.
Il a si peu dormi cette nuit. Et cette fois, ce n'est pas la faute aux longues discussions qu'il partageait avec Ilya. Asra ne lui a rien renvoyé de peur d'être encore déçu. Mais il a passé la soirée à guetter un signe, un message pour s'excuser de son silence brusque. Un rendez-vous devant le portail demain. La promesse de sa main dans la sienne avant que les cours ne reprennent.
Mais rien.
Ce matin, devant le portail, Asra constate son indéniable absence.
— Il commence peut-être plus tard, Muriel suggère.
Il a deviné. Asra hausse les épaules, essaie de se convaincre que ça importe peu. Il connaît l'emploi du temps d'Ilya sur le bout des doigts et à cette heure, il a Philo. Deux heures. Mais oui, peut-être que l'enseignante est malade. Il n'aura qu'à guetter la silhouette familière à la pause de midi, devant la cantine.
Les mains moites, Asra contemple la cour et les gens qui parlent. Il lui semble que tout le monde le regarde en secret, comme un public suit un personnage avec la conscience du drame qui va le frapper. Les murmures qu'ils imaginent tournent autour de sa personne égarée, de ses espoirs stupides et d'Ilya, dont il ne comprend plus les silences. Mais ce ne sont que des bribes d'inventions. C'est lui qui projette, c'est tout, c'est…
Il inspire.
Soudain sa tenue colorée le gène. C'est trop voyant. Il attrape la main de Muriel, se détourne aux premières mirettes qu'il croise et avance tête baissée vers la salle de classe.
Toujours, les textos qu'il attend se font désirer.
Personne à la pause de dix heures, aucune tignasse rousse devant la file du self à midi. Seulement des gens - encore, et trop. Une assiette pleine de légumes et d'une aile de poulet qu'on l'a forcé à prendre, qu'il ne touche pas. Il mange le yaourt qu'il a pris pour le désert, en essayant de se convaincre qu'Ilya n'est sûrement pas là aujourd'hui. Oui, il est malade. Ou alors il aura oublié la reprise, maladroit qu'il est. Ça lui ressemblerait bien. Se lever en pétard trois heures après que le réveil ait sonné, avec cette impression étrange de passer à côté d'un truc. Remplir sa tasse de café, remarquer que sa sœur n'est pas là et se souvenir, soudain, de la date.
Il peut l'entendre jurer.
Mais au même moment, il aperçoit un immense élève tout de noir vêtu devant les salles de science.
Asra lâche la main de Muriel. Il ignore la sonnerie dans les couloirs, le regard surpris de son ami et l'angoisse qui le ronge pour courir vers ces grands yeux gris qu'il a cherché toute la journée, le cœur secoué. Déjà le groupe commence à rentrer dans la salle, mais la masse est trop lente.
La main moite, il attrape le bout d'un débardeur familier. Le sursaut de son propriétaire le lui fait lâcher.
— Ilya… il commence.
— Oh. Err… Salut Asra.
C'est lui. Cette voix qu'il n'a pas entendue depuis deux si longues semaines et ces pupilles qui s'échappent. Lui et ce rire maladroit, saccadé, cette main qu'il recule pour la passer dans ses cheveux désordonnés. Il est là et pas une fois ils ne se sont croisés.
— Pourquoi tu ne m'as pas répondu ?
C'est tout ce qu'Asra peut lui demander - et tout ce que Julian trouve à lui répondre, c'est une haussement d'épaule suivi de bégaiements.
— J'ai- C'est compliqué, les vacances. J'ai été… Je te raconte ça plus tard, ok ? Il faut que j'y aille. En cours. Là.
Les derniers élèves entrent, et le rouquin file à leur suite avant que la main d'Asra ne l'atteigne. Ses doigts se referment. Retournent contre son torse, fébriles, comme ce bref moment lui glisse entre les doigts. Déjà la voix d'Ilya se transforme en souvenir.
Il capte le regard indéchiffrable d'Anged avant que ce dernier ne ferme la porte, et la salle de cours lui est définitivement inaccessible.
Muriel essaie, patiemment, de lui faire dire ce qui a tracé cet air perdu sur son minois. Mais Asra secoue la tête et se concentre - pour une fois - sur le cours. Il note, exécute chaque exercice et range son cahier à la fin de l'heure.
Plus tard, Ilya a dit. Mais plus tard, la salle de science est vide, et son petit ami ne l'a pas attendu. Il n'a reçu aucun message de sa part. Son torse le brûle.
Demain. Pendant l'atelier cinéma, Julian ne pourra pas se défiler. C'est ce qu'il se répète le soir devant son assiette pleine, la nuit sous ses draps frais. Demain. Parce qu'aujourd'hui, Asra ne comprend pas ce qui se passe. Il cherche une explication. Ilya a peut-être perdu son portable ? Mais il le lui aurait dit, non ? Avant d'entrer en cours, plutôt que de bégayer, il… De toute façon, ils parlent sur Messenger. Il aurait pu le contacter depuis son ordinateur.
C'est autre chose. Un problème personnel grave ? Une mauvaise période ? Il sait que Julian a perdu ses parents jeune, les deux en même temps, mais il ne connaît pas l'anniversaire de leur mort. S'emmurer dans le silence, c'est une manière comme une autre de faire face à une émotion qu'on ne peut pas gérer. Asra connaît ça. Mais il aurait aimé que son petit ami vienne vers lui. Qu'il lui en parle.
Demain, il se répète. Il compte les heures. Et quand vient celle d'entrer dans la salle, Muriel debout près de lui, il déglutit.
Devant, deux élèves fument sans les regarder passer. Et dedans, c'est le bazar - rien de nouveau, cela dit. Mazelinka n'est pas dans le coin.
— Il lui restait quoi à tourner ? il entend dans la masse d'acteurs.
— On a fait la majorité des scènes. Mais on devait refaire l'intro, on a vu des faux raccords au montage et il nous manque les scènes au téléphone.
— On peut pas reprendre avec quelqu'un d'autre ?
Incertain, Asra s'approche. Il n'a rien de mieux à faire, puisque son travail ici est déjà terminé.
Star l'aperçoit avant tout le monde.
— Toi !
Elle s'approche à grand pas. D'abord, il croit qu'elle est en colère. Mais elle l'aborde avec l'énergie du désespoir.
— Qu'est-ce qui se passe avec Jules ?
Interloqué, Asra répète.
— Avec Jules ?
— Il t'a dit pourquoi il se barrait ?
— Il se barre ?
Le garçon se tourne vers le groupe, incrédule. Les mots dansent dans sa tête. Se barrer. Il lui faut un moment pour comprendre ce que Star lui explique.
— Il s'est pointé y a dix minutes pour dire qu'il abandonnait le club.
Ilya n'est pas là. Il ne viendra plus, et tout le monde le fixe.
Asra se demande si c'est à ça qu'on reconnait le début de la fin du monde.
[TW : ghosting]
Voilà. Encore quatre chapitres. Lalala.
A la semaine prochaine !
