Hey !

Aaaaaah. J'ai oublié de poster hier. J'étais pris par le nano et… oups, voilà. Heureusement que tout était déjà écrit.

Merci à Ya pour sa relecture et aux personnes qui suivent et commentent ! Ça fait vraiment grave plaisir.

Bonne lecture !


Soudain le vide

Asra

.

Asra inspire, regarde autour de lui et serre la bretelle de son sac. La semaine recommence, et Anged fume seul devant le portail du lycée. Il pourrait aller lui parler. Pour ce qu'il en sait, c'est un des rares amis proches d'Ilya. Mais c'est plus simple de serrer la main de Muriel et d'avancer tout droit.

Sept jours plus tôt, il voulait confronter son petit ami. Maintenant, il a peur de tout ce qui se rapproche de lui.

— Asra.

Le géant tire sur son bras.

— La salle de français est là-bas.

— Oh. Oui.

Les toilettes, c'est là qu'il allait. Il ne sait pas pourquoi. Trop de pensées dans sa tête, son corps a dévié tout seul. Il déglutit.

Aucune tignasse rousse à l'horizon. Seulement des élèves qui s'amassent devant leur salle respective alors que la première sonnerie a déjà retenti. Des gens qui traversent la vie jour après jour sans trembler. Comme si hier n'était pas bien différent d'aujourd'hui et de demain, que les heures ne s'amoncelaient pas dans une interminable attente.

Asra n'a jamais aimé l'école, mais là, il a complètement décroché. Les mots de l'enseignante s'enchaînent et perdent de leur sens. C'est un flou flottant. Des détails qui le ramènent toujours au même point.

— Est-ce que quelqu'un peut commenter les pensées d'Ariane ? Qu'est-ce que vous remarquez en premier ?

Plus jamais. C'est toujours ce mot, terriblement définitif, qu'il lisait déjà dans l'Élégance du hérisson. Ce mot qui lui rappelle la maison de moui, et, maintenant…

Sa main tremble.

Il fait rouler la bille du bic et se souvient de l'écriture décharnée d'Ilya. La violence des lettres qu'il inscrit sans s'inquiéter de savoir s'il pourra les relire – et le pire, c'est qu'il y arrive.

— Pour la semaine prochaine, vous préparerez le plan de…

Est-ce qu'il s'en sort avec ses révisions ? Est-ce que c'est juste une excuse qu'il a trouvée pour ne plus lui parler ? Asra passe du français aux maths, mais ses pensées demeurent au même endroit. Il revoit l'empressement dans le regard de Julian alors qu'il promettait de lui expliquer. Mais lui expliquer quoi ? Son silence ? Ses raisons ? Il est retourné en cours sous ses yeux, et Asra n'en sait toujours pas plus.

À midi, Muriel le garde près de lui. Il jette des regards vers son assiette qu'il fait mine d'ignorer.

Si Ilya voulait le quitter, il le lui aurait dit. Ça n'a pas de sens d'abandonner quelqu'un comme ça, pas quand on s'est planqué tant de fois avec dans la régie pour boire des ice-tea tièdes entre deux baisers. Pas après des heures d'appels, des nuits sans sommeil à dessiner un monde qu'ils étaient seuls à voir. Ils ont partagé tout ce qu'ils avaient de précieux, des rires et des consolations Et soudain, le vide.

Les battements du cœur d'Asra s'accélèrent. Il serre sa fourchette.

Non.

La journée passe, et la suivante. Il accorde le peu d'énergie qu'il lui reste au club, salue vaguement les gens qu'il croise, ignore la triste pitié dans leurs yeux. Guette, malgré lui, l'arrivée d'Ilya dans la salle. Parce qu'Ilya n'a pas pu abandonner. Il adore jouer. Ce n'est pas juste un passe temps pour lui, il a tant à dire et à montrer, un univers à déployer, une voix qu'il découvre et qui éclate aux yeux du monde. C'est incroyable, ces autres lui qui se réveillent sous les projecteurs.

Julian qui cesse de jouer, c'est le soleil qui s'éteint.

— Quelqu'un a des nouvelles de Jules ? ça parle dans son dos.

— Laisse, c'est mort.

— T'es sûr ?

— T'façon on peut se débrouiller sans lui, on va faire avec les prises qu'on avait déjà.

Le soleil s'éteint, et le monde l'oublie aussitôt.

Asra ne comprend pas comment font les autres pour avancer. Ils parlent et trouvent des solutions et lui il regarde. La vie reprend son cours. Le train part, sans lui.

Il ne comprend pas.

Quand la nuit tombe, il inspire et expire pour lutter contre la panique qui monte. Parfois il pleure, un peu. C'est terrifiant, de réaliser que le monde n'est plus tel qu'il était il y a deux semaines, un mois, un an, que les choses ont changé et changeront encore. Qu'il ne peut rien contre ça.

Il voudrait le dire à Ilya, mais il abandonne son téléphone sans finir son message. Ses silences lui font peur. S'il lui envoie un message, il attendra sa réponse. Et si elle ne vient pas, il sera déçu.

Est-ce qu'il dort, à cette heure ? Est-ce qu'il révise ? Peut-être qu'il regarde une série avec Portia, à moins qu'il ne visionne une énième fois la Mouche pour baver sur la performance de Jeff Goldblum. Ou alors il sort, il boit et il passe la moitié de la nuit avec Natiqa. Il aura rencontré quelqu'un d'autre, un garçon plus intéressant avec qui il le trompe à répétition. Asra ne peut pas savoir. Il voudrait croire qu'il se plante. Il connaît trop bien son petit ami pour accepter cette réalité, mais justement, l'Ilya qu'il pensait aimer était toujours là quand il en avait besoin.

Il ne lui reste qu'une explication.

— Pour ton dessert.

Il a fait quelque chose de mal.

— Je n'ai pas..

Les yeux fixé sur la mousse au chocolat qu'il a lui-même sortie du frigo, Asra refuse la cuillère que Muriel lui tend.

— Je n'ai plus faim, il reprend.

— Tu n'as pas beaucoup mangé.

Il sait. Et son ami le lui rappelle souvent. Mais Asra a toujours eu un appétit d'oiseau, il se contente de peu. Il est capable de tenir vingt-quatre heures sans manger, un record établi samedi dernier. La faim, c'est comme la douleur. Une fois qu'on a compris que c'était juste dans la tête, c'est facile à ignorer.

— Asra…

Muriel ouvre la mousse devant lui. Fut un temps, il se serait empressé de plonger sa cuillère dedans. Mais les saveurs sucrées ont perdu leur attrait, comme les livres de divinations qu'il dévorait en boucle. Il ne fait plus de recherches, laisse ses crayons sur un coin de la table. Son carnet dort dans son tiroir et quand il le sort, il griffonne vaguement sur une feuille avant de l'abandonner.

Son imagination s'est tarie.

D'après la professeure d'art plastique, c'est normal. Les artistes traversent des phases de création et d'observation, elle dit. Parfois, il faut savoir poser ses outils et écouter le monde. C'est tout.

Mais Asra n'entend rien.

— Tu peux la prendre, si tu veux.

Il pense à Ilya et il se demande ce qu'il a pu faire de mal. Les questions se tassent un bref instant, quand Muriel lance un film et qu'ils s'enfoncent tous les deux sur le canapé. Le géant le laisse s'installer contre lui, il passe même ses bras autour de sa taille. C'est d'autant plus réconfortant que Muriel n'aime pas qu'on le touche, la plupart du temps. Son épaule sent la myrrhe. Asra y love sa tête.

Mais le générique lui tombe dessus comme une chape de plomb. Il refuse la tisane que son invité lui propose. Est-ce que c'est pour ça qu'Ilya ne veut plus de lui ? Parce qu'il ne mange pas assez ? Est-ce qu'il le voit comme un gosse à problème dont il ne veut pas s'occuper ?

Mais Asra n'a pas de problème, il n'a même pas perdu de poids ! Ces fameuses vingt quatre heures, il les a terminées en s'enfilant la totalité du paquet de Kinder que sa mère avait acheté. Ça s'équilibre. Et sincèrement, lui reprocher ça alors qu'il se nourrit presque exclusivement de café ? C'est injuste.

Mais justement, Ilya ne lui a jamais rien reproché. Le problème est ailleurs, alors. Est-ce qu'il lui en veut d'avoir douté de sa fidélité ? D'avoir cru les racontars d'une bande d'idiots plutôt que son petit ami ? Les rumeurs, il en a connues tellement. Même Asra en a entendu à son sujet, et il sait comme c'est lourd de supporter le regard des gens et les questions qu'on y devine. Cette attention étouffante. Il aurait pu le croire, lui faire confiance, mais il a choisi l'avis de ceux qui s'amusent à décortiquer leur existence comme une série télé.

Est-ce que ça l'a vexé ? Blessé ?

Son torse se serre. Il n'aurait pas dû lui poser ces questions stupides. S'il s'était contenté de se taire et de profiter de ce rendez-vous…

Ça pourrait être ça, ou mille autres raisons. Un mot déplacé, un geste douloureux, des blessures qu'il aura piétinées sans les voir. Comment savoir, si Ilya ne lui dit rien ?

[Je suis désolé si j'ai fait quelque chose de mal.

Je t'aime.]

Mais c'est forcément ça. Asra a retourné la situation dans tous les sens, il ne trouve pas d'autre justification. Il a le cœur au bord des lèvres au moment d'envoyer son message — encore un qui se solde sur un silence. Les yeux humides, il se brosse les dents , crache la mousse et vérifie encore, essaie de se convaincre qu'Ilya s'est endormi tôt et qu'il lui répondra demain.

Ou il ne lui répondra jamais et leur amour s'arrêtera là.

— Asra ? Ça va ?

— Oui.

Rien ne sonne plus faux que cette réponse. Il se rince la bouche en ignorant l'inquiétude de Muriel. Mais cette fois, le garçon attrape son épaule.

— Vraiment ?

Il ne le laisse pas se dégager.

— Tu es bizarre. Et tu ne parles plus de Julian.

Son torse s'agite.

— Vous vous êtes disputés ?

— Non.

Asra croit qu'il peut tout supporter et fuir, mais les mains de Muriel sont fortes et ses propres épaules trop frêles. Il ne peut pas affronter un regard comme celui-là et rester droit.

— C'est…

La vérité, c'est qu'il voudrait que ce soit Ilya qui le console, là. L'idée qu'il n'ira peut-être plus jamais se serrer dans ses bras affole sa respiration.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

Muriel est là, lui. Mais Muriel pourrait ne plus être là un jour. Oui, il pourrait en avoir assez de contempler ses assiettes pleines, de l'écouter débiter des rêves idiots, de le retrouver le soir parce qu'Asra a peur de dormir seul quand ses parents ne sont pas là. Il pourrait trouver mieux, partir loin pour ses études et qu'est-ce qu'il resterait d'eux, alors ?

L'idée que le monde puisse à ce point changer l'achève.

— Il me répond plus, il avoue.

— Ilya ?

— Oui.

Et c'est en s'effondrant que le garçon prend la mesure de ce qu'il essayait de porter seul.

— Depuis ces v-vacances, c'est… Et…

Le regard de Muriel s'arrondit comme le sien se mouille.

— Je sais pas ce que j'ai fait. Il veut plus me voir.

— Il te l'a dit ?

— Non.

Il n'a pas besoin de lui expliquer que c'est ça, le pire. L'absence. Les mots qui n'arrivent pas et les jours qui s'enchaînent. Il a l'impression qu'hier encore Ilya lui murmurait des déclarations au milieu de la nuit, qu'ils partageaient les mêmes émotions comme un seul cœur qui bat pour deux. Il voyait ses yeux briller sur lui, il sentait qu'il l'aimait, c'était grisant et d'un coup le monde vient de s'effondrer.

Il s'effondre, encore et encore. A chaque silence.

Parce qu'Asra attend que ça se termine. Que la vie revienne à son état précédent. Mais ça n'arrive jamais. Le train avance et cette fois Ilya est descendu sans lui dire pourquoi, sans même le prévenir.

Il laisse Muriel lui caresser les cheveux, pleure puisqu'il ne peut pas faire autrement, sort des explications éraillées qui se mêlent et perdent leur sens. Ses parents ne sont pas là pour l'entendre, de toute façon. Alors il laisse tout tomber et quand la marée descend, il reste serré contre son meilleur ami, les lèvres encore tremblantes.

Les larmes passées, il serre sa main.

— Tu veux que j'aille lui parler ? le géant propose.

— C'est bon.

Il ne sait pas lui-même si ça veut dire oui ou non. Il n'a pas envie d'y réfléchir.

— Tu crois que c'est fini ?

Muriel hausse les épaules. Parce qu'il n'ose pas lui dire Oui, ou parce qu'il ne sait pas ? Ça non plus, Asra ne veut pas le savoir. Il le laisse mettre une playlist qu'il aime et il reconnaît la voix d'Ingrid St-Pierre autant que les paroles de Ficelles. Ce genre de tristesse qui apparaissent, comme les pleurs.

— Tu peux rester cette nuit ?

— Oui.

— Merci.

Il pense que sa vie dans un an, deux, dix, n'aura plus rien à voir avec celle qu'il mène maintenant. Et c'est profondément terrifiant. Asra voudrait figer le temps et s'y blottir pour toujours.

— Si tu changes d'avis pour la tisane…

— Non merci.

Il adore ça. Adorait. Mais le sucre n'a plus ce goût réconfortant. Et s'il sait que Muriel cherche à le réconforter, s'il comprend qu'il s'inquiète sincèrement, il se sent mal à l'idée de craquer.

Tout s'enfuit et s'échappe mais cette tisane, ces desserts, il a encore le choix de les refuser. S'il craque, il perd. Même s'il ne sait pas quoi.


Pour le bouquin évoqué plus haut pour l'analyse de texte, c'est Belle du Seigneur d'Albert Cohen ! (Après je l'ai étudié y a genre 8 ans, mes souvenirs sont un peu flous j'avoue.

Voilà voilà. Il reste deux chapitres, déjà écrits, que je dois juste relire et poster. Qui ne seront pas non plus des plus joyeux, lalala.

A Dimanche !