Hey !
Et toujours avec un peu de retard, voilà le dernier chapitre de la dernière partie ! (cette fois j'ai une excellente excuse, je me faisais tatouer hier et j'ai OUBLIÉ de poster avant d'aller au rendez-vous. Et après j'ai eu la méga flemme. Voilà.)
Merci à Ya pour sa relecture !
Bonne lecture !
Un fantôme
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Asra
Deux kilos en moins. Asra fixe la balance qu'il n'utilisait jusqu'alors pas. Son pantalon ne lui semble pas plus lâche qu'au début de l'année. Il n'avait rien remarqué. Peut-être que ça ne se voit pas. Oui, deux kilos, ce n'est pas grand chose. Son tour de taille n'a pas plus bougé que son ventre rond et ses cuisses dodues. Deux kilos, il a déjà dû les perdre et les reprendre sans s'en rendre compte.
Deux kilos qu'il a perdu de lui-même. Personne ne l'y a forcé, ils ne se sont pas évaporés tout seuls. C'est lui qui a fait ça, en surveillant son alimentation. Lui qui décide.
— La salle de bain est libre ! il crie à Muriel alors qu'il en sort.
Pour la première fois depuis longtemps, Asra retrouve ce sentiment rassurant qui l'apaise. Le monde ne lui échappe pas complètement.
Mais l'écran vide de son portable a tôt fait de détruire cette quiétude.
Quand son ami sort à son tour, sa peau à peine brune fumante et humide, il vient se serrer contre lui. Muriel ne dit rien. Il se contente de poser ses très grandes mains dans son dos, et Asra réalise qu'il a encore grandi. D'ailleurs, il se demande s'il n'a pas dépassé Ilya.
C'est rassurant, ces grandes épaules où il presse sa joue. Comme une montagne qui ne bougera jamais.
— On a du beurre et de la confiture au frigo, il commence. Je crois qu'il reste du pain. Et des Prince.
— Bien.
Le géant aime le salé, alors il opte plutôt pour les œufs qu'il casse dans la poêle. L'odeur lui secoue le ventre. Asra a faim. Vraiment faim, l'estomac plein de bulles et la gorge qui tire comme pour déchirer son corps de l'intérieur. Il accepte l'assiette que son ami lui tend et dévore le tout plus vite qu'il ne l'a jamais fait. C'est loin d'être assez pour le rassasier, mais il se refuse à prendre autre chose.
Il ne peut pas dévaliser le frigo d'un coup, comme il l'a fait avec la boîte de Kinder.
Muriel ne parle jamais de rentrer. Il reste toute la matinée avec lui, et même l'après-midi. Ils regardent un film, sortent leurs consoles et dessinent. Enfin, Asra dessine. Il abandonne ce tarot qui ne lui inspire plus rien, et il demande à son ami de poser dix minutes par dix minutes. C'est intéressant de travailler un corps comme le sien. Un corps qui ne ressemble pas à ceux qu'on voit partout. Il essaie de produire la teinte exacte de sa peau, le mouvement de ses cheveux qui tombent et ce sourire qui pointe à peine. Le carré de plus en plus franc de ses épaules, son dos penché. La lumière qui découpe son tee-shirt.
Un instant, le monde s'arrête et Asra peut se reposer. Mais le soir vient. Sa mère rentre, son ami aussi. La fatigue qu'il a accumulée lui tombe dessus et le sommeil ne se fait pas attendre.
Le dimanche est interminable. L'artiste amateur n'arrive à rien. Le dessin l'irrite, la lecture aussi. Il abandonne tout ce qu'il entreprend et termine sur son portable, à faire défiler une TL Instagram qui ne l'intéresse même pas. Il la quitte. S'en va sur Facebook, et fait ce qu'il s'était promis de ne pas faire après avoir passé la soirée à pleurer contre Muriel.
Il va sur le profil d'Ilya.
Sa photo est toujours la même. Ses goûts n'ont pas changé – en fait, il soupçonne le rouquin de ne jamais mettre ses réseaux à jour. Il n'y a de neuf que les photos que d'autres ont postées, où il apparaît, sourit maladroitement ou rit sans savoir que l'objectif le guette.
Asra sourit. Puis ses yeux se mouillent, et il inspire.
Il attrape l'Élégance du hérisson qui attend sur son étagère. Ses doigts retrouvent seuls des lignes qu'il a lu si souvent et qui, à chaque fois, prennent un sens nouveau.
"Alors c'est comme ça ? Tout d'un coup, tous les possibles s'éteignent ? Une vie pleine de projets, de discussions à peine commencées, de désirs même pas accomplis, s'éteint en une seconde et il n'y a plus rien, il n'y a plus rien à faire, on ne peut plus revenir en arrière ?"
Il a la nausée. Mais plutôt que de fuire, il plonge la main dans cette masse douloureuse et il enfonce le couteau plus loin.
"Pour la première fois de ma vie, j'ai ressenti le sens du mot jamais. Eh bien, c'est terrible. On prononce ce mot cent fois par jour mais on ne sait pas ce qu'on dit avant d'avoir été confronté à un vrai "plus jamais". Finalement, on a toujours l'illusion qu'on contrôle ce qui arrive, rien ne nous semble définitif."
S'il la retourne assez, cette souffrance, peut-être qu'il finira par ne plus la sentir. Comme un bleu dont on oublie la présente, un mal de tête dont on s'accommode.
C'est comme un feu d'artifice qui s'éteint d'un coup et tout devient noir. Je me sens seule, malade, j'ai mal au cœur et chaque mouvement me coûte des efforts colossaux.
Sa main tremble sur le papier. Ou alors ce sont ses yeux, gonflés de larmes stagnantes, qui déforment les mots. Mais c'est toujours le même froid dans son torse, ce poids qui gonfle et pèse là où son cœur devrait battre. C'est lourd et ça l'accompagne depuis des jours, Asra n'en peut plus. Il regrette de n'avoir pas assez profité des moments qu'il a passé avec Ilya. Il aurait dû l'embrasser plus souvent, lui dire qu'il l'aimait, l'appeler le matin et inventer d'autres avenirs avec lui, oui, il aurait dû…
Ilya n'est pas mort. Mais c'est la même douleur, la même perte qui le brise chaque fois qu'elle lui retombe dessus. Asra ne veut pas croire que c'est fini. Ça ne peut pas l'être parce s'il voulait le quitter, son petit ami le lui aurait dit. Il n'aurait pas simplement disparu - c'est impossible, ils sont dans le même lycée.
Alors pourquoi est-ce qu'il ne lui parle plus ?
Un hoquet pitoyable lui échappe.
Il ne comprend pas. C'est-ce que ça veut dire, cette absence ? Qu'est-ce qu'il a fait pour mériter ça ? Parce qu'il a forcément fait quelque chose. Ça ne peut plus être une question de révisions ou de temps qui manque, Ilya l'évite. Il préférait encore ces rumeurs tordues comme quoi l'oiseau de nuit le trompait. Ça au moins, c'était concret. Tangible.
Mais l'absence qui s'est dessinée n'a pas de couleur, Asra ne peut pas la saisir, ni la contourner. Elle est là, il la sent et c'est tout. Est-ce que c'est une mauvaise passe ? Est-ce qu'Ilya ne lui adressera plus jamais la parole ? Il n'avait pas l'air en colère quand il l'a attrapé devant sa salle de cours, alors pourquoi ?
Pourquoi.
Il y pense le matin, le soir, la nuit. Quand il se douche. Quand il monte dans le bus, lundi matin. C'est dur de marcher jusqu'à l'arrêt, d'en descendre, de jouer le jeu et de sourire aux gens qu'il connaît comme si le monde ne s'était pas effondré.
De croiser Julian debout devant le lycée. Il attrape son regard gris comme un jour de pluie. Ces yeux dont il a dévoré le moindre détail quand il s'allongeait contre lui dans son lit. Il sait qu'ils sont plus clairs vers l'extérieur, qu'ils ne tiennent pas en place, qu'ils s'abaissent aussi vite que son sourire se brise parfois quand il pense à un souvenir triste.
Asra fait un pas vers lui. Il serre sa bretelle aussi fort que la main de Muriel.
Mais Ilya se détourne. Sans un geste pour lui, il rit et tend son briquet vers un de ces types que le garçon a croisés sans jamais leur parler. Alors, il se recule.
— Tu veux que j'aille le voir ? Muriel demande.
— Non. C'est bon.
Il se tourne et trace dans la foule pour mieux s'y fondre, s'efface entre un millier de visages. Aujourd'hui, Asra ne veut pas qu'on le remarque. Il a envie de disparaître des lèvres et des mémoires. De s'effondrer dans un coin.
Plus jamais.
— Asra.
Muriel le suit. C'est facile, avec ses longues jambes.
— C'est un idiot, il avance.
Asra n'est pas d'accord. Mais il n'a subitement plus envie de défendre Ilya. Non, là, il lui en veut. Un violent sentiment d'injustice le secoue et comme il jette un dernier regard vers le portail du lycée, le soleil qui se lève lui brûle les yeux.
L'année se termine, le jour s'approche. Pourtant, il sent sur ses épaules le poids d'une nuit qui commence à peine.
Voilà. J'aimais pas trop ma fin au premier jet mais en vrai elle est plutôt chouette ? (Enfin, pas pour Asra. Oups.)
J'ai déjà commencé à écrire la seconde partie, mais je ne la posterai pas tout de suite pour une raison simple : j'ai terminé une minie fanfic Asra Julian de genre 20k mots, que je vais poser avant. Elle sera découpée en quatre ou cinq parties et pour pourrez la retrouver dès dimanche prochain ! (Ou lundi. Si j'ai encore du retard. Oups ?) Cette fois elle prendra place dans le jeu !
A la prochaine !
