Hey !
AH JE SUIS EN RETARD. Pardon. J'ai oublié de poster. Encore. Je vais arrêter de corriger en avance, à chaque fois j'oublie de poster le jour J.
(mille excuses. Bref.)
Merci à Ya pour sa relecture et aux gens qui laissent des commentaires, vous refaites ma journée !
Bonne lecture !
Retrouvailles
Julian
.
Combien de fois Julian s'est promis de ne plus remonter dans une voiture avec Lucio ? La première aurait dû suffire. Il conduit comme un pied, un pied qui enfonce constamment l'accélérateur et non, il faudra qu'il comprenne un jour que "Ça va, on est juste 30 km/h au dessus de la limite" n'est pas une excuse plus acceptable que "Je conduis mieux quand je suis bourré". Mais c'est trop en attendre que lui que d'espérer qu'il réalise ses conneries. Lucio est toujours comme ça, insupportablement stupide et assuré, et-
Non, il est sévère avec lui. Aussi con qu'il soit, il est toujours là pour ramasser Ilya à la petite cuillère quand il se fait larguer. Et c'est pour lui remonter le moral – à sa manière, toute tordue qu'elle soit – qu'il a rushé sur la rocade pour le ramener à cette soirée barathon, alors…
— Asra ?
La foudre lui tombe dessus.
Enfin, ce n'est pas tant la foudre qu'une tignasse blanche. Des boucles comme un tas de coton et une peau brune et claire, et ces yeux, et-
Asra.
Asra est ici.
Oh, merde. Non, il se plante. C'est quelqu'un qui lui ressemble énormément, voilà. Parce que c'est statistiquement particulièrement improbable. Pas impossible – rien n'est statistiquement impossible – mais-
— Attends, vous vous connaissez ? C'est un de tes plans cul ? Lucio siffle.
Le détromper. C'est ce que Julian devrait faire. Malheureusement pour lui – et pour le cocktail de Lucio –, il se prend les pieds dans un sac qui traîne et rencontre brutalement le parquet. La douleur est vive. Mais son nez s'en remettra.
Son égo, en revanche.
— Putain Jules ! Tu sais combien ça coûte ces trucs ?
Trop peu pour un type aussi riche, il pense. Mais il n'a pas le temps de le lui dire. Comme il se relève et pose le verre, miraculeusement intact, sur le parquet, on pose un genou à terre juste devant lui.
Un genoux enveloppé dans un sarouel qui ne peut appartenir qu'à une seule personne ici.
— Ça va ?
Et cette voix. Plus grave qu'à l'époque. Flottante.
— Err, oui, j'ai juste… Ça m'arrive tout le temps, t'inquiète pas. Je vais nettoyer, mm, est-ce que quelqu'un pourrait me dire où je peux trouver une serpillère ? Excusez-moi, j'ai-
— Ton nez ?
— Mm ?
— Tu saignes.
Peut-être. Mais la main d'Asra posée sur sa joue le préoccupe plus que n'importe quelle hémorragie sortie tout droit de ses narines. Il inspire. Douloureusement.
— C'est rien, j'ai des mouchoirs dans ma porsche- dans ma poche, pardon, je-
— Tu as mal ailleurs ?
Un pouce délicat caresse la zone blessée sans appuyer. Il n'a pas le temps de débiter plus que l'angelot à genoux devant lui sort son propre bout de sopalin pour essuyer le sang qui va jusqu'à ses lèvres. Il tapote à peine, Julian ne peut pas dire qu'il a mal – ailleurs, Asra a demandé ? Non, ailleurs ça va, son corps s'en tire.
— Ma fierté, ça compte ?
La surprise. Il reconnaît cette expression sur son visage, la manière qu'il a d'écarquiller les yeux et sa bouche ronde qui s'entrouvre sur des dents toujours aussi blanches. Et ce rire.
Ce rire, putain.
— Malheureusement, je n'ai rien pour soigner ça.
C'est Asra. Personne ne rit comme ça, le cœur léger comme les nuages. Le bruit du bar ne peut rien contre son timbre agité et si Ilya reste vautré au sol, son corps pesant sur ses deux pauvres bras, c'est parce qu'il n'a ni le courage ni la force de se dresser devant ce garçon.
— Zut.
Il termine d'essuyer son nez, bégaie encore des excuses. Puis, comme Lucio bougonne à l'autre bout de la table sur le deuil terrible de son cocktail, il attrape la monnaie qu'il lui tend et file en commander un autre… Mojito. Oui, c'est ça, il…
Est-ce qu'Asra le regarde depuis sa chaise ? Oh, il s'est ridiculisé. Evidemment, il fallait qu'il se vautre devant lui après cinq… Non, six ans sans le voir ? Il a arrêté de compter. Julian a toujours eu un problème avec les dates, de toute façon. Mais oui, ça fait six ans qu'il a quitté le lycée – et Asra, par extension. Six ans.
— Ce sera tout ? la barmaid demande alors qu'elle pose le verre devant lui.
— Vous faites les Salty Bitters ?
Il revient à la table deux boissons en main et garde ce qu'il lui reste de monnaie au fond de la poche. Lucio ne pensera pas à la réclamer.
— Et là le gars nous a klaxonné ! Le culot ! il l'entend s'exclamer, outré.
— Terrible, Nadia souffle.
Et le blond est bien le seul à ne pas remarquer l'ennui profond que son discours semble susciter.
— D'abord, il avait qu'à rouler plus vite s'il voulait pas qu'on lui passe devant.
— Err, Lucio ? Julian tente. Normalement, tu n'es pas censé doubler quelqu'un sur une rout-
— Elle est à tout le monde la route.
Il abandonne. Il aura fait tout ce qu'il a pu, si un jour Lucio se tue dans un accident de voiture, il ne pourra pas être tenu pour responsable.
Son déblatérage effaré lui passe au-dessus de la tête, comme ses yeux tombent inévitablement sur l'apparition assise face à lui. Une veste souple qui tombe le long de son corps et avale ses poignets fins, un pantalon aussi lâche que ceux qu'il portait au lycée. Il ne lui manque qu'une cascade de bracelets au poignet, mais c'est lui, indiscutablement.
Evidemment que c'est lui. Il l'a appelé Ilya.
— Qu'est-ce que tu deviens ?
La question fuse si vite, Julian ne réalise pas tout de suite que c'est à lui qu'Asra parle.
— Err, moi ?
— Je suis déjà bien renseigné sur la vie Nadia et Lucio.
La même humeur taquine. Et le rouge qui lui monte aux joues comme il sent ces pierres mauves sur lui, l'attention d'Asra et-
Il boit son verre cul sec.
— Je fais… Des trucs, de-ci de-là. Des tafs. Les courses, le loyer, tout ça, je… Je bosse à la réception d'un hôtel, en ce moment. Et je donne des cours de maths. Des cours particuliers.
À deux gamins du lycée qui stressent pour leur bac. Et qui stresseraient sans doute moins s'ils révisaient autant qu'il le faisait à leur âge. Mais les parents ont de l'argent à perdre et lui un compte en banque à renflouer, alors il ne va pas se plaindre. Il encaisse et il enseigne.
— Oh. Et la médecine, alors ?
La surprise sur le visage d'Asra. Et ces mots. Julian porte encore son verre à ses lèvres, se souvient trop tard qu'il est vide et fait semblant de le finir, une pauvre goutte d'alcool glissant sur sa langue.
La médecine. Oui, cette blague.
— Trop compliqué. J'ai… c'était pas comme je l'imaginais. Vraiment pas. J'ai préféré arrêter.
Et enchaîner les petits boulots minables plutôt que de reprendre les études. Il fallait bien, sa tante ne pouvait pas éternellement lui payer le loyer. Julian est entré dans la vie active en prenant un grand coup de pied dans le derrière, et voilà. Ce n'était pas si terrible. Il s'en sort et il arrive à manger autre chose que des pâtes. Il peut se chauffer en hiver. Non, vraiment, il n'a pas à se plaindre.
Même si ça le gave, d'entendre Lucio parler de placement et de tunes entassées sur un compte en banque comme autant de petits grains de sable sur la plage.
— Et toi ? il enchaîne, avant qu'Asra ne pose de terribles questions sur sa vie minable.
— Je travaille dans l'artisanat.
L'artisanat. Ça lui ressemble. Lui, au moins, il aura poussé ses rêves jusqu'au bout.
— Mm cool, c'est… Ça marche bien ?
— Plutôt.
— Qu'est-ce que tu vends ?
Est-ce qu'il vend ce qu'il crée ? Ilya ne sait pas comment ce genre de taf fonctionne. Il a peut-être dit une connerie. Oh non.
Heureusement pour lui, Asra pose entre eux son téléphone et lui montre quelques exemples sur une boutique en ligne. C'est… Lui. Le médecin raté n'a pas d'autre moyen de le dire. Ces boucles d'oreilles, ces bracelets, les couleurs glissantes et les détails subtils. Ça lui ressemble. Il déglutit.
— C'est beau.
— Merci.
Beau. Pitoyable. C'est tout ce qu'il trouve à dire pour qualifier des heures de travail et des années d'apprentissage, c'est… Des baffes. Oh, comment est-ce qu'Asra a pu sortir avec un type comme lui ? Au moins, en le quittant, il lui a évité de passer son lycée à perdre son temps avec un raté.
— Et ça marche bien ?
— Ça dépend des périodes. C'est plutôt calme l'été, mais j'ai des commandes.
— J'imagine que ça repart avec les fêtes ?
— C'est ça.
Question stupide. Mais son interlocuteur a la gentillesse de ne pas le souligner.
— On va changer de bar, Nadia déclare.
Asra se lève aussitôt.
— Je vais rassembler les participants.
— Je peux aider ? Ilya demande.
— Ça ira.
Il le regarde s'éloigner, ravalant ce profond sentiment d'inutilité qui le prend. Bah. De toute façon, il ne connaît pas le quart des têtes qui dépassent, ici. Il n'aurait probablement pas pu avertir grand monde, et-
Nadia le regarde étrangement, son expression en partie dissimulée sous ses doigts. Le voile cramoisie de ses yeux lui fait rougir les joues alors qu'elle se lève enfin et Julian se tasse dans sa chaise. C'était quoi, ça ? Est-ce qu'Asra lui a parlé de lui ? Oh, peut-être qu'il lui a dit des choses affreuses – ce serait mérité. Ilya, le petit ami infidèle qui l'a lâché à la fin du lycée sans lui donner d'explications. Oui, elle le déteste sans doute. Il n'osera plus jamais poser un pied dans la même pièce qu'elle.
— Donc, tu connais Asra ?
Son dos. Une grande tape. Lucio.
— Oui.
Sa paluche blanche se déplace jusqu'à son épaule et, si le geste ne le gêne pas tant d'habitude, il préfère se dégager. Il n'a pas prévu de coucher avec lui ce soir – pas plus qu'il ne l'avait prévu les autres nuits.
— Du lycée, il ajoute.
— Sérieux ? T'as été en cours avec iel ?
— On peut dire- comment ?
Iel ?
— Bah purée. Et iel aussi il t'a saut-
— C'est privé.
Le blond éclate de rire.
— S'y a bien un truc qu'est pas privé, c'est tes histoires de cul, Jules.
Lucio a raison, pour autant, il ne compte pas répondre à cette question. C'est… Merde. C'est gênant, là. D'en parler. D'habitude il en rit, mais il n'a pas la force pour ça parce que c'est Asra dont il est question. Il avait quinze ans à l'époque – ou seize ? Et parler des galipettes d'un ado avec un type comme Lucio… Non.
Iel. Iel avait quinze ans. Pas il. Oh non, est-ce qu'il se plante depuis le début de la soirée ? Il n'arrive plus à savoir quel terme il a utilisé en parlant à Asra, mais si personne ne l'a repris… Peut-être que personne n'a osé ? Quel crétin. Il aurait dû demander avant. Il ne sait pas faire ces choses-là, il n'a pas l'habitude et il ne sait pas si-
— On y va ?
Soudain, le visage du garçon devant le sien. Non, pas du garçon du coup, du-
— Oh, j'arrive. Je dois juste… Les toilettes.
Sa vessie vidée ne le soulage pas de l'angoisse brusque qui lui colore la face. Mais au moins, il retrouve un semblant de contenance pour le reste de la soirée.
Iel. Ça ne doit pas être compliqué à utiliser, comme pronom. Oui, il panique pour rien, il va s'en sortir. Et puis ils en ont pour quoi, deux ou trois heures de plus à traîner ensemble ? Deux ou trois heures qu'il passe à enchaîner les verres et à pondre des phrases alambiquées, la gorge serrée mais le cœur battant de retrouver la voix d'Asra. La fin du monde n'arrive pas, ils se contentent d'échanger des banalités – pour ce dont Ilya se souviendra le lendemain. Ils dansent, à un moment. Enfin, Julian danse. Il s'en rappelle. Et peut-être qu'il se vautre encore, mais ça n'a plus d'importance, à ce stade.
Tout ce qui compte à ses yeux, quand il les ouvre dans son lit, c'est le numéro d'Asra qui figure à nouveau dans son répertoire.
