Hey !

Lala, un jour de retard. C'est mieux que la semaine dernière. Mais normalement j'ai presque fini le gros projet qui m'accaparait, donc je devrais retrouver un rythme de publication normal.
Merci à Ya pour sa relecture !

Bonne lecture !


Retrouvailles

Asra

.

Quand Asra a des nouvelles à rapporter, des silences à partager ou qu'il ne veut pas travailler seul, iel prend ses affaires et s'en va deux rues plus loin. Aujourd'hui comme à au lycée, Muriel n'habite pas loin. C'est volontaire – quand le brun a emménagé, iel a cherché pendant deux mois un appartement qui se trouvait dans la même zone que le sien. Hors du centre ville, un coin pas trop cher et assez bien desservi pour qu'iel puisse bouger à sa guise. Le quartier calme lui plait, et si son foyer sous les combles n'est pas toujours un trésor, iel s'y plait.

Mais ce qui importe, pour l'heure, c'est de raconter à son ami la soirée qu'iel a passée.

— Muriel ?

Iel lui a envoyé un message avant d'entrer dans l'immeuble, mais il préfère quand même l'appeler avant de pousser la porte. Le géant brun ouvre dans la minute. Enveloppé dans un châle qui le protège des dernières fraîcheurs de la saison, il tire le battant et invite en silence Asra à entrer.

Dedans, ça sent les plats qui mijotent. La sorcière entend tourner le four, devine qu'iel arrive avant le repas de midi – que Muriel prend toujours à quatorze heures. Un aboiement franc lui dévoile la présence d'Inanna. La bête accoure et l'observe la queue battante, ses grands yeux jaunes ouverts sur un univers indéchiffrable.

Asra se penche pour la caresser.

— Salut, toi.

— Elle dit qu'elle est contente de te voir.

Avec le temps, le timbre de Muriel s'est approfondi. Sa voix sort du plus profond de sa gorge alors qu'il observe son invité depuis le rideau qui marque la porte de sa chambre. Le tissu, fluide, enrobe d'immenses épaules. Un corps qui n'a cessé de pousser depuis l'adolescence. S'il était déjà grand à l'époque, il a dépassé les deux mètres l'année dernière. Ses cheveux, récemment coupés par la sorcière, effleurent ses épaules chaque fois qu'il bouge la tête. Ça lui va plutôt bien et c'est moins long à laver que la tignasse qui lui tombait dans le dos.

Pratique. C'est la seule réponse qu'il lui a donné, quand Asra lui a demandé quel genre de coupe il voulait. Iel s'est dit que ça lui ressemblerait bien, et que ça faciliterait ses routines.

— Tu prépares quoi ?

— Du tajin.

Lentement, Muriel tourne la tête vers la cuisine, qui est aussi le salon. Il s'avance enfin. Il a lui-même monté un bar pour séparer les deux.

— Ta recette, il précise.

— Ça sent bon.

Iel n'a pas encore mangé. Aussi, iel ne dit rien en voyant Muriel sortir deux assiettes. Le colosse a sa manière de faire et il aime organiser la table comme il l'entend, alors Asra le laisse faire. Il se contente de surveiller le feu et de l'éteindre quand son ami le lui demande. Iel le regarde qui passe et repasse dans une pièce trop petite pour son corps, mais quelle pièce n'aurait pas l'air trop étroite quand il s'y tient debout ? C'est d'autant plus flagrant que tout en lui, jusqu'à sa pause ramassée, donne l'impression qu'il se cache. Cette enveloppe le force à prendre une place qui lui déplaît.

— Je te sers ?

La louche en main, Muriel l'observe. Le fumet qui sort du plat prend Asra au ventre. Iel a envie de manger ce plat. Aujourd'hui encore, c'est dur de se convaincre qu'iel en a le droit. Mais iel hoche la tête.

— S'il te plait.

Iel ignore les fantômes amassés près de lui. Ceux qui lui murmurent qu'iel vole à son ami un repas qu'il lui faudra racheter. Qu'iel pourrait s'en passer. Qu'une miche de pain trempée dans la sauce ferait l'affaire.

— Nadia te passe le bonjour.

— Mm.

— Le hibou en bois que tu lui as sculpté lui a beaucoup plu.

Chaque fois que les spectres reviennent lui tirer le ventre, Asra a cette angoisse qui lui revient, de ne jamais pouvoir remanger comme avant. Quoi qu'avant veuille dire. Depuis le temps qu'iel traîne ces problèmes, iel a l'impression de n'avoir jamais connu autre chose. Mais iel sait qu'à une époque, iel pouvait manger sans culpabilité.

Au moins, aujourd'hui, iel s'en sort. Et ce plat est diablement bon. S'il n'étale jamais ouvertement ses talents, Muriel est un excellent cuisinier. Un excellent ami, aussi.

— C'est… bien.

Et une montagne pleine de gêne. Les nouvelles qu'Asra lui transmet lui font détourner les yeux.

— Tu n'es pas obligé, iel commence. Mais si tu veux venir, la prochaine fois qu'on organise une soirée, tu es le bienvenu.

Iel caresse sa grande main. Ses doigts ont l'air si petits, en comparaison. De minuscules branches d'arbrisseau contre un chêne centenaire.

— Merci.

Sa peau est rugueuse. Familière. Toujours, Asra a envie de serrer sa paume dans la sienne comme iel fait quand ils marchent dans la rue.

Iel sait que l'invitation ne donnera rien. Muriel n'aime pas sortir, pas plus qu'il n'apprécie le monde et son bruit constant. Ce qui le mettait mal à l'aise à l'époque le terrifie aujourd'hui. Mais il lui dit quand même, qu'il sache qu'il sera toujours le bienvenu partout où iel se trouve.

Ce serait le moment parfait pour lui dire. Leurs assiettes sont vides, mais personne ne s'est levé pour débarrasser. Le soleil chaud de mai se glisse par la fenêtre comme pour les inviter dans le tout petit jardin du géant. Ils pourraient s'installer sur les planches en bois, tisser des merveilles du bout des doigts en discutant et là, Asra lui raconterait la chute de Julian. La force de ses yeux plantés dans les siens comme un tremblement de terre. La violence de ce hasard qu'iel n'aurait jamais pensé possible - même s'iel l'avait parfois imaginé.

Mais ça ne sort pas.

Iel sait que Muriel n'aimait pas Julian. Parfois, à juste titre. Il ne réagirait pas mal, mais…

De toute façon, iel n'est même pas sûr de le revoir. Iel lui dira plus tard, s'iel reçoit un message de sa part. Voilà.

Pour l'heure, c'était juste un étrange hasard.

Et puis, parler de Julian reviendrait à parler de Lucio. Et Asra s'en plaint déjà suffisamment auprès de Muriel.

— C'est l'heure de la promenade d'Inanna, son ami murmure, alors qu'iel se lève pour ramasser les assiettes. Elle voudrait que tu viennes.

— Ça marche.

Iel rit. Le colosse fait ça, parfois, de prêter à Inanna des sentiments qui sont les siens. Iel joue le jeu et pose les couverts dans l'évier – l'autre les rangera comme il le souhaite dans le lave-vaisselle – puis iel revient à sa hauteur. Effleure sa main.

Toucher Muriel, c'est un exercice risqué. Les gens forcent trop souvent le contact avec lui et Asra sait comme il déteste ça. Alors iel esquisse un geste comme on demande une permission. Laisse flotter ses doigts au-dessus des siens.

Quand leurs peaux se touchent franchement, iel s'autorise à lover sa tête contre son épaule.

— Merci, pour le repas.

— Mm.

Iel sait qu'il rougit. Ça transpire dans son ton, ce raclement bref de gorge qu'il pousse quand les mots n'ont pas le pouvoir de faire passer ses idées. Une grosse paluche attrape son dos et Asra se laisse serrer, des grelots dans la bouche. Il enfouit son nez là où ça sent la myrrhe et la sève. Là où rien n'existe et ne peut plus le rattraper.

Toujours, Muriel est un refuge qui le garde loin des mauvaises pensées.

— Tu voudras de l'aide pour refaire ton dossier, en rentrant ?

— Je peux me débrouiller.

— Ça ne me dérange pas, iel insiste.

Silence. Puis un bref hochement de tête anime leur étreinte.

— D'accord.

Accepter l'aide, ça aussi, Muriel a du mal à faire. Et Asra ne veut pas le contraindre, mais iel est toujours heureux de le voir céder un peu de terrain. Iel sait que ses angoisses sont lourdes. Toute la place qu'il veut bien lui donner, les charges qu'il ose partager, iel les prend volontiers.

Pour toutes les fois où il l'a traîné hors de ses longues nuits de déprime, iel lui doit au moins ça.