Hey !

Lalalala, aujourd'hui je suis à l'heure. Avec un chapitre un peu drôle (on démarre doucement). Je commence doucement à reprendre de l'avance, maintenant que j'ai presque fini mon gros projet perso.

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture à vous !


Se jeter à l'eau

Julian

.

Quatre jours. Plus de cent heures et un nombre de minutes qu'il- non, non, il ne poussera pas le calcul jusque là. Tout ce qui compte, c'est qu'il les a passées à penser à Asra. Il… Iel. Iel ne le lâche pas. En pensées.

Quatre jours qu'il contemple son numéro. Ce n'est pas le même qu'à l'époque, mais Ilya le connaît déjà par cœur – qui sait, il aurait pu l'effacer par erreur. Il ne sait plus dans quel circonstances iel le lui a donné. Seigneur, il avait à ce point bu ? Est-ce qu'il a dit des choses gênantes ? Ilya dit toujours des choses gênantes quand il a passé le verre de trop. Il se met à parler de sa tante, de ses études ratées et de sa petite Pasha, il rit et parfois il pleure. Si ça se trouve Asra lui a donné ces dix pauvres chiffres pour qu'il lea prévienne une fois rentré en le voyant dans cet état pitoyable et…

— T'es encore là ?

La porte d'entrée claque et Pasha, justement, entre et dépose son sac de course. Elle l'observe d'un air circonspect. Il s'est laissé tomber sur le canapé quand elle est partie, il y a presque une heure. Et non, il n'a pas bougé depuis. Trop de pensées dans sa tête. La lessive n'est toujours pas lancée. Il est quatorze heures et sa seule réussite du jour, c'est d'être sorti du lit. Qu'il n'a toujours pas fait.

— Je réfléchis, il souffle dignement.

— La tête à l'envers ? C'est pour faire monter le sang au cerveau ?

Ses longues jambes passées sur le dossier du canapé, le médecin raté laisse pendre sa tête sous l'oreiller qui devrait accueillir son cul.

— C'est… Pour voir la situation sous un autre angle.

Pasha rit. Secoue la tête, et traîne son sac jusque dans leur minuscule cuisine. Une pièce où ils ne peuvent même pas tenir à deux pour faire la vaisselle. Que dirait Asra s'il lea ramenait ici ? Dans cet appartement au loyer certes bas, mais à la salubrité douteuse ? Non, il va trop vite. Ramener Asra ? Quelle blague. Ce n'est pas comme s'il… Il était content de lea revoir, vraiment. Il a envie de renouer le contact. Mais c'est tout.

— Qu'est-ce qui t'empêche de lui envoyer un message ? Pasha crie depuis le frigo.

— Si je commence la liste…

Le fait qu'il était ivre au moment où Asra lui a filé son numéro. La possibilité qu'iel ne lui réponde pas. Tout ce que Lucio a pu dire à son sujet dans son dos, et… La manière dont il l'a quitté. Enfin, dont il ne l'a pas quitté. C'était minable. À sa place, il ne se pardonnerait pas. Il ne s'est jamais pardonné, d'ailleurs, il sait qu'il s'est comporté comme un con. Iel mérite mille fois mieux que le petit ami minable qu'il a été.

— Iel t'a donné son numéro, Illyushka, elle souffle.

— Et si c'était un faux ?

Oh non. Il n'avait pas envisagé cette possibilité.

— Envoie-lui un message. Tu seras fixé.

Et ce serait la honte. Les quelques fois où ses plans cul lui ont fait le coup, il a passé la journée enterré dans son lit.

— Iel doit me détester, Ilya soupire.

— Tu le mériterais.

Ouch.

— Mais iel t'aurait envoyé chier s'iel te détestait, crétin.

C'est vrai, mais Asra a toujours été du genre calme et réfléchi·e. Iel a très bien pu mimer la politesse pour éviter de mettre Nadia et Lucio mal à l'aise avec leurs histoires personnelles.

— Je te dis pas d'aller chanter la sérénade tout sa fenêtre. Mais envoie-lui un texto, ça coûte rien.

— Et s'iel me répond pas ?

— Tu seras fixé.

— Mais s'iel répond pas parce qu'iel a pas reçu mon texto ?

Dans la cuisine, Pasha souffle une volée de jurons qu'il aurait préféré ne jamais entendre dans la bouche de sa petite sœur.

— Oh, tu m'énerves ! Démerde-toi !

Il l'entend qui sort une poêle. Songe qu'il n'a toujours pas mangé- merde. Il est presque quinze heures. Bon, il fera un gros goûter, ça compensera. Histoire de ne pas partir travailler le ventre vide.

Allez, un message. Qu'est-ce que c'est, un message ? Rien. Quelques lignes, pas un engagement, juste… Si Asra ne lui répond pas, il se sentira humilié. Mais ce sera loin d'être la première fois, alors qu'est-ce qu'il risque ? Il a fait toutes les recherches possibles et inimaginables sur la transidentité et les accords neutres pour éviter de se planter, regardé deux documentaires sur le sujet et chopé une BD à la bibliothèque. Il aurait bien posé des questions à Lucio, mais quoi qu'il ait l'air de connaître Asra, sa confiance en lui est toute relative. Oui, Lucio est doué pour la baise, mais c'est sa seule qualité. Du reste, il ne sait pas raconter une histoire sans la déformer à son avantage.

Bon.

— Si jamais il m'arrive quelque chose, je te lègue la télé et ma vièle ! il crie.

— La télé était là avant qu'on emménage !

— C'est l'intention qui compte.

Portable en main, il clique sur le numéro d'Asra et- Non. Non non non, merde, il avait oublié que cliquer sur le numéro lançait automatiquement un appel, donc un appel se lance et la panique le gagne. Il tape frénétiquement sur le bouton rouge, mais une seconde sonnerie retentit. Oh, pourquoi est-ce qu'il traîne encore ce vieux portable tout pourri ? Il fonctionne à vitesse d'escargot, c'est une horreur. Si Asra décroche, il ne saura pas quoi lui dire. Il interrompra peut-être un moment important, iel travaille sans doute à cette heure et-

L'appel se coupe. Sauvé, Julian soupire. Puis il commence à taper son message. L'efface aussitôt. Recommence. Est-ce qu'il était aussi stressé, la première fois qu'il a contacté Asra ? Ça remonte, il ne sait plus. C'était… C'était sur Facebook, non ? Il avait seize ans et la vie devant lui.

Hey ;^) J'ai trouvé ton numéro sur mon portable en me réveillant-

Non, on dirait un vieux plan drague moisi. Ça dégage.

Hey ? (C'est Ilya)

Non plus.

Hey ? (C'est Julian. Le Julian de la dernière fois, au barathon.)

Quelle connerie. Asra voit très bien qui il est, iel lui a roulé des patins pendant plus d'une demi année.

Hey, c'est Julian.

C'était cool de te revoir au barathon ! J'espère que tu vas bien ;^) Ça te dirait qu'on se revoit ? Je fais rien jeudi soir.

Trop franc. Iel va se sentir coincé-e.

Hey, c'est Julian.

C'était cool de te revoir au barathon ! J'espère que tu vas bien ;^) Ça te dirait qu'on aille boire un café un de ces quatre ?

(ou un Bubble tea. Tu bois toujours ces trucs ?)

Il se mord la lèvre. La dernière phrase… Oh, et puis merde. Il clique sur Envoyer et pose aussitôt son portable. Voilà, c'est fait. Tant pis si Asra ne lui répond pas, il pleurera sur sa dignité perdue en attendant qu'un nouveau coup de foudre le frappe.

— C'est fait, il déclare.

— Je te prépare un café.

Pasha sait lui parler. Il accepte, vautré sur le canapé défoncé qu'ils ont eu d'occasion. Deux cent balles pour un truc certes délavé, mais large, avec un angle. Ilya a toujours voulu un canapé à angle. Il ne sait pas pourquoi. Dans sa tête, ça sonnait comme un truc riche et classe. Une sorte de réussite sociale par l'ameublement de l'appartement. Sauf qu'il n'a même pas son propre chez lui, qu'il partage un T3 avec sa sœur et que vu comme il a raté ses études, réussite est loin d'être le mot qui décrit sa situation. Enfin. Au moins, il a un canapé sur lequel pleurer.

Il entend le pot en verre du café en poudre qu'on pose sur la table. Ça lui rappelle la fac de médecine. Le réveil à six heures, avec ses deux cafés serrés qu'il s'enquillait la tête au-dessus de ses fiches de révision avant d'aller en cours. Le boulot l'après-midi, à distribuer des tracts pour compléter ses bourses. Ses petites économies qui fondaient dans des expressos à emporter – quoi qu'il lui arrivait parfois d'embobiner le vendeur en lui tenant la jambe pour mieux partir sans régler.

— Merci, il souffle en attrapant la tasse que Pasha lui tend.

— Bois pas tout de suite, c'est chaud.

Trop tard. Il s'est brûlé la langue avant qu'elle ne termine sa phrase.

— On pourrait sortir au ciné, il lâche comme sa sœur se pose près de lui.

— Vas-y si tu veux, je dois passer voir Tata avant la fin des visites.

— Oh. Elle devait pas rentrer lundi ?

— C'est ce qu'elle a raconté à tous les gens qui sont venus la voir, mais l'hôpital la garde en observation.

Merde. Bien sûr, leur tante Tasya raconte plus souvent ce qui l'arrange que ce qu'il en est vraiment. Et ça ne le rassure pas. Elle a beau dire qu'elle se sent bien, le rapport des médecins n'est pas aussi glorieux que son sourire assuré.

Ilya se mord la lèvre. Il devrait accompagner Pasha. Ce sera juste pour arriver à l'heure au boulot, mais ça peut le faire. Seulement…

Il se sent horrible de penser ça. Mais il a déjà du mal à se gérer lui-même, et Tasya, il n'a pas plus envie de la voir aujourd'hui qu'à l'époque où il vivait chez elle.

Plus tard. Son contrat se termine à la fin du mois et il touche le chômage, ça lui laissera le temps de s'occuper d'elle. Oui, plus tard. Il faut faire les choses bien, à tête reposée. Décidé, il se redresse et s'enquille sa tasse de café- Putain, c'est chaud !

— Ilyushka ! sa cadette s'exclame.

— C'était voulu.

Pas du tout. Il déglutit, difficilement, et pas besoin d'un miroir pour savoir que son visage a drastiquement changé de couleur. Mais il est vivant. Et si les mirettes courroucées de Pasha ne lui disent rien qui vaille, il se lève avant qu'elle ne puisse l'attraper par la peau du cul.

— Ça t'arrives d'écouter quand on te parle ?

— J'étais pressé.

— Pressé de quoi ? De te brûler la gorge au troisième degré ?

— Mieux vaut boire son café brûlant que de l'oublier sur la table, il déclare.

Ça vaut pour toutes les fois où il a retrouvé une tasse au liquide froid, où flottaient de fascinantes moisissures. Un merveilleux terrain d'étude.

Il rit depuis la cuisine. Attrape son portable pour surveiller l'heure. Il est large, mais-

Oh. Oh.

Asra. Asra lui a répondu.


C'était fun à écrire ! (Je projette à mort mon TDAH sur Julian. Mais ça lui va bien, franchement. je m'éclate.)

A la prochaine !