Hey !

Je poste en retard (parce que j'ai pris du retard. Oups.) mais voilà encore le chapitre du jour !

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !


Taire et dire

Julian

.

Chaque fois qu'il rentre, Ilya se répète la même chose : le travail de nuit, plus jamais.

Il pose la tête sur l'oreiller à l'heure où certains se lèvent pour aller en cours - comme lui, à l'époque de la médecine. Dors jusqu'à midi, mange en vitesse les pâtes de la veille qui traînent au frigo. Il les entasse dans une assiette, ouvre le micro - onde et - pourquoi il les a laissées dans la casserole ? Oh, l'évier déborde de Tupperware. Merde. Il faudra qu'il s'occupe de la cuisine. Il ne travaille pas, autant en profiter.

Il jette une grande rasade de ketchup sur ses pâtes avant de les avaler, puis de se refaire un café. C'est seulement le deuxième de la journée. Ça passe.

Ses doigts tapant hasardeusement sur la table, il finit par attraper son téléphone. Réfléchit, se mord la lèvre. Inspire. Peut-être qu'Asra travaille. non, en fait, il travaille sans doute. Tout le monde n'a pas son week-end au milieu de la semaine. Mais même s'il ne lui répond pas maintenant…

[Salut !

Tu m'as toujours pas montré tes bijoux. Tu as un site ? J'ai le droit de voir ?]

Il se souvient vaguement de leur conversation à ce sujet. Celle qu'ils ont eu avant qu'il ne s'imbibe à en perdre la mémoire – il n'en revient toujours pas d'avoir autant bu alors qu'il venait de retrouver Asra, quel crétin. Sa main s'en retourne au café qu'il s'est préparé et il s'enquille le liquide d'une traite.

Puis son téléphone vibre. Panique.

[Hey ( ノ ◕ ヮ ◕ ) ノ * ✧

Tu as le droit, mais est-ce que tu mérites ?]

Un sourire lui tire les joues. Asra a toujours été d'humeur joueuse. À moins que ce ne soit un reproche implicite pour la manière sale dont il l'a quitté·e ? Oh, non. Il ne sait pas. Qu'est-ce qu'il est censé répondre, dans ce cas ? Ilya croise les bras sur la table pour s'y enfouir.

Il doit répondre. Ou ignorer ce message et ne plus jamais adresser la parole à Asra. Laquelle de ces deux options est la bonne ? Non, ne plus répondre, il l'a déjà fait. Oh.

[Oui ?

Ou non. A toi de me dire ?

Qu'est-ce que je dois faire pour le mériter ?]

Son bol de pâtes terminé, il va s'affaler sur le canapé. Définitivement son meilleur investissement. Il peut s'allonger jambes tendues, et elles ne dépassent toujours pas de l'accoudoir. Parfait. Il a l'impression de vivre dans un luxe incroyable, quand il fait ça. Et c'est encore mieux avec le plaid tout fin qu'il a acheté à Action.

[Trouve tout seul.

Ça n'a rien d'amusant si je te donne la réponse ( ~ ‾ ▿ ‾ ) ~]

Son sourire s'allonge encore. Il caresse le rebord de l'écran. Qu'est-ce qu'Asra pourrait vouloir ? À l'époque, iel le taquinait et jouait de ses airs de fée pour lui faire tourner la tête. Iel lui glissait des questions et s'amusait de ses réponses trop sérieuses. Mais que restera-t-il de son ingéniosité de l'époque.

Julian se prend la tête, encore et toujours. Il pourrait profiter de l'ouverture pour s'excuser. Il faudra bien qu'ils abordent le sujet tôt ou tard. Asra ne semble pas lui tenir rancune de leur ancienne relation, mais pour lui, ça plane comme une menace. Un vautour qui attend son heure.

Et en même temps, est-ce qu'il n'est pas trop accroché au passé ? Peut-être qu'Asra se moque de tout ça. Qu'iel est passé·e à autre chose. C'était il y a des années. Et s'iel s'est fait quitter récemment, des dires de Lucio, c'est qu'iel n'est pas resté·e bloqué·e sur leur relation.

— Pasha ?

Silence. Pas de soupire de dépit dans la chambre, sa sœur est absente. Sûrement quelque part en train de vivre sa vie d'adulte responsable. Ou… oh, oui. A cette heure, elle doit être en cours. Quel abruti il fait.

Elle au moins, elle a une chance de réussir ses études. C'est aussi pour ça qu'il fait tous ces petits boulot nazes. Pour qu'elle n'ait pas à s'occuper du loyer. Il y pense pour se redonner du courage.

Pour l'heure, donc, Pasha est absente, il a fini de travailler – ou pas encore commencé, selon le point de vue – et Asra lui répond par intermittence. Il pourrait en profiter pour faire le ménage. Ou la cuisine, pour ce soir. Ou il pourrait voir si Lucio est disponible, et… Non, ça c'est une très mauvaise idée. Mais s'il y a bien une chose qui n'a pas changé chez Julian depuis le lycée, c'est son penchant pour les mauvaises idées.

Il lui vient soudain à l'esprit qu'Asra sait sans doute, pour ses frasques avec Lucio. Et juste d'imaginer ce grand con vanter ses prouesses sexuelles, il a envie de mourir. L'autre a déjà dû démonter sa réputation auprès de son ex. Enfin, ce n'est pas comme s'il restait quoi que ce soit à démonter, s'il y a bien quelqu'un qui sait jusqu'où il peut creuser…

Il en revient toujours au même point. Il s'est mal comporté avec Asra, il en a conscience. Chaque fois qu'il croise ses yeux mauves, il repense à la déception qui les étouffait, au lycée. À la manière dont le garçon détournait les yeux quand ils se croisaient dans la cour, le cœur débordant sous les paupières. Cette gêne pesante qui les a poussés à changer de couloir. C'était minable de sa part. De lui mentir, et de l'abandonner. Mais Ilya ne voyait pas quoi faire d'autre. Il est un petit ami médiocre. Ça, ça n'a pas changé. Et Asra en aurait souffert aussi longtemps qu'il serait resté avec iel. Seulement…

Seulement, il aurait dû faire les choses bien. Lui parler, couper net. Donner un grand coup de hache et être franc avec iel.

Il lui doit des excuses. Mais est-ce qu'iel en veut ? Asra n'est plus ce garçon aux poignets lourds de colliers multicolores. Non, iel est un adulte plus responsable qu'il ne le sera jamais. Respectable. Julian ne veut pas remuer une douleur qui date, s'il n'y en a pas le besoin.

Partagé, il tripote son téléphone. Parler. Ne pas parler. Est-ce qu'il doit laisser cette tâche entre eux et l'ignorer ? Plus il y pense et moins il y voit clair. Il relit les derniers messages qu'iel lui a envoyés et la sournoiserie qui y plane lui tire, malgré lui, un sourire. Est-ce que c'est tout ce qu'Asra attend de lui ? Un échange piquant pour se distraire. Iel a toujours été le moins prise de tête, dans leur couple. Mais aussi le plus fuyant. Iel lui glissait encore des mains comme un nuage qui s'évaporait. Un joli nuage, cotonneux et tendre.

Oh, est-ce qu'il a assez dormi cette nuit ? Sans doute pas. Mais Julian n'a pas besoin de dormir. Il aime vivre dans cette excitation perpétuelle du manque de sommeil comblé par une énième tasse de café.

Cette même excitation qui manque d'arrêter son cœur alors que son portable vibre soudain entre ses mains. Paniqué, il le serre et cherche le numéro sur l'écran. Est-ce qu'Asra s'impatiente parce qu'il ne lui a pas encore répondu ? Si seulem-

Oh, non. C'est seulement Lucio.

Dépité, le médecin raté décroche.

— Qu'est-ce que tu-

— Jules ! Cool, j'avais peur que tu sois au taf.

Non. L'époque bénie où il travaillait l'après-midi remonte à il y a six mois. Mais c'est sans doute trop lui demander de s'en souvenir.

— Dis, tu connais un truc contre la chute des cheveux ?

Oh non.

— Tes cheveux vont très bien, Lucio.

— Me flatte pas. J'en ai retrouvé une poignée dans ma brosse ce matin.

Parce qu'il a les cheveux fins. Ilya lui a fait fait un cours sur le renouvellement capillaire, mais Lucio s'inquiète toujours trop, quand il s'agit de son physique.

Soudain, une idée mauvaise lui traverse l'esprit.

— Qu'est ce que tu entends par une poignée ?

Il peut l'entendre pâlir d'ici. D'accord, c'est mauvais. Mais Julian s'ennuie, et il pourra toujours le détromper plus tard. Et pour toutes les merdes que l'autre excité lui a faites, il peut bien se distraire deux minutes.

Il aura tout le temps de s'en vouloir la prochaine fois qu'il le croisera.