Hey !
Aaaaaah j'ai oublié de poster, pardon. Mille excuses. En plus le chapitre était près, bouh. Je ferai mieux la prochaine fois.
(Je précise que pour les scènes qui concernent Nadia et Asra, j'utilise le féminin pluriel. Quand j'y pense. Dans la mesure où je n'oublierai pas au chapitre prochain.)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !
Taire et dire
Asra
.
Une odeur de thé délicieusement parfumé embaume la pièce, et Asra comprend immédiatement pourquoi Nadia l'a invité·e. Pas besoin d'être futé. Il n'y a que trois raisons possibles à leurs soirées pyjama privées : une énième frasque de Lucio dont Nadi doit se plaindre, un événement à fêter, ou des secrets croustillants à avouer.
Puisque Lucio semble se tenir calme ces derniers temps, et qu'elles n'ont rien à fêter…
— Laisse-moi deviner, iel lance.
Se redressant, iel attrape la tasse qu'elle lui tend et en hume le parfum.
— Rose, pomme et… fraise ?
— Tu as lu les ingrédients sur la boîte, elle devine.
En effet. Iel rit et repose le récipient fumant, avant de croiser les jambes. Une Faust joyeuse s'approche. Son corps rose s'enroule autour de la théière alors que Nadia tend les doigts pour lui gratter distraitement la tête.
Les oreillers amoncelés au sol sont incroyablement confortables. Leur tissu lisse lui caresse la peau comme une brise fraîche. Ils sont imprégnés d'une odeur qui n'appartient qu'à son amie, dans laquelle Asra vient toujours puiser du réconfort quand l'énergie et l'envie lui manque. Pas qu'iel ne se sente particulièrement mal aujourd'hui. Mais il faut dire que ces derniers jours ont été… Éprouvant. Le terme est fort, mais il évoque bien la vague d'émotions qu'iel a senti remonter.
— Ces gâteaux ont l'air délicieux. C'est toi qui les a faits ? iel demande en se saisissant d'une pâtisserie.
— Du tout. Je les ai achetés dans un endroit bien trop coûteux pour tes moyens. Et ne crois pas que tu échapperas à mes questions en flattant mon égo.
— Ça marche bien, avec Lucio.
La dame lui fait signe de se taire, avant de s'asseoir au milieu des couleurs qui inondent le sol. Ses jambes repliées font un angle soigneux et ses cheveux, lâchés, se mêlent aux oreillers pourpres. Sa coiffure relâchée casse l'air digne qu'elle porte habituellement. Ainsi détendue, elle est moins impressionnante. Mais Asra sait qu'elle ne lea lâchera pas. Et iel est venu·e en connaissance de cause.
— Donc, tu as eu une relation avec Julian.
— On a déjà eu cette conversation, je crois.
— Et moi, je crois aussi que tu ne m'as pas tout dit.
Elle a raison. Asra arrange la vérité pour s'éviter des problèmes. Pas que Nadia soit un problème, mais ce qu'elle essaie de soulever, en revanche…
— Je t'ai dit, iel souffle. On est sortis ensemble quand j'avais quinze ans. Ça remonte au lycée, il a oublié de rompre à la fin de l'année et il est parti étudier la médecine. La suite, tu la connais sûrement mieux que moi.
— Oui. J'ai eu quelques échos à son sujet.
Une lueur amusée pique les yeux d'Asra. Julian n'a toujours pas accepté de lui dire d'où il connaissait Lucio. Et ils ne se sont certainement pas croisés à la fac de médecine, ni au travail. Ne restent que peu d'options qui valent toutes son attention.
Et sa crainte.
— Des échos du genre ?
— Crois-moi, tu n'as pas envie de savoir.
— J'ai toujours envie de savoir, Nadi.
Iel aime ce sourire qu'elle a. Cette tête de sphinx qui détient tous les secrets. Asra fait un·e bien mauvais·e prétendant·e à ses questions, avare en réponse. Mais iel aime jouer, grappiller et, surtout, iel aime les ragots autant qu'elle.
— Honnêtement, je n'ai pas tous les détails. Je l'ai retrouvé à moitié nu sur le sofa en rentrant d'une visite chez mes parents. Lucio ne pensait pas que je reviendrais si tôt.
Aie. Donc, c'est bien un énième plan cul de l'autre crétin. Ou un ex – quoi qu'à sa connaissance, Lucio n'a jamais de relation sérieuse en dehors de celle qu'il entretient avec Nadia. Dans tous les cas, il s'est passé quelque chose entre eux. Et Asra n'a pas envie de savoir ce que c'est.
Ce qui ne l'empêche pas de poser des questions.
— C'est arrivé souvent ?
— Pourquoi, ça t'intéresse ?
Asra roule entre les oreillers pour cacher sa gêne. Il tend la main, s'étire comme un chat et croise les bras, la main tendue vers sa tasse.
— Simple curiosité.
— Bien sûr.
Abandonnant son sourire amusé, Nadia hausse les épaules. Ce qu'elle avait de malice s'évapore sur un air consterné qu'Asra ne connaît que trop bien.
— Honnêtement, Lucio ne me fait pas un compte rendu de ses rapports. Mais tous les caleçons que je retrouve au salon ne sont pas à lui.
Est-ce qu'elle dit ça pour l'épargner ? Le sous entendu n'en reste pas moins clair, mais… ce n'est pas comme si la sorcière s'inquiétait vraiment de savoir ce qu'Ilya fait de son cul. Iel aussi, iel profite de sa vie. Iel a eu des relations, ces dernières années. Mais Lucio…
Non. Pas de jugement. Tout le monde fait des erreurs.
— Mais assez parlé de moi, Nadia déclare.
À son tour, elle roule et pose ses yeux sanguins sur l'ami·e qui détourne les siens.
— Il t'a recontacté ?
Est-ce qu'Asra doit lui dire la vérité ? Oh, ce n'est pas comme si iel pouvait lui mentir. Lui cacher une partie des faits, tout au plus, et encore. Mais c'est une soirée ragots. Il n'y a pas besoin d'être sincère ou d'ouvrir son cœur, dans ces moments. Seulement de dire ce qui embrasera l'attention de l'autre participante.
— Par message.
— J'imagine bien qu'il n'est pas venu jouer la sérénade sous ta fenêtre.
— Oh, ne le sous-estime pas.
Le thé au bord des lèvres, Asra sourit et avale une gorgée brûlante. Le sucre qu'on a glissé au fond de la tasse lui adoucit les pensées. Iel rattrape une goûte du bout de la langue. Le temps s'étire.
— On doit se revoir, iel avoue.
— Intéressant.
Intéressant, peut-être. Mais Asra ne sait pas quoi en penser. Il reconnaît ce jeu du chat et de la souris auquel ils s'adonnaient au lycée. Julian plaisante et approche pour mieux se reculer au moindre obstacle, et iel, iel pique juste ce qu'il faut pour l'encourager. Mais aujourd'hui, iel ne sait pas ce qu'iel attend de leur échange.
Ni ce que Julian cherche.
— Vous avez pû parler de ce qui s'est passé entre vous ? Nadia demande enfin.
Évidemment, elle n'attendait qu'une occasion d'aborder ce sujet. Sous ses airs de duchesse curieuse, elle s'inquiète. À juste titre, sans doute. Ilya est une catastrophe ambulante, si Asra en croit tout ce qu'on lui a rapporté à son sujet. A l'époque, iel ne voulait pas se fier aux racontars. Aujourd'hui…
Iel devrait peut-être appeler Natiqa, un de ces jours. Parler de ça avec elle. Est-ce que Nadia est déjà allée à la pêche aux informations auprès de sa sœur ? Peu probable. Moins elle voit sa famille, mieux elle se porte.
— Pas encore.
Iel aurait dû. Il ne peut rien naître de bon d'une terre encore pleine de bouts de verre. S'iel veut repartir sur de bonnes bases, que cette amitié en devenir ne se transforme pas en piège amer, il faut mettre les choses au clair.
Mais chaque fois qu'iel repense au dos tourné d'Ilya et à ses messages sans réponse, son ventre se noue. Asra ne veut pas toucher à ce passé. C'est trop.
— Tout avait l'air parfait, à l'époque, iel soupire.
D'un trait, iel avale le fond de sa tasse. Sa tignasse blanche se mêle au poil satiné d'un cousin où il enfonce sa tête.
— Je pensais que ça ne s'arrêterait jamais. Qu'on continuerait de se voir à la fac. Tout allait tellement bien, on ne se disputait pas, je pouvais lui dire ce que je ne racontais à personne d'autre.
Les messages au milieu de la nuit, l'appel à Noël. Iel revoit la neige tomber. Le froid qu'iel ne sentait plus, distrait par les paroles d'Ilya. Chaque texto envoyé était une bouée jetée dans un monde qu'iel ne pouvait plus ressentir pleinement. Une prise dans la réalité.
Asra pensait qu'ils étaient mieux que tous ces autres couples. Plus solides. Sincères. Mais leur relation s'est brisée comme un bloc de sable entre ses mains. Iel n'a rien pu en saisir d'autre que ses larmes. Ce vide et ces silences, c'est arrivé si vite.
Mais ça fait longtemps. Aujourd'hui, iel sait que l'amour est imparfait. Qu'on ne peut pas tout donner à une seule personne, ni tout recevoir d'elle. Que l'amitié est aussi solide – l'amour lui-même n'est qu'une autre forme d'amitié, au fond. Iel a tellement appris. Alors pourquoi perdre du temps avec un événement qu'iel ne pourra jamais changer ? Iel veut penser à l'avenir et à tout ce qu'il lui promet de beau.
— Je verrai en temps voulu, iel déclare.
Inutile de se précipiter. S'ils doivent parler de ça, ça viendra. Et s'ils ne le doivent pas, s'ils ne se revoient qu'une fois et disparaissent à nouveau de leur vie mutuelle, soit.
Nadia n'est pas convaincue. Mais elle n'insiste pas, et c'est tout ce qu'iel lui demande. Il regarde sa paume rosée s'enrouler autour de la tête froide de Faust, laquelle essaye de tremper sa langue fourchue dans sa tasse. Asra se demande brusquement si Julian aime les serpents. A l'époque, il avait une passion étrange pour les sangsues. Mais les deux créatures n'appartiennent pas à la même famille. Et bien heureusement pour lui, sa colocataire ne présente pas une horrible bouche ronde pleine de dent dont elle userait pour se suspendre à sa peau.
— Noddie !
Rompant toutes les règles sacrées de la soirée pyjama, Lucio vient toquer à leur porte. Nadia plisse les yeux, irritée.
— Fais comme s'il n'était pas là. Il finira par se lasser, Asra glousse tout bas.
— Oh non, crois-moi.
— Eh ! Je sais que vous êtes là ! Noddie, j'ai besoin de tes trucs pour les cheveux !
Cette fois, elle lève les yeux au ciel. Asra doit contenir le rire qui lui monde à la gorge, à l'entente de la panique dans la voix du blond.
— C'est urgent ! il insiste.
— Quel truc ?
— L'huile !
Elle se tourne et regarde le flacon posé sur sa table de chevet, avant de glisser son visage entre ses mains. D'ici, son invité·e sens sa mâchoire crispée et l'agacement qui la gagne comme une cuillère de moutarde mal dosée.
— Qu'est-ce qui lui prend, Asra s'amuse, curieux·se.
— Il est persuadé d'avoir une calvitie précoce et il a recours à toutes les solutions qu'il a trouvées sur Internet. En ce moment, c'est l'huile de ricin.
— Une calvitie ?
S'il y a bien une chose dont Lucio ne manque pas, c'est de cheveux. Au contraire de ce qui se trouve en dessous.
— Il a entrepris de nettoyer le syphon de la baignoire et il a failli s'évanouir devant le tas de cheveux qu'il a trouvé dedans.
Asra hausse un sourcil, mais s'abstient de tout commentaire. C'est du Lucio tout craché.
— Et il n'a pas foncé chez le médecin ?
— Pire, Nadia grimace. Il a appelé Julian.
Julian ? Iel comprend la logique. Mais à la place de Lucio, il n'est pas sûr de se fier à quelqu'un qui a raté ses études. Quoi que, jusqu'à quelle année est-ce qu'il a tenu ? Asra ne lui a pas posé la question.
— Je ne sais pas ce qu'il lui a dit, mais il n'arrête pas de se mettre tout et n'importe quoi dans les cheveux depuis.
— Dis-lui que l'huile de foie de morue favorise la pousse des cheveux.
— La quoi ? Lucio crie depuis la porte.
Aussitôt, Nadia lui colle un coup de coude entre les côtes. Elle darde sur lui un regard intraitable qui fait encore grandir son sourire.
— Je te prierai de ne pas donner ce genre d'idée à mon petit ami.
— Et s'il frotte des orties sur…
Elle lui coince un biscuit entre les dents, et il éclate d'un rire franc en le rompant.
Désespérée, la jeune femme finie par aller chercher la lotion et ouvre à son petit ami, lequel couine presque aussi fort que Melchior et Mercedes. Au milieu des draps, Asra se laisse aller en pensées.
Bientôt iel revoit Ilya. Seul. Est-ce qu'il y aura entre eux ce silence gênant de ceux qui n'ont plus rien à se dire ? Ou le fil retrouvé des vieilles relations ? Iel se plaît à fantasmer sous l'odeur du thé une conversation qui ressemblerait à ce qu'ils étaient autrefois.
Autrefois. C'est fini. Et en même temps, la rupture nette qui aurait dû signer la fin de cette relation n'a jamais eu lieu.
Comment considérer leur relation, alors ?
