Hey !
Bouh, une semaine de retard, brrrr. J'ai une très bonne excuse. J'ai accidentellement écrit le chapitre 50 avant le 49, et je m'en suis rendu compte en relisant mon plan. Du coup j'ai dû écrire le 49 en urgence. Voilà. Oups.
(Normalement avec le CampNano, je devrais reprendre de l'avance !)
(TW en fin de page !)
Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture à vous !
En décalé
Julian
.
Putain d'horloge interne.
Hier, Ilya s'est endormi à quatre heures du matin. Quatre heures. Avec un réveil à huit. Et il aurait sans doute trouvé le repos plus vite, s'il n'avait pas ouvert les yeux à midi la veille. Mais le fait est qu'il est complètement décalé.
Il est neuf heures, il a une tasse de café dans la main et l'irrépressible envie de retrouver au lit. Mais non, il ne doit pas. S'il craque maintenant, il sera encore en train de pioncer jusqu'au milieu de la journée le mois prochain. C'est une dure épreuve qu'il lui faut traverser la tête haute. Plus tôt il règlera le problème et plus vite il retournera à une vie normale.
Enfin, normale. Ce n'est pas comme s'il avait toujours eu un rythme de vie impeccable. Et- Merde, est-ce qu'il a pris une douche hier ? Oh, il est resté à l'appart, ce n'est pas si grave, non ? Pasha le lui aurait dit, s'il puait le vieux rat mort. Sa franchise a toujours surpassé l'affection qu'elle lui porte.
Mais donc, le café. Ilya s'enquille sa tasse d'une traite. Le goût amer lui tire une grimace et il doit bien reconnaître qu'il n'aime pas la boisson noire autant qu'il veut le faire croire. Mais il en a besoin, et rien n'est plus important. Sans café, Julian est une loque. Plus loque qu'il ne l'est déjà, les jambes jetées par-dessus l'accoudoir du canapé alors que sa tête atterrit mollement entre deux coussins. Il remarque que son pantalon a un trou au niveau du genou. Tant pis. Ça fait grunge, il pense pour se rassurer. Et parce qu'il est à sec, le temps que le virement de son dernier mois tombe sur son compte. Quoi qu'il lui reste peut-être de l'argent des cours de maths-
Mince, le chômage. Il faudra qu'il s'occupe de ça. Ou qu'il se bouge le cul pour retrouver du taf – ou les deux. Oui, les deux. Oui.
Ilya essaie de ne pas contempler de trop prêt le désastre auquel sa vie ressemble. Pôle emploi est un douloureux rappel de ses études ratées et du crash de son existence. La CAF aussi. Au moins, Pasha s'en sortira mieux que lui.
La journée file entre les papiers qu'il entasse et scanne depuis son téléphone. Il panique deux fois devant la page du site maudit, part chiper une canette de coca à l'épicerie du coin pour mieux repousser le travail qui l'attend et comme le soleil se couche, il termine enfin son inscription. Ok. Ça, c'est fait.
Cette fois, c'est à la journée qu'il vient de perdre qu'Ilya essaie de ne pas penser. Toute une après midi pour une dizaine de feuilles et un dossier en ligne. Pasha aurait réglé le problème en moins d'une heure. Mais Pasha est définitivement plus douée que lui pour l'administratif, et sa concentration est à toute épreuve. C'est sans doute pour ça qu'elle s'en tire mieux à la fac. Dans la vie, en fait. Oui, Pasha est douée pour la vie. Et Julian… Préfère ne pas y penser.
Manger. C'est la prochaine mission de la journée. Il pourrait préparer des pâtes à l'arrache, et - zut, la CAF. Il a oublié. Il faut qu'il modifie son statut, et…
Non. Il ne veut pas replonger là-dedans. Ses doigts tapent nerveusement sur le rebord de bois qui fait la table de la cuisine. Il inspire. Des pâtes. Ou des patates, coupées en deux et cuites au four, recouvertes de fromage.
Ou un grand verre d'alcool. Il lui reste à peine de quoi le payer, mais s'il se le fait offrir, la question de l'argent n'entre pas en compte.
Abandonnant là ses responsabilités, le rouquin attrape ses clés et son débardeur le plus décolleté qu'il l'embellit d'un haut en résille, avant de laisser un petit mot à Pasha. Sur la porte. Du frigo. Oui, elle regardera forcément le frigo si elle doit manger.
Je sors. M'attends pas pour manger, je trouverai un truc dehors.
Et quand bien même, il rentrera sans doute trop tard pour penser à allumer les plaques.
Dehors, la tiédeur de la fin de l'été l'enveloppe. Son corps maigre s'habitue vite alors qu'il marche, galopant dans la rue sans un regard pour les arrêts de bus qui défilent. Pas envie de payer son ticket, sa carte est restée sur son lit. Et puis, marcher, ça fait du bien. Ça lui fera faire un peu de sport, de quoi rester en forme sans taf. Ilya déteste les périodes de chômage en partie pour cette inertie qui le garde à l'appart. Les annonces qui défilent sous ses yeux, la trouille à chaque CV qu'il envoie, le tissu mou du canapé de seconde main sous son cul. Il le trouve moite, quand il passe la journée enfoncé dedans. Il reste au lit longtemps, s'endort à pas d'heures – et son dernier emploi n'aidera pas. Les journées se ressemblent et passent et quand il réalise tout le temps qu'il a l'impression d'avoir perdu…
Ouais, Julian déteste ne pas travailler. Presque autant qu'il déteste travailler.
— La place est libre ?
À peine a-t-il posé un pied au Rowdy Raven qu'il repère un joli gars posé au comptoir. Un gars qui boit seul. Pas de pull abandonné sur le tabouret devant lui. Donc, pas de petit ami parti pisser le litre de bière qu'il s'est déjà enfilé.
— Ça dépend, l'homme qu'il a repéré répond.
— De ?
Le mec ne le chasse pas, mais il le jauge. Ilya s'appuie contre le bar. Il a refait son trait d'eyeliner avant de sortir et son verni, appliqué la veille, tient encore sur ses ongles. Normalement, impossible de douter de son orientation. Justement, l'autre ne doute pas – ou plus – et le laisse s'asseoir.
Le reste, c'est un échange de mots qu'il connaît par cœur. Un jeu où il se doit de garder l'attention de son partenaire jusqu'au bout. Il faut surprendre, assez pour éveiller son intérêt, mais pas trop. Ce serait bien sa veine de le faire fuir alors qu'il a déjà commandé le verre qu'il espère qu'on va lui payer.
— Et tu as ?
Il glisse ça comme un genou entre en collision avec le sien. Un frisson remonte de l'articulation jusqu'à son cerveau et tout s'active là-dedans. Ça pulse. Il tape du pied.
— Vingt-huit ans. Et toi ?
De longs cheveux bruns. Attachés en chignon, à l'arrière de sa tête. Ilya se demande à quoi ils ressemblent une fois relachés. Ils ont l'air bouclés.
— Vingt-quatre. Vingt-quatre ans, j'entends. Même si… vingt-quatre mois, ce serait bizarre. Vraiment bizarre. Glauque, en fait.
— Effectivement.
Seigneur, pourquoi est-ce qu'il dit ça ? Il n'a même pas tant bu. Mais il a cette excitation bizarre dans le corps, un flux d'énergie qui menace d'exploser et de tout emporter. Lui, son cerveau et sa dignité. C'est souvent comme ça, quand il entre ici. La musique cogne en fond, se répercute contre les paroies de son crâne et il termine son verre cul sec sous le rire de son partenaire. Futur partenaire.
Il essaie d'imaginer ses mains autour de ses hanches. Leur force au milieu de ses cheveux. Ça cogne encore.
— Ouais, un appart minuscule. On entendait la musique des voisins au-dessus, il raconte au bout du deuxième verre.
Il ne boit pas tant. Mais le ventre vide… Est-ce qu'il a faim ? Il ne sait pas. Son estomac lui semble à la fois creux et plein. Mais il a envie, et pas de bouffe.
Envie de regards. D'ordres secs, d'un corps chaud, de longs silence épuisés. D'alcool, encore, de tête qui tourne et de quelqu'un qui le fait taire. À chaque gorgée, c'est comme de la vie qui coule dans sa gorge. Une réalité floue et pourtant palpable. Il sent la cuisse dure du gars sous sa main alors qu'il caresse son jean, l'air de rien. Et ça, ça, c'est vrai.
Vrai.
— Chier. Ta mère disait rien ?
— Non, elle était…
Morte.
— Pas très autoritaire.
La douleur. Vieille, familière. Le chemin de la couture du pantalon qu'il retrace en remontant, et ces yeux qui ne le lâchent pas. Des aiguilles. Dans sa peau. Ilya sait qu'il aura ce qu'il veut.
Mais c'est trop peu. Il a besoin qu'on le morde, qu'on lui agrippe la taille, qu'on plaque son corps de la manière la plus douloureuse possible. Besoin de sentir, ressentir les choses. Cette humiliation qui le prend au ventre.
Il n'a pas pris de capote, mais l'autre ne s'en inquiète pas plus que ça. Et la petite voix qui lui dit qu'il fait une connerie le fait jubiler.
[TW : mention de sexe non protégé, comportement autodestructeur]
