Hey !
J'ai oublié de poster. Mais vu que je suis en retard toutes les semaines, c'est pas nouveau.
(la bonne nouvelle, c'est que j'ai repris un peu d'avance avec le camp Nano d'Avril !)
Julian est toujours une catastrophe émotionnelle. C'est amusant et défouloir à écrire.
Merci à Ya pour sa relecture !
Bonne lecture !
Toujours le passé
Julian
.
Ok, ok. Ilya inspire. Se mord la lèvre.
— Et qu'est-ce qu'iel entendait par pas changé ?
— Je sais pas, Pasha. C'est là tout le problème.
— Demande-lui.
— Non.
Hors de question. C'est trop… Si c'est négatif, il ne s'en remettra pas. Peut-être qu'Asra a subtilement essayé de lui faire comprendre qu'iel le trouvait toujours aussi lâche, minable et dépourvu de l'intérêt qu'iel a cru voir en lui six ans plus tôt. Oui, peut-être que ce que Julian aurait dû entendre, c'est : ça ne va pas le faire entre nous, j'aime autant ne pas fouiller dans mes propres poubelles.
Ou peut-être que c'était affectueux. Pas changé, comme dans Tu m'attendris toujours autant. Je crois que je t'aime encore un peu. Ou T'es con, con comme quelqu'un qu'on aime bien. Qu'on a bien aimé.
Mais Asra ne lui a pas envoyé de message en rentrant. Quand on aime bien quelqu'un, on envoie un message après l'avoir vu, non ? Lui, il l'aurait fait. Enfin, il ne l'a pas fait mais- oh, merde. Pourquoi le café ne suffit pas à lui mettre le cerveau en pause ?
— Calme-toi, Ilyushka. Ça fait deux mois que tu l'as recroisé.
— Trois.
— Hein ?
— Ça fera trois mois la semaine prochaine.
Est-ce que c'est grave, s'il a compté ? Trois mois. C'est long, trois mois. En fait, c'est ce qu'il leur a fallu pour se mettre ensemble la dernière fois, sauf qu'ils se voyaient tous les jours au lycée. Ils n'avaient pas la tête perdue dans leur travail, à grappiller de précieux petits messages en rentrant complètement claqués d'une longue journée.
Enfin, Ilya peut parler. Ce qui l'épuise, en ce moment, c'est le vide absolu de son quotidien.
Mais trois mois. Trois mois, et septembre se pointe. Et l'été passe tellement vite quand on ne bosse pas. Il fait encore chaud, il pourrait proposer une virée au parc à son…ami·e ?
Il n'a pas envie d'appeler Asra son ami·e. Et ça, c'est mauvais signe.
— Même, Pasha reprend. Laisse-lui du temps.
— Et si iel-
— Ilya !
Le coup d'oreiller était prévisible. Pour autant, il ne l'évite pas – sa position lui permet à peine de relever la tête. Un tissu mou vient compresser son nez.
— Si tu veux savoir ce qu'iel entendait par là, t'as qu'à lui poser la question, elle souffle.
— J'ai peur de la réponse.
— Tu crois qu'iel aurait accepté de te revoir, s'iel pouvait pas te piffer ?
— Iel n'a pas vraiment eu le choix. On s'est recroisés par hasard.
— La première fois.
Oui. Et rien ne dit que depuis, iel n'a pas accepté par pure politesse. Peut-être qu'iel lui en veut secrètement, pour tout ce qu'il lui a fait. Si ça se trouve, iel accepte de le retrouver pour mieux se venger. Un cœur brisé pour un cœur brisé. Ce serait mérité. Julian n'est même pas effrayé par l'idée – presque, elle le rassure – seulement…
Oh, il aimerait pouvoir être ami avec Asra. Pour de vrai. C'était si simple de rire avec iel. Leur complicité d'autrefois et leurs nuits trop courtes lui manquent. Au moins, à l'époque, il ne les perdait pas le dos penché, à genoux devant des inconnus. Enfin, pas toujours. Pas autant.
Qu'est-ce qu'Asra dirait, s'iel savait ?
Ilya déglutit. Un bruit court agite la table du salon.
— Ton portable ! Pasha lance avant de disparaître dans sa chambre.
Comme bien souvent ces derniers temps, le rouquin se jette sur son téléphone. Ce n'est pas un appel, juste un petit message. Mais le nom affiché le réchauffe.
[Dis, tu travailles en ce moment ?
(Bouh \ ( ๑ ╹ ◡ ╹ ๑ ) ノ) )
Oh. Oh. Non, et Ilya a honte de l'avouer. Il n'a même pas osé le lui dire, la dernière fois qu'ils se sont vus – et puis, il a encore ses cours de maths, ce n'est pas comme s'il ne travaillait pas du tout. Il a cette honte crasse dans laquelle il s'englue au bout d'une semaine d'inertie. L'envie de sortir coupée par le manque de moyens. L'angoisse à chaque lettre de motivation qu'il rédige, quand il ne balance pas simplement ses CV par mail. Chaque fois qu'il lit une nouvelle annonce susceptible de l'intéresser, le médecin raté a cet arrière goût amer qui lui reste. Ce sentiment d'avoir échoué, même s'il ne sait pas dans quoi.
[Pas officiellement ;^)
Pourquoi, tu as besoin de quelque chose ? J'ai pas mal de talents à mon actif, si besoin. Je sais déboucher le syphon d'un évier, installer un luminaire et tondre le gazon.
(Même si je doute qu'il y a beaucoup de gazon dans ton appartement.)]
[Ahah ( ノ ◕ ヮ ◕ ) ノ * . ✧
Mon appartement va très bien et mon luminaire aussi. Mais oui, j'aurai peut-être besoin d'aide bientôt.]
[Alors je suis ton dévoué serviteur.
(Je sais aussi falsifier les ordonnances. Mais c'est un talent que j'évite d'ébruiter.)]
[C'est possible ? ⊙ .
Comment tu fais ?]
[C'est un secret ;^)]
Il a appris à la fac, et c'est une très mauvaise idée d'en parler. Mais c'est Asra. Asra n'a sans doute pas besoin de fausse ordonnance. À sa connaissance, les produits qu'iel consomme ne sont pas légalement trouvables sur le marché. Enfin, qui sait. On est jamais à l'abri d'une découverte. Peut-être que l'activité d'artisan de son ex petit ami n'est qu'une couverture.
Ex petit ami. Il réalise qu'il n'a jamais utilisé ce mot, avec personne. Il a eu des plans cul, des gars qui l'ont quitté ou qu'il a quittés avant de retenir leur nom – et il exagère à peine. Ça a duré un peu, avec Neal. Mais ce n'est pas comme s'il y avait vraiment cru.
Il n'a jamais su redonner à quiconque l'importance qu'Asra avait pour lui. Et en ça, Asra lui fait peur. Chaque message qu'iel envoie est une bénédiction autant qu'un coup au cœur.
[Dis ? Je peux te poser une question?]
Celui-là plus que les autres.
Le cœur – justement – d'Ilya s'affole. Il inspire, pose le portable et imagine mille scénarios catastrophe. Une question ? Quelle question ? Ce n'est jamais bon signe, ça. On ne demande pas avant de poser une bonne question. Oui, demander, c'est comme d'appeler quelqu'un par son nom complet, c'est…
[Bien sûr !
Sauf si c'est pour me demander mon véritable âge. Secret professionnel.]
[Zut. Est-ce que je peux te demander directement si tu es un vampire, alors ?
(j'ai des arguments pour étayer ma théorie.)]
[Je suis outré. Tu m'as déjà vu marcher à la lumière du jour. Et le sang a un goût exécrable.]
[Je pensais plutôt à un genre de vampire qui survivrait en se nourrissant uniquement de café. Et tu marches à l'ombre la moitié du temps. D'autant que tu ne dors pas et que tu travailles de nuit.]
Ilya rit. Et il est triste qu'Asra ne soit pas là pour l'entendre. C'est vrai qu'il évite l'astre du jour autant que faire se peut, mais il fait partie de cette partie de la population qui arrive à prendre des coups de soleil en hiver. Il se protège comme il peut.
Il n'empêche que la peur remonte comme un serpent. Il lui faut plusieurs minutes avant d'oser ouvrir le message qui fait à nouveau vibrer son téléphone.
[Tu n'es pas obligé de répondre.]
Son ventre se serre comme une éponge sale qu'on vide.
[Pourquoi tu m'as quitté, au lycée ?]
La hache tombe. Une hache métaphorique, donc le coup n'en reste pas moins brutal. Pourquoi il… oui, oui. Evidemment. Il fallait, il faut qu'ils en parlent. Asra devait poser la question, tôt ou tard. Et Ilya aurait dû trouver le courage de s'expliquer avant qu'iel ne vienne le lui demander. Mais il n'était pas sûr que son ex veuille aborder le sujet, et- non, des excuses. Toujours des excuses.
Il dévore les petites peaux sèches tout autour de ses doigts.
[Je suppose que Parce que j'étais le plus minable des petits amis n'est pas une réponse suffisante ?]
Mais il efface aussitôt ce message. Non, il ne peut pas plaisanter, pas maintenant. Ce serait irrespectueux pour Asra. Iel a droit à une vraie réponse – le problème, c'est que Julian n'en a pas. De réponse. Il n'y a qu'un mot pour décrire l'énergie étouffante qui a nourri cette suite de mauvaises décisions, et Asra mérite mieux.
Quitté, il relit. Un rictus acide tire sa bouche. Iel a eu la gentillesse d'atténuer la catastrophe que constitue leur non-rupture. Julian n'en mérite pas tant. En fait, il n'a jamais rien mérité de la part d'Asra. C'est dans cette pensée qu'il trouve la force d'écrire.
[Parce que je ne te méritais pas.]
À peine le message envoyé, il regrette aussitôt. on ne mérite pas les gens, Pasha l'a déjà largement sermonné à ce sujet. On dirait une réponse d'adolescent buté qui refuse d'avouer sa faute. Et pourtant, le constat ne fait que renforcer ce sentiment.
[J'ai eu peur de ne pas être à la hauteur pour toi. De ne pas être assez. Je ne suis pas un excellent petit ami, comme tu as pu le constater.]
C'est un euphémisme, mais pas besoin de prouver une théorie dont il lui a déjà fourni toutes les preuves.
[J'ai pensé que tu serais mieux seul qu'avec moi. De toute façon je n'ai jamais réussi à tenir aucune relation à côté des études de médecine. Tu n'as rien raté.]
Oui, c'était assez pitoyable à voir. Au fond, les relations qu'il a eu à cette période ont fait office de distraction entre deux partiels, pas de véritable lien affectif. Ilya est nul pour ça. S'attacher aux gens et prendre soin d'eux. Parfois, le simple fait de se faire des amis le terrifie. Il se sent à sa place près des gens qui ne l'aiment pas – ou pas autant qu'il le voudrait. L'amour, quand il est offert sans condition, lui est inconfortable.
Seulement, toutes les failles du monde ne sauraient justifier son comportement. Ilya est assez grand pour le savoir.
[Mais je n'aurais pas dû faire ça sans te consulter. Cette décision n'appartenait pas qu'à moi. Je suis désolé.]
Désolé. Voilà, c'est dit. Il inspire. Attends. Asra ne répond pas. Il n'a pas reçu un seul message entre les siens. Ce discours jeté dans le vide ressemble à une porte ouverte sur un puits sans fond. Et si l'autre lui en voulait ? Iel aurait le droit, bien sûr, ce serait légitime. Seulement, Ilya ne veut pas tout gâcher. Pas encore.
Les minutes se succèdent sans que le téléphone ne bouge. Il rouvre deux fois la conversation, de peur d'avoir raté une notification. Mais rien. Juste ses propres textos et l'attente, interminable. Peut-être qu'Asra ne lui répondra jamais. Iel s'imaginait sans doute un scénario plus complexe qu'un stupide caprice d'adolescent, et cette explication décevante aura achevé de ternir l'image déjà minable qu'iel a de lui. Mais c'est la vérité, et Ilya n'a pas mieux à donner.
Reste à espérer que ça suffise.
