Hey !

Et pouf un chapitre. J'ai à nouveau de l'avance avec le Camp Nano, je suis joiiie. Et mon plan tient la route. Trop hâte de vous montrer les prochains chapitres.

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !


Toujours le passé

Asra

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Asra doute, parfois. Souvent, en fait. Iel ne le montre pas toujours, mais sous ses sourires vaporeux, iel n'est sûr·e de rien, et encore moins de ce que l'avenir lui promet. Aujourd'hui, ses ventes marchent bien. Iel ne gagne pas des mille et des cents, mais le loyer est payé, le frigo est plein et il lui reste les économies du marché de Noël dernier pour faire face aux coups durs. Si l'argent est une source de stress, ce n'est pas un danger imminent.

Ilya, en revanche, lui retourne la tête.

— Qu'est-ce qu'il a dit ?

Et comme chaque fois qu'Asra doute, iel vient passer la soirée chez Muriel. C'est l'avantage de vivre si près de lui. Iel est là, tant quand il faut aider que quand faut l'être. Le lien solide qui les serre depuis l'adolescence s'est encore renforcé. Le géant n'est pas juste un ami – ce mot n'a plus vraiment de sens, pour Asra. C'est une part d'iel, de sa vie.

— Qu'il a eu peur, lea magicien·ne soupire. Qu'il a fuit pour ne pas me faire de mal. ce genre de choses.

Muriel hoche la tête, et Asra retourne attraper une assiette. Ce n'est pas son genre, de faire compulsivement le ménage quand quelque chose lea tracasse. Mais l'idée même des couverts sales l'irrite.

La promenade d'Inanna n'en sera que plus longue, ce soir.

— Qu'il était désolé, aussi. D'avoir choisi à ma place, qu'il aurait été un mauvais petit ami, que ça n'aurait pas marché avec ses études.

Iel serre l'éponge. Un liquide grisâtre en sort, projeté par une force qu'iel ne se soupçonnait pas. Iel se remet aussitôt à frotter la tasse entre ses mains. Il y a cette tâche qui ne part pas, et… Ce n'est pas une tâche. C'est une dorure.

Soupirant, iel repose l'objet sur l'égouttoir.

— Qu'est-ce qu'il en sait, que ça n'aurait pas marché ? Ce n'est pas comme si ses études avaient marché, elles.

C'est salé. Mais avec Muriel, iel a le droit. Le colosse l'observe bercé de calme, ses grands doigts dans le pelage d'une Inanna attentive.

— Ça ressemble à une mauvaise excuse. Non, en fait, ça lui ressemble. Il est…

Quoi ? Il est quoi ? Fuyant et lâche, ce sont les deux mots qui lui viennent. Ilya l'a abandonné·e, et il veut lui faire croire qu'il a fait ça pour iel ? Est-ce qu'il sait ce que ça fait, de plonger du jour au lendemain dans un silence abyssal ? S'il voulait le quitter, il aurait pu le faire en bonne et due forme. Mais ce vide…

Et en même temps, c'est iel qui a utilisé ce mot, quitter. Sa question était biaisée dès le départ.

— Ce qu'il a fait… Muriel commence.

Il se lève. Ses paumes sont larges sur les épaules d'Asra, qui se laisse presser contre son torse. Cette force le dépasse, l'entoure et le rassure comme elle l'a toujours fait. Mais elle lui donne envie de se briser en tout petit morceaux à ses pieds, et ça, iel ne peut pas. Pas aujourd'hui.

— Il n'avait pas le droit, il complète.

— Je sais.

Mais ça fait du bien de l'entendre. Le problème, c'est que ce n'est pas à lui qu'iel devrait dire tout ça. Non, iel devrait en parler avec le principal concerné. Sortir ce qu'iel a sur le cœur et l'étaler une bonne fois pour toute. Dedans, ça pèse trop lourd, ça prend toute la place. Les conversations qui devraient l'amuser le mettent soudain en colère dès qu'iel repense à cette rupture qui n'a jamais eu lieu.

Iel pensait qu'iel en avait fini avec tout ça. Mais ça ressort. Encore.

— C'est passé, iel souffle. Ce n'est pas comme s'il pouvait y changer quoi que ce soit.

Et c'est bien pour ça qu'Asra n'arrive pas à le confronter. Ilya peut regretter tout ce qu'il veut, lui fournir toutes les explications du monde, le passé est figé. Il n'existe pas d'univers parallèles où son ex petit ami serait resté. Pas de passage dans le temps pour réparer les vieilles erreurs. Il faut laisser là les pots cassés.

— Tu as le droit de lui en vouloir, Muriel bougonne.

Lea sorcière soupçonne son ami de parler pour lui. Il n'a jamais aimé Ilya, ce n'est un secret pour personne.

— Je ne lui en veux pas. J'aimerais juste comprendre.

Donner un sens à ce qui s'est passé, cette année-là. Parce qu'iel n'arrive pas à se défaire de cette bête qui lui serre le cœur. Quand iel revoit l'adolescent dont iel est tombé amoureux, grand et maladroit, ses mains enfoncées dans les poches d'un jean noir abimé, ça gratte à l'intérieur. Ça lea prend et avec les souvenirs, un sentiment d'injustice étouffant lui obstrue la gorge.

En l'abandonnant, Ilya lui a pris tout ce qu'iel avait d'espoir et de confiance.

— Il y a forcément une raison, tu comprends ? À l'époque… Il a tout arrêté d'un coup. Comme si j'avais fait une erreur.

— Ce n'était pas ta faute.

— Je sais.

Il faut bien le croire. Ilya lui aurait dit, sinon. Il n'aurait pas reçu cette suite de messages piteux.

— Mais il s'est passé quelque chose.

Sinon entre eux, du côté d'Ilya. Dans sa tête. Il n'a pas pu céder sans raison, Asra ne veut pas y croire. Il a besoin d'une cause, pour ne pas lui en vouloir. La colère pèse trop lourd. Mais elle est là, et chaque fois qu'iel repense à cette année… Iel les attendait, ses réponses. Iel le cherchait dans la cour, trouvait toujours son dos et des regards fuyants. Il aurait suffit d'un mot, un tout petit, une phrase nette, même un texto. Une limite. C'est fini. Je préfère arrêter là. Je te quitte. Il faut des secrets dans son silence.

Comment est-ce qu'iel pourrait lui pardonner, sinon ? Ilya lui a fait tellement mal. Et il lui a fallu tant de temps pour s'en remettre. S'il n'y avait pas Muriel contre lui, aujourd'hui, Asra n'est pas sûr·e qu'iel serait encore capable de faire confiance. Le monde peut s'effondrer n'importe quand, sans prévenir. Iel le sait, et à qui la faute ? Iel…

Iel devrait penser à autre chose. Mais iel n'y arrive pas. Chaque fois que ses idées s'égarent, elles reviennent au même point. Et, parfois, ça lea rend acide. Iel songe qu'iel aussi, iel pourrait lui faire mal. De la même manière.

Asra ne veut pas être ce genre de personne. Mais iel y pense, et c'est là. Qu'est-ce que ça dit d'iel ?

— Tu n'es pas obligé·e de le revoir, Muriel murmure.

Même basse, sa voix pousse et remplit la pièce. Iel adore ça. Son timbre sonne comme le ronron des voitures qui berce et pousse au sommeil. Naturellement, iel pose sa tête contre son épaule.

— Je ne le revois pas parce que je me sens obligé·e.

— Alors pourquoi ?

Définitivement, il déteste Ilya. C'est étrangement rassurant.

— Parce que j'en ai envie.

Muriel souffle et s'assoit, Asra rit. Iel se redresse juste ce qu'il faut pour mieux s'installer sur ses genoux. Iel sait qu'iel est une des rares personnes que le géant aime toucher. Iel essaie de ne pas en abuser mais, quand il lui offre une place, iel s'y précipite aussitôt.

— Fais comme tu veux.

— J'y compte bien.

Contre lui, ça sent la myrrhe. Le genre d'odeur qui s'échappe des églises dans lesquelles ils ne mettent jamais les pieds. Son début de barbe lea gratte quand iel appuie son nez sur sa joue. C'est dru et ça pique. Comme lui.

— Ça ne veut pas dire que je n'aurai plus de temps pour toi, tu sais ?

— Mm.

Là n'est pas le problème, mais ça ne lui coûte rien de rassurer Muriel. Asra sait bien qu'en dehors d'Inanna, il ne voit personne. Et ça lui convient. L'extérieur, les gens, le bruit, tout ça l'effraie et l'épuise. Mais iel sait comme ce lien compte, d'autant que c'est le seul qu'il a réussi à forger.

Contre son petit torse, les battements du cœur du colosse sont lourds.

— Tu restes mon préféré.

Pour toute réponse, Asra a droit à un grognement gêné. Adorable, au demeurant. Mais c'est un vocabulaire qui fait rougir Muriel, alors iel le garde pour lui.

— Fais attention à toi, son ami insiste.

— Ne t'en fais pas pour ça.

Iel sait se protéger. Surtout, iel sait sur qui compter, si le vent venait à tourner. Muriel est un pilier solide. Le monde peut s'écrouler encore, il sera là pour lea rattraper. Rien n'est plus sûr ni rassurant que cette vérité.

Iel se redresse pour coller un bref baiser sur sa pommette. Pommette qui se colore aussitôt. Un bruit étrange sort de la gorge de Muriel. Encore, Asra rit au creux de son cou. Iel sent qu'on le serre plus fort et, s'iel ne comprend pas ce que son ami baragouine, son amusement va grandissant, autant que l'affection qui gonfle d'un coup dans son torse.

De l'affection. Iel en a encore pour Ilya, c'est indéniable. Iel ne l'aime pas comme avant, mais iel ne peut pas non plus dire qu'iel ne l'aime plus, ni jurer qu'iel n'attend rien de leur retrouvailles. Les gens qu'Asra a aimés ne s'effacent jamais complètement de son cœur. Ce jeu entre eux, c'est flou et incertain comme une route sans destination. Ça lui plait. Mais, et Ilya ? Qu'est-ce qu'il pense de tout ça ?

Iel pourrait lui poser la question. Ou iel pourrait attendre, tout simplement. Voir comment les choses évoluent sans chercher à en figer le contour. S'il y a bien une chose qu'Asra a appris, avec le temps, c'est qu'on ne modèle pas ses sentiments. Ils grandiront indépendamment de sa volonté.

Pour l'instant, il a envie de revoir Ilya. Alors c'est ce qu'il va faire. Et ça tombe d'autant mieux qu'iel a un service à lui demander.