Hey !

Retard, retard. Je passe poster en coup de vent !

(C'est un chapitre que j'avais hâte de poster, je me suis beaucoup amusé à l'écriture.)

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture à vous !


Une avanc(é)e

Julian

.

Les deux semaines filent. Il y a des jours gris où Asra et Ilya s'activent pour sortir les parapluies. Les ventes avancent bien, mais ce n'est pas ce qui motive le plus le rouquin. Non, quand il se lève chaque matin – ou presque, Asra a été formel·le sur les jours de repos qu'il doit prendre – il n'a qu'une pensée en tête.

C'est mauvais, définitivement.

— Il reste du café ? Julian demande, nerveux.

— Pas plus qu'il y a dix minutes.

— Oh, j'ai déjà… Err, désolé.

L'ex étudiant rougit. Ce n'est pas la première fois qu'on lui fait remarquer qu'il radote, mais c'est beaucoup plus gênant quand ça arrive avec Asra. Au moins, Pasha a l'habitude. Et Tasya n'est pas mieux lotie que lui sur ce point.

— C'est l'âge, Asra se moque. La mémoire diminue avec le temps.

— Je ne suis pas si vieux !

Avec la familiarité qui s'est installée, la fourberie de la sorcière est remontée. Ce n'est pas la première pique qu'iel lui glisse. Et toujours, Ilya joue les outrés. Parce que c'est amusant, et parce que le rire d'Asra…
Il l'aimait déjà, à l'époque. Cet éclat qui lui tire les lèvres. Iel plisse les yeux quand iel se gausse, ses boucles s'agitant. Puis iel se tourne comme une fouine fière de son coup et iel s'en retourne à ses bijoux. Et Ilya lea fixe, bêtement. Sa peau baignée de lumière, ses doigts agiles qui ajustent les présentoirs. Son sourire discret quand iel s'adresse aux clients. Asra vend ses créations comme on distribue des sortilèges. La discrétion de ses sourires, le souffle flottant de sa voix, c'est presque un personnage qu'iel dessine. Un magicien affairé dans sa boutique, ou un voyant aux promesses d'avenir nébuleuses. Est-ce qu'iel remarque comme on l'observe du coin de l'œil, parfois ?

— Alors ? Tu fais ton chiffre ? Ilya lance alors qu'ils remballent tout.

Le dernier jour de marché touche à sa fin. Le soleil tombe, les autres stands rassemblent leurs affaires et les cartons sont définitivement plus légers ce soir qu'ils ne l'étaient quand ils ont tout installé. Ils laissent les tables aux organisateurs alors qu'Asra range ses créations avec application, dans les cabas qu'iel va traîner jusque chez iel.

— Je dois encore faire les comptes, mais j'ai largement remboursé le coût du stand et ton salaire.

Il faut payer pour être ici ? Ilya n'y avait pas pensé.

— Bien. C'est… Cool. T'embête pas pour moi, si jamais c'est trop-

— Chut.

— J'insiste, c'était un plaisir de-

— Ilya.

— Je dis juste-

Juste rien du tout. Je ne te ferai pas travailler gratuitement.

Certes. Mais maintenant que tout est fini, et même si c'était le deal de base, Julian a l'impression de l'arnaquer. Il a passé un super moment. Ça n'en était pas moins épuisant – il a rarement aussi bien dormi que ces dernières nuits – mais venir ici tous les jours, avec Asra…

Oh, Pasha a raison, il n'est qu'un crétin fini.

— Tu rentres directement ? il demande brusquement.

— J'aimerai ramener mes affaires à la maison avant les derniers bus. Mais je ne suis pas pressé·e.

La trogne de lea sorcière se pique de malice.

— Pourquoi ? Tu comptes m'inviter à boire un verre ? iel ajoute.

— Je, err… Attends-moi ici deux minutes, je reviens vite.

C'était du flirt ça, hein ? C'était du flirt ou il ne s'y connait pas. À moins qu'Asra ne se soit – encore – moqué·e de lui. Et si c'était une blague ? Iel en fait souvent. Déjà, à l'époque, Ilya fonçait tête baissée dans ses mirages. Il y a cette ligne trouble entre le sérieux de son ex petit·e ami·e et sa fourberie, une frontière qu'il ne discerne pas. Presque, une manière d'être. Parce qu'Asra se dévoile peu, pour ne pas dire jamais.

— Excusez-moi ? Vous avez déjà tout remballé ? il halète, essoufflé devant le stand de vin chaud.

Ce sont deux pauvres verres qu'il ramène, payés avec les piécettes du fond de sa poche. Mais c'est la fin d'une dure journée, les bancs du parc sont libres et il doit bien y avoir des amis qui boivent du vin chaud ensemble quelque part sur cette terre, non ? C'est juste… Ce n'est pas forcément de la drague. C'est une attention. Une attention pour quelqu'un qu'il aime. Voilà.

— Tiens. C'est… en avance sur la saison, mais ça fait deux semaines qu'on travaille à côté de ce stand et on a jamais goûté leurs produits, alors…

Planté devant une table vide, un cabas dans chaque main, saon camarade de marché le fixe.

—Tu veux t'asseoir ? Désolé, je sais pas si t'aime ça. Tu aimes ça ? Je peux prendre autre chose si-

— C'est très bien, Ilya.

Et iel rit. Des étoiles dans sa bouche. Son écharpe tremble au son de sa voix.

— J'adore le vin chaud, iel ajoute.

— Moi aussi. Ça tombe bien.

En fait, Julian n'en boit presque jamais. Uniquement sur les marchés de Noël. Il garde un souvenir écoeurant de celui que Tasya préparait, renversant la moitié du paquet de sucre dans une casserole de vin blanc. Elle avait une manière… Bien à elle de concevoir le vin chaud. Mais avec Asra, il imagine des recettes mystiques dignes de son chocolat au piment. Oui, ce serait sans doute incroyable de passer une après-midi de décembre avec iel, à tester des mélanges pour finir alanguis sur le lit. Ils riraient bêtement, lanceraient une série qu'ils ne regarderaient même pas et ils rempliraient leur ventre de ces chips en forme de fantôme qu'il adorait, petit.

Non, non, non. Ilya sait très bien pourquoi il pense à ça. Pire, il sait pourquoi il ne devrait pas y penser. C'est mal. Enfin, non, ce n'est pas mal, mais… Asra est son ex petit·e ami·e. Ce qu'il y a eu entre eux s'est terminé. Et c'est lui qui a tout gâché. Il aurait sans doute tout gâché d'une autre manière s'il ne l'avait pas quitté·e au lycée, mais de lea voir porter le gobelet à sa bouche, ses lèvres à peine trempées dedans, comme on savoure une surprise, ça cogne dur en dedans.
Asra boit et Ilya pense, bien malgré lui, même s'il sait qu'il ne devrait pas, même si c'est trop tard depuis six ans, même s'il ruinerait sans doute leur histoire une seconde fois pour peu qu'ils essaient encore…

Si, maintenant, en tant qu'adulte et non plus comme deux ados paumés, ils essayaient ?

— J'ai quelque chose entre les dents ? Asra s'étonne.

Ilya détourne aussitôt les yeux.

— Du tout.

— Tu me regardes pour le plaisir, alors ?

Est-ce qu'iel était déjà aussi assuré·e à l'époque ? Oh, mais pourquoi est-ce qu'il veut toujours tout ramener au lycée ? Asra est là aujourd'hui, posé·e près de lui. Peu importe l'époque, elle est terminée, enterrée. Pleine de jolis souvenirs qui ne sont plus que ça, des souvenirs.

— Disons que tu sais te mettre en valeur.

— Un dimanche soir, après dix heures passées debout derrière un stand ?

C'est vrai qu'iel a les yeux tirés, le sourire moins vif. Mais iel n'en reste pas moins… Ilya cherche un mot. Un qui brillerait comme la lueur dans ses yeux, un adjectif plein de paillettes qui éclate et adoucit la vie. Il n'en trouve pas, alors il plonge le nez dans son gobelet pour mieux s'y cacher.

— C'est d'autant plus impressionnant, il déclare.

Les épices envahissent son palais. Le goût est fort, pas trop sucré. Plaisant. Il se lèche les lèvres.

— Laisse-moi en douter. Je crois que j'ai surtout besoin d'une douche, là, Asra rit.

Oui, sûrement. Lui aussi. Une douche chaude dans sa salle de bain étroite, avant de s'enrouler dans une serviette trop petite pour son corps de sauterelle. De penser à sa salle de bain minuscule, il rêve d'un chauffage d'appoint et d'un appartement mieux isolé. L'hiver arrive, et avec lui trois épaisseurs de couvertures supplémentaires dans le lit.

— Je suis sûr que tu es aussi très sexy sous une douche, il déclare.

Et s'il affiche son plus beau sourire goguenard, à l'intérieur, il s'effondre. Oh non, non, non. Il n'a pas assez bu pour accuser le vin – et ce n'est pas comme si le vin chaud pouvait le dévergonder. Pourquoi est-ce qu'il a lâché ça ? Pas que ce soit faux. Mais ce n'était pas à dire, pas maintenant.

Heureusement, ou malheureusement pour lui, Asra se contente de glousser. Avant de finir son gobelet. Iel garde ses deux mains serrées autour comme pour attraper le peu de chaleur qu'il dégage encore. Son regard se perd sur le fond humide où traînent sans doute les épices. Puis iel se redresse.

Ses yeux. Ils sont aussi clairs qu'à l'époque. Profond. Mais opaque. Ses pensées sont hermétiquement fermées.

— Approche.

L'ordre glissé le secoue de la nuque aux chevilles. Le frisson tombe sec. Ilya pose maladroitement son gobelet avant de se décaler, à peine. Perdu.

— Plus près.

Le ton tranche, aucun doute dans sa voix. Ilya déglutit, c'est… Asra le fixe et il se sent mourir à l'intérieur. Il obéit. Se fige en sentant sa main franchement posée sur sa joue. Ses iris qui le passent au crible. Iel le tient au creux de sa paume. N'importe quoi, Julian ferait n'importe quoi pourvu qu'iel l'ordonne avec ce ton ferme.

Mais Asra ne dit rien. Iel laisse ses doigts tomber sur son col, serre ses phalanges autour du tissu et tire. Ilya se penche. Un peu. Encore.

Encore.

Le goût du vin chaud lui revient, contre la bouche d'Asra.

Heureusement pour lui qu'il est assis, sans quoi ses jambes l'auraient lâché. Son cerveau s'éteint et se rallume, une langue fouineuse appuie à peine sur ses lèvres et il va la chercher. Mais tout s'arrête, trop tôt. D'un coup. La bouche disparaît, remplacée par un monde trop vrai et un début de nuit tombé sur leurs épaules. Ilya porte sa main à ses lèvres. Tâtonne, près de lui, à la recherche du gobelet qu'il ne se rappelle pas avoir posé.

Mais ses yeux ne lâchent pas Asra.

Et Asra.

Asra a l'air de s'amuser comme un petit fou. Ça le chamboule.

— Prend ça comme une avance sur salaire, iel susurre.

Puis iel se lève, broyant son propre verre pour le jeter, et Ilya reste planté là, à se demander s'il va se réveiller. Sa nuque est humide. Ses jambes incertaines.

Une part de lui panique. L'autre est prête à se jeter à genoux devant la sorcière pour un autre baiser.

Pasha ne va pas en revenir, quand il va lui raconter ça. S'il ne se réveille pas subitement dans son lit. Et si c'était un rêve ? Non, ça n'a pas l'air d'un rêve. Et si s'en était un, il- non, mieux vaut ne pas imaginer maintenant comment il se terminerait, encore moins dans un parc.

Mais c'est arrivé, là, sa bouche, cette chaleur, ce sucre. Il a- oh, oh.

Ilya est faible, il le sait. Et il veut bien laisser Asra en abuser, si ça doit le retourner comme ça à chaque fois.