Hey !
Chapitre corrigé samedi dernier, oublié de poster, lalala, vous connaissez la chanson. (le pire, c'est que je me suis mis des rappels. Qui ne servent visiblement à rien. bref bref)
On se rapproche d'un chapitre que j'ai très envie de poster, j'ai hâte ! (et j'ai presque plus d'avance donc vivement le camp nano, ahah)
Merci à Ya de m'avoir relu ET rappelé que ce chapitre existait.
Bonne lecture à vous !
Être lâche, se protéger
Asra
.
Au 31 octobre de cette année, Asra a la tête pleine d'ombres. Iel n'est pas particulièrement attaché·e à la fête des morts. D'ailleurs, iel ne profitera même pas du jour férié que le 1er Novembre promet, puisqu'iel devra s'occuper de ses commandes et des derniers modèles qu'iel a imaginés. Ça fait deux ans qu'iel n'accompagne plus son père faire le tour des tombes de la famille, prétextant le travail pour ne pas rentrer les voir, lui et sa mère. Pourtant, c'est bien à eux qu'iel pense, alors qu'iel est en train de trier ses perles.
La famille.
C'est toujours un poids dans son ventre. Fut un temps, il avait une place chez eux, une assiette qui l'attendait quand iel allait manger chez Moui ou chez une tante. Il existait une version d'iel qu'on attendait et qu'on étreignait pour lea remplir d'un amour franc, gratuit et lumineux. Mais, lentement, Asra s'est effacé·e. Sa vie s'est scindée, et la place qu'iel accordait à sa famille n'est plus qu'angoisse. Iel le sentait déjà, à l'adolescence, hésitant toujours plus à suivre ses parents pendant les vacances. Aujourd'hui, iel ne vient plus que pour les fêtes de fin d'année. Le reste du temps, iel travaille.
Ce n'est pas toujours vrai. Mais c'est une excuse que ses parents peuvent comprendre.
Une tasse de thé fraîchement infusée entre les mains, Asra se pose près de sa fenêtre. Une petite tête rose s'approche et trouve une place sur ses genoux.
— Coucou, toi.
Faust sort toujours de son terrarium. Ce n'est pas comme s'iel cherchait vraiment à l'y garder enfermée, mais la coquine aime se balader partout dans la maison. Iel caresse ses écailles, froides. Cette peau pâle qui glisse comme un courant d'eau. Elle siffle.
— Je vais m'y mettre, iel lui promet.
Ce matin, iel envoie ses commandes. Iel en a deux à préparer, et iel hésite à les filmer. Ça fait un moment qu'iel utilise Instagram, surtout comme une vitrine, mais iel a remarqué que les comptes plus actifs avaient du succès. S'iel hésite à se montrer en vidéo, ce serait l'occasion de toucher une plus large audience. Iel peut toujours faire un test. Mais s'iel se fie aux autres artisans qu'iel suit, l'expérience rendra mieux avec un joli décor.
Son thé porté à ses lèvres, iel savoure les saveurs qui glissent contre son palais. Abricot et pêche. C'est sucré, léger. Pas un thé d'hiver, non, plutôt le genre d'infusion qui annonce l'été, mais iel s'en accommode.
Est-ce qu'Ilya aime ce genre de thé ?
Asra recommence. Et c'est mauvais signe. Iel sait bien qu'iel ne devrait pas autant penser à son ex petit ami. Mais c'est si simple de sourire quand iel remarque qu'il lui a envoyé un message. Si simple, aussi, de replonger dans ses vieux souvenirs pour les retourner comme du fumier.
Iel l'a embrassé, et iel a aimé ça. Sur ce point, autant ne pas se mentir. C'est galvanisant, de réaliser qu'Ilya lea regardait comme avant, les yeux pleins de surprise et de dévotion. Julian embrasse comme il prie – et il prie à sa manière, à genoux. Dévoué. Asra s'en souvient très bien.
Iel se mord la lèvre et termine d'une traite la boisson qu'iel s'est préparée. Les saveurs s'effacent au fond de sa gorge. Iel regrette d'avoir aussi vite avalé son thé. Boire cul sec, c'est plutôt le genre d'Ilya, quand il s'enfile des cafés avant de retourner au turbin. Il en a avalé une quantité non négligeable pendant le marché. Mais ses lèvres avaient le goût du vin chaud qu'ils venaient de boire. D'y repenser, Asra lèche les siennes.
Puis iel se met au travail. Ses commandes empaquetées, iel les raye. Iel ira les poster en début d'après-midi, avant la relève du courrier. Puis iel passe le reste de la journée à fabriquer. Demain, il fera un tour des stocks pour repasser commande sur les matières qui lui manquent.
Non. Demain, c'est férié. Tant pis, iel en fera la liste le matin avant de contacter ses fournisseurs le lendemain.
Alors qu'approche les 18 heures au coin de son écran, iel fait un dernier tour des réseaux. Iel est plutôt doué pour ça, animer. Poster, interagir. C'est une part du métier qu'iel ne soupçonnait pas, avant de se lancer là-dedans. Mais ça ne lui déplait pas. En fait, c'est plus simple de communiquer avec les autres derrière son écran, d'arranger ses photos pendant des heures, que de se présenter en face. Pas d'angoisse. Pas de foule. Iel répond quand iel le souhaite. Les gens ne peuvent pas s'imposer à iel, et iel gagne assez pour se permettre de recadrer les clients qui dépassent ses limites. La sécurité qu'iel a réussi à gagner lui est précieuse.
Comme pour lui rappeler qu'iel a fini sa journée, Faust vient lui grimper dessus. Elle siffle joyeusement dans son oreille.
— C'est bon, iel rit. Laisse-moi juste envoyer ça.
Sa journée terminée, iel ferme son ordinateur et tire le rideau de son atelier. Ce n'est pas tant une pièce à part qu'un bout de son salon qu'iel a lui-même délimité, pour séparer le travail de la vie privée. Iel s'est arrangé·e comme iel a pu pour s'éviter un loyer de plus – ou un trop cher pour ses moyens. Mais une fois son rideau tiré, iel ne touche plus à rien. Les nouvelles commandes attendront demain.
C'est en se posant à nouveau près de la fenêtre, désormais dans l'ombre du soir, qu'Asra remarque comme les jours ont raccourci. Bientôt, iel devra mettre les bouchées doubles et travailler d'arrache pied pour encaisser les commandes de Noël. Le rythme a déjà accéléré mais, si ça se passe comme l'an dernier, iel demandera un coup de main à Muriel.
Libéré, iel se laisse enfin le droit de regarder ses messages. Un premier texto, envoyé par Ilya, lui tire un sourire.
[Une fois seulement. Et j'avais bu. Selon la règle du cinquième verre, tout ce que j'ai pu dire et faire à ce moment-là ne peut être retenu contre moi.]
Iel va pour lui répondre, mais la petite icône en forme de téléphone au coin de son écran retient son attention. Iel sait ce que ça veut dire. Un appel manqué. De la part de son père.
Asra inspire. Tout son corps se serre comme un nœud. La lumière du jour tombe et comme l'ombre avance dans sa chambre, iel se pose dans un coin de la pièce. Le parquet, doux sous ses pieds nus, semble s'effacer. Un nuage l'enveloppe. Iel connaît ça, iel repousse cette sensation, mais elle se glisse alors qu'iel presse ses genoux contre son torse.
Il faut qu'iel rappelle. Mais c'est la dernière chose dont iel a envie. L'idée même de la voix de son père, tout près de son oreille, lui fait les mains froides. Elle sera douce, iel sait. Ses parents sont toujours avenants quand ils prennent de ses nouvelles. C'est encore pire. Parce qu'ils sont gentils, Asra a l'impression qu'iel n'a pas le droit de ne pas vouloir les voir. C'est anormal. Iel devrait être heureuxse de les appeler. Il faudrait qu'iel leur rende visite plus souvent. Mais l'idée lea rebute.
Inquiète, Faust grimpe sur ses genoux. Asra la laisse s'enrouler autour de ses épaules alors qu'iel se replie un peu plus. Iel sait pourquoi son père appelle. En soit, iel doit juste leur dire qu'iel ne viendra pas, demain. Le travail, iel répètera, encore. Et iel sera tranquille jusqu'à Noël. Mais chaque année, c'est toujours un peu plus dur d'aller les voir. D'appeler. De se faire une place qu'iel n'a plus, d'entendre les gens parler du beau garçon qu'iel est devenu·e. C'est comme de s'enfoncer dans un moule qui ne lui ressemble pas. Un inconfort qui se mue en douleur au fil des jours. Iel doit jouer l'enfant parfait qui correspondrait aux attentes de sa famille. Et iel ne veut plus de ça.
— C'est rien, Asra murmure contre Faust.
Il y a l'enfant qu'ils veulent voir, et celui qui s'est caché pendant toutes ces années. L'attention qu'iel espérait, petit, et qu'iel ne supporte aujourd'hui plus. Le soulagement qu'iel a ressenti quand, enfin loin de la maison, iel a investi son nouveau territoire. Et iel s'en veut de ressentir ça. Ses parents n'ont jamais été mauvais avec iel, pourtant, iel n'a rien retenu d'eux que la maison vide et la force qu'iel trouvait pour cacher tout ce qu'iel avait de triste à porter. Est-ce que ça fait de lui lea méchant·e de l'histoire ?
Soupirant, iel rejette son portable. Demain, iel appellera. Le matin. Iel dira qu'avec les fêtes qui approchent, iel avait la tête sous l'eau. Voilà.
Mais il y a le message d'Ilya qui attend. Une raison de sourire. Iel le relit. Tape une réponse.
[Quand tu dis jusqu'au caleçon, tu veux dire… ?]
Alors qu'iel reconstitue leur échange, un rire d'oiseau lui échappe. Définitivement, Ilya est irrécupérable. En un sens, c'est rassurant de sentir qu'il n'a pas changé. Pas tant que ça. Il n'est pas bien différent du garçon qui se donnait en spectacle sur la scène du club de cinéma.
Asra prend un moment pour se rappeler de son odeur. De ses mains sèches. De ses joues rosées.
C'est aussi doux que le thé pêche abricot.
