Hey !
Un nouveau chapitre. Un de ceux que j'avais le plus envie de poster (et encore, j'ai trop hâte de vous montrer le prochain.) J'espère qu'il vous plaira !
Merci à Ya pour sa correction, et bonne lecture !
(Attention, TW en fin de page !)
Essayer d'aimer, ou les liens distendus
Julian
.
— Passe-moi mes clopes.
Ilya regarde sa tante comme si elle venait de sortir une énormité.
— T'es pas censée fumer, tatie, Pasha lui rappelle.
— Juste une cigarette. Ça ne va pas me tuer.
Si, justement. C'est pour ça qu'elle enchaîne les allers retours à l'hôpital depuis un an. Mais ce n'est pas à elle qu'il l'apprendra. Et Julian a depuis longtemps abandonné l'idée de raisonner sa tante. Pas envie qu'elle lui renvoie ses études de médecine ratées à la figure.
Enfin, elle ne l'a fait qu'une fois. Et après avoir rempli une cuve de vomi. Il ne peut pas lui en vouloir, mais ça n'en restait pas moins douloureux. Pas aussi douloureux que d'apprendre qu'elle avait un cancer, celà-dit.
— Je suis en rémission, elle insiste.
— Ça veut pas dire que c'est fini, Pasha rétorque.
— Et ce n'est pas une pauvre clope qui va relancer la machine.
— Sauf que t'en fumera pas qu'une seule.
Ils ne sont ni l'un ni l'autre dupes à ce sujet. Ilya et sa soeur connaissent leur tante depuis bien trop longtemps pour lui faire confiance. Tatie Tasya n'hésite pas à mentir, même à sa propre famille, si elle sait qu'elle obtiendra ce qu'elle veut par ce biais. Ce qui ne l'empêche pas d'aimer sincèrement les seuls proches qui lui restent. C'est… Difficile de lui en vouloir, dans ces conditions. Mais Ilya sent la tension qui monte, alors que Pasha tape nerveusement le rebord de la table.
— Je suis rentrée, non ? Tasya fait remarquer. C'est bien que ça va mieux.
À la voir, on pourrait presque la croire. Plus de nausée, une peau moins pâle qu'avant, où la vieillesse laisse ses premières marques. Elle a pris un sacré coup, mais il n'y a pas la moindre trace de cheveux blancs dans sa perruque. Oui, leur tante fait illusion. Si ce n'est qu'elle est fatiguée. Les bracelets d'or autour de ses poignets ne s'agitent plus avec autant d'énergie qu'avant, et la hargne lui manque quand elle réclame à fumer. C'est comme une bougie qui vacille.
Ilya jure.
— Tiens, il lâche, lui tendant ce qu'elle réclame.
— Merci.
— Illyushka ! Portia s'écrie, outrée.
— Laisse. C'est juste une clope, il se justifie alors qu'il sort son briquet.
Une roulée, préparée à l'avance. Lui aussi, il devrait faire attention à ce qu'il fume. Mais vu le stress qu'il s'est mangé ces dernières années, il lui faut au moins ça pour décompresser. De toute façon, le stress est au moins aussi mauvais pour la santé que le tabac. Il a juste trouvé une sorte… D'équilibre.
Étouffé par la tension qui règne, le rouquin s'éloigne. Mais Pasha a tôt fait de le rattraper dans la cuisine, ses petits poings serrés sur ses hanches.
— Juste une clope ? elle s'insurge. Tu sais comment tatie l'a attrapé, son cancer ?
— Elle est stressée. Ça la détendra.
— C'est pas elle qui est stressée.
— Je-
— Tu lui as donné une cigarette pour gagner ta tranquillité.
Il déglutit. D'accord, Pasha a raison. Mais ça fait deux heures qu'il est là, il n'en peut déjà plus et il va falloir tenir plusieurs jours. Tasya parle toujours autant, et toujours sans filtre. Si elle n'avait pas eu sa clope, elle les aurait tannés toute la soirée. D'abord elle aurait joué la grande dame épuisée, puis elle aurait évoqué Lishka, et… Enfin. Il la connaît, il a passé son enfance avec. Oui, Ilya n'oublie rien de ces débuts de nuit où elle venait lui demander l'argent de poche qu'elle lui avait elle-même donné pour se payer un paquet, en jurant de le lui rendre dès que sa paye serait tombée. Il-
Non. C'est du passé. Il ne va pas se prendre la tête avec ça maintenant.
— Elle sort à peine de l'hôpital, Pasha soupire. Tu sais dans quel état elle était, là-bas ?
Et elle est en rémission, il pense. Mais il ne le dit pas, parce qu'il est bien placé pour savoir que ça veut dire qu'elle n'est pas guérie. Ce serait d'autant plus fourbe que c'est Pasha qui allait là voir à l'hôpital. Et elle ne se privera pas de le lui faire remarquer, il le lit dans ses yeux. Ce n'est pas qu'elle lui en veut. Seulement… Ilya ne peut pas dire qu'il ait été le meilleur grand frère qui soit, et encore moins un neveu exemplaire. Mais il avait du travail.
— Désolé, il capitule.
— Laisse, c'est trop tard.
Les nerfs de Pasha sont tendus comme ce string qu'il a enfilé pour un pari avec Lucio. Un pari copieusement arrosé. D'un même geste, ils regardent vers la porte. Celle qui donne sur le salon, où leur tante crapote devant la fenêtre. Un bruit de pluie fine tape au carreau.
Elle est rentrée, il devrait être content. C'est un stress en moins. Ce sera plus simple de la voir ici, même s'ils devront s'organiser pour l'aider quand elle en aura besoin. Et d'eux deux, pour l'heure, c'est lui qui a du temps libre.
Oh, Ilya n'est pas fier de lui, là. Préféré s'abrutir au travail plutôt que de passer du temps avec sa tante. Il sait qu'il a refilé tout le sale boulot à Pasha, mais ce n'est pas comme s'il avait vraiment le choix. C'est une situation de merde, et elle se règle enfin.
Alors pourquoi l'annonce du retour de sa tante lui a fait l'effet d'une giffle ?
— Tu rentres, après ton entretien ?
— Je…
Il hésite. Là, il a surtout envie d'enchaîner sur une soirée dans un bar. Il pourrait appeler Asra, ou Lucio. Sauf que ça veut dire trouver un bar ouvert le 1er Novembre. Ça doit bien exister, non ? La Toussaint, c'est le jour parfait pour se mettre une murge en pleurant sur toutes les erreurs qu'on a faites.
Mais Pasha le fixe, et il sait qu'il n'y a qu'une seule bonne réponse à cette question.
— Bien sûr, il jure, comme s'il n'avait pas mille autres projets en tête.
— Cool. Je resterai toute la première semaine, elle ajoute. S'il y a un problème…
Ilya voudrait lui dire que Tasya sait se débrouiller, cancer ou pas. Elle a surtout envie que quelqu'un s'occupe d'elle et ce n'est pas… Qu'elle leur demande cette attention-là, à eux, ça le met mal à l'aise. Il sait qu'elle ne roule pas sur l'or, mais elle doit bien pouvoir engager une infirmière à domicile pour ses soins, non ?
Oh, il ne veut pas être ici. Il n'a même pas envie de retourner au salon. Mais il ne peut pas dire ça à Pasha.
— On se relaiera, il propose.
Il pense à la machine à café, tout près. Un expresso ne lui ferait pas de mal, mais sa tante les appelle depuis le salon et ils se résignent à la rejoindre.
— Il y a un sacré bazar ici, elle commence.
C'est sa propre maison qu'elle désigne.
— Je remettrai un peu d'ordre dès que j'aurais récupéré.
— On t'aidera, tata, il ment.
— Et ce plaid est horrible. Pourquoi est-ce que j'ai mis ça sur le canapé ? C'est de très mauvais goût. Je trouverai autre chose. Un motif qui s'accordera avec les rideaux.
— On pourrait faire le tour des brocantes, Pasha propose, tout sourire.
— Excellente idée. J'adore les brocantes.
Ilya ne comprend pas comme sa soeur fait pour feindre la bonne humeur aussi longtemps. Et alors, ça le frappe.
Elle ne fait pas semblant. Pasha est sincèrement heureuse de revoir leur tante. Elle veut passer du temps avec elle. Pour sa cadette, cette conversation n'est pas qu'un piètre simulacre de famille heureuse. Elle est sincère, quand elle s'assoit près de Tasya et qu'elle cale sa tête sur son épaule. Sincère, comme une enfant qui accourt dans les jambes de ses parents.
C'est insoutenable.
— J'ai un… Coup de fil à passer, Ilya bégaie.
— La dernière fois que je t'ai entendu dire ça, tu appelais ton petit ami en douce, Tasya rit.
Il s'en souvient. Ce n'était pas un petit ami, mais un plan cul qu'il fréquentait dans le dos de ce dernier. Mais il aimerait pouvoir lui donner raison, alors qu'il compose le numéro d'Asra. C'est impulsif, comme une bouffée d'air qu'on prend en sortant la tête de l'eau. Il lance l'appel et il va se planquer dans le couloir de l'appartement.
— Err… Allô ? il bredouille.
— Ilya ?
Cette voix. Sa gorge se noue.
— En personne. Je te déranges pas ?
— Je dirais plutôt que tu me surprends.
Un sourire. Il presse le combiné contre son oreille. Il lea surprend. Et lui, il est surpris par chacune des réponses d'Asra, c'est… Il a à nouveau dix-sept ans.
Et il a besoin d'une excuse pour justifier cet appel.
— J'ai, err, Lucio t'a parlé de sa fête de pré-anniversaire ?
Ilya comptait y aller pour le repas gratuit. Il aurait éventuellement pu récupérer les restes et profiter de la bibine. Ce n'est pas souvent qu'il a l'occasion de se mettre à l'envers avec du vin de riche. Il n'avait pas prévu d'inviter Asra, mais il a besoin d'un sujet de conversation, et il tient peut être une chance de s'amuser. De renouer. De… Qu'est-ce qu'il va s'imaginer ?
Ils n'ont toujours pas reparlé de ce baiser. Bon sang, ça fait un mois.
— Évidemment. J'ai même eu droit à l'invitation officielle.
— Une invitation ? Ilya s'étonne. Quelle invitation ? J'ai rien reçu.
— Tu ne rates rien. Lucio a fait faire une carte holographique avec sa tête dessus.
Un rire lui échappe. Il plaque sa main sur sa bouche. Une carte holographique. Du Lucio tout craché.
— Il y a des dorures ? Ilya reprend.
— Bien sûr.
— Seigneur.
La fête sera à l'image du personnage. Il y aura du monde, ça durera deux jours et de mémoire, Julian croit se souvenir que Lucio a loué un château. Ou une villa. Un truc que seuls les riches peuvent se permettre.
Au moins, il aura payé l'équipe de nettoyage qui va avec.
— Tu comptais y aller ? Ilya demande.
— J'ai refusé, les autres années.
Déception. C'est vrai qu'Asra n'aime pas la foule, ni le monde de manière générale, encore moins le bruit. En fait, il a toujours été comme Muriel sur ce point et il-
— Mais si je trouve un cavalier…
Oh.
— J'en connais peut-être un, Ilya roucoule.
— Tu m'intéresses.
Ok. Son timbre lui grille le cœur. Ilya inspire un grand coup.
— Un drôle d'oiseau élégant et plutôt connaisseur des us et coutumes de l'hôte. Il n'a pas de limousine – pas de moyens, en fait – mais il se débrouille assez bien avec les lignes de bus de la ville.
— Les lignes de bus, sérieusement ?
La panique grimpe.
— Err… je peux peut-être trouver un Uber. Ou louer quelque chose pour l'occasion, si je m'y prends-
— Je plaisante, Ilya.
Son coeur fait des bons. C'était une blague. Bien. Heureusement, alors, parce que Julian n'a vraiment pas la thune pour ce genre de choses.
— Je serais ravi·e d'y aller avec toi, Asra ajoute.
Là, c'est le moment où Ilya perd la parole. Il inspire mais l'air ne vient pas, et tout s'emballe en lui. Asra a dit… Asra voudrait y aller. Avec lui.
Il sent ses yeux s'humidifier, alors qu'il se mord la lèvre. Il n'est pas triste, pourtant. Mais tout se serre en lui.
Quand est-ce que quelqu'un a vraiment eu envie de lui pour la dernière fois ? Il ne s'en souvient pas. Peut-être parce que la dernière personne qui lui a donné son amour, sans conditions, c'est Asra.
Ilya jette un coup d'œil vers la porte. Une pensée lui vient qu'il regrette aussitôt, alors qu'il imagine sa tante enfoncée dans son canapé, ses vêtements hors de prix sur sa peau vieillissante. Il ne veut pas finir comme elle. Seule, à dépendre d'enfants qui ne sont pas vraiment les siens. Incapable de faire la différence entre aimer les gens et les utiliser. Non, si Ilya a un avenir, il veut le passer avec Asra.
— Parfait ! il s'exclame. Je passe te prendre à quelle heure ?
[TW : maladie, cancer]
(J'essaie d'écrire des chapitres Julian qui ne tournent pas autour du café. C'est dur)
