Hey !

On arrive sur un chapitre que j'avais hâte de poster ! (mon dernier chapitre d'avance, d'ailleurs, mais le camp nano de Juillet va me permettre de régler ce problème.)

C'est toujours aussi chouette d'écrire cette histoire, je m'amuse beaucoup. J'espère qu'elle est aussi agréable à lire qu'à écrire !

(Et de gros cœurs sur celleux qui ont laissé des commentaires, ça fait toujours immensément plaisir à lire)

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !

(TW en fin de page !)


Essayer d'aimer, ou les liens distendus

Asra

.

— Quelle originalité.

Asra rit. Ilya pique un fard sous ses boucles rousses. C'est mignon à voir – vraiment mignon, iel ne pense pas ça comme on se moque de quelqu'un. Mais encore une fois, son ex petit ami a enfilé ce qu'il a trouvé de plus noir dans son placard.

Amusé, lea sorcière lui fait signe de lea suivre dans son appartement.

— Le prochain bus passe dans sept minutes, et-

— Viens.

Julian frissonne. Asra n'a pas besoin de le voir, iel le sent alors qu'iel s'en retourne dans son coin de travail. En silence, l'oiseau de nuit suit. Oiseau, c'est le terme, puisqu'iel lui passe un masque aux plumes lustrées qui se termine sur un bec sculpté dans du plâtre, lequel s'enfonce à merveille sur son nez. Surpris, Ilya cligne des yeux et demande.

— Qu'est-ce que c'est ?

— À ton avis ?

— Je…err, un masque, je sais mais, pourquoi ?

Le sourire d'Asra, retroussé, pétille comme une nuit d'étoiles filantes.

— Pour aller avec la veste.

Iel ne lui laisse pas le temps de protester et attrape la veste en question. Elle n'a pas été taillée pour des épaules aussi maigres que celles d'Ilya, le tissu sera sans doute trop lâche pour son corps de mante religieuse. Mais les manches tombent juste à ses poignets alors qu'il l'enfile, et l'ensemble de plumes qui forment la queue retombent en harmonie sur son pantalon noir.

— C'est toi qui a fait ça ? Ilya s'émerveille, tournant sur lui-même avant de se poser devant le miroir.

— Disons que j'ai amélioré la veste. Je l'ai trouvée dans une fripe, elle m'a servi de base.

— C'est incroyable. Tu comptes te mettre à la couture en plus du reste ?

— Peut-être.

En fait, ce haut n'était pas plus destiné à être porté que ce masque. Asra s'est juste lancé dans une énième projet autour de ce tarot qu'iel n'a toujours pas fini. Mais force est de constater que Julian porte cet ensemble à merveille.

— Avec ça, tu vas éclipser Lucio, Asra le taquine.

— Je doute qu'il apprécie.

— Je sais. C'est précisément l'idée.

Iel enroule son bras autour de la taille du corbeau comme Faust s'y serait enroulée. Sa propre tenue, un dégradé de mauves chatoyants, roule au rythme de ses pas dans l'unique miroir de la pièce. Asra se serre un peu plus près d'Ilya.

La logique des choses voudrait qu'iel de redresse pour l'embrasser. Iel n'aurait qu'à se dresser sur la pointe des pieds. Le visage du rouquin, tourné vers le sien, attend comme s'il devinait l'attraction qui le titille.

Mais Asra préfère se détourner, saisissant ses doigts.

— À quelle heure passe le prochain bus ?

. . .

Une fête de pré-anniversaire. Il n'y a que Lucio pour organiser un événement pareil. Les autres années, Asra n'a pas pris la peine d'y aller – et il en aurait sans doute été de même cette fois si Ilya ne lui avait pas proposé de l'accompagner. Il y a trop de monde, du bruit et des couleurs, des conversations qui se mélangent comme les liquides qui scintillent dans les verres colorés. Iel aperçoit même un groupe de paons blancs qui se baladent parmi les invités avant de disparaître dans les jardins du château. Iel préfère ne pas se demander comment il les a obtenus.

— Je commençais à croire que vous alliez nous faire faux bon.

La voix chaude de Nadia s'approche alors qu'elle se dévoile à eux, dans sa robe élégante. Peu couvrante, aussi. Asra devine que Lucio a participé au choix, juste au décolleté qui tombe sur son ventre brun.

— Du tout. On a juste eu un petit contretemps. Des bouchons, Ilya s'explique.

La dame les regarde chacun leur tour, de haut en bas. Asra comprend ce qu'elle s'imagine, et iel sait qu'iel devra la détromper plus tard. Paradoxalement, l'idée lui plait. Une gêne tendre lea chatouille.

— Mon idiot de petit ami est quelque part dans le coin. Sûrement en train de parader devant les associés qu'il a invités. Il n'y a pas encore assez bu pour plonger dans la piscine, mais ça ne saurait tarder, elle soupire. Par pitié, dites-moi que vous restez au moins jusqu'à demain. Je ne veux pas avoir à supporter le bavardage de ses collègues.

— Il n'y a pas de bus retour avant demain matin, Asra la rassure.

Nadia se plaint sous ses airs sévères, mais iel devine le vrai soulagement qui la détend à ces mots. Son agacement n'est pas feint, pas plus que la fatigue qu'elle éprouve déjà.

— Parfait. Les dortoirs sont à l'étage. Je vous ai réservé la chambre 12.

— Les dortoirs ? Julian s'étonne incrédule.

— Quoi ? Asra rit. Tu comptais faire la fête toute la nuit ?

— Evidemment, le rouquin se reprend. On m'a promis des Salty Bitter.

Et sur ce point, Lucio est un homme de parole. En témoigne l'alcool qui coule à flot et la lourdeur du buffet.

Si, sur le fond, Asra comprend pourquoi le blond préfère fêter son anniversaire avant que les fêtes de fin d'années n'arrivent, iel n'en revient toujours pas de cette surabondance. Tout a l'air cher et inutile.

— Et si on allait en profiter ? Asra ronronne dans l'oreille de son acolyte.

Iel aura bien du mal à détromper Nadia après ça, s'iel en juge à la manière dont Ilya détourne les yeux. Mais c'est toujours aussi plaisant de jouer de sa gêne. Asra sait à quoi Ilya ressemble quand il se mord la lèvre, les cuisses serrées. Quand il soupire et supplie, se glisse à genoux sans lâcher son partenaire des yeux…

De s'en rappeler, iel se sent glisser dans son propre piège.

C'est comme ça qu'ils se retrouvent, deux heures plus tard, posés sur le rebord d'une fenêtre, un verre à moitié vide devant eux. Asra sait qu'iel ne doit pas trop boire, mais c'est plus fort qu'iel. L'ivresse et la sensation de ses membres qui s'engourdissent lea grisent. Le monde qui se trouble et se teinte de légèreté sonne comme une promesse délicieuse.

— Donc je suis reparti, Ilya ricane. Avec un portefeuille de plus.

— Un portefeuille ?

— Oui. Sans carte d'identité. Remarque, il ne contenait que dix euros et des vieux tickets de caisse.

— Mais comment tu t'es retrouvé avec le portefeuille de quelqu'un d'autre dans ton pantalon ?

— Justement.

Le sourire d'Ilya s'allonge encore, lourds d'alcool et de malice.

— Ce n'était pas mon pantalon.

Asra s'entend rire. Iel plaque aussitôt sa main sur sa bouche, soucieuxse de ne pas attirer l'attention, mais la secousse lui prend la gorge et iel glousse sans pouvoir finir son verre.

— J'aurais dû m'en douter, quand j'ai senti l'air frais du dehors sur mes chevilles. Et quand j'ai remarqué qu'il ne me tenait pas la taille. Mais c'est en cherchant ma carte de transport le lendemain que j'ai réalisé.

Lea sorcière n'en peut plus.

— Comment est-ce que tu as pu te tromper de pantalon ?

— La précipitation, l'alcool, la fatigue… Les trois forment un très mauvais cocktail, si tu veux mon avis.

D'aucun pourrait croire que Julian ment pour amuser la galerie – et Asra ne doute pas qu'il a le don pour enjoliver ses récits. Mais ce dont iel doute encore moins, c'est que le corbeau qui lui tient lieu de partenaire ce soir est bien capable de commettre pareille erreur. Filer à la sauvette et emporter avec lui les affaires d'un autre…

— C'est dommage. J'aimais beaucoup le pantalon que j'ai laissé à ce type. Il me faisait un cul incroyable, Julian soupire.

— Dommage, en effet. J'aurais voulu voir ça.

Asra se surprend des mots qui sortent de sa bouche. C'est comme si quelqu'un d'autre parlait. Quelqu'un d'autre, ou l'alcool. Mais l'œil troublé d'Ilya vaut le détour. Le garçon se racle la gorge et se détourne aussitôt, bafouillant une phrase qu'Asra n'écoute pas. Iel retrouve l'adolescend qu'il draguait dans la cour. Toujours le premier à faire le pitre, pour mieux se détourner dès qu'on lui rend la pareil. Mais ici, comme en régie, Julian ne peut pas fuir.

Asra le scrute comme un matou prêt à bondir.

— Err… Tu as bu combien de verres ? Ilya s'inquiète. Lucio m'a dit que tu tenais pas bien-

— Lucio raconte ce qu'il veut. Et c'est mon troisième, Asra rétorque, pointant le récipient à moitié vide.

— Trois, c'est déjà…

— J'ai déjà bu bien plus de trois verres, Ilya.

Ilya. Ce nom roule sur sa langue. Iel pourrait passer une vie à le prononcer. Ilya.

Iel effleure sa joue du bout des doigts, comme on caresse les pétales d'une fleur encore fragile. Une fleur. La peau rosie du pauvre hère y ressemble.

— Et je n'en suis pas mort, iel ajoute.

En revanche, iel ne peut pas jurer qu'iel se souvient parfaitement des heures qui ont suivi ces beuveries. Mais ce que Lucio lui a dit, à iel, Julian n'est pas le dernier quand il s'agit de s'enfiler des shots.

Sautant souplement du rebord de fenêtre, lea sorcière fait quelques pas, surveillant son camarade. Comme iel s'y attendait, l'autre ne lea lâche pas du regard. C'est grisant. Le rouquin lea dévore comme un mirage scintillant.

— Tu danses ? iel lance soudain.

— Ici ?

Ilya a l'air tout étonné.

— On entend pas bien la musique. Et la playlist de Lucio…

— On a qu'à mettre la nôtre, Asra le coupe.

Iel le laisse pianoter sur ton téléphone.

— Mm, j'imagine qu'un vieux groupe de rock serait mal venu dans cette situation. Qu'est-ce que tu as envie d'écouter ?

— Devine.

La réponse le fait paniquer. Asra peut le voir déglutir. Le dragueur invétéré a définitivement laissé la place au garçon égaré. C'était plus simple de raconter ses histoires de pantalon perdu. Iel s'en délecte.

— Lady gaga ? Julian tente.

L'enjoleureuse rit. Il n'a pas tort.

— Tu te vois danser dessus ?

— Err, selon la chanson…

Mais Asra n'a plus envie de danser. Ses quelques pas ont suffi à lui dégourdir les jambes, et iel s'approche en prédateur pour superposer ses doigts à ceux de son partenaire. Ilya ne dit rien alors qu'iel regarde son écran. Il ne proteste pas plus quand iel fait défiler les musiques. Iel reconnaît les noms qu'ils partageaient déjà, six ans plus tôt, mêlés à de nouveaux groupes. Panic! at the disco, My chemical romance, Måneskin. Un titre retient son attention. I wanna be your slave. Les mots allument son ventre. Iel les effleure sans cliquer dessus.

— Asra ? Julian déglutit.

— Oui ?

Les verres qu'iel a bus n'entachent en rien son articulation. Redressant sa tête, Asra ressent juste dans ses os la proximité d'Ilya. S'il se penchait, l'allumette égarée pourrait l'embrasser. Ce ne serait qu'un juste retour des choses. Mais il ne bouge pas. Ses yeux lui tombent dessus comme des gouttes de pluie. Asra ne doute pas que si d'aventure, il devait croiser Dieu ou quoi que ce soit qui s'en rapprocherait dans la rue, il ne le regarderait pas autrement.

Tout s'accélère en iel.

— Tu joues avec moi, Julian souffle.

Ça pourrait être un reproche. Mais c'est à peine si Asra entend le tu. Peut-être qu'Ilya ne l'a pas vraiment prononcé.

Qu'il le supplie.

— Peut-être.

— Pourquoi ?

Parce qu'iel en a envie. Parce que quand Julian est près d'iel, trop près, Asra sent comme une grande machine qui démarre. Un fil qui lea tire, là. Parce que c'est amusant, vivifiant. Rassurant. C'est comme de marcher sur une corde dont iel pourrait tomber. Il y a le vertige de la chute, et le filet en dessous. Pas de vrai danger. Mais une envie, brûlante.

— Tu poses vraiment la question ? iel le provoque. Rassure-moi, Ilya, tu sais encore reconnaître de la drague quand tu en vois ?

Asra pose franchement ses cartes sur la table. Il sent le frisson qui traverse son interlocuteur. C'est une danse verbale qui se joue. Des mots semés comme des pas. C'est au premier qui tombera.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ? Ilya demande.

— Parce que je devrais attendre quelque chose ?

— Tu…

— Tu te prends trop la tête. Apprends à profiter, Ilya.

Iel répète son nom, encore. Près de son oreille. Et iel pourrait le dire à l'infini, si Julian lui donnait une bonne raison de le faire. Ils auraient juste besoin de prendre l'escalier vers les dortoirs.

— Je dois t'embrasser moi-même, pour que tu comprennes ?

Un fantôme passe dans les yeux gris qui dévore les siens. Un instant, Asra croit qu'iel est allé·e trop loin. Qu'iel s'est trompé·e. Mais la bouche chaude d'Ilya appuie vigoureusement contre la sienne, et il n'y a plus ni musique ni fête. Juste eux.

— J'ai failli attendre, iel souffle.

Julian est intelligent, surtout sur ce terrain. Il n'a pas besoin qu'on lui dise quoi faire, et il connaît le chemin vers le lit le plus proche. Il n'est plus question de musique, alors qu'il retire enfin sa tenue à son amant·e. Seulement d'un territoire qu'ils connaissent déjà, où tout est à redécouvrir. Une faille entre l'alcool et le plaisir où Asra se glisse volontiers, ravi de prolonger la nuit.


[TW : mention de sexe et d'alcool]