Hey !

Nano Nano, écriture intensive, je passe en vitesse pour poster, bla bla bla.

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !


(Re)Poser les bases

Julian

.

Quand Ilya se réveille le lendemain… Non, ce n'est pas le lendemain. Enfin, pas vraiment; C'est délicat. Comment parler de lendemain quand on a passé deux jours enfermé entre les murs d'un château à boire, à danser et à faire l'amour ?

Quand Julian ouvre les yeux, donc, il cherche son téléphone à tâtons sur ce qui doit être le rebord d'une table de chevet. Les chiffres qui s'affichent semblent indiquer qu'il est neuf heures vingt-trois, mais il doit se frotter les yeux pour en être sûr. Vu la date et l'absence de musique, la fête est finie. Mais l'agence qui s'occupe du nettoyage ne doit pas passer avant… Midi ? Oh, il aurait dû écouter Lucio quand il déblatérait. Ou demander à Asra quand…

Asra.

Ilya se tourne aussitôt. Le lit est vide. Mais le creux près de lui sent encore la sueur et son parfum fleuri. L'ange qui a partagé sa couche a dormi ici. Est-ce qu'iel est parti·e avant son réveil pour éviter de le croiser ? Oh non. Comment est-ce que Julian devra se comporter avec iel, la prochaine fois qu'ils se croiseront ? Il espère que saon amant·e n'a pas filé les mains pleines de regrets. Si ça se trouve… Ils avaient bu, et Ilya sait de source sûre qu'Asra ne tient pas l'alcool. Il aurait dû refuser de faire quoi que ce soit. Au moins attendre que saon partenaire ai décuvé.

Enfin, ça, ça vaut pour leur première nuit. Pas la suivante.

Ilya soupire. Asra ne lui a même pas laissé un message, comment est-ce qu'il doit le prendre ? Sa tête est pleine de souvenirs. Il se rappelle les verres colorés et les pas de danse endiablés. Les rares discussions qu'il a eu avec Lucio en le croissant, le sourire mutin de Nadia, les tables lourdes de nourriture, les nappes rouges. La main d'Asra dans la sienne alors qu'iel le traînait dans les recoins du bâtiment comme on explore un donjon. Les baisers. Ilya est obéissant, il a fait ce qu'iel lui a demandé. Arrêter de penser, profiter. Et le mal de tête qui pointe commence à le lui faire regretter.

Heureusement qu'il a posé son lundi.

Se redressant à contre cœur, il hésite entre retrouver Lucio ou chercher une douche. Cela dit, s'il se lave sur place, ça fera toujours quelques centimes de moins sur la facture.

Est-ce qu'il a vraiment passé deux jours à boire et coucher sans se laver une seule fois ? Seigneur. Il ne peut pas infliger ça à Pasha. Il lui faut une salle de bain, et vite. Oh, et tant qu'il y est, il piquera tout ce qu'il pourra sur le buffet avant que ça ne parte aux ordures. Il pourra bien gagner deux ou trois jours de bonne bouffe avec les restes de cette fête outrageusement abondante.

Mais Asra. Est-ce qu'il doit lea rappeler ? L'ignorer ? S'excuser ?

Au moment où Ilya va pour se lever, la tête aussi pleine que les coupes de champagnes qu'il a bu, on frappe à la porte.

— Oui ?

Qui voudrait entrer dans la chambre qu'on lui a réservée ? Il n'y a que deux possibilités. Soit Lucio vient le dégager avant que l'agence de nettoyage arrive, soit…

— J'ai ramené le petit déjeuner, Asra ronronne.

Poussant la porte, iel entre, un plateau recouvert de viennoiseries entre les mains. Iel referme le battant d'un coup d'épaule, dépose le tout sur les draps, chasse un pantalon gênant et vient se glisser sur le lit près d'Ilya, comme si de rien était.

— Je ne t'ai jamais vu dormir aussi longtemps, iel rit. Qu'est-ce que tu as fait du lycéen qui mettait un réveil à sept heures le samedi pour réviser son bac ?

— Il est… err, les fêtes, c'est pas son truc. Je l'ai laissé à la maison.

Asra. Asra n'est pas parti·e. Et iel colle ses jambes contre les siennes. Soudain, Ilya a aussi honte qu'il est heureux. Il prend conscience de sa nudité sous les draps, alors que le tee-shirt de saon partenaire trahit la forme sèche de ses épaules.

— Il reste de quoi nourrir un régiment en bas. Je crois que les autres invités dorment encore, Asra lui raconte.

— Pas étonnant, vu la fête que Lucio a donnée.

— Pas faux. Tu tiens le coup ?

Ilya s'étonne de l'éclat malicieux qu'il entend. Le minois d'Asra lui fait l'impression d'une blague qu'il aurait ratée.

— Bien sûr, il répond. Pourquoi ? Je devrais pas ?

— Disons qu'avec l'âge…

Le médecin raté écarquille les yeux.

— Mon âge ? J'ai deux ans de plus que toi.

— Multiplié par le temps que vie que tu as perdu avec les cafés et les études de médecine.

La fourbe sorcière s'échappe alors que Julian lui saute dessus pour lea chatouiller. Son rire de neige le prend au ventre. Il ne sait pas si c'est la lumière qui entre dans la pièce, l'odeur des croissants ou ses dents blanches, mais Ilya sent tout un monde s'effondrer en lui. Des barrières qui s'écroulent. Un calme olympien l'habite. Tout en sachant que c'est impossible, il songe qu'il pourrait passer sa vie ici, dans cette chambre. Seul avec cellui qui le fait tanguer comme un bateau dans la tempête.

— Je vois. Le respect des aînés ne fait pas partie de tes valeurs.

— Mon aîné devrait manger un morceau tant qu'il a encore toutes ses dents, Asra glousse.

Iel attrape une des viennoiseries avant de mordre dedans. Les miettes tombent sur les draps. Sa langue rose vient récupérer celles qui collent à ses doigts. Se détachant du spectacle fascinant qu'Asra représente, Ilya attrape un pain au raisin. Il le déroule en partie avant d'en porter un bout à ses lèvres.

— Nadia est levée ? il demande distraitement.

— Oui. Elle cherchait sa plaquette d'Ibuprofen quand je l'ai croisée.

— Encore une migraine ?

— On dirait.

Elle en a toujours fait, depuis aussi longtemps qu'Ilya la connaît. Il lui a plusieurs fois conseillé d'aller consulter, mais la dame chasse toujours ses conseils d'un geste de la main. Et Lucio… Lucio est sans doute à l'origine de la moitié de ses maux de tête. Réflexion faite, il devrait lui suggérer un nouveau petit ami, plutôt qu'un médecin. D'ailleurs, en parlant de petit ami… Se mordillant la lèvre, il glisse un regard incertain vers cellui qui agite ses courtes jambes entre les draps.

— Lucio sait choisir ses traiteurs. Ces croissants sont à tomber.

— Err, Asra ?

Il faut qu'ils parlent. Qu'il sache à quoi s'en tenir.

— Oui ?

— À propos de ce qu'on a fait…

Il ne sait pas comment finir cette phrase. Il n'arrive même pas à dire clairement "faire l'amour", c'est ridicule. Ilya n'est plus un enfant. Asra non plus, d'ailleurs – et heureusement.

— Qu'est-ce que tu attends de moi ? termine-t-il.

Sa question n'a plus le sens qu'il lui donnait l'avant veille. Il a bien compris à quoi saon partenaire voulait occuper la nuit. Mais la nuit est passée, et s'ils sont amenés à se revoir – ce qui arrivera, il n'en doute pas – Ilya a besoin de savoir ce qu'il y a entre eux. Comment Asra le voit.

— Est-ce que tu voulais juste t'amuser une fois, ou… C'est du sérieux ? il ajoute.

À voir les yeux ronds de saon interlocuteurice, ce n'est pas la conversation qu'iel attendait. Le croissant lui reste entre les dents. Iel en déchire un bout et l'avale, avant de se vautrer dans les draps, la tête pleine de pensées. Ilya soupire. Peut-être qu'il n'aurait pas dû aborder le sujet comme ça ? Et si Asra décrétait qu'iel préférait tout arrêter là ? Après tout, iel pouvait simplement passer un bon moment, sans se prendre la tête. Julian peut comprendre ça, il est le premier à finir sous les tables des bars quand la pression le broie. Le broyait. Maintenant qu'il en a fini avec les études de médecine…

— Qu'est-ce que tu veux, toi ? la sorcière lâche enfin.

Hein ? Oh non.

— J'ai posé la question en premier.

— Est-ce que tu t'es demandé ce dont tu avais envie, avant de la poser ?

Non. Ilya veut juste être fixé. Savoir à quoi s'attendre, et pourquoi pleurer, si raison de pleurer il y a. Il déglutit. Ce n'est pas comme s'il espérait qu'il ressorte quoi que ce soit de sérieux après ces deux nuits de décadence. Mais il ne peut pas faire comme s'il n'avait pas eu d'arrière pensée, en invitant Asra. Il revoit sa tante, assise dans le canapé, sa clope en main. À ce petit ami qui n'est jamais venu la voir après les séances de chimio.

Au dos arqué d'Asra alors qu'iel se tenait sur ses hanches. Ses boucles lovées dans son cou, après coup. Sa respiration tendre et sifflante.

Son corps s'est allongé. La dernière fois qu'Ilya l'a vu nu, iel dormait dans des draps d'enfant, et sa chambre aurait pu passer pour un nid de fée. Aujourd'hui, s'iel a toujours le même teint brun, sombre comme le bois de la tête du lit, ses boucles sont courtes et son visage a perdu de son arrondi. Les muscles de son petit gabarit tirent sous sa peau. Iel flotte toujours dans ses vêtements. Ça donne au rouquin l'envie de passer sa main sous le tissu lâche.

De l'attirer contre lui, pour dormir un peu plus longtemps.

— Je sais pas, Julian souffle.

C'est faux. Mais la déception qui le guette l'étouffe. Si Asra le repousse après ça, il n'aura plus que son désespoir dans lequel se noyer ce soir. Et en même temps, il sait qu'il ne mérite pas quelqu'un comme iel. Quelqu'un qui se tient à ses décisions et se donne les moyens de réussir ce qu'iel a entrepris. Asra, justement, réussit mieux que lui. Iel a droit à un meilleur petit ami que l'ex médecin raté qui traîne dans son lit.

— On pourrait continuer de se voir, il tente.

Le silence qui lui répond l'effraie. Et s'iel trouvait sa demande ridicule ? Combien de fois ses ex plans cul lui ont-ils rit au nez, alors qu'il venait gratter à leur porte le peu d'affection qui lui faisait défaut ? Et quand ils la lui offraient, c'est lui qui fuyait. Suffit-il de voir comment il a traité son dernier gars en date. C'était minable, le tromper avec Lucio, tout ça pour… Pourquoi ?

— D'accord.

Ilya se redresse. D'accord. Asra a dit d'accord.

— Sérieusement ? il s'étonne.

— J'ai l'air de plaisanter ?

Non. En fait, iel n'a jamais eu l'air aussi sérieux depuis le début de la soirée. Mais, peut-être qu'iel a mal compris ? Ilya n'a pas exprimé une demande claire, il- oh, merde. Pourquoi est-ce qu'il doit toujours se prendre la tête ?

— Quand je dis qu'on pourrait se revoir, insiste-t-il, je parle de-

— Je crois que j'ai suffisamment d'expérience dans le domaine pour comprendre ce que tu voulais dire.

Asra le coupe et engloutit ce qu'il lui reste de croissant, avant de s'allonger à ses côtés. Julian ne peut plus échapper à l'attention franche de ce regard mauve.

— Mais j'accepte à une condition.

— Laquelle ?

Cette fois, iel hésite. Pourtant, Ilya ne voit pas ce qu'iel pourrait proposer qu'il pourrait refuser. Surtout vu ce que ses anciens partenaires ont pu exiger de lui. Il a déjà joué l'amant honteux qu'on cache au reste de sa famille – femme y compris. La liste des fantasmes qu'il a réalisée est longue, et il est bien heureux qu'Asra ne l'ait pas sous la main.

— Je ne suis pas exclusif, iel lâche.

Exclusif. Il faut un moment au rouquin pour comprendre ce qu'Asra met derrière ce mot. Exclusif. Comme une relation exclusive. Avec une seule personne. Est-ce qu'iel est en train de lui dire qu'iel se garde le droit de coucher ailleurs ? Ce n'est pas comme si Ilya pouvait se plaindre d'une telle contrainte – surtout si la réciproque vaut pour lui. Pourtant, Asra a l'air mal à l'aise.

— Tu vois quelqu'un d'autre ? Ilya lui demande, sans jugement.

Il remarque le doute qui précède la réponse.

— Pas pour l'instant. Mais ça pourrait arriver. Et si c'est le cas, je ne me restreindrai pas à notre relation.

— Ça me va.

Sur le papier, Ilya est d'accord. C'est loin d'être le pire deal qu'on lui ai proposé, et il connaît assez bien Asra pour savoir qu'iel sera plus respectueuxse que les types qui sont passés avant iel. Pourtant, la demande titille ses émotions. C'est la première fois qu'on lui pose aussi franchement cette condition. D'habitude, c'est plutôt sous entendu. Julian doit comprendre qu'il gêne, ou qu'il ne passera jamais en premier. Qu'il est là pour jouer le vide couilles, le bouche trou – voire juste le trou — ou les amants de passage. Il doit se faire discret, éviter d'ébruiter la relation. Mais Asra est tellement calme, là. Sincère.

— Tu es sûr ?

— J'ai l'air de plaisanter ? Julian l'imite.

— Non, mais est-ce que tu prends vraiment la mesure de ce que je te demande ?

Il cherchait à détendre l'atmosphère, mais ça ne marche pas. Au contraire, Ilya a l'impression que son manque de sérieux a vexé Asra.

— La plupart des gens à qui j'ai dit ça étaient partant, tant que je ne voyais personne d'autre, iel reprend. Mais dès que j'ai commencé à fréquenter de nouveaux partenaires, ça s'est compliqué.

Julian sent qu'iel voudrait en dire plus. Mais la phrase s'arrête là. Peut-être qu'Asra pense à un événement en particulier qu'iel ne se sent pas prêt·e à partager avec lui. Il peut comprendre. Même si ça fait plusieurs mois qu'ils se voient, ils n'ont pas cette complicité des vieux jours. Il leur faudra du temps, encore. Mais si Asra est prêt à lui en donner, il prend.

Cette fois, Ilya se redresse pour trouver sa main. Ses doigts, pleins du gras du croissant.

— Je suis sérieux, il lui assure. Ça me va. Si ça te va. Je… Si tu veux faire comme ça, c'est bon pour moi. Si tu vois d'autres personnes. Et si tu aimes d'autres gars. Enfin, pas que des gars, mais… err… Tu m'as compris.

Un sourire passe sur ce visage fin, comme un rayon de soleil traverserait un volet. Plus de malice. L'expression d'Asra témoigne du soulagement qu'iel éprouve. Mais rien ne saurait réchauffer Ilya mieux que l'étreinte qui suit.

— Dans ce cas-là, je consens à te revoir, iel ronronne.

— Parfait.

Ilya le serre. Les mots ne sont pour l'instant que des mots, il peine à prendre la mesure de ce qui se passe. Plus tard, il sera tour à tour heureux et terrifié, exalté et minable. Mais pour l'instant, il veut juste profiter d'Asra, de sa peau chaude et des viennoiseries entassées devant eux. Pourvu que cette matinée n'arrive jamais à son terme.

— On devrait faire des réserves avant que quelqu'un ne jette les restes, il propose contre son oreille. Et trouver un sac pour ramener tout ça à la maison.

— J'imagine que je ne pourrai pas compter sur toi pour m'entretenir.

Rien ne vaut le rire d'Asra, qui éclate alors qu'il l'embrasse pour la première fois depuis le réveil.