Hey !

Oui j'ai un retard monstre, je gère mal la finalisation de mon roman, la reprise du travail et les AT auxquels je participe maiiiiiiis. Niveau AT je suis à jour (et pour le reste je croise les doigts).

Bref ! J'ai réussi à reprendre de l'avance et je vais essayer de corriger ça en temps et en heures. Bonne lecture !

(Et merci à Ya pour sa relecture !)


(Re)Poser les bases

Asra

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La deuxième fois qu'Asra invite Ilya chez iel, le thé chauffe et les fenêtres sont ouvertes. Il est dix-neuf heures, le rouquin rentre du travail et il passe la porte au moment où le soleil se couche.

Sous le toit penché de son salon, Asra allume les guirlandes qu'iel a enroulées autour des poutres. Faust s'y dissimule, curieuse de voir qui vient rendre visite à saon ami·e.

— Rude journée ? lea sorcière roucoule.

— C'est bientôt Noël. Les gens sont pressés.

Ilya dit pressés, et Asra comprend que le terme qu'il cherche se rapproche plus de sacré connards. En témoigne la fatigue irritée qu'iel sent dans le long soupir de son amant, alors qu'il se laisse tomber sur une chaise.

— Et c'est juste le début, il grogne. Les clients deviennent exécrables avec les fêtes. Il leur faut tout, tout de suite, les papiers cadeaux sont jamais assez bien et la queue toujours trop longue. Et encore, je veux pas savoir ce que ce sera quand il faudra leur dire qu'on peut plus commander leur bouquin, entre les délais de livraison et les ruptures.

Un rictus amer coupe ses jolies lèvres pâles.

— Est-ce que c'est de ma faute si les gens sont incapables de faire leurs cadeaux en avance ? Noël, c'est tous les ans à la même date. C'est pas une surprise, ils ont eu douze mois pour anticiper et…

Ilya s'arrête soudain. Il jette à Asra un regard désolé avant de saisir sa main.

— Pardon. Je râle, je râle et j'ai même pas fini mes propres cadeaux.

— Le mien est prêt ?

— Secret défense. Il faudra me passer sur le corps pour me faire parler.

— Ça peut s'arranger.

Le rire de Julian, nerveux, chasse la tension qui commençait à s'installer. Asra caresse brièvement ses cheveux alors qu'iel serre cette tête triangulaire contre son ventre. Iel embrasse sa tempe et va chercher le thé qui embaume la pièce. À chaque geste tendre qu'iel répète, iel réalise comme ça lui a manqué de distribuer ces petites attentions.

— Tu voudras du sucre ? iel demande.

— J'ai survécu à quatre ans d'études et de café sans sucre.

— Tu pouvais dire non.

Iel lui tend sa tasse, avant de s'asseoir près de lui. Un silence tendre et gêné suit.

C'est la première fois qu'ils se voient, depuis l'anniversaire de Lucio. S'ils ont eu l'occasion de mettre les choses à plat, ils n'ont pas encore trouvé leurs nouvelles bases dans cette relation. Et Asra a peur, au fond. Peur que, comme avec d'autres partenaires qu'iel a eus, Julian ait accepté ses conditions sans y réfléchir. Son avant dernier petit ami s'arrangeait toujours pour limiter les relations qu'iel développait. Certains pensaient que ce n'était qu'une question de temps avant qu'iel quitte ses autres partenaires pour s'enfermer avec eux dans une relation monogame. Il y avait la jalousie sous jacente, les tensions, les non dits. Ceux, aussi, qui acceptaient sans être capable de s'épanouir dans une relation ouverte. Ceux qui ne voulaient rien savoir de ce qu'iel faisait hors de leurs rendez-vous.

Les limites sont longues à définir, et Asra guette déjà le moment où Ilya lui avouera qu'il préfère tout arrêter.

Non. Julian est un grand garçon. Il peut prendre ses décisions lui-même, Asra doit lui faire confiance.

— Tu vis seul·e ? Ilya finit par demander.

Il observe ce nouvel environnement, l'œil curieux. Qu'est-ce qu'il pense de son antre ? L'endroit ne payait pas de mine quand Asra y a emménagé, mais iel a su se l'approprier par de jolies décorations et de petits bibelot qu'iel a iel-même arrangés.

— Disons que j'ai une colocataire.

D'un geste, iel désigne la tête curieuse de Faust sur la poutre. Aussitôt, Ilya pâlit.

— Dis-moi que c'est une décoration.

— Est-ce qu'une décoration pourrait siffler ?

— Une décoration très sophistiquée et minutieusement élaborée le pourrait. Un serpent programmé pour-

— Ilya.

Asra appuie son doigt sur sa bouche, l'œil brillant. Le pauvre hère se tait aussitôt. Iel reconnaît ce visage. C'est celui qu'il avait alors qu'il lui embrassait les cuisses, la semaine dernière. Ce minois qui supplie pour qu'on lui donne des ordres. Ses joues ont de légères rougeurs, ses yeux se plissent. Sa bouche lui semble plus humide contre son doigt. Ça lui donnerait presque des idées.

— C'est un vrai serpent. Mais elle est bien éduquée, elle ne mord pas. Sauf sur demande.

— Sur demande ? Ilya répète, surpris. C'est un serpent. Elle ne peut pas comprendre ce qu'on lui dit.

— Oh, détrompe-toi.

Asra sent que son interlocuteur est dubitatif. Il aime cette expression perplexe qui peint le visage de ceux qui lea voient parler avec Faust. Le doute qui plane, le scepticisme. Alors, plutôt que d'insister, iel termine sa tasse et sort les petits gâteaux qu'iels a préparés.

— Les serpents ne parlent pas, Julian insiste.

— Ils parlent à leur manière.

— Ils ne sont pas en capacité de formuler une pensée claire, ni d'entendre celle des humains.

— Au temps pour moi, je pensais que tu avais fait des études de médecine, pas une école vétérinaire.

Ilya lève la main pour protester, avant de se détourner, mordillant sa lèvre. Cette expression aussi lui sied à merveille. Asra s'en délecte, alors qu'iel croque dans un biscuit. Iel pourrait tout aussi bien mordre le cou de son petit ami avec la même force. Ça lui a plu, la dernière fois.

Depuis quand est-ce qu'iel prend autant de plaisir à regarder Ilya se tortiller sur son siège ? Iel n'avait même pas remarqué qu'iel le regardait autant, c'est… ce n'est pas comme si son partenaire risquait de disparaître. Mais Asra a besoin de s'assurer qu'il est toujours là. De détailler ses traits. Iel ne sait pas quand est-ce que ses vieux sentiments sont remontés à la surface, mais c'est là, et la proximité d'Ilya est devenue précieuse.

— Tu ne parle jamais de tes études, iel reprend. Ça s'est passé comment ?

— Je me suis planté en beauté, Ilya lui rappelle.

— Ça, je sais.

— Je ne vois pas ce qu'il y a de plus à dire.

Ce n'est pas ce qu'Asra cherche à savoir.

— Mais ça t'a plu ?

— Plaire, c'est pas vraiment le mot.

Ilya n'a toujours pas fini son thé. Il en contemple le fond, ses deux mains serrées autour de la tasse. Asra remarque qu'il bouge moins qu'avant. Pourtant, il fait toujours de grands gestes pour accompagner ses discours. Ses pensées se bousculent et ses mots peinent à suivre.

— J'ai vraiment aimé étudier la médecine. Mais c'était encore pire que ce que j'imaginais. Même en ayant pris de l'avance sur le programme tout l'été, j'aurais jamais pu apprendre tout ce qu'il fallait savoir. J'ai réussi à avoir la première année en retapant, mais c'était pas mieux après. J'oubliais de manger si Pasha me le rappelait pas, j'avais toujours la tête dans les cours.

Il manque des mots. Ceux que Julian ne prononce pas, qu'Asra croit deviner entre les lignes. J'étais toujours persuadé que j'allais échouer. Mais la déception est bien là, dans son regard. Iel n'aurait peut-être pas dû aborder le sujet.

— J'ai fini par rater mes examens une fois de trop. J'aurais pû me réorienter, mais j'ai préféré tout plaquer. Je pouvais plus voir ne serait-ce qu'un schéma de cellule. Puis j'avais besoin de tune, et c'est là que ma tante… Enfin, niveau argent, c'était chaud.

— Il y a eu un problème avec ta tante ?

— Il y a toujours eu un problème avec elle.

La rancœur porte ses mots plus fort que Julian ne l'aurait voulu. Asra le devine à son expression. Il chasse aussitôt ses dires d'un geste de la main.

— Tu sais comment c'était à l'époque. Ça a pas changé, surtout pour l'argent, et j'allais pas demander à Pasha de payer le loyer pour deux. Alors j'ai préféré travailler. Ça au moins, ça remplit le frigo.

Sa tante, lea sorcière s'en souvient. Cette femme imposante qui parle et rit et prend tout l'espace. Iel l'avait trouvée impressionnante, mais à l'époque, iel avait surtout envié Ilya. Elle était exubérante mais, au moins, Julian avait une parente qui se souciait vraiment de lui. Elle avait tout un tas de souvenirs communs à partager. Elle toquait à la porte de leur chambre pour s'avoir s'il leur manquait quoi que ce soit. Surtout, elle les invitait à parler, et elle félicitait toujours Pasha quand elle rapportait ses bulletins à table.

Oui, quand Tasya regardait ces deux enfants dont elle s'occupait, elle les voyait dans leur entièreté. Tout du moins, c'est l'impression qu'elle lui faisait. Asra ne comprend pas pourquoi Julian lui en veut. C'est vrai qu'elle était bavarde, mais il faut dire qu'il n'est pas moins remuant. Un trait de famille, sans doute.

— Depuis, je bosse. Et pour l'instant, je m'en sors pas trop mal.

Pourtant, Ilya ne tire aucune fierté de cette vie qu'il lui raconte. Asra sait que c'est injuste, mais iel ne peut pas s'empêcher de se demander s'il n'a pas saboté son propre parcours. C'est comme le club de cinéma qu'il a lâché avant la fin de l'année. Comme leur relation, dont le goût amer lui tire une grimace.

Parfois, quand Julian a réellement une chance d'obtenir ce qu'il veut, il prend peur et il recule. Quitte à blesser son monde.

— Tu t'en sors bien, Asra le reprend, ravalant sa bile.

Toujours près d'iel, Ilya passe un bras affectueux autour de sa taille. Son dos est si maigre qu'iel peut sans problème l'imiter, passant ses doigts contre ses hanches avant de s'installer sur ses genoux de phasme.

— C'est une manière de voir les choses, Ilya ricane, sec.

— Je ne dis pas ça pour te réconforter. Ce n'est pas parce que tu n'es pas devenu médecin que ton parcours ne vaut rien.

Les traits du grand épouvantail s'affaissent. Asra sent qu'il resserre son étreinte.

— J'ai de la chance de t'avoir, il souffle. Je mérite pas-

— Chut.

— Mais je-

— Tais-toi.

Le ton autoritaire de lea sorcière a raison de son auto apitoiement. Cette fois, c'est d'un baiser qu'on le fait taire.

— L'amour des gens ne se mérite pas, Asra affirme.

Puis, plus tendre, iel ajoute.

— C'est quelque chose qu'on nous offre et qu'on doit traiter avec soin.

C'est facile à dire. Mais son cœur se serre déjà à l'idée que Julian puisse se dévaloriser. Iel sait à quoi ce genre de pensées empoisonnées mènent, et iel ne veut plus jamais avoir à vivre ces silences et ce vide. Peut-être que ces arguments auront plus de poids qu'un simple tu me mérites.

— Tu es extraordinaire, Ilya murmure.

— Je sais, tu l'as déjà dit.

Un rire tendre passe. Et le baiser qui suit est plus doux. Quand Ilya lea tient comme ça, Asra a l'impression que ça va vraiment marcher entre eux. Que cette relation pourrait donner de jolies fleurs. Des bonheurs riches. Ils ont tous les deux grandi. Cette seconde chance ne peut qu'amener à un meilleur résultat.

Mais l'échange est brusquement interrompu par le cri strident de Julian, alors qu'un adorable serpent rose lui tombe sur les épaules.