Hey !

Et un autre chapitre pas trop en retard. J'essaie de finir cette fanfic pendant le Nano. Avec un peu de chance, d'ici le 30 du mois le point final sera posé ! (et niveau publication, on a dépassé la moitié de la seconde partie. Déjà. Wow.)

(TW en fin de page)

Merci à Ya pour sa relecture, et bonne lecture !


La mort à petits pas

Julian

.

Tasya va mal. Mal. Mal. Ilya répète ce mot pour lui donner du sens, mais tout ce qu'il voit, là…

— Pardon. J'aurais voulu qu'on passe le nouvel an…

— C'est pas grave, Tata.

Si, c'est grave. Grave le ton de Pasha qui glisse alors que leur tante arrange le bonet sur sa tête. Elle n'a pas remis sa perruque. Une perruque, oui. Quel idiot. Ilya n'y a jamais fait attention mais bien sûr, Tasya a perdu ses cheveux avec la chimio. Il n'a jamais remarqué que les boucles rousses qu'elle portait n'étaient plus celles de la famille Devorak. C'était tellement naturel de la voir arborer cette crinière... Il ne voulait pas voir, peut-être. S'il était venu plus souvent à l'hôpital… S'il s'était occupé d'elle…

— Vous m'avez amené les livres que je vous ai demandés ?

Une semaine. Une semaine. Six jours, maintenant. Peut-être moins, ou plus. Une semaine mais pas au jour près, et puis c'est flou ces choses là, Ilya est bien placé pour le savoir, la santé ne se compte pas en minutes. Mais là, ce n'est pas un cas d'école qu'il voit sur ce lit d'hôpital. C'est sa tante. La seule famille qu'il lui reste, avec Pasha.

Sa tante qui meurt.

— On est passé à la librairie.

Qu'est-ce que ça veut dire, mourir ? Tasya est là, allongée, bien en vie. Épuisée, la peau grise, l'œil qui s'attarde toujours trop longtemps, des silences étranges entre ses mots. Diminuée il a entendu dans la bouche des infirmiers, mais Ilya déteste ce terme. Tasya est vivante mais il la sent épuisée. Une flamme sur la fin d'une bougie. À chaque fois qu'elle ferme les yeux trop longtemps, il a l'impression qu'elle ne les rouvrira pas.

— Ilyushka ?

Pasha le fixe.

— Err, oui ?

— Les livres.

Elle insiste et il comprend qu'elle a dû dire quelque chose qu'il n'a pas entendu. Tasya aussi le regarde. Son expression s'efface sous la crasse épuisée qui lui broie le corps. Ou bien c'est lui qui s'imagine ça.

Il se racle la gorge.

— J'ai demandé les titres que tu voulais, mais ils n'en avaient qu'un sur les deux. J'ai…

Il a failli passer commande. Mais le libraire lui a annoncé le délai de réception, et il a pensé qu'elle serait peut-être morte avant qu'il arrive. Qu'il l'aurait acheté pour rien. Ou qu'elle n'aurait plus le temps de le lire, plus la force. Pourra-t-elle seulement arriver au bout de celui qu'il lui tend ? Et si elle… Ilya a vérifié, il fait 427 pages. C'est un poche, mais il est épais, et il se demande s'il n'aurait pas dû prendre un de ces coussins que l'enseigne vendait pour l'aider à soutenir ses poignets. Elle doit avoir mal. Il aurait pu…

— J'ai pris celui-là, termine-t-il. On pourra commander l'autre plus tard.

— Oh, j'en doute.

Elle ricane. Une main s'enfonce dans son torse et presse ses organes.

— Dis pas ça, tata, la reprend Pasha.

— Dire quoi ? Tu sais bien ce que les médecins ont déclaré, Pasha.

Elle porte sa main vers celle de sa nièce pour la serrer. Portia lui rend le geste, et elle regarde à son tour le résumé du livre que leur tante a choisi. Ilya l'a lu, plusieurs fois. Mais les mots se sont effacés sous ses yeux. Il n'en a rien retenu. C'est comme ces contrôles qu'il passait après une nuit de révision. Son cerveau en manque de sommeil faisait danser les consignes. Il ne sait pas par quel miracle il arrivait à répondre.

Aujourd'hui, il ne répond plus.

L'arrêt, il pense brusquement. L'arrêt de travail. Il faudra qu'il pense à le transmettre. Il ne lui restait même pas une semaine de contrat, de toute façon, mais…

Le travail. Il va devoir en chercher. Encore. Tout en s'occupant des démarches pour sa tante. Le notaire. Comment ça va se passer ? Et l'enterrement.

— C'est un très bon thriller, il parait, explique Tasya.

Est-ce qu'il pourra demander de l'aide à Asra ? Ilya ne veut pas l'embarquer dans ses histoires, son petit ami a mieux à faire, mais il… Il ne se sent pas d'affronter ça seul. Et il ne veut pas non plus que ce travail revienne à Pasha. Elle a ses études à penser, sa propre vie, son chagrin. Ilya est plus grand. Contrairement à elle, il a connu la mort de leurs parents. Il saura faire avec celle de Tasya.

Mais pas seul.

Hier, Asra est venu·e. Dès qu'il lui a dit. Le soir iel était là, devant sa porte, un paquet de croissants dans les mains. Iel l'a pris dans ses bras, enveloppé de ses mots pleins de tendresse. Un voile sur ses épaules. Iel fait ça si bien, d'apaiser les gens et de leur faire oublier leurs problèmes. Comme s'iel ouvrait, un instant, une porte sur un autre monde.

Est-ce qu'iel voudra bien l'aider à vider l'appartement ? Parce qu'il faudra le vider. S'occuper des affaires, des vieilles photos, des dossiers, des meubles. Rompre le bail. Il faudra… Il faudra faire tellement de choses, en si peu de temps. Ilya ne s'en sortira jamais.

— Il est comment, ce petit copain ?

Encore, Ilya sursaute. Il se tourne vers Tasya, qui trouve encore le moyen de lui sourire. Comme si elle n'était pas sur un lit d'hôpital. Il déglutit, rougit et se détourne avant de finir par s'asseoir près d'elle.

— Bien, répondit-il, concis.

— Parle-moi un peu de lui.

Iel. Il devrait le dire. Mais il s'excuse en pensées auprès d'Asra, parce qu'il n'en a pas la force, là.

— Il est…

Même si ça lui écorche la langue.

— Il est bijoutier, reprend Pasha.

Tous les mots de cette phrase sont approximatifs. Ilya aurait plutôt dit artisan, mais Tasya comprend, et c'est le plus important.

— Oh. C'est nouveau, ça. Et il est bien, ce garçon ?

Bien ? Asra est plus que bien. Iel est merveilleuxse. Et Julian voudrait qu'iel soit là, ce soir. Assis·e près de lui, la tête sur son épaule. Peut-être qu'Asra n'aime pas mêler vie privée et famille, mais lui, il aurait tellement voulu lea présenter à nouveau à sa tante. Il regrette de ne pas l'avoir fait. Est-ce qu'il est encore temps de se rattraper ? Tasya lea reconnaîtrait sans doute. Et elle aimait bien Asra, il se souvient. Elle adorait déballer ses frasques d'enfants et ses plus grandes hontes quand iel venait manger à l'appart.

— Bien, oui. Très bien, il…

— Il est beaucoup trop bien pour Ilya, rit Pasha.

— Eh !

Tasya sourit derrière sa main. Elle s'appuie comme elle peut sur ses bras pour se redresser.

— Alors il ne faudra pas le laisser filer, celui-là, conclut-elle.

— S'il merde encore, je le trainerai par la peau du cul pour le forcer à s'excuser, assure sa cadette.

Ilya aimerait autant ne pas merder avec Asra. C'est indéniablement la meilleure personne qu'il ait jamais aimée. Les autres, il les adorait comme on aime rouler à deux cent à l'heure sur l'autoroute, en sachant qu'on pourrait bien finir replié entre le tableau de bord et le siège. Mais Asra…

— Je suis soulagée, soupire Tasya. Il faut que tu trouves quelqu'un qui prendra soin de toi.

Sans ces longs cheveux roux, son sourire n'a plus la même force. Mais Julian sait qu'elle dit vrai. Même si Asra n'est pas censé·e prendre soin de lui, que ça va dans les deux sens. Il comprend qu'elle pense aux hommes qui ne sont pas là aujourd'hui. Ses ex. Son frère. Sa fille. Tous ceux qu'elle va rejoindre.

Il déglutit. Ce n'est pas le moment de pleurer.

— Et tu dois prendre soin de lui, toi aussi.

— Oui, tata.

Détournant les yeux, Ilya regarde par la fenêtre de l'hôpital. Dehors, des centaines, des milliers de voitures sont entassées sur le parking. Ce sont autant de drames qui dorment entre les murs du bâtiment. Combien y a-t-il de tante mourante, ici ? De petits fils malades, de frères dans le coma ? De morts. Des morts, tous les jours. Bon sang, c'est le travail qu'il voulait faire. Il aurait pu se retrouver là, à ouvrir des gens à la chaîne. À annoncer des décès après des heures de travail. Est-ce qu'il aurait tenu ?

— On va te laisser te reposer, annonce Pasha.

Il sent la force qu'il lui faut pour prononcer ces mots. Sa petite sœur pourrait rester là des heures s'il le fallait, alors que lui… Oh, quel lâche il fait. S'il le pouvait, il serait déjà parti en courant. Cet endroit le met mal à l'aise, il déteste voir le dernier parent qu'il lui reste dans cet état. Ilya ne veut pas de la mort. Elle pue et elle lui obstrue la gorge.

Mais la famille Devorak en comple plus qu'elle ne devrait. Des morts. C'est injuste.

Il regarde sa tante. Bien en face. Il lui sourit. Peut-être pour la dernière fois. Chaque fois qu'il passe la porte, il pense qu'on pourrait l'appeler dans une heure, ou deux. Dans la nuit. Demain matin, avant qu'il ne revienne. Chaque fois qu'il reçoit un message, il croit voir le numéro de l'hôpital s'afficher sur l'écran. Chaque fois, le soulagement est de courte durée, Parce qu'il sait que tôt ou tard, ça arrivera. La nouvelle va tomber au fond de son ventre comme une pierre.

Ilya a déjà imaginé la conversation. Les mots précis que le médecin utiliserait pour le ménager. Comme si de s'y préparer, il pouvait repousser l'inévitable. En vain.

— J'ai invité Asra à passer ce soir. Pour… Err, j'ai pensé qu'on serait mieux à trois, annonce-t-il à sa sœur une fois dehors. Ça te dérange ? Je peux encore annuler, si tu préfères qu'on reste entre nous.

Silence. Est-ce que Pasha lui en veut ? Il s'est dit qu'avec un peu de monde dans la cuisine, ils pourraient oublier que Tasya risquait de ne pas se réveiller.

Mais quand il se retourne, sa cadette a les yeux ronds de larmes qui ne tardent pas à dévaler sur ses joues.

— Oh, Pasha…

Il la prend dans ses bras. Tant pis pour sa chemise. De toute façon, elle passe à la machine et… C'est juste une chemise. Du tissu. Du tissu et les sanglots de sa toute petite Pasha par-dessus, qui le serre sans réussir à formuler une phrase cohérente.


[TW : cancer, maladie, mort]