Hey !
J'ai preeeesque fini d'écrire cette fanfic. Il me reste genre 6 chapitres d'après mon plan. Franchement ça va le faire.
(évidemment, il m'en reste beaucoup plus à poster. Une vingtaine, à peu près ? Bref, on a dépassé les trois quarts de l'histoire !)
La mort à petits pas
Asra
.
Ce n'est pas la première fois qu'Asra sent le parfum de la mort. Mais le trouver sur les épaules de Julian, c'est autre chose. Et si le noir sied à son petit ami, savoir qu'il porte cette chemise pour un enterrement ajoute un poids qui nourrit le silence. Tout sec qu'il est, Ilya semble porter toute la tristesse de la terre. Asra vient lui prendre la main.
— Tu es prêt ?
— Non, ricane Ilya. Mais j'ai encore toute la nuit pour m'y faire.
Demain, il enterre sa tante.
Autant dire qu'ils n'ont pas fêté le nouvel an comme ils l'imaginaient. Mais Asra était là, plein·e d'attention pour son partenaire et sa sœur. C'était déjà bien. Une soirée parfois pesante, mais aussi pleine de rire. Ils ne se sont pas couchés trop tard.
— Faust dit que le nœud papillon ne te va pas du tout, commente Asra.
Dubitatif, le rouquin observe le serpent lové sur la table. Il y a toujours ce doute qui lui fait froncer les sourcils quand Asra prend la parole pour Faust, et c'est précisément ce qui lea pousse à le faire. Iel aime le sentir perdu, méfiant, parfois amusé. Perplexe devant la créature qui siffle, inconsciente de ce qui se joue.
— Err… C'est une manière de dire que c'est toi qui ne l'aime pas ? Je peux le retirer, si…
— Du tout. Moi, je pense que tu serais mieux sans chemise.
Un fantôme de sourire anime Ilya. Ils s'embrassent brièvement. C'est un combat de chaque instant de ramener un peu de joie dans ce deuil. Asra veut créer des souvenirs qui n'en feront pas le pire jour de la vie de son partenaire. La mort est dure et triste, mais elle ne doit pas nécessairement être un puits sans lumière. Pas quand on a des armes pour l'affronter.
— Ce n'est pas un enterrement nudiste. Malheureusement, soupire Ilya.
— Je n'ai pas dit que tu devais tout enlever.
Si minces que soient les rires qu'iel arrive à lui tirer, iel les sent sincères. Un autre baiser, et iel s'éloigne pour laisser Julian admirer son reflet.
— Tu crois que ça ira ? il demande, nerveux.
— Je crois que Tasya se moquait bien de ce que tu comptais porter pour son enterrement. Elle aurait juste voulu être entourée. Mais je ne la connais pas aussi bien que toi.
— Entourée…
Une ombre passe dans les yeux de Julian. Asra n'aime pas ça. Ses traits qui se tirent et ses lèvres qui s'affaissent. Comme si le monde s'effondrait, soudain. Encore et encore. Iel se sent incapable de le rebâtir.
— Elle avait que nous à l'hôpital. Y a bien certains amis qui sont passés. Mais c'est tout. Pas…
Pas de famille, Asra entend. Il connaît l'histoire d'Ilya, et celle de cette petite cousine partie beaucoup trop tôt. Parfois, iel se demande si ce n'est pas le chagrin qui a, au moins en partie, achevé la pauvre femme.
Ce même chagrin pourrait aussi bien emporter Ilya.
Non. Ilya est solide. Et il n'est pas seul. Asra se relève pour prendre sa main.
— Justement, elle vous avait vous. Vous êtes restés jusqu'à la fin, le rassure-t-iel. Ça compte.
— Ça l'a pas empêchée de mourir.
— Elle était malade, Ilya. Rien n'aurait pu éviter son décès.
Il le sent déglutir. Sa gorge toute maigre, et cette grosse pomme d'Adam au milieu. Pas besoin d'être un génie pour comprendre que son petit ami pense, là.
— Et même si tu avais poursuivi tes études de médecine, tu n'aurais pas pu la guérir.
— Je sais.
— Vraiment ?
Ilya se détourne. Dans le miroir, leurs deux reflets les observent. Deux yeux gris de peine et deux perles mauves compatissantes. Et tout ce noir. Trop de noir. Cette couleur, qui va si bien à Ilya, avale tout dans le cadre de verre.
— Tu trouves ça idiot ? lâche enfin Ilya. De penser que si j'avais vraiment essayé, j'aurais pu…
— Non, lui assure Asra. C'est normal.
Irrationnel, mais normal. Asra n'est pas expert·e en matière de deuil, mais iel en a vécu. Et iel connaît cette tentation constante qui pousse à refaire l'histoire. Imaginer des mondes qui n'auraient pas mené à cet instant qu'on fuit, comme si, d'y penser assez fort, on pouvait changer le cours des choses.
— Tu seras là ? demande Ilya.
On dirait qu'il lea supplie. Ça brille là, dans ses yeux, une prière sous ses mots. La peur absolue d'affronter le drame seul. Pour une fois que Julian cherche sa présence plutôt que de l'éloigner du problème, Asra serre sa main.
— Oui. J'ai pris ma semaine, je t'ai dit.
— Merci.
Pardon, iel entend. Ilya a dû le penser trop fort, à tort. C'est normal d'avoir besoin des gens qu'on aime.
Asra se laisse étreindre. Iel enfouit son nez au creux de son cou, où iel trouve une odeur de clope qui ne quitte jamais la peau de son petit ami. Ça lui donne envie de la mordre. Mais ce n'est pas le moment.
— Tu ne vas pas prendre trop de retard, si tu prends une semaine de plus ? s'inquiète tout de même Ilya.
— Du retard sur quoi ?
— Err… tes commandes, ou tes projets, ou…
Un doigt mesquin vient appuyer sur la bouche du rouquin.
— Quand je prends des congés, je ferme mes commandes, rétorque Asra. Et je peux avancer mes projets même si je suis en vacances.
— Mais ce ne sont pas vraiment des vacances si…
— Ilya, tu es la personne la moins bien placée pour me faire une remarque là-dessus.
— Au contraire, je pense que je suis bien placé pour parler des dommages irréversibles causés par le surmenage. Tu sais qu'aimer son travail n'empêche pas de faire un burnout, rassure moi ? Au contraire, les gens accaparés par leur activité ne réalisent pas que…
— Chut.
Asra presse sa bouche sur la sienne. Il n'y a pas plus sûr moyen de faire taire Ilya – quoi qu'il serait capable de pousser son discours contre ses dents.
— Sans vouloir te vexer, je gère très bien tout·e seul·e. J'ai déjà un médecin personnel pour ce genre de remarque.
— Zut.
Contemplant une dernière fois son petit ami, Asra entreprend de lui enlever ce nœud papillon.
— Désolé. Ordre de Faust.
— Je trouve Faust bien exigeante, pour un petit serpent.
— Si j'étais toi, je ne traiterais pas un python royal de petit serpent. Tu sais qu'elle peut t'étouffer dans ton sommeil ?
Ilya déglutit. Asra caresse sa gorge libre comme on profère une menace, plein·e de malice.
— Je suis trop grand pour qu'elle me mange, se défend l'ex étudiant.
— Pas si je coupe la viande pour elle.
Un rire passe. Un vrai. Et même s'il a le goût de tout ce que Julian ne dit pas, Asra se sent rassuré·e. Iel l'aide à enlever sa chemise. La journée sera bien assez longue demain. Ce soir, il veut prendre soin d'Ilya. Lui rappeler ce que ça fait, d'être aimé.
Mais une petite voix reste, qui lui rappelle qu'Ilya l'a quitté une fois. Et chaque fois que son petit ami cesse de sourire, Asra anticipe les mots qu'iel ne veut plus jamais entendre.
